Monsieur Distraction
La grande table autour de laquelle la famille presque parfaite mangeait et discutait en harmonie il y a encore quelques minutes était renversée, la nourriture saccagée, ma tante et son mari dépités.
Tandis que je cherchais à comprendre comment ce dégât avait pu arriver, j'ai entendu un moteur démarrer, puis vu à travers la fenêtre le véhicule de Joseph s'éloigner en trombe. Alors sans plus réfléchir, j'ai foncé dans la chambre de Rose, suivie de près par Chantal.
En franchissant la porte, je m'attendais à la retrouver hors d'elle, mais l'état dans lequel je l'ai trouvée m'a rendue on ne peut plus sceptique. Elle était hilare, assise sur le sol et adossée à son lit. Elle est allée jusqu'à se serrer la bouche avec sa paume pour empêcher son rire de se faire entendre hors de la pièce.
— Mais enfin, qu'est-ce qui s'est passé ?
Ma cousine a continué de rire pendant un bon moment, puis a soupiré exténuée avant de se lancer :
— Je leur ai dit.
Cette phrase l'a à nouveau fait pouffer, comme quelqu'un qui réagit à sa propre blague.
— Sérieusement, a-t-elle poursuivi. J'ai tout balancé, comme ça. Vous auriez dû voir leurs têtes ! Surtout celle de Papa !
— Et ça t'amuse ? a demandé Chantal, aussi ahurie que moi par la scène.
Rose s'est levée, a posé ses mains sur les deux épaules de ma sœur et a soupiré une fois de plus :
— Évidemment, ma chère ! Je suis libre. Libre !
— Mais tu leur as dit quoi, exactement ? ai-je demandé.
— Mais tout simplement : « Hé, papa, maman, hors de question que j'épouse le frère Joseph même si c'est un très bon parti et que vous y voyez déjà un gros investissement. J'ai un petit ami que j'aime vraiment et c'est avec lui que je vois ma vie, bien qu'il ne soit encore qu'un étudiant comme moi. Et... oh ! Au fait, ça fait quatre ans que je ne suis plus vierge. »
Je n'en revenais pas mes oreilles. Était-elle vraiment sérieuse ?
— Joseph était couvert d'embarras, a-t-elle renchéri. Les parents ont mille fois essayé de m'interrompre mais une fois que j'ai pris la parole, je me suis sentie comme inarrêtable. Au début je tremblais, c'est vrai, mais après j'ai parlé avec tellement de conviction et de courage, que même maman avait l'air admirative en me regardant, je vous jure !
— Et la table ? C'est...
— Papa. Il a pété un gros câble.
— Et tu crois que ça va s'arrêter là ?
— En tout cas ce dont je suis sûre, c'est que je ne vais pas me marier. Du moins, pas avec Joseph. Et c'est l'essentiel.
Son regard scintillait de joie. Elle ne semblait même pas se préoccuper de ses parents qui, dans l'autre pièce, étaient furieux et devaient se croire maudits.
Les jours qui ont suivi, les choses avaient sans grande surprise changé à la maison. Mon bel oncle ne parlait plus à personne, sinon grondait, tandis que ma tante, devenue le bouc émissaire de son mari, passait le temps dans sa chambre à prier et à jeûner. Elle était persuadée que Rose était sous l'emprise d'un esprit maléfique qu'il fallait à tout prix combattre spirituellement. L'ambiance était devenue plus qu'oppressante, et un jour, comme pour y échapper, je me suis retrouvée à toquer à une porte qui ne m'avait que trop manquée.
Lorsque Mathias a ouvert, il avait les cheveux ébouriffés et le visage engourdi, j'en ai conclu qu'il venait de se réveiller. Son air stupéfait de me voir m'a fait réaliser que ça faisait vraiment longtemps que je n'étais pas venue. Il faut dire que je lui en voulais beaucoup plus que je ne voulais l'admettre de ne pas prendre de mes nouvelles.
Il s'est poussé pour me laisser entrer puis a refermé la porte à clé, le visage illuminé d'un sourire ravi qu'il tentait tant bien que mal de dissimuler.
Sur sa table d'étude il y avait une bouteille d'Orangina à moitié vide que j'ai ouverte et portée à ma bouche. La boisson fraîche a fait comme dissoudre le goût de rancune que j'avais au fond de la gorge à son égard, mais ne m'a pas empêchée de demander juste après :
— Ça t'embêterait de prendre des nouvelles de temps en temps ?
Il s'est frotté les yeux en s'étirant, puis a demandé un peu désinvolte :
— Tu ne vas pas bien ?
— Si, mais ça n'a pas toujours été le cas depuis la dernière fois qu'on s'est vu.
— Alors pourquoi tu ne m'as rien dit ?
— Parce que tu n'as pas demandé.
Il a tordu sa bouche d'un air dubitatif.
— Tu veux juste t'embrouiller avec moi ou quoi ? Depuis quand tu réclames mon attention ?
Depuis que ce n'est plus juste une attirance physique que je ressens pour toi, depuis que passer du temps avec toi me fait largement plus de bien que d'écouter successivement mes trois albums préférés de Taylor Swift, depuis que je pense à toi sans arrêt, j'ai eu envie de lui crier. Mais...
— Laisse tomber, ai-je lâchement balancé à la place. Je suis juste un peu de mauvaise humeur à cause de l'atmosphère à la maison.
— Ah, je vois... tu es donc venue pour décompresser, c'est ça ? a-t-il demandé sur un ton coquin en même temps que son corps se rapprochait.
Et tandis qu'il déposait dans mon cou l'un de ses baisers langoureux qui ont le don de me faire perdre la raison, une pensée a traversé mon esprit tel un éclair dans la nuit calme.
— Non, Mathias ! ai-je pesté. Normalement là, tu devrais me demander le problème qu'il y a chez moi, pas te précipiter sur moi comme si tout ce dont j'avais besoin n'était que du sexe !
Il a reculé d'un pas en me dévisageant.
— Tu sais quoi, il est dix heures ; alors j'ignore pour quelle raison exactement tu es venue mais sache que je n'ai aucune envie de me prendre la tête un samedi matin, c'est clair ? Je vais prendre une douche.
Ses mots m'ont transpercé l'âme. J'avais envie de tout saccager : son bureau, sa penderie, son lit... tout ! Mais amèrement, je me suis rappelée que si les choses étaient comme ça, c'était en grande partie à cause de moi-même. J'ai repensé à un jour où il m'avait emmenée voir un film au cinéma ; je n'étais pas dans mon assiette à cause d'une dispute avec ma sœur et, lorsqu'il l'a remarqué et m'a demandé ce qui clochait, je lui ai sèchement répondu qu'il n'avait pas à chercher à se mêler de mes affaires, que je n'avais aucune envie de me confier à lui et surtout qu'il ne se méprenne pas sur la nature de notre relation — que je considérais alors comme purement distractive. Je ne me suis jamais excusée de lui avoir balancé tout ça, pourtant je sais que ça l'avait blessé ; En plus, il avait juste agi comme toute personne dotée de bon sens l'aurait fait en voyant une personne triste, mais moi je me suis emportée sans raison comme une peste susceptible. Maintenant j'en payais le prix et ça me foutait encore plus le seum.
Mathias est revenu de la salle de bain en enfilant un t-shirt rose pâle sur un jogging Nike noir que je savais son préféré.
— Ah, tu es encore là, a-t-il lancé froidement en attrapant son téléphone posé sur la table avant de s'asseoir sur le lit.
Je me suis timidement rapprochée de lui et me suis assise sur ses cuisses, une jambe de chaque côté, alors qu'il regardait des vidéos de basketball sur TikTok. J'ai noué mes mains autour de sa nuque où mes doigts se sont automatiquement mis à jouer avec ses cheveux humides.
— Écoute, je sais que je ne suis pas toujours très réglo mais parfois... parfois je me demande si ça ne t'a jamais effleuré l'esprit que... qu'on entretienne un peu plus qu'une relation sans engagement.
— Si et pas qu'une fois. Mais tu m'as clairement fait comprendre que ce n'est pas ce que tu voulais, toi, alors j'ai abandonné l'idée.
Exact, ce n'est pas ce que je veux... ai-je pensé avec un soupçon de regret.
Voulant me dédouaner de tout débat, je lui ai pris son portable des mains pour le poser loin de nous et je l'ai embrassé tendrement. Sa bouche avait encore le goût du dentifrice, mais ce n'était pas pour me déplaire, au contraire. Déjà d'habitude, je ne connaissais rien de plus savoureux que ses lèvres.
— Maintenant je te permets de faire comme si c'est tout ce dont j'ai besoin, ai-je ronronné.
Sa langue a joint la mienne, il a passé ses bras autour de ma taille et m'a resserrée contre lui. Ses mains baladeuses ont trouvé chemin plaisant sous mon t-shirt, caressant délicatement mon dos. Ma respiration s'est accélérée alors que je commençais à sentir son membre se réveiller sous mon bassin. Il a fermement agrippé mes hanches pour m'aider à les faire osciller de façon sensuelle, ce qui donnait à notre étreinte un caractère très sexuel, même si nous étions complètement habillés.
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