CHAPITRE 30
— Laure, ne louche pas sur ton voisin.
— Mais monsieur...
— C'est un travail individuel. Tu es dans sa tête ?
— Arg, non ! Qu'elle horreur ! s'horrifia la demoiselle.
— Voilà, donc regarde chez toi, please.
La jeune fille hocha la tête, intimidée par les yeux bicolores du seul adulte de la salle. Archibald était à son bureau, attendant les trente minutes que doivent durer l'exercice de rédaction. Il avait surpris les secondes en leur collant un texte d'imagination en anglais, bien évidemment. Sur l'écran que fixait le professeur, ses mails étaient ouverts. L'un de ses collègues l'avait joint. Pourtant, il ne parvenait pas à répondre ou à aligner deux mots.
Son esprit était ailleurs.
Cela faisait une semaine qu'Elijah s'était confié.
Cela faisait une semaine qu'il se retenait de poser plus de questions.
C'était la dernière heure de la journée, et il n'avait pas la tête à réfléchir. Il voulait simplement rentrer chez lui, enlacer Elijah et lui murmurer que tout irait bien. Cela faisait plusieurs jours que le châtain avait les pensées ailleurs. Parfois, il regardait dans le vide, les yeux éteints. Archibald ne savait pas s'il se plongeait de nouveau dans les souvenirs ou s'il construisait un mur protecteur.
— Nathan, c'est sur ta copie que ça se passe...
— Pardon m'sieur !
Il restait encore dix minutes de cours. Archie se revoyait de nombreuses années plus tôt, attendant impatiemment les dernières minutes du temps imparti. Il avait toujours fait partie de ces personnes qui regardaient leur montre presque toutes les cinq minutes lorsque la leçon n'était pas intéressante.
— Okay... It's over !
Les stylos se jetèrent presque sur les tables lorsque la phrase retentie. Il donna quelques consignes avant que la sonnerie ne retentisse dans les couloirs. Les élèves savaient qu'ils devaient encore attendre plusieurs secondes supplémentaires.
— Au prochain cours, vous passerez au tableau pour lire vos œuvres. Ensuite, nous ferons des petites improvisations à l'orale. Le sujet sera libre, comme d'habitude. Ce n'est pas pour travailler votre accent, mais votre aisance à parler une autre langue que la vôtre. Est-ce que le programme vous tente ?
— Mais grave ! C'est pas souvent qu'on fait ça en cours, dit un élève.
Archibald sourit et invita les étudiants à partir. Dans un brouhaha de raclements de chaises et des fermetures éclairs qui se fermaient, la fin de la journée retentissait. La porte de la classe s'ouvrit et une marée humaine déferla dans le couloir. Bien vite, la salle fut vide. Décidément, les jeunes partaient beaucoup plus rapidement qu'ils ne venaient en cours.
[14 : 12] Elijah : J'ai le colis. Elle a fait une petite bêtise à l'école, mais je me suis entretenu avec la maitresse, ne t'en fais pas ! L'un de ses amis a reçu une pierre sur l'arcade, et elle a tapé le fauteur de troubles. Tout va bien. Nous sommes chez toi.
[18 : 06] Archibald : Je ferme la classe et j'arrive. J'aurai une petite conversation avec Noora. Tu veux que je passe prendre quelque chose pour le repas ?
Il ferma les fenêtres et les volets. Passer quatre heures dans une salle en plein soleil laissait la chaleur entrer et s'installer. Il empoigna la hanse de son sac, éteignit les lumières et vérifia que la salle était bien verrouillée. Il ne prit même pas la peine d'aller saluer ses collègues, car il n'avait pas envie d'y passer des heures.
[18 : 18] Elijah : Non, j'ai tout ! Quiche-reste ce soir ? Et, ne tire pas trop fort les oreilles de ta fille, c'est quand même honorable ce qu'elle a fait ! Je débarre la porte. À tout de suite !
Un cœur accompagnait la dernière phrase. Elijah n'était pas très démonstratif dans ses écrits, mais parfois, il se laissait aller, et le palpitant d'Archie faisait des bonds en voyant ce débordement d'amour qui lui était envoyé.
Il salua quelques élèves sur son passage tout en se frayant un chemin dans la petite porte qui déversait les adolescents. La voiture était un peu plus loin, sur le parking privé des professeurs. Heureusement que les élèves n'y venaient pas, sinon il n'y aurait pas de place pour tout le monde.
Il claqua la portière lorsque son téléphone vibra sur le siège passager. Comme d'habitude, il avait lancé ses affaires et sortis ses papiers pour qu'ils soient facile d'accès, en cas de contrôle impromptu. Curieux, il passa son index dans le lecteur d'empreinte pour atterrir sur la page des messages qu'il n'avait pas fermée.
[18 : 29] Aksel : Hei mann ! Hvordan har du det ? I miss you. When are you coming to see us? Your parents are very worried about you... So, I hope it's the right number! Answer me quickly please. Kiss.
Archibald se figea sur place. Il n'avait pas eu de nouvelles de son ami depuis des mois. Presque un an. Parfois, il envoyait des nouvelles à ses parents pour dire qu'il était bel et bien vivant, mais cela faisait presque six ans qu'il n'avait pas entendu leur voix. La bouille enfantine d'Aksel devait avoir drôlement changé.
Il resta quelques minutes à fixer l'écran, confus.
[18 : 33] Archibald : Hey! I'm fine, thank u. I'm free in two weeks, can I come?
Il lâcha une nouvelle fois le portable sur le siège passager avant de mettre la clef pour démarrer le moteur. La voiture vrombit un peu avant que la marche arrière ne soit enclenchée. Les contrôles des rétroviseurs. Personne. Il joua des pieds pour se dégager de la place, l'esprit en vrac.
***
— Eli, il faut que je te parle d'un truc...
— Tu ne veux plus engueuler Noora ? Je ne prendrais pas part à ça !
— Quoi ? Non, c'est autre chose !
Il se glissa à côté du châtain dans le canapé. Un livre fantasy à la main, il lui adressa un regard suspect. Dans la chambre de la demoiselle, il pouvait entendre sa fille inventer une vie à ses Playmobil. Dans le four, la quiche cuisait lentement.
— Tu m'as l'air contrarié. Que s'est-il passé ?
— J'ai... heu... C'est que... j'ai pas fais exprès.
Les yeux clairs s'écarquillèrent de peur.
— Tu m'as trompé ? C'est à cause de dimanche dernier, c'est ça ? paniqua Eli.
Il s'était tendu, prêt à bondir si ce qu'il disait était la vérité.
— Attends quoi ? Non ! Non Eli, je ne ferais jamais ça ! Ho, kjære...
Il passa les bras autour du cou de son compagnon pour le rapprocher de lui. Tout contre son torse, il pouvait sentir les battements de cœurs affolés de celui du psychologue. Ses yeux s'étaient soudainement embués à cause de l'émotion.
— Je te l'ai déjà dit. Ça ne change absolument rien pour moi, okay ?
Elijah hocha la tête contre l'épaule du blond. Il murmura quelque chose qu'Archibald ne parvint pas à entendre. Il caressa les cheveux ondulés le temps que la peur s'en aille. Quelques minutes de silence plus tard, le châtain se redressa.
— Qu'est-ce que tu as fait ? demanda-t-il doucement.
— J'ai... peut-être accepté une invitation d'un ami.
— Jusque-là, rien d'anormal, si ?
— Cet ami habite en Norvège, en fait.
— Tu voudrais y retourner ? Mais c'est génial Archie ! C'est super !
— Je me suis emballé quand il m'a dit que je leur manquais et... C'est sorti tout seul. C'est débile, tu ne trouves pas ? Je ne leur parle pas, mais je veux courir vers eux pour... Je sais pas, en fait.
— Je suis sincèrement heureux que tu avances pas à pas. Il y a quelques temps, tu ne voulais pas entendre parler de ta famille car cela te faisait trop mal. Tu ressentais de la honte et de la déception de toi-même. Donc, tu as avancé.
— Tu refais ton psy...
— Non, toute personne peut voir cette avance.
— N'importe quoi ! rouspéta le blond.
— C'est vrai ! Tu ne les as pas mentionnés depuis un bail.
Il lui offrit une moue dubitative en haussant les épaules. Archibald ne savait pas vraiment quoi dire face à ce constat. Il n'avait aucune idée de comment tourner le problème pour que cela se dérouille. Archie voulait mettre de l'huile entre les engrenages, mais il avait peur. Une peur bleue qui coulait le long de son corps.
— Donc, tu voudrais partir quand ?
— Pendant les deux semaines de vacances.
— Il faudra que tu prévoies une grosse valise alors, ricana Elijah.
Il s'était toujours amusé de la façon qu'avait Archie de faire ses bagages. Il prenait toujours trop de vêtements et au moins deux paires de chaussures. Parfois, rien que pour une nuit chez le châtain, où il y avait déjà certaines de ses affaires, il prenait un gros sac à dos.
— Je mettrai le surplus dans la tienne, ce n'est pas grave.
— C'est aussi une solution ! Attends quoi ? s'écria Elijah.
Les yeux bleu et vert semblaient le supplier. Archibald n'avait pas imaginé aller en Norvège sans son compagnon. Il avait besoin de se sentir encouragé et soutenu dans cette rude épreuve.
— Est-ce que tu veux venir avec moi ?
— Mais, je n'ai pas ma place là-bas. C'est ta famille Archie.
— Non, c'est notre famille, à Noora, toi et moi.
Elijah ouvrit la bouche pour répliquer, mais la ferma presque aussitôt. Il ressemblait à un poisson qui venait brusquement d'être sorti de son habitat naturel. Il cligna plusieurs fois des paupières pour regrouper ses pensées.
— Alors, tu acceptes ? insista le blond.
— Bien sûr ! Je serai ravi de te suivre dans cette aventure.
— Merci...
Archibald était soulagé. Il soupira si longuement qu'Elijah se demanda s'il ne manquait pas d'air à la fin. Ses traits se détendirent d'un seul coup alors que ses épaules s'affaissaient sous la pression. Le châtain su immédiatement qu'il avait fait le bon choix en affirmant sa venue.
— Quand partirait-on ?
— Le premier samedi des vacances.
— Tu as tout prévu alors ?
— J'ai beaucoup réfléchi sur le trajet pour revenir du lycée...
— Tu as un peu vu les prix ?
— Je n'ai pas osé, marmonna le blond.
Elijah sorti son téléphone pour faire une recherche rapide. Il cliqua sur le premier lien qui lui tombait sous le nez et cocha plusieurs cases. Classe économique, deux adultes et un enfant. Des bagages en soute. Archibald se pencha sur lui pour regarder le petit écran. Il fronça les sourcils lorsque le prit lui sauta aux yeux.
— Six cent euros minimum ? C'est beaucoup trop...
— Oui, mais pour trois, mais par contre, il y aura une escale.
— C'est quand même trop cher !
— Non. Je payerai pour nous, ne t'en fais pas.
— Je refuse, rétorqua catégoriquement Archie.
— Et pourquoi ?
Il y eu un combat de regards. Aucun des deux ne voulaient flancher. L'un voulait faire comprendre à l'autre que c'était trop, alors que le deuxième voulait faire comprendre au premier que rien n'était trop pour lui. Ce fut Archibald qui les détourna en premier. Il s'avoua vaincu avec un gémissement défaitiste.
— Je ne pourrai pas te faire changer d'avis, hein ?
— Non. Tu sais que je suis têtu !
— Laisse-moi au moins payer la part de Noora.
Un froncement de sourcils lui répondit.
— S'il te plaît. Je ne veux pas être un poids à cause de l'argent.
— D'accord, je comprends. J'accepte cette aide.
Un large sourire courba les lèvres de son compagnon. Il se jeta dans les bras du châtain pour le serrer fort contre lui. Il soupira de soulagement. Il lâcha un rire nerveux en se rendant compte qu'il avait fait plier Elijah.
— Merci. Je suis heureux qu'on puisse y aller ensemble. Vraiment.
— Moi aussi. Il va falloir l'annoncer à Noora, maintenant.
— Qu'ess-vous voulez m'annoncer ? demanda la demoiselle.
Elle se jeta presque sur le canapé, entre les deux, les forçant à se décoller. Elle étendit ses jambes pour se mettre à son aise et attrapa la main du châtain pour jouer avec ses doigts. La différence de taille était saisissante.
— Est-ce que ça te dirait de voyager ? demanda son père.
— Voler dans le ciel ? s'enthousiasma-t-elle.
— Oui, voler en prenant l'avion.
— Ho oui ! C'est chouette ! J'aimerai beaucoup voler papa !
Elijah se tendit à ce surnom. Il n'était toujours pas habitué à cette appellation. Il passa ses phalanges dans les cheveux bruns de la demoiselle. Décidément, elle ne ressemblait pas du tout à son géniteur.
— Mais heu, pour aller où ?
— Chez farfar et mormor.
— Mais on a pas besoin de prendre l'avion pour allez chez papy et mamy !
— Non Noora, pas ceux-là. Anna et Théo sont les parents de ta mère, tu comprends ? Et ceux dont je te parle, ceux sont mes parents. Ils habitent en Norvège, c'est pour ça qu'on a besoin d'un avion.
— Ho.
— Tu as envie d'y aller ?
— Oui ! Moi je veux les rencontrer. Tu en parles, parfois.
— C'est vrai. Ce sont des personnes géniales.
— Papa vient avec nous hein ? demanda-t-elle timidement.
— Evidemment crevette. Tu ne te débarrasseras pas de moi.
Le châtain lui envoya une pichenette sur le bout de son nez. Elle s'esclaffa avant d'essayer d'enlever la main taquine. Cela se termina en bataille de chatouilles sur les côtes. La demoiselle perdit face à la maîtrise de la torture d'Elijah. À quelques centimètres deux, le platine regardait la scène, attendrit.
— Quand qu'on y va ? cria finalement la petite. Papa arrête !
— Pendant les vacances, affirma-t-il.
— Elles arrivent vite ?
— Techniquement, non. Une journée fera toujours vingt-quatre heures.
La gamine réfléchit quelques secondes avant d'hocher la tête.
— Et dans combien de vingt-quate heures ?
— Beaucoup !
— Beaucoup comment ?
— Deux semaines louloute.
Archibald avait craqué. Même s'il trouvait leur discussion adorable, il ne voulait pas s'éterniser. Il se redressa pour faire craquer ses jambes trop longtemps pliées. En se leva, attrapant la petite par la taille pour la soulever dans les airs.
— Tu veux de la quiche ? Elle doit être cuite maintenant !
— Ho oui ! J'ai super méga faim en plus !
— Adjugé vendu. Va mettre la table, nous te rejoignons.
Il déposa sa fille pour qu'elle aille s'occuper de la vaisselle.
— Te joins-tu à nous durant ce repas ?
— Volontiers mon cher !
Archibald tendit la main comme si Elijah était un prince venu d'une contrée lointaine. Il fit une petite révérence, la tête inclinée. Le châtain peina à garder son sérieux lorsqu'il dépliait son corps pour rejoindre la cuisine. Main dans la main, ils s'installèrent à la table que Noora avait dressée. Les couverts étaient échangés, comme une fois sur deux. Pourtant, la petite était fière de son travail.
— Allez, c'est parti pour un tour ! s'exclama Elijah en servant le plat.
__________________________
Hey vous !
Voici un nouveau chapitre !
Des avis ? :)
Bisou sur votre joue gauche,
Rheexus
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top