Prête à tout

Mon amour, mon prince, le seul et l'unique à mes yeux.
C'est toujours une immense joie pour moi de me réveiller en ce jour où l'univers a décidé de t'amener au monde. Mon bonheur est certainement toujours plus grand que le tien à chacun de tes anniversaires depuis qu'on est ensemble ; car depuis 3 ans alhamdulillah, le simple fait que tu existes fait de moi la personne la plus heureuse sur terre. Je t'aime et je veux célébrer ton existence. Rendez-vous au JC Bastos à 17h. Je t'embrasse chéri.

J'ai dû relire ce message une bonne dizaine de fois avant de l'envoyer, histoire de vérifier qu'il n'y ait aucune faute, que les espaces soient clean etc. Et puis finalement, il l'a reçu. Il écrit. Je me mords la lèvre en souriant, impatiente de lire sa réponse. Les battements de mon cœur s'accélèrent lentement, comme d'habitude, comme au premier jour. Et dire que ça fait des années qu'on sort ensemble... J'ai toujours l'impression d'être une pré ado au collège qui parle à son crush. Tous ces sentiments, les papillons dans le ventre, le cœur qui s'affole, les membres qui tremblent, ne s'atténuent pas avec le temps. Bien au contraire, plus le temps passe, plus ils semblent s'intensifier.

Merci ma reine. Jtm.

Sa reine. Je suis sa reine...

*

J'arrive au restaurant une demi heure avant celle du rendez-vous. J'ai mis mon plus bel abaya : rose poudré avec des motifs blancs. Tous les regards étaient braqués sur moi dans la rue. J'ai pris tout mon temps pour faire mon makeup, bien que pas trop chargé. En tout cas j'ai beaucoup aimé ce que j'ai vu dans le miroir avant de sortir.

Je demande aux gérants s'ils peuvent garder le gâteau que j'ai apporté au frais, en attendant le moment de le présenter à Nathan. J'en ai pris un à la pistache, il adore ça.
Je m'installe et attend patiemment son arrivée.

Lorsqu'il franchit la porte du restaurant près d'une heure plus tard, je suis un peu énervée qu'il m'ait autant fait attendre, puis je me rappelle que c'est son anniversaire et qu'il avait sans doute plusieurs autres personnes à voir avant.

Il porte un t-shirt noir simple, au-dessus duquel pend un collier doré frappant, avec un jean bleu clair mettant en valeur ses jambes arquées qui me font craquer.

Je me lève pour qu'il m'embrasse, ce qu'il fait sans hésiter. Il sent si bon !

— T'es super belle.

— Merci. Toi aussi tu es beau.

Il rigole un peu et prend place en face de moi. Il commande deux cuisses de poulet braisé avec des frites, et moi une salade de fruits.

— Tu t'es mise au régime ? me taquine-t-il.

— Oui. Il faut que je surveille ma ligne.

Mon œil. La vérité c'est surtout qu'il ne me reste plus que la moitié de mon budget après l'achat du gâteau, donc je ne peux pas me permettre le meilleur de ce qu'il y a sur la carte. Et aussi je veux garder une bonne haleine.

Pendant que nos plats sont en préparation, il me relate sa semaine. Elles ont l'air vraiment passionnantes, ses journées à l'Université protestante. Il y étudie les sciences économiques. Il me raconte souvent les petits potins qui animent le campus, au point où je connais même les noms et les personnalités de certains de ses camarades comme s'ils étaient les miens. Ce mercredi, par exemple, Nzie Monique a raconté à tout le monde que leur professeur de Gestion lui a envoyé des vidéos de sa queue sur un réseau social mais plusieurs ne l'ont pas crue car elle n'avait pas de preuve et disait que c'était parce que les discussions s'effaçaient selon les paramètres de cette application. Résultat, elle a été traduite au conseil de discipline et renvoyée pour diffamation.

— Mais moi je lui donnerais raison. Franchement, ce prof est louche. Je le crois vraiment capable de faire des trucs aussi tordus.

Je rigole. Et il parle. Et je rigole encore.

— Et toi, comment ça se passe de ton côté ? Tu arrives à t'y faire, sans tes copines ?

À l'instant, mon visage se ferme.

— Je t'avoue que c'est plus difficile que je ne l'aurais cru. Mais c'est comme ça, je dois m'y faire.

— En réalité je ne comprends même pas pourquoi tu t'imposes ça. Je veux dire, je sais que c'est contraire à ce que prône ta religion et tes principes, tout ça, mais ne crois-tu pas que le but de la foi c'est la paix et l'amour ? Envers tous, peu importe les différences ?

— Je le crois. Mais je crois surtout que le but de la foi c'est le respect, l'obéissance et la fidélité. Et ma foi à moi bannit complètement toute relation contre nature. Je ne peux donc pas fréquenter des personnes qui conçoivent et acceptent cela.

— Et si j'en fais partie ?

Je ricane.

— Sans blague. Moi je n'ai aucun problème avec les...

— Et si... je l'interromps, et si nous parlions d'autre chose ?

Il me fixe un instant, esquisse un rictus d'agacement avant de détourner le regard.

Je commence à parler de tout et de rien, dans l'espoir vain mais obstiné qu'il m'écoute et y prenne autant plaisir que moi quand je l'entends parler.
Puis arrivent nos commandes.

À la fin du repas, je vais chercher le gâteau et l'apporte à notre table en chantant Joyeux anniversaire. Ses yeux étincèlent. Il est content. Je l'embrasse. Il coupe le gâteau, et c'est reparti pour la dégustation.

— Il est trop bon. T'es géniale, Rahi.

Je souris jusqu'aux oreilles.

— De rien, je suis contente que tu le sois. Surtout que ce n'est pas vraiment ce que j'avais prévu, au départ.

— Ah ouais, et t'avais prévu quoi ?

Et je me mets à lui raconter mon aventure d'il y a deux jours, excepté le moment où je croise Akim, bien sûr. Ça le fait marrer.

— T'aurais vraiment pas dû te donner tout ce mal.

— Oh mais je suis prête à tout pour te faire plaisir, tu sais.

Tout à coup il a cessé de rire. Et j'ai compris que ma phrase venait de toucher un point, si ce n'est le point sensible de notre relation.

— Ça fait trois ans que j'attends que tu me le prouves.

— Et trois ans que tu sais que je compte me préserver jusqu'au mariage... Nathan, s'il te plaît, on ne va pas remettre ce sujet sur la table ; surtout pas aujourd'hui, je t'en prie.

— Et pourquoi pas ? C'est toi qui parlait de ta foi et tes convictions, tout à l'heure ; disons que c'est dans le même sillage. Alors moi j'aimerais savoir, aujourd'hui et maintenant, qu'est-ce que tu fous avec moi si tu as l'intention de rester vierge jusqu'à ton mariage ? Je ne suis qu'un jeu ? Un test de jeunesse ?

— Mais non, pas du tout ! Pourquoi tu dis ça ?

— Parce qu'au cas où tu l'aurais oublié, je ne suis pas musulman, Rahinatou ! Et je ne le deviendrai jamais pour toi.

— Mais... Ce n'est pas un problème, mon amour...

— Si, c'en est un, et pas un des moindres, pour toi qui prétends si bien obéir à ta religion. Je suis renseigné, figure toi.

— Ma famille voit l'amour au-delà de ça.

— Ah... donc ta famille et toi pouvez voir au-delà des différences religieuses mais pas au-delà des différences de sexualités ?

— S'il te plaît, arrête, il ne s'agit pas du tout de la même chose.

— Oh que si. Et pour moi ça représente une grosse hypocrisie, tout ça. Par ailleurs, si tu veux te préserver, autant rester célibataire, non ? Il faudrait être totalement chaste.

J'ai senti mon cœur tomber dans mon ventre. Mes bras se sont mis à trembler.

— Non. Non, je t'en supplie. Ne dis pas des choses qu'on pourrait regretter.

— Mais je le pense sincèrement. Pourquoi te mettre en couple, pourquoi m'embrasser et tout le reste si c'est pour clamer ne pas vouloir de relations sexuelles ? C'est totalement paradoxal. Tu dois faire un choix.

— Ne me demande pas ça, Nathan, s'il te plaît, je t'aime.

Une, deux larmes, brûlantes comme le magma et lourdes comme du béton, sur mes joues creusent des sillons de douleur.

— Je tiens à toi, Rahi. Et c'est pour ça que si tu me dis que ton souhait c'est de respecter tes engagements religieux, je t'aiderai à le faire sans faute. Je te laisserai tranquille et tu n'auras plus à te sentir coupable de quoi que ce soit. Car sache que moi, honnêtement, j'en ai assez. Assez de devoir te tromper. Tu n'as pas à supporter ça. C'est toi ma petite amie, c'est avec toi que je devrais le faire, toi et toi seule. Sinon autant admettre enfin que ce n'est pas possible entre nous et arrêter de se perdre du temps mutuellement. Tu veux te marier avant ? Ok, très bien. Pourvu que tu trouves vite ton prince charmant. Parce que moi je n'épouserais pas une fille qui ne sait pas réellement ce qu'elle veut.

— C'est toi que je veux, murmuré-je avec le peu de force qu'il me reste à la suite de ses paroles mortelles.

Nathan secoue sa tête, l'air désappointé et blasé. Puis il se lève. Je le supplie avec mes yeux inondés, entièrement dévastée. Rien ne l'atteint. Il me tourne le dos et sort du restaurant. Et je vois mon monde s'effondrer.

À travers le rideau de larmes, je peux voir le personnel de l'établissement qui me regarde avec étonnement et pitié. Ils doivent tous se demander comment une soirée qui a commencé exceptionnellement peut se terminer ainsi. Je me pose la même question, à la seule différence qu'à moi elle plante mille épines dans le cœur.
Je ne pourrai jamais rentrer chez moi après ça. Je ne pourrai aller nulle part et prétendre que ma vie peut continuer tranquillement comme si elle ne venait pas juste de s'arrêter au moment où Nathan a rompu avec moi.
C'est sûrement un cauchemar. Rien de tout ça n'est réel.

*

Après plusieurs minutes à me morfondre à cette table toujours ornée du gâteau d'anniversaire de mon ex petit ami, je finis par prendre une décision. Je me lève, fais un tour aux toilettes, lave et essuie mon visage dont le maquillage est complètement ravagé, et je remets du parfum.

« Ça va aller, Rahinatou, me dis-je à moi-même. De toute façon c'est lui l'homme de ta vie. Après tout c'est lui que tu épouseras et personne d'autre. »

Si tu es rentré chez toi, j'arrive te rejoindre. Sinon, je vais t'y attendre. Je crois que c'est allé trop loin ce soir. Je ne veux pas qu'on se sépare, Nathan, je t'aime. Et je reconnais que tu m'as déjà assez prouvé que tu m'aimes aussi, en restant avec moi depuis tout ce temps malgré mon abstinence. Je comprends que tu te sentes à bout, mon cœur. Mais aujourd'hui c'est fini. Je te fais confiance. Je suis prête à me donner à toi.

Lorsque je clique sur la touche envoyer, j'ai l'impression de faire une grosse erreur. Mes mains deviennent moites et tout mon être est secoué de crainte. Cependant je suis persuadée d'une chose, c'est que tant que le faire me permettra de récupérer et de garder Nathan, je n'aurai rien perdu ; au contraire...

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