CHAPITRE 25

— Je crois que j'ai peur qu'il me cache des choses.

— Comment ça ?

Le regard perdu dans les légumes de sa voisine d'en face, le blond dressa une liste mentale de tout ce qu'il avait noté chez le châtain. Son petit tic de propreté n'était pas un drame, sa manie de plier ses vêtements par couleur et par usure non plus, bien qu'il ne comprenait pas tout à fait le but de cette manœuvre.

— Je ne sais pas trop, c'est un ressentiment, tu vois ?

Ce ressentiment l'étreignait depuis quelques temps. Il ne savait pas exactement d'où il venait, mais il avait l'impression de louper quelque chose d'important. Un élément que lui seul pourrait découvrir, parce qu'Elijah ne le lui dirait pas de son plein gré. C'était dans les gestes, les regards. C'était présent et absent à la fois.

— Peut-être qu'il est timide ?

— Elijah et timide ne vont pas dans la même phrase ! rit Archie.

Non, ce n'était pas de la timidité. S'il devait poser un mot dessus, ce serait plutôt de la gêne. Une gène qui se manifestait dans la salle de bain, lorsqu'il se changeait ou lorsqu'ils étaient intimes. Ou peut-être se faisait-il des idées, et que c'était réellement de la timidité ? Les questions se bousculèrent dans sa tête, sans qu'il puisse trouver des réponses. Ses théories tombaient à l'eau dès qu'il les formulait.

— Oui, c'est vrai... Je ne peux pas t'aider, je suis désolée...

Orianne lui offrit un sourire contrit. Même si elle partageait une amitié avec le châtain, elle ne pouvait pas se vanter de connaître tout de lui. Déjà, même pour quelqu'un de proche, c'était compliqué, mais pour un collègue de travail ? C'était presque mission impossible.

— Je peux seulement te conseiller de parler.

— Je crois que je vais essayer oui, merci beaucoup.

— Pour ? s'enquit la jeune femme, surprise.

— Ecouter mes plaintes.

Le blond lui adressa un petit sourire. Le brouhaha de la cafétéria couvrait presque entièrement leur conversation. Ils n'élevaient pas assez la voix pour que la table voisine sache de quoi ils parlaient. Cela arrangeait parfaitement Archibald qui n'avait pas envie d'étaler son couple à des personnes malveillantes.

— Je ne sont pas des plaintes. Tu es humain, tu as besoin de parler !

Les haricots verts baignaient encore dans une sauce non-identifiée lorsqu'Orianne lui lança un regard entendu. Les deux n'avaient jamais vraiment prit le temps de parler ainsi. Archie trouvait en la jeune femme une camarade à l'esprit vif et critique à tendance taquine.

— C'est quand même un comble lorsque mon mec est psychologue...

— Ça n'a rien à voir ! Tu n'es pas l'un de ses patients. Si tu veux mon avis, ce serait vraiment étrange que tu le sois. Il connaîtrait absolument tout de ta vie, et il y aurait un truc pro derrière vos échanges.

Archie grimaça à l'idée même de devoir être l'un des jeunes qui venaient se confier durant des heures pour dénouer des situations complexes. Il n'avait rien contre les personnes exerçant ce métier, mais il ne s'imaginait pas ainsi.

— Tu sais, il attend peut-être le bon moment de t'en parler, le connaissant.

— Je sais pas. Je vais voir, parce que je ne suis pas sûr de moi, en fait.

Sa collègue lui lança un regard encourageant. Comme lui, elle ne savait pas quoi lui conseiller pour réagir à ses propres doutes. Elle scruta Archibald qui sondait la salle de ses yeux, comme pour prendre connaissance d'où il se trouvait.

— Tu voudras de tes haricots ? demanda brutalement la jeune femme.

Le blond versa le reste du contenu de son assiette dans la sienne. De loin, on aurait pu dire un enfant capricieux qui ne voulait pas manger des légumes verts, et pourtant, c'était qu'il n'avait plus faim.

Elijah n'était toujours pas arrivé, et cela l'inquiétait.

— D'ailleurs, tu as toujours des nouvelles de Lison ? demanda Orianne.

— Pas vraiment pourquoi ?

— Elle regarde souvent par ici depuis qu'on s'est installés.

— Où ? répliqua le blond en la cherchant du regard.

— Derrière toi. Mais elle est avec Thierry et Alban.

Les deux s'échangèrent un regard confus. La professeure n'avait rien tenté depuis qu'Elijah avait clairement montré la nouvelle relation que les deux amants avaient. Elle s'était tenue à l'écart, foudroyant le plus vieux du regard. Elijah faisait comme s'il ne voyait pas ce qui se passait, et continuait d'avancer. Pourtant, Archie voulait avoir une conversation posée avec Lison. A son goût, ils s'étaient éloignés en de mauvais termes, et cela pouvait peut-être s'arranger.

— Tu ne vas pas faire ce que je pense que tu vas faire ? demanda Orianne.

— Hum ? De quoi ? rétorqua le blond.

— Si tu vas lui parler, elle va te cracher du venin au visage.

— Non, elle n'est pas comme ça ! Elle est gentille et douce.

— Certes, mais tu es parti avec un autre. Comment va-t-elle réagir ?

Archibald se mordilla la lèvre. Sa voisine avait raison. Il prenait l'équation par le mauvais bout. Peut-être que s'il la laissait venir à lui, ce serait mieux ? Cependant, il ne mentait pas lorsqu'il la qualifiait de douce et gentille. Il appréciait vraiment cette femme, même s'il s'était trompé sur les sentiments qu'il éprouvait pour elle. Au final, il ne ressentait qu'une grande amitié. Du moins, quand elle lui adressait la parole.

Maintenant, il pouvait le dire : l'attirance qu'il avait eue pour elle ne relevait pas des sentiments amoureux. Il s'était trompé sur toute la ligne. Lorsqu'il était avec son compagnon, son cœur semblait battre beaucoup trop fort dans sa cage thoracique. Avec elle, il ressentait seulement une immense joie.

— Salut ! Excusez-moi pour le retard, j'ai eu un contretemps !

— Une gamine en détresse a croisé ta route ? s'amusa Orianne.

— Secret professionnel !

Elijah s'installa à côté d'Archie. Ses doigts passèrent légèrement sur sa taille lorsqu'il se pencha pour donner son entrée au blond. Heureusement que le manteau était échoué sur la chaise, cachant ce geste tendre à la vue de tous. Un rapide coup d'œil à son téléphone apprit au châtain qu'il n'avait que trente minutes pour manger, pendre une micro-pause et enchaîner avec son après-midi. Il avait un rendez-vous à quatorze heures piles.

— Est-ce que vous voulez passer à l'appart ce soir ?

— Tu offres l'apéro ? quémanda immédiatement Elijah.

— Ouais ! Je voudrais vous présenter Valentin.

Vu les regards que les deux hommes lui envoyèrent, elle précisa :

— Mon copain. Nous avons emménagé ensemble il y a peu.

Ses deux vis-à-vis se questionnèrent des yeux avant d'hocher la tête de concert. La complicité qui régnait autour d'eux était quelque chose de fascine. La jeune femme se demanda pourquoi ils avaient pris autant de temps à se mettre ensemble. Leur couple était d'une évidence.

— C'est carrément, tentant, merci beaucoup !

— Par contre, il y aura Noora, ce n'est pas dérangeant ?

— Absolument pas, rit Orianne. J'ai hâte de la rencontrer !

— On ne pourra pas trop traîner. La petite doit se coucher tôt...

— Pas de soucis ! On décalera un peu l'heure du repas, voilà tout !

Le couple fut étonné qu'elle soit aussi enthousiaste à cette idée.

— Si elle aime le dessin, il y a pas mal de photocopies, elle pourra s'occuper.

— C'est très gentil, merci beaucoup. Elle n'est pas très compliquée.

— Mon neveux est une tornade et c'est la seule activité qui le calme !

Elijah enfournait ses bouchées aussi vite qu'il le pouvait. Il se demandait s'il n'aurait pas faim dans deux heures tant il avait englouti son repas. Il n'était pas certain que son ventre ait capté le message. Pourtant, il préférait se taire et suivre la conversation qui se déroulait sous ses yeux. Voir Archibald sourire face aux attentions de son amie était l'une des plus belles choses durant cette semaine.

— Bon, je vais devoir vous laisser. Eli, je t'envoie l'adresse par message ?

— Ça marche ! Va tyranniser des adolescents à coup de dossiers !

— Toutes les secrétaires scolaires ne sont pas nulles, mon cher !

La jeune femme ramassa son plateau une fois son manteau enfilé.

— J'ai de gros doutes sur la véracité de tes propos.

Comme une enfant, Orianne lui tira la langue tout en empoignant les bords du plateau blanc. Elle leur adressa un hochement de tête avant de s'engager dans la foule d'élèves qui patientait pour vider leurs assiettes dans les grandes poubelles.

— Tu es sûr, ça ne te dérange pas d'aller chez elle ?

— Pourquoi ce serait le cas ? demanda Archie.

— Peut-être que tu voulais faire une soirée cocooning, comme tu les aimes ?

— Aurais-tu des regrets à avoir accepté son offre ?

— Non, pas du tout, rétorqua l'autre.

— Si tu veux, nous pourrons faire cette soirée après avoir couché Noora ?

— Serait-ce une proposition ?

— Une suggestion, plutôt !

Elijah lâcha un rire qui se répercuta dans le crâne d'Archie. Même avec le bruit ambiant, il n'entendait que lui. C'était assez amusant de constater que son attention s'était seulement focalisée sur lui. À cette pensée, ses joues se colorèrent légèrement de rose alors que son voisin commençait à lui expliquer une anecdote qu'il avait vécu il y avait moins d'une heure.

Bon sang, Archibald pouvait l'écouter parler pendant des heures.

***

Noora tenait solidement la main du châtain, comme il lui avait demandé sur le chemin. Ils avaient traversé les quelques rues séparant le logement et la voiture à pied. Etant en mi-mars, les températures commençaient tout juste à s'adoucir. A dix-huit heures passées, les gens rentraient chez eux après une dure journée de travail. Certains s'arrêtaient dans un café ou un bar afin de profiter de quelques temps en amis, mais ne traînaient pas longtemps dans les rues car le vent était glacial.

— Papa, elle s'appelle comment la dame ?

Alors qu'ils attendaient l'ascenseur, la plus jeune avait posé la question. Elijah avisa Archibald tout en se demandant pourquoi il ne répondait pas. Pourtant, un détail lui sauta au visage après quelques secondes. La châtaine n'avait jamais appelé son père papa. Les deux bicolores étaient légèrement écarquillés, sous le choc de cette révélation. Les deux hommes dévièrent leur regard sur la demoiselle qui fixait Eli, voulant avoir une réponse à sa question.

Est-ce que le cœur pouvait se décrocher de la poitrine ?

Le psychologue n'en savait rien, mais c'était ce qu'il ressentait.

— Heu... Je... Heu... bredouilla-t-il, ne parvenant pas à aligner les mots.

— C'est Orianne, louloute. Et petit ami s'appelle Valentin, répondit Archie.

Le « ting » de la cage de métal coupa Elijah dans sa surprise. La petite le tira vers l'intérieur pour se presser contre la barre devant le miroir. Dans son reflet, elle fixa ses longs cheveux châtains et ses yeux sombres, les sourcils froncés.

— C'est quel étage ?

— Le troisième, appartement quatre.

Après avoir enfoncé les boutons lumineux, Archibald se planta à côté de son compagnon. Il posa une main dans le creux de ses reins avant d'embrasser sa joue. Il ressentait la même surprise que lui.

— Papa, hein... ? murmura Elijah à son oreille.

— Tu vas gérer ? répondit son homme sur le même ton.

— Ouais. Il me faut juste un petit temps d'adaptation.

Un nouveau baiser sur sa joue. Elijah ricana en jouant avec une mèche blond platine. La montrée jusqu'à l'étage concerné ne dura que quelques secondes, mais ce temps lui suffit pour mettre cette nouvelle information dans un coin de sa tête.

Noora se précipita pour cogner contre le battant de l'appartement. La porte s'ouvrit bien vite sur Orianne. Contrairement au midi, ses cheveux bruns étaient attachés en une queue de cheval approximative.

— Salut ! Vous avez fait vite, tu ne m'avais pas dit quarante-cinq ? Entrez !

Une fois le geste allié à la parole, elle les invita à enlever leurs manteaux.

— Si, mais la crevette à prit sa douche rapidement pour une fois.

— Alors c'est parfait. On mange sur la terrasse, ça vous va ?

— Ho oui ! Merci madame ! s'enthousiasma Noora.

Elijah fronça les sourcils. A cette période ? Mais lorsqu'Orianne lui expliqua qu'ils avaient un chauffage d'extérieur, il comprit immédiatement. Cela se tenait, et il était vrai que c'était agréable d'avoir la vue sur la cour intérieure de l'immeuble.

— Bonsoir ! Excusez-moi, j'étais en train de passer un appel. Val', enchanté !

L'homme presque roux s'avança pour échanger des poignées de mains aux deux hommes et embrasser les joues de la plus jeune. Cette dernière resta ébahie face à son sourire, si bien qu'Archibald se demandait si elle ne subissait pas un nouveau coup de foudre. Il se souvenait encore de la question qu'elle avait posé à Andy, au nouvel an.

— Alors, Noora, c'est bien ça ? demanda Valentin, amusé.

— Oui monsieur ! scanda la petite, ravie.

— Allez, ne m'appelle pas monsieur, va. Tu veux m'aider à cuisiner ?

La gamine chercha le regard de son père pour avoir son aval et suivit l'homme jusque dans la cuisine. Il y avait une table en bois et un bar exigu pour séparer la cuisine de la salle à manger. Ils se faufilèrent tous les deux derrières, brassant des bols et un couteau pour l'adulte.

— On dirait que ton mec aime autant les enfants que toi ?

Orianne pivota vers le couple.

— Oui. En fait, nous avons un projet bébé...

Elle baissa les yeux en triturant le bas de son t-shirt, gênée.

— Félicitations ! s'exclama Elijah, enthousiasme.

— Il n'y a encore rien de fait hein mais... Nous en parlons de plus en plus.

— Dis-toi que tu vas prendre plaisir. C'est deux pour le prix d'un.

Son amie le regarda, outrée, avant d'exploser de rire. Elle frappa son épaule sans aucune douceur en disant qu'il était débile. Archie riait doucement. Son compagnon avait toujours le mot pour détendre l'atmosphère, et c'était peut-être pour cela qu'il était tombé dans ses filets.

— Vous vous en sortez ? demanda Orianne aux deux cuisiniers.

— Oui ! Noora est assez douée, répliqua Valentin.

— C'est pass'que fader m'apprend tout pleins de trucs !

— Ha oui ? Et qu'est-ce que tu sais faire ?

— J'ai déjà fait des crêpes ! Même qu'elles étaient bonnes !

L'homme la félicita en tapotant sa tête et elle lui expliqua ce qu'elle savait faire de plus. Il y avait les croque-monsieur et les galettes de sarasin. D'ailleurs, elle avait promis à Elijah de lui en faire, un jour, et Archie lui avait discrètement avoué qu'elle faisait clairement tomber tout le fromage avant de plier la galette.

— Elle est franchement adorable ta fille, annonça Orianne.

— Je pense qu'elle tient de ses deux pères et de la douceur de sa mère.

Une main passa sur la hanche d'Elijah lorsque le blond se rapprocha de lui. Il était immensément fier de ce qu'il se déroulait sous ses yeux. Le psychologue caressa le dos de sa main avec le bout de ses doigts, digérant les paroles de son compagnon.

Son père. Il allait devoir prendre un petit temps d'adaptation.

— J'ai de la Tripel Karmeliet et de la Leffe au frigo, vous en voulez ?

— Je ne savais pas que tu étais passionnée par les bières belges !

— La Tripel est mon péché mignon, il faut dire.

— J'aime quand tu me parles comme ça !

— C'est bientôt prêt ! renchérit Valentin de la cuisine.

— Voulez-vous m'aider à installer la table ?

— Evidemment !

La soirée commençait tout juste. Archibald se fit la remarque que c'était vraiment agréable de partager de tels moments avec des amis. Il se souvint que les derniers qu'il avaient vécus remontaient de quelques années. Mais là, avec sa fille aux anges, son copain qui se mouvait sous ses yeux, il était ravi. C'était vraiment agréable de reprendre plus ou moins une vie sociale !

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Hey vous !

Voici un nouveau chapitre !

Des avis ? :)

Bisou sur votre joue gauche,

Rheexus

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