CHAPITRE 24
— Nan.
— Si.
— Nan !
— Mais je te dis que si !
— Sinon quoi, hein ?
— Je te jure que...
— Ha, tu vois ! Même toi tu ne sais pas !
Le blond était assis sur le bord du lit. Les draps étaient froissés sous ses fesses alors que sa main vaquait distraitement sur les cheveux châtains. La lampe de chevet éclairait le visage boudeur du plus vieux. De profondes cernes coulaient sous ses yeux, témoignant de sa nuit interrompue.
— Je peux essayer de te traîner jusque dans la cuisine.
— Je suis bien trop lourd, tu te casserais le dos.
— Ça peut se faire, je suis sûr.
— Nan.
— Bon, sérieusement. Bouge tes fesses Eli, on va être en retard.
_—Ce ne serait pas la première fois, grogna l'autre.
— Pour toi, peut-être, mais moi, je dois gérer une classe.
Le regard bleu et vert descendit quelques secondes sur la marque de l'oreiller qui courrait le long de la joue du psychologue. Il leva les yeux au ciel lorsque ceux d'Elijah tombèrent sur ses lèvres. Un sourire amusé et légèrement coquin envahi les traits fatigués.
— Si je me lève, j'ai le droit à un baiser ?
— Bon, okay, ça je peux te le donner.
Aussitôt dit, aussitôt fait. Quelques secondes, rien de plus. Elijah soupira alors et il se leva. Ses pieds nus frôlèrent le sol et il grimaça face au froid mordant. Le châtain fit quelques pas rapides pour se planter devant son dressing. Un t-shirt col rond et un jean serré ferait l'affaire. Préférant être à l'abri des regards, il attendit que le blond soit parti de la chambre pour se changer en vitesse.
— Si j'avais su que je devrais gérer deux gosses, grogna Archie en s'éloignant.
— Je t'ai entendu ! cria son compagnon pour la forme.
— J'espère bien ! répliqua l'autre de la cuisine.
Les tartines grillées reposaient déjà dans les deux petites assiettes. La confiture de framboise attendait sagement dans son pot alors que le beurre était presque en train de ramollir depuis le temps qu'il attendait à l'extérieur du frigidaire. Le couteau jouait déjà sur la mie chaude lorsque le châtain pointa le bout de son nez.
— Purée, tu avais déjà tout prévu, alors ? ricana doucement Elijah.
— Tu devrais être levé depuis... vingt minutes, dit Archie en regardant sa montre.
— Le temps est relatif, mon cher.
— C'est toi qui le dis.
La chaise vacilla presque lorsqu'il se jeta dessus. Il avait toujours cet air boudeur qui lui collait sur le visage. Ses cheveux étaient en bazar, quelques boucles disant merde au reste des cheveux et à la planète entière. Les yeux plissés, il raclait de fond de la confiture avec une cuillère.
— Comment peux-tu manger quelque chose d'aussi sucré dès le matin ?
— Et toi, comment peux-tu manger du beurre salé dès le matin ?
Les deux se sourirent, amusés.
— Ferais-tu partie des personnes qui préfèrent manger salé en toute circonstance ?
— C'est une évidence même, dit Archie comme si c'était naturel.
— Mais ce n'est pas une raison ! Même pas une douceur ! Rien !
— Le week-end prochain, je te ferais un brunch. C'est vraiment sympa.
— C'est toi qui le cuisineras, où tu vas commander ?
— Est-ce que ça ferait une différence ?
— Bien sûr ! Si tu commandes, il perdra tout son charme.
Archibald leva les yeux au ciel pour la deuxième fois en moins de quelques minutes. Pourquoi est-ce que son compagnon devait être aussi exubérant ? Eli faisait comme si de rien n'était, continuant d'étaler la sucrerie sur sa tranche. Archibald suivit le mouvement de se bras. Il devinait les muscles qui se bandaient sous le tissu fin. Est-ce que cette nuit aussi, ses muscles étaient tendus ? Ce n'était pas pour la même raison, mais l'effort avait été présent. Il ressentait encore toutes les sensations. Il avait l'impression que son corps et son esprit démultipliaient tout.
Bon sang, cela avait été une délicieuse découverte.
— A quoi est-ce que tu penses ? demanda le sujet de ses pensées.
— A rien du tout, pourquoi ?
— Peut-être parce que tu es tout rouge ?
— Je peux avoir un peu chaud, non ? rétorqua l'autre.
— Pourquoi pas... Mais pourquoi tu détournes les yeux, alors ?
— J'ai cru voir une poussière sur la table.
— Tu es un très mauvais menteur ! rit le châtain.
Il y eut un petit silence, seulement ponctué par le craquant des tranches sous les dents. Archie ne comprenait pas pourquoi Elijah était aussi taquin, ce matin, mais il appréciait particulièrement ces conversations légères.
— Tu penses à hier soir, hein ?
— Pas du tout ! répliqua-t-il un peu vivement.
— Vraiment ? Tous les signes sont présents pourtant.
— Foutu psychologue...
— C'est ça que tu aimes chez moi, non ? le taquina son vis-à-vis.
— Pas vraiment non. Mais c'est une partie de ton charme.
Les tartines de pains craquèrent avec plus de hargne sous les dents. Archie ne savait pas vraiment quoi faire. Devait-il continuer cette discussion, jusqu'à finir par le gêner, ou devait-il prendre la tangente et faire comme si de rien n'était ? Finalement, le choix ne lui revenait pas, lorsque le châtain croisa les mains sous son menton, comme s'il attendait une réponse que lui seul possédait.
— Personnellement, j'ai beaucoup aimé.
— Ha oui ? demanda timidement Archibald.
Bon sang, parler de ses fesses d'un air aussi décontracté devrait être interdit ! Pourtant, Elijah semblait tout à fait à l'aise avec le sujet. Même peut-être un peu trop, d'ailleurs. Les joues du blond rougirent toujours plus fort.
— Ouais, vraiment. C'était un peu maladroit, mais ça viendra.
— Ce n'était pas si nul, alors ? tenta le professeur.
— Mais non ! C'est ton premier toucher avec un homme, c'est normal !
— Pourquoi tu sembles aussi détendu ? couina presque l'autre.
— Parce que j'ai pas mal d'expérience et qu'au sujet du sexe, appelons un chat un chat, il n'y a pas grand-chose qui me gêne ou qui me contrarie. Tu vas voir, avec le temps, tu ne seras plus vraiment honteux d'en parler.
— Je ne le suis pas !
La tartine s'échoua dans l'assiette alors que les sourcils platines se fronçaient.
— Je... Je n'ai pas du tout honte ! C'est juste que c'était... il y a longtemps...
En face de lui, Eli pouvait voir tout le mal que ses pensées lui faisaient. Archie ne savait pas vraiment par quel bout prendre la chose et il s'en excusait presque. Sur la table, les longs doigts du psychologue recouvrirent ceux du professeur. Les phalanges jouèrent un peu ensemble avant de se nouer d'un geste habitué.
— Je le sais bien. Parfois, je doute aussi. Je ne suis pas infaillible, désolé.
— Qu'est-ce que tu racontes ? Tu en as le droit ! Personne n'est aussi fort.
Le bleu dans le vert.
Elijah esquissa un sourire maladroit.
— Mais dis-moi, de quoi doutes-tu ?
— Quoi ? Tu veux vraiment en parler ? s'étonna le châtain.
Archibald se retint de lui envoyer un regard noir. N'était-il pas assez qualifié pour entendre et résoudre les problèmes, les peurs et les angoisses de son compagnon ? En tant qu'ami et amant, il n'était, assurément.
— Evidemment ! Même les psys ont besoin de se confier.
— Huum... fredonna son vis-à-vis. Vrai !
— Quand je disais que j'avais deux enfants à m'occuper...
Le châtain éclata d'un rire franc devant la mine déconfite d'Archie. Il tapota le dos de sa main avec ses doigts avant de reprendre son petit-déjeuner comme si de rien n'était. Un coup d'œil à l'horloge murale lui indiquait qu'ils n'étaient pas en retard, même s'il était sorti du lit bien après que son réveil n'est sonné.
— Alors ?
— Toi, tu ferais un mauvais psy ! se moqua gentiment le professionnel.
— Eli, sois sérieux trente secondes s'il te plaît !
L'appelé leva les mains en signe de reddition. Ses boucles rebelles sautillaient légèrement lorsqu'il laissait les rires couler de sa gorge. Malgré le fait qu'Archie attendait une réponse, il se délecta de ce spectacle. Elijah était beau.
— Honnêtement ? Je redoute le jour où tu vas préférer les femmes à moi.
— Pourquoi tu dis ça ?
— Physiquement, je veux dire. Un corps d'homme et de femme n'est pas du tout pareil, tu as dû t'en rendre compte... Je me dis, peut-être que finalement, tu préfères les courbes que les muscles secs comme les miens.
Les paroles étaient accompagnées d'un haussement d'épaules.
Archibald était sans voix face à cette réplique. Aimait-il plus les corps féminins que masculins ? Il n'en avait aucune idée. En réalité, il ne s'était jamais posé la question. Il avait eu une copine, avant Alexandra, mais ils n'avaient jamais été plus loin que quelques baisers appuyés. Il devait avoir treize ou quatorze ans.
— Je ne pense pas avoir une préférence, affirma-t-il.
— Et bien, me voilà un peu rassuré. Je ne voudrais pas être quitté à cause de... ça, avoua Elijah en se désignant largement d'un geste de la main. C'est peut-être parce que j'ai des amis dont c'est le cas ? Je ne sais pas trop...
— Je trouve que ça est magnifique.
La tête qui avait plongé dans ses tartines se releva immédiatement.
— Tu le penses vraiment ? s'étonna le châtain.
— Ce serait plutôt à moi de te poser la question de pourquoi tu es avec moi !
La tendance de la conversation venait de se renverser. Eli le savait pertinemment, et pourtant, il redoutait presque où cela allait les mener. Il voyait déjà le schéma se construire, donc il décida de couper courts à ses idées.
— Ouais, je me demande aussi pourquoi je suis avec quelqu'un d'aussi génial que toi ! Sérieusement, tu es intelligent, beau, et en plus tu es doué en langues, alors pourquoi je te laisserai filer ? plaisanta-t-il.
— Serais-je séquestré ? dit l'autre en rentrant dans son jeu.
— Peut-être qui sait ? Ne serais-je pas un bon tortionnaire ?
— Si tu prépares à manger ce soir, on pourrait négocier...
— Quoi ? Tu fais du chantage en plus !
La voix s'était clairement élevée avec une pointe d'amusement.
— Je suis un prisonnier, il faut que tu m'entretiennes !
— Là, tu es plutôt un prince, mon cher.
— Je suis d'une haute qualité, voyons !
Archibald n'en pensait pas un mot. Mais plaisanter ainsi sur l'image qu'il avait de lui-même était assez plaisant. Pourquoi les conversations devenaient-elles toujours aussi légères avec Elijah ? Il se demandait si l'homme avait un super pouvoir.
— J'ai pu l'apercevoir cette nuit, susurra le châtain.
La réaction du blond ne manqua pas : ses jours pâles rougirent.
— Je ne me lasserais jamais de te faire rougir !
— Hé, c'est de la triche ça !
— Je suis le geôlier, je fais bien ce que je veux, non ?
— Tu m'épuises ! soupira Archie.
Pourtant, il avait un large sourire sur le visage. Il était heureux de retrouver la légèreté de son compagnon dès le matin. Même s'il avait fallu le traîner hors du lit, il savourait l'instant présent. Il appréciait la complicité qu'il y avait entre eux. Était-ce parce qu'ils avaient été amis avant d'être un couple ?
— A quoi est-ce que tu penses ? demanda soudainement Elijah.
— Ho, pas grand-chose.
— Vraiment ? Est-ce que ce mensonge est vrai ? continua-t-il.
— Vivez avec un psychologue, qu'ils disaient... marmonna le blond.
— Malheureusement pour toi, je vais rester longtemps dans tes pattes !
— Je ne peux pas résilier mon engagement ? demanda Archie plein d'espoir.
— Il est impossible de faire cette action monsieur. Le service est navré.
— Tu as réponse à tout, n'est-ce pas ?
— On me le dit souvent oui... Généralement, ça énerve les gens.
Mais ce n'était pas le cas du blond. A vrai dire, il pouvait écouter Elijah lui parler vingt-quatre heures sur vingt-quatre. La raison était toute simple ; lorsque le châtain l'exprimer en bougeant un peu les mains, il ne faisait pas vraiment à ce qui l'entourait. De ce fait, Archibald avait le temps et le loisir d'étudier tous les traits de son visage.
Comme maintenant.
— Tu n'as jamais entendu Morgan me dire de me la boucler ?
— Si, plus d'une fois...
— Tu vois ! Même monsieur-patience a rendu son tablier !
— Je ne sais pas si tu devrais vraiment t'en réjouir...
— Bien sûr que si ! C'est une victoire personnelle !
— Tu es ce genre de personnes qui avancent avec une carotte, alors ?
Un éclat sombre passa dans les yeux clairs du plus vieux. Visiblement, il pensait à tout autre chose avec ladite carotte. Lorsqu'il comprit, Archibald écarquilla les yeux, choqué de ce que pensait son compagnon ? Le châtain ne semblait absolument pas gêné, lorsqu'il but une gorgée d'eau.
— Tu es en train de penser à quoi, petit pervers ?
— Mais rien ! C'est toi qui as commencé ! se défendit le blond.
— Ha... Des gaufres à la carottes t'excitent donc... Pourquoi pas...
Archie en eut le souffle coupé. Venait-il de se faire avoir sur toute la ligne ?
Oui.
— Tu es le diable incarné ! s'écria-t-il.
Elijah rit une nouvelle fois avant de se lever de sa chaise pour aller mettre son assiette et ses couverts dans le lave-vaisselle. Comme si de rien n'était, il se dirigea vers le couloir pour se brosser les dents. De son côté, son compagnon ne savait plus quoi faire. Finalement, il rigola gentiment de lui-même. Elijah l'avait bien eu.
— Si tu te dépêches pas, on va être en retard, cria ce dernier de la salle de bain.
— C'est l'hôpital qui se fout de la charité ou quoi ? répliqua le blond.
Décidément, il voulait encore de nombreux réveils comme ceux-là. Même s'il fallait traîner le châtain hors du lit. Même s'il devait être aussi rouge qu'une tomate à moins de huit heures du matin. Même s'il devait s'habituer à la répartie de son compagnon. Oui, il voulait tout cela, jour après jour.
Dans sa poitrine, son cœur fit une ambardée.
Était-il déjà fichu ?
Là, quelque par au creux de son corps, une petite voix hurlait que oui.
Là, quelque par au creux de sa tête, une petite voix lui hurlait que oui.
C'était bien la première fois que ces deux parties du corps étaient d'accord.
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Hey vous !
Voici un nouveau chapitre !
Des avis ? :)
Bisou sur votre joue gauche,
Rheexus
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