Ça va ça vient
PDV Nini
Chris me regarde sans ciller, et je commence réellement à craindre que ceci ne soit pas qu'une simple blague. J'entends mon cœur battre à toute allure jusque dans mes tympans. La moindre réaction mal réfléchie de ma part pourrait entraîner un malaise intarissable entre nous. Pourquoi putain est-ce qu'il me met dans une situation pareille ?
J'aime énormément Chris. C'est le seul mec à qui je fais entièrement confiance. Pourquoi il faudrait que ça change ? Pourquoi il faudrait que je le mette finalement dans le même lot que tous les autres ?
Je n'ai pas envie que ça change. Je veux qu'il reste le garçon sur lequel je peux compter en toute tranquillité d'esprit, avec l'assurance totale qu'il n'a aucune arrière pensée à mon égard. L'assurance qu'il me dira la vérité quoi qu'il arrive car il n'a pas d'intérêt à me mentir. L'assurance qu'il me traitera toujours bien sans pour autant avoir l'intention de me mettre dans son lit. Je veux pouvoir continuer à profiter de son affection et lui en donner, sans craindre que cela le perturbe. Pourquoi est-ce qu'il veut tout bouleverser ?
— Je t'en prie, Chris, dis-moi que c'est une putain de plaisanterie.
Il me fixe encore pendant quelques secondes, puis part en fou rire. Un rire que j'entends malgré tout sonner jaune.
— Évidemment que je rigole ! T'aurais dû voir ta tête... Incroyable, t'y as vraiment cru ?
J'essaye à mon tour de forcer l'hilarité, bien que teintée d'un malaise palpable.
— Pauvre con. Tu as failli m'avoir.
— Je t'ai même totalement eue, ouais. Mais si ça peut te rassurer, sache que jamais je ne voudrais épouser une femme qui ne sait pas cuisiner l'okok.
— Imbécile. La prochaine fois que tu me fais un coup pareil, je t'arrache les poils du nez.
Et tandis que mon ami continue à se tordre de rire, la sonnerie de mon téléphone retentit au fond de mon sac. En le récupérant, mon cœur fait un énorme bond lorsque je vois le nom de Mathias qui s'affiche. Très étrange. On ne s'appelle quasiment jamais. Avant de décrocher, je fais signe à Chris de se calmer. Celui-ci descend de la table et va surveiller la marmite de pâtes.
— Allô ?
— Salut.
— Hey. Ça va ?
— Oui et toi ?
Sa voix a l'air fébrile, comme s'il n'était pas sûr de ce qu'il veut me dire.
— Tranquille.
— Euh... T'es occupée ? Je voudrais te parler d'un truc.
— Non, pas vraiment. Je t'écoute.
Le couvercle en aluminium échappe des mains à Chris et s'abat sur le sol dans un bruit assourdissant.
— Merde ! râle mon ami.
— Tu t'es brûlé ? je lui demande, inquiète.
— Les doigts, seulement. Il n'est pas tombé sur mes pieds, heureusement.
Je souffle de soulagement et redirige mon attention sur Mathias.
— T'es avec qui ?
— Chris. On fait la cuisine chez lui.
— Je croyais que tu avais été privée de sortie.
— J'ai menti en allant à la fac ce matin que je finirais beaucoup plus tard que d'habitude .
— Ok.
— Alors, de quoi tu veux me parler ?
Silence absolu.
— Allô ? Allô ?
Je regarde l'écran et me rends compte qu'il a raccroché.
Super...
*
Encore une fois, Mathias m'ignore sans vergogne à cause d'une stupide crise de jalousie. Je l'ai rappelé trois fois depuis hier, il n'a pas répondu. Je lui envoie des messages qui n'affichent même pas d'accusés de réception. Cet enfoiré a sans doute bloqué mon numéro. Quel gamin !
Il fait chaud, l'amphithéâtre est bruyant et je commence à avoir mal à la tête. Les étudiants profitent du retard habituel du prof de littérature américaine pour se raconter les derniers potins avec une exubérance qui dépasse l'entendement.
Dans un coin à ma gauche, j'aperçois le visage candide de Rahinatou qui semble aussi seule et isolée que moi.
Mon regard reste posé sur elle jusqu'à ce qu'elle regarde également dans ma direction. Nous nous fixons désormais mutuellement. Je lis dans ses yeux qu'elle a envie de me parler, autant qu'elle a dû en faire de même dans les miens. Ayant ma claque des jeux d'orgueil, je décide de lui faire un signe de la main.
Presqu'aussitôt, son visage s'illumine d'un sourire et elle me rend la pareille. Il n'en faut pas plus pour que je me propulse vers elle.
— Hey.
— Hey.
Je sens une joie inexplicable m'envahir jusqu'aux os, et ce n'est qu'à cet instant précis que je réalise réellement la place importante qu'occupaient mes amies dans ma vie.
Très vite, on se fait le bilan des nouvelles. Elle m'apprend que Nathan a rompu avec elle, sans trop s'étaler. Elle me racontera tout en détail pendant la pause. Je lui apprends que j'ai rompu avec Jean-David, sans trop m'étaler. Je lui raconterai tout en détail pendant la pause. Les lèvres pincées en deux sourires gigantesques, on se communique mutuellement notre impatience. Et juste au moment où j'espérais recevoir un câlin, cet empoté de prof débarque enfin, rétablissant l'ordre et le silence.
À midi et demi, Rahi et moi décidons à l'unanimité d'aller manger au Alpha.
Une fois installées et nos commandes passées, elle me surprend avec une question à laquelle j'étais loin de m'attendre :
— Comment va Émilien ?
— Euh... bien, je crois.
— Ok.
— Tu m'expliques ?
Je vois ses yeux rouler avec coquetterie et sa bouche former un croissant bienheureux. Je comprends alors qu'il y a un long chapitre dont je dois être au courant.
— Ça fait à peine deux semaines qu'on se parle. Tu ne croirais jamais dans quelles circonstances on s'est rencontrés. Ce garçon est super intelligent. Et il a exactement le genre d'humour que j'aime ! Autant te dire que nos conversations sont d'une fluidité et d'une spontanéité incroyables. Sérieux, comment c'est possible que depuis tout ce temps nous ne nous connaissions pas ?
— Eh bien... Quelqu'un ici semble avoir de nouveau le cœur en un seul morceau.
— Non, rétorque-t-elle prestement. Je n'ai pas évoqué la présence d'un quelconque sentiment. Je dis seulement que j'aime beaucoup discuter avec lui. Et c'est vrai que physiquement il n'est pas mal non plus, d'ailleurs j'ai déjà rêvé de lui une fois... Mais toutes les autres fois ça a été de Nathan. Je suis loin de l'avoir oublié. Je ne sais même pas si j'y arriverai un jour. Je suis sans doute stupide de continuer à espérer qu'il me recontacte, me donne une explication valable et me demande pardon. Nini, je l'aime...
Je n'ai même pas remarqué à quel moment son expression est devenue terne et mélancolique. Je la rassure :
— Tu es tout sauf stupide, bichette. De toute façon je serais la dernière personne à pouvoir te juger sur le fait que tu t'accroches à quelqu'un qui ne te mérite pas.
— Toujours avec Mathias ?
J'acquiesce tristement.
— Laisse-moi deviner : C'est pour lui que tu as laissé tomber JD ?
Je répète le geste.
— Ah, ma sœur, nous sommes bien infortunées !
— C'est vrai. Mais assez parlé de nos amours malheureuses. Donne-moi d'autres nouvelles.
— À quel propos ?
Je ne mets pas longtemps à décider de ce que j'ai envie de savoir. Et bien que cela me paraisse difficile à formuler, j'ose néanmoins questionner :
— Tu as des nouvelles d'Erica ?
— Non. À vrai dire, j'espérais que toi tu m'en donnerais.
Je secoue la tête.
— Et ta sœur, elle va bien ?
— Oui.
— Tant mieux. J'espère de tout cœur que c'est aussi le cas d'Erica.
— Moi aussi.
Je réfléchis à une proposition, mais j'hésite un moment avant de la balancer. Puis finalement :
— T'es partante pour qu'on aille la voir, samedi ?
Rahinatou tâtonne, comme prise au dépourvu. Je m'en veux un peu de lui infliger ça, sachant pourtant que ses principes lui imposent autre chose. Alors j'essaye de me rattraper.
— Non, en fait. Laisse tomber. Je suppose qu'elle reviendra bientôt en cours. Les gens ont probablement déjà oublié ce qu'il s'est passé.
— On y va. Je veux la voir aussi.
— T'es sûre ?
— Oui.
Un sourire de reconnaissance se perche sur ma face. Rahinatou semble également soulagée que nous soyons enfin sur le point de passer outre cette gué-guerre insensée.
— Est-ce qu'on peut continuer à parler de nos amours, maintenant ? demande mon amie, l'air curieux.
— Espèce de petite commère.
On se marre.
— Bon. Mathias m'a visiblement bloquée.
— Pour quelle raison ?
— Chris.
— Je savais que ça allait finir comme ça.
— Rien n'est fini !
Rahi écarquille ses yeux, probablement surprise de me voir défendre avec une telle ferveur cette relation que je qualifie pourtant de « simple distraction ».
— Je veux dire... Si ça devait finir, c'est moi qui y mettrais un terme. Pas lui.
— Pourtant c'est bien ce qui semble s'être passé, là.
Je prends un court instant pour y repenser clairement.
— Attends. Tu crois vraiment qu'il pourrait me plaquer de cette manière ?
— S'il est allé à la même école que son compère Nathan, sans aucun doute.
En quelques secondes, j'imagine Mathias en train de m'oublier. Des images de lui parfaitement heureux sans moi se mettent à hanter mon esprit. Non, non. Je ne le supporte pas.
— Hors de question, je déclare en me levant d'un bond. Tu me passeras tes notes du prochain cours, s'il te plaît.
— Où tu vas ?
— Chez Mathias, bien évidemment.
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