CHAPITRE 42

— Mais dites-moi, vous êtes en couple, non ? demanda Elijah.

Les trois hommes se tournèrent vers lui. Le blond lui fit de grands yeux, pas du tout prêt à cette question tout à fait personnelle. Austin et Aksel regardèrent étrangement le téléphone qui venait de traduire la demande. Le brun détourna les yeux quelques secondes avant que le châtain explose de rire.

— Mais, kjære, ils sont justes amis. Enfin, je crois ?

— Ho, que tu es aveugle et innocent, se moqua gentiment Elijah.

— C'est pas drôle... Tu vas me le dire encore pendant longtemps ?

— Peut-être !

Il lui envoya un baiser avec son souffle et ses doigts. À côté, les deux hommes ne pipaient mots. Austin regardait le sol, comme si c'était la plus belle chose au monde. Sa main s'était un peu resserrée sur le bas du cornet. Elijah reconnaissait immédiatement les réactions qu'il avait sous les yeux : Austin n'était pas encore sorti du placard. Ou du moins, il aimait rester entre les chemises et les pantalons afin de lui-même se protéger.

Heu... C'est vrai mais c'est... heu... compliqué ? avoua Aksel.

— C'est toujours compliqué, lui affirma le psychologue.

Non mais... his family is very... homophobe.

— Ha.

— Donc vous êtes que des meilleurs amis, c'est bien ça ?

Yes, avoua piteusement Austin.

L'homme triturait ses doigts dans un geste machinal. Lorsqu'il se lassa de ce geste, il attaqua la couture de son sweat. Il tirait et entortillait violement la matière extensible entre ses mains. Ses cheveux bruns tombaient devant ses yeux, laissant une ombre planer sur son visage défait. Aksel passa sa main sur celle de son ami pour tenter de calmer cette manie de déformer ses vêtements.

It doesn't change anything, murmura le châtain.

Si, cela changeait tout. Cela changeait leur amour envers le monde entier.

Aksel leur expliqua qu'ils se voyaient en douce, dans l'appartement d'Austin. Ils étaient couverts par leurs frères et sœurs quand les parents d'Austin posaient des questions un peu trop pointues. Ils avaient même ouvert une conversation de groupe sur un réseau social pour dire ce qu'ils faisaient et monter leurs mensonges.

Austin baissa la tête, honteux. Oui, il avait incroyablement honte de ce qu'ils devaient traverser par sa faute. Il ne pouvait pas en parler à ses parents, même si l'envie de lui manquait pas, au détour d'une conversation légère, après une pause dans un des repas qu'il passait chez eux une ou deux fois par mois. Aksel passa son bras autour de ses épaules, sans se soucier de qui pouvait les voir.

De toute manière, ils avaient changé de place pour un endroit plus calme, sans enfant qui manquait de venir piquer à même leurs sucreries et sans babillages incessants pour Elijah qui ne comprenait toujours rien. Ils étaient toujours assis sur un banc, mais dans un renfoncement de rue, à l'abris des regards. Ils entendaient la vie qui courait dans les rues de la ville, mais cela s'arrêtait ici.

Un baiser réconfortant s'échoua sur les lèvres du brun et il se blottit dans les bras de son copain. C'était comme si cet acte arrivait bien trop souvent pour devenir naturel et presque instinctif. Aksel murmura quelque chose à l'oreille d'Austin qui hocha la tête, soudainement convaincu par les mots avoués.

— Voulez-vous qu'on vous laisse ? demanda Elijah en français.

Non. Ne vous en faites pas. Juste un petit... coup de... mou ?

Cependant, le couple leur laissa de l'intimité pendant quelques minutes. Les deux connaissaient bien ce sentiment : celui de ne pas oser dire les choses et de faire comme si de rien n'était alors que tout allait de travers. Maintenant, Archibald observait les moindres mimiques et craintes de son compagnon. En un mois, il avait appris à comprendre les silences et les hésitations. Le châtain était un excellent menteur, peut-être à cause de son métier, mais le blond découvrait les petites failles pour s'engouffrer dans l'épaisse carapace.

Et, soit il y trouvait du noir, dans de la lumière aveuglante.

Peut-être que bientôt, Elijah se confierait de lui-même ?

— Chéri, tu viens ? On va se balader pour digérer.

La voix d'Elijah le sorti de ses pensées. Il n'avait pas remarqué qu'il était parti loin dans ses songes. Le sourire amusé de son compagnon ravi son cœur. Le jeune homme leva les yeux au ciel, dépité par ce qu'il pensait de l'homme qui partageait sa vie. Pouvait-il tomber amoureux à chaque fois que ses yeux se posaient sur lui ? La réponse était un grand « oui » en lettres rouges clignotantes.

— Je n'aurais jamais autant marché de ma vie, plaisanta-t-il.

Vous ne faites jamais de promenades, en France ? demanda Aksel.

— En réalité, non. Nous n'avons pas le temps, entre nos travails et os horaires.

Ho! What are your jobs?

I'm a teacher and he is a psychologist! dit fièrement le blond.

You? Teacher? s'amusa Austin, n'en croyant pas ses oreilles.

L'une des rues principales les engloutit. Les familles voguaient entre les vitrines des magasins alors que les restaurants et les bars commençaient à sortir les tables pour pouvoir consommer sur une terrasse plus ou moins grande. La ville commençait lentement à changer de visage. Les activités qui se déroulaient le jour laissaient place à celles qui s'exploitaient la nuit. À un peu plus de dix-huit heures, ce manège était toujours aussi impressionnant.

— Et bien oui ! J'enseigne l'anglais dans un lycée, figurez-vous !

Cela ne m'étonne pas. Tu as toujours aimé les enfants !

Et comment va ta fille ?

— Elle pète la forme, comme d'habitude. Elle ne veut pas retourner à la maison car elle est totalement charmée par la Norvège. Et peut-être que ma mère y est pour quelque chose... Elles s'entendent vachement bien, toutes les deux !

Il avait parlé lentement pour que l'application puisse traduire le plus fidèlement possible ses paroles. Il y eu quelques instants de flottement, pour que l'écriture parvienne sur l'écran. Ses deux amis s'esclaffèrent.

Tout le monde aime Ingrid ! Même le chien de tes voisins !

Et c'était entièrement vrai. Le caniche de leurs voisins était incroyablement méchant et virulent lors de ses promenades matinales avec ses humains. Cependant, la blonde avait toujours obtenu ses faveurs. Personne ne savait pourquoi, mais un matin, elle s'était penchée et l'avait caressé avec une étonnante facilité. La magie avait opéré dans la tête du canidé et maintenant, il battait énergiquement de la queue dès qu'ils se croisaient.

— Parce que c'est la meilleure, c'est tout ! fanfaronna le blond.

Il reçu un coup de poing sur la tête. C'était un geste fraternel et presque délicat, quand on savait qu'Aksel était bourru de nature, incapable d'éprouver de la tendresse à quelqu'un d'autre que son compagnon. Archibald songea qu'ils s'étaient parfaitement trouvés, ces deux-là. Austin calmait ce côté brute de décoffrage. Pourtant, au fil du temps, il devenait beaucoup plus doux lorsqu'il manipulait les corps qu'il avait entre les doigts pendant ses cours de kinésithérapie.

Comme quoi, l'amour accomplissait des miracles, comme il se disait.

Tu n'as pas voulu nous dire comment ce sont passées les retrouvailles.

— Tu ne connais pas la délicatesse ? demanda le blond.

Absolument pas ! répliqua l'autre.

Ils passèrent de l'autre côté de la rue pour regarder un magasin qui vendait des bijoux artisanaux. Le cuir était délicatement mêlé avec le métal ou le bois dans des bracelets et des colliers. Les yeux d'Elijah brillèrent devant ce qu'il pouvait appeler une œuvre d'art. Le jeune homme avait toujours apprécié ces objets qui ne se trouvaient sur personne d'autre car chaque création était unique en son genre.

Tu veux entrer ? dit Austin en se rendant compte de son enthousiasme.

— Ouais ! Comment j'ai pu passer à côté de cette boutique ?

— Nous ne sommes jamais venus dans cette partie de la ville, affirma Archie.

— Ceci explique cela, alors.

La petite clochette retentit sur leur passage et les trois amis se mirent à converser en norvégien avec l'une des vendeuses. Archibald expliqua à Elijah que c'était la mère et la fille. Elles avaient une passion pour les créations depuis quelques années, et elles se lançaient tout juste dans une boutique physique.

— C'est superbe ! Ho... Heu... sorry. It's beautiful miss.

You speak English? Perfect! Thank you a lot!

— Heu... bredouilla Elijah. Little bit. Very little bit...

It doesn't matter! s'enthousiasma la plus jeune des deux femmes.

Il envoya un regard presque suppliant à Archie.

— « Ce n'est pas grave », traduit-il.

— Merci, souffla le châtain, absolument désemparé.

Sérieusement, il allait devoir fournir un effort pour apprendre l'anglais. Cela tenait de sa survie dans les autres pays que la France. Ils adoraient leur voyage qu'ils étaient en train de mener, et Elijah voulait vraiment découvrir de nouvelles cultures. Peut-être qu'ils pourraient même faire un saut à New-York pour aller voir Arthur ? Le photographe ne cessait de vanter les bienfaits de cette ville, alors pourquoi ne pas aller la découvrir de leurs propres yeux ? Et qui disait New-York disait anglais.

Distraitement, Elijah passa son pouce sur un bracelet tressé. En son centre, il y avait un médaillon qui représentait une sorte de boussole. Archibald connaissait bien ce symbole car il représentait la célèbre boussole Vegvisir. Il était la traduction du compas viking qui amenait la chance et la protection. Les liens de cuir sombre semblaient robustes et agréables à porter.

— Il est joli, confia le châtain.

— Très. Tu voudrais que je te l'offre ?

Discrètement, du moins, pas assez pour échapper au regard clair de son compagnon, Elijah regarda le prix et retourna la petite étiquette, comme si de rien n'était. Il secoua la tête, moins motivé qu'il y avait quelques secondes.

— Non, ce n'est pas nécessaire, ne t'en fais pas.

— Mais tu l'aimes, contra Archibald.

— Certes, mais j'ai déjà pas mal de bracelets. Ne te bile pas pour ça !

Un peu plus loin, les deux amis du blond parlaient toujours avec la jeune femme, ne faisant pas du tout attention à la bataille de regards qui se produisaient entre Elijah et Archie. Finalement, le professeur baissa les yeux et retira la main de sa poche où il tâtait sa carte bleue, comme s'il allait la dégainer à tout moment.

— D'accord. Je voulais juste te faire plaisir, marmonna Archie.

— Rien que le fait d'avoir l'idée de me l'offrir me fait plaisir. Merci chéri.

Le plus jeune bouda quelques secondes avant de se détendre lorsque les doigts du psychologue s'échouèrent dans le bas de son dos dans une délicate caresse. Aksel éclata du rire face à une blague de la plus âgée du magasin. Il se couvrit la bouche, comme si c'était un acte privé et indécent. Austin le regardait avec des yeux qui ne trompaient pas : il aimait voir son compagnon s'amuser de la sorte.

— Les gars, nous allons devoir y aller... prévint Archibald.

Sorry? demanda Aksel en se calmant.

We should go home, répéta-t-il en un anglais chantant.

Ho! Yes, yes!

Les quatre compères s'éclipsèrent de la boutique, Aksel et Austin promettant aux deux femmes de revenir lorsque les cadeaux d'anniversaire allaient arriver. C'était une idée parfaite à leurs yeux, et puis, les bijoux plaisaient toujours !

Tu penses que demain, on pourrait se revoir une dernière fois ?

— Je ne pars pas à la guerre, tout de même ! plaisanta le seul blond.

Un peu quand même... Tu pars de notre pays.

— Vous savez, les avions existent maintenant !

Le couple marmonna quelque chose qui sonnait comme un « Tu es bête, mais tu as raison » aux oreilles d'Elijah. Pour sa part, ce serait avec joie de revenir sur la terre qui avait vu naître son homme. Et puis, si les deux amis voulaient leur rendre visite, il n'avait rien à y redire. Le dialogue serait encore un peu compliqué, mais cette application faisait de véritables miracles.

Nous n'avons pas encore rencontré ta fille, d'ailleurs.

— Noora est avec ma mère. Je ne voulais pas qu'elle s'ennuie, en fait.

Venez prendre un petit déjeuner demain matin ! Tous les trois !

Archibald et Eli se concertèrent en silence. Austin pensa même qu'il y avait quelque chose de magique qui se passa, lorsque son ami hocha la tête avant de remercier le châtain du bout des lèvres.

— Je ferai les valises, ne t'en fais pas.

Merci infiniment !

Le plus petit sautilla presque de joie en embrassant la joue offerte.

Ils marchèrent quelques minutes pour rejoindre la maison des von Østergaard en racontant tout et rien. Archibald demandait des nouvelles de ses anciens camarades, et il se rendit compte qu'une des filles de leur groupe était également professeur, alors qu'un autre garçon vivait de sa passion qui était les animaux. Plus précisément, les canidés, et il avait passé ses diplômes pour être comportementaliste.

Archibald leur promit de ne plus jamais rester dans le flou au travers de ses messages et surtout de répondre beaucoup plus rapidement que trois jours après. Il s'avoua vaincu lorsque ses amis lui sautèrent presque dessus pour leur donner raison.

— Demain, nous venons à quelle heure, et chez qui ?

Dix heures trente chez moi ? proposa Austin.

— D'accord, pas de soucis. Notre vol est à quinze heures. Tu es sûr de ne pas...

— Oui. Profite de tes amis. Je m'occupe de tout, rigola Elijah.

Il fut remercié une nouvelle fois et ils se quittèrent après avoir échangé leurs numéros de téléphone. Malgré les chocs linguistiques, le couple appréciait beaucoup le psychologue. Ils n'étaient pas du genre à couper brusquement les ponts avec quelqu'un, et qui était, le compagnon d'un ami à eux.

Les deux hommes regardèrent le châtain et le brun partir dans le sens opposé duquel ils étaient arrivés. De loin, ils ressemblaient à des meilleurs amis et c'était absolument triste, car ils ne méritaient pas cela.

— Et bien, qu'elle journée, soupira Elijah en remontant la petite allée.

— Je ne te le fais pas dire...

— Prêt pour retrouver le diable de Tasmanie ?

— Nous n'avons pas vraiment le choix, s'écria presque le blond.

— C'est dommage, tu ne peux plus l'échanger, le bon est périmé avec le temps.

— Est-ce que je le veux vraiment ?

— Même si tu le voulais, je t'en empêcherai ! scanda le châtain.

Archibald ouvrit la porte d'entrée. La première chose qui lui sauta au nez était la douce odeur d'un repas qui cuisait dans la cuisine. Cependant, il n'arrivait pas à identifier clairement le plat en entier. De la sauce tomate ? Et...

Fader, papa !

Un boulet de canon châtain se propulsa dans leurs jambes.

Ils échangèrent une œillade qui transmettait « Je te l'avais dit ! ».

La petite commençait déjà à déblatérer des éléments de sa journée, mais les deux adultes ne comprenaient pas de quoi elle parlait. « Deux salles, deux ambiances » comme on disait, non ?

Et qu'elle adorable ambiance !

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Hey vous !

Voici un nouveau chapitre !

Des avis ? :)

Bisou sur votre joue gauche,

Rheexus

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