Le mauvais prince
Dans un de ses plus célèbres morceaux, Taylor Swift a chanté : « Tu as un sourire qui peut illuminer cette ville toute entière. » À vrai dire, je n'avais jamais vraiment saisi le sens de cette phrase jusqu'à ce soir ; et vous avez plutôt intérêt à le croire : ENEO pourrait céder sa place au sourire de Mathias.
À l'instant où la porte s'ouvre et que ses yeux croisent les miens, j'ai l'impression de sentir mon cœur se liquéfier. Il affiche un sourire que je ne lui ai jamais vu, grand et radieux comme le soleil, et une bonne odeur de pâtisserie s'échappe de la chambre. Je suis si obnubilée par lui que je me rends à peine compte que je suis moi-même secouée de rire. C'est fou, combien la joie mutuelle de nous retrouver est palpable ! À tel point que je suis obligée de lui tourner le dos car je commence à me sentir vulnérable d'afficher un tel excès de bonheur.
M'étant détournée et faisant semblant de repartir, je sens son bras me retenir en m'entourant les épaules, puis ses lèvres déposer les plus doux des baisers sur ma tempe. Mon Dieu, je vais défaillir !
— Où est-ce que tu comptes aller comme ça ?
— Loin de toute cette niaiserie à outrance.
— Nanani nanana. Viens par là, toi.
Simultanément, il me retourne et m'embrasse délicieusement. Un électrochoc se propage dans tout mon corps. Mes yeux se ferment automatiquement et je savoure ce moment tout en sachant qu'il restera l'un de mes plus beaux souvenirs.
— Tu es très belle, murmure-t-il.
Soudain s'ouvre une porte d'à côté, celle de la chambre voisine de gauche ; une fille en sort et détourne son regard aussitôt que celui-ci se pose sur Mathias et moi, enlacés dans ce couloir comme s'il n'appartenait qu'à nous. Elle ferme la porte de sa chambre et s'en va en s'efforçant de ne pas nous regarder au passage, quoique la gêne arrive tout de même à se lire dans son expression braquée. Je regarde mon compagnon et éclate de rire.
— Ça sent bon, dis donc... Tu fais des crêpes ?
— Exact.
— Au miel ?
— Tu me prends pour qui ? Ce n'est pas en un mois que j'aurais oublié que c'est ta garniture préférée.
Surprise et totalement ravie, je lui baise la joue et pénètre dans la chambre.
Son espace cuisine est dans un tel état ! Ça se voit qu'il s'est démené. Je prends un malin plaisir à observer tout le mal qu'il s'est donné et je ne peux m'empêcher de le charrier :
— Estelle aussi a déjà eu droit à des crêpes ?
Il s'arrête de ranger les ustensiles et semble se raidir pendant quelques secondes, puis reprend vite un air serein en se tournant vers moi :
— Ça alors, les filles ! Elle t'a retrouvée comment, celle-là ?
— Yaoundé est petit, mon p'tit bonhomme... Très petit.
— Je vois ça. En tout cas, il n'y a rien de plus sérieux entre elle et moi qu'entre toi et moi. Donc je ne dois aucune explication à personne, pas vrai ?
— Très vrai.
— Et puis, ce n'est pas comme si toi-même tu ne te tapais pas d'autres mecs, hein ?
Je déglutis discrètement. Si seulement il savait...
— En effet. Sinon je ne serais pas vraiment « une pute », tu sais.
— Arrête...
Il se rapproche et m'embrasse délicatement :
— Je ne le pensais pas, dit-il, oublie ça, bébé.
Il dépose un dernier baiser sur mon front avant de s'en aller vers la salle de bain en poursuivant solennellement :
— Tout le monde sait qu'il faut se faire payer pour en être une.
Je mets quelques secondes à comprendre son allusion. Cette dernière me blesse un peu, mais je parviens néanmoins à l'ignorer pour ne pas me gâcher la soirée.
Alors il croit vraiment que je couche avec d'autres garçons. Qu'il est aveugle !
Une brosse à dents à la bouche et avec pour seul vêtement une serviette nouée à la taille, il revient allumer son enceinte Bluetooth.
— Je peux choisir la musique ? je demande.
— Pour mettre du Taylor machin truc là ? Non merci.
Je feins une mine offusquée :
— Je t'interdis de parler ainsi de la reine.
— Mdr, tu as trop des goûts de Blancs. En plus elle est grave surcotée, cette meuf. À part toi je ne connais personne d'autre qui kiffe sa musique.
— C'est débile, ce que tu dis, surtout étant donné que c'est elle qui a la plus grande fan base au monde.
— Bah c'est que sur les chiffres, apparemment, car IRL on n'en croise pas souvent.
Je tords la bouche en fronçant les sourcils d'un air perplexe.
— N'empêche que je veux quand même choisir. Tout le temps on écoute ce que toi tu veux.
Il lève les épaules en me narguant et, fier de lui, connecte son portable à l'appareil qui se met à passer une chanson de Bryson Tiller. Je souris car je reconnais immédiatement cette musique. C'est la même qu'il écoutait la première fois qu'on s'est rencontrés. Je doute qu'il s'en souvienne aussi bien que moi, par contre.
C'était un après-midi de septembre. Après avoir passé plus d'un mois à se parler par téléphone car j'étais en vacances à Kribi, on allait enfin se voir. Je portais un jean bleu large avec un débardeur noir et des tongs à semelles hautes de la même couleur. Je n'avais vraiment pas la moindre intention de l'impressionner. À ce moment là il ne représentait rien d'autre que le beau garçon avec qui j'aimais discuter le soir sur les réseaux sociaux. Quand il est arrivé, plein d'assurance dans son t-shirt blanc et ses baskets rouges, je me suis dit : « Ah ouais, quand même ! » Il était dix fois plus beau que sur les trois photos que j'avais vues de lui ; et je ne m'attendais pas à ce qu'il soit si grand. Tout à coup, un sentiment étrange s'est emparé de moi : j'ai eu peur de ne pas être assez bien. Le pire est que je n'avais tellement pas fait d'effort pour soigner mon apparence, que je me suis mise à craindre qu'il pense que j'étais un catfish.
Nous étions dans un parc au centre-ville. L'air était doux et la verdure tout autour me faisait plus ou moins oublier que je n'aimais pas cette ville. Il m'a fait la bise et m'a posé le casque qu'il portait aux oreilles. C'était ce titre : « Don't » du chanteur américain, qui jouait. Et nous avons commencé à nous balader sans rien se dire pendant les trois minutes qu'a duré la chanson, échangeant seulement quelques sourires timides et des regards tendres. Après quoi j'ai mis le casque autour de mon cou et entamé la conversation :
— Tu étais loin de paraître timide, dans tes messages.
— Je ne le suis pas. C'est l'impression que je te fais ? Parce que je suis silencieux ?
— Euh... oui, à priori c'est un trait de caractère de personne timide.
— Ou alors... Je pense simplement que parfois on se comprend mieux en ne se disant rien.
Il m'a regardée dans les yeux, j'ai souri car je trouvais ce qu'il venait de dire étrangement beau. J'ai cependant rétorqué :
— Pas lors d'une première rencontre, quand même... On ne sait presque rien l'un sur l'autre.
Il a ri doucement. C'était grave sexy.
— D'accord madame. Parlez-moi de vous, même si je crois déjà avoir cerné quel genre de personne vous êtes.
— Ah oui ? Dans ce cas pouvez-vous me le dire ?
Il s'est pincé les lèvres en souriant, s'est arrêté de marcher et a approché sa main de mon cou.
— En échange de quoi ? a-t-il demandé en même temps que ses doigts effleuraient ma peau.
J'ai eu le souffle coupé. Ce contact, l'air de rien, m'avait déstabilisée au point de m'empêcher de formuler une phrase. Et alors que je balbutiais comme une idiote, il a simplement repris son casque et m'a lancé un regard tant moqueur que coquin. Je me suis sentie rougir. Il avait perçu l'effet que son toucher avait produit en moi et un petit air satisfait ne quittait plus sa figure, désormais.
— Puisque tu sembles indécise, je vais prendre l'initiative de te faire une proposition moi-même.
— Vas-y.
— Si tu te reconnais dans la description que je ferai de toi, il faudra que tu acceptes de venir regarder un film avec moi juste après. Chez moi. Sinon, je te devrais une friandise de ton choix à chaque fois qu'on se verra ; car je suis certain qu'on se reverra.
Il était si sûr de lui que j'aurais aimé pouvoir le contredire juste pour rabaisser son ego ; le problème en revanche, c'est qu'il avait totalement raison. J'étais d'ailleurs probablement la première de nous deux à souhaiter le revoir.
— Eh bien, ai-je soufflé, bonne chance.
Il a souri et nous nous sommes remis à marcher.
— Alors... Je dirais que Nicaise est une fille plutôt intelligente, assez sûre d'elle pour ne pas juger utile d'en mettre plein les yeux à un premier date, mais pas autant à l'intérieur qu'elle ne le laisse croire à l'extérieur.
— Qu'est-ce que ça veut dire ?
— Je crois qu'on s'est compris.
Il a de nouveau accroché ses pupilles aux miennes et une fois de plus, il avait raison. À peine ai-je eu le temps d'être étonnée qu'il a continué :
— Nicaise c'est aussi une grande bouche convaincue d'être la voix de la raison en toute circonstance.
— C'est faux ! me suis-je esclaffée.
— Vraiment ? Rappelle-moi une seule fois où on a débattu de quelque chose et que tu m'as donné raison ?
J'ai fait mine de réfléchir.
— Peut-être la vérité c'est juste que j'ai réellement toujours raison ?
— C'est ça.
On a ri.
— Ah, j'allais oublier : Nini c'est surtout une prétentieuse qui est sûre d'avoir le monde à ses pieds. Alors, j'ai tort ?
Sur ce dernier point je trouvais qu'il avait complètement tort. Mais en aucun cas je n'allais le lui dire et risquer de louper l'occasion de rentrer avec lui. Alors j'ai menti :
— Pas tout à fait – en riant gaiment.
Il m'a fixée, l'air mi-amusé mi-incrédule, avant de demander avec une impatience évidente dans les yeux :
— Horreur ou comédie ?
— Horreur.
Tout le monde est capable de deviner la tournure qu'a fini par prendre cette "soirée cinéma", je suppose.
Un claquement de mains me sort de mes relents passionnels. C'est Mathias, sorti de la douche. Les effluves de son savon se répandent dans toute la pièce, chassant l'odeur de crêpes. J'aime tout autant – si ce n'est plus – le parfum de son savon.
Il tape dans ses mains et esquisse des pas de danse. Je me tords de rire, tellement il est nul ; et c'est encore plus drôle de le voir faire cela en serviette.
— Tu permets que je m'habille ? demande-t-il subitement.
Je lève un sourcil sceptique.
— Tu t'es fait un tatouage sur les couilles et tu as honte que je le voie parce qu'il est raté ?
Il retient un rire. Je promets qu'il est beaucoup trop beau.
— La décence, Nini... la décence !
Je laisse échapper un tchip avant de me tourner, amusée, assise en tailleur sur le lit.
Pendant qu'il s'habille, Mathias m'écorche les oreilles en hurlant les paroles de « Blinding lights ». Est-ce qu'il les pense aussi ? Est-ce qu'il ressent pour moi ce que décrit cette chanson ?
Pff ! N'importe quoi, je suis tellement delulu !
Une fois vêtu, il monte sur le lit et me fait un câlin par derrière. Et comme si je n'étais pas déjà assez enflammée comme ça, sa bouche se perd dans mon cou. J'attrape sa nuque et me mords la lèvre pour étouffer des soupirs naissant. Au moment où je me retourne dans l'espoir qu'il poursuive son ouvrage plus bas, le bon monsieur me fait un bisou sur les lèvres puis se lève brusquement. Il va chercher l'assiette de crêpes et me l'apporte. J'ai envie de la faire valser, tant elle tombe mal. Mais je ne tiens pas à afficher mon avidité non plus. Je me mets donc à manger, à entendre Mathias me parler sans vraiment l'écouter car tout ce qui retient mon attention c'est sa bouche, ses épaules, ses mains, ses hanches...
— Ça va ? me demande-t-il après plusieurs minutes.
— Oui, oui. Pourquoi ?
— Tu as l'air un peu ailleurs. Tu veux qu'on sorte ?
C'est une blague ?
— Euh... Non, t'inquiète, tout va bien.
— J'ai pas l'impression, dit-il en se levant. Viens, on va faire un tour chez Ma'a Flo.
— Mais Mathias, on vient tout juste de manger, j'ai pas faim.
En tout cas pas dans ce sens là.
— Je sais. On mangera pas ; juste histoire de marcher un peu. Ça fait longtemps, allez...
Je pousse un long soupir de frustration à l'intérieur mais affiche un petit sourire reconnaissant à l'extérieur. Il prend ma main, me tire du lit, et nous y allons.
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