Gouttes de passion

Plantée devant sa porte, j'attends depuis plus d'une demie heure. J'ai l'impression de voir les chiffres 4 et 9 en face de moi me juger ostensiblement, tant j'ai l'air désespéré.

L'emploi du temps de Mathias varie beaucoup. Certaines semaines on dirait qu'il n'a presque pas cours tandis que d'autres, il fait le double des heures du programme normal. Chose que je n'ai jamais comprise étant donné qu'il étudie dans l'une des écoles les plus cotées de la ville.

Certains de ses voisins font des va-et-vient sans jamais manquer de me dévisager au passage. Chaque fois que j'entends une porte s'ouvrir, j'ai envie de créer un petit trou dans le mur et m'y planquer. Je suis extrêmement mal à l'aise.

Au bout de dix minutes de plus, je me sens épuisée et décide de repartir. Mais en me retournant, je vois arriver Mathias accompagné d'un autre garçon que je ne connais pas. Mathias se fige d'abord surplace, médusé. Puis il se couvre le visage d'une main, mais je vois très bien qu'il essaye de cacher un sourire.
Les deux jeunes hommes arrivent près de moi. Mon estomac fait un nœud lorsque le parfum de Mathias atteint mes narines. J'ai envie de m'accrocher à son cou.

— Yves, voici Nini, lâche Mathias en passant devant moi comme devant une affiche inintéressante.

Ledit Yves me regarde longuement en hochant la tête.

— La fameuse Nini, marmonne-t-il tandis que l'autre ouvre la porte de son studio.

J'entre sans attendre d'autorisation, suivie de Yves qui ressent aussitôt le besoin de se justifier :

— Je vais juste récupérer mon livre d'administration des entreprises et... me casser.

Mathias lui rend un manuel neuf à la couverture blanche et rouge. Puis ils échangent quelques phrases que je ne prends pas la peine d'écouter, avant de se dire au revoir.

Après avoir refermé derrière son ami, Mathias me lance froidement :

— Qu'est-ce que tu fais là ?

— C'est pas la peine de faire semblant. Je sais que tu es content de me voir.

Il ignore ma réflexion et s'assoit sur le lit pour ôter ses chaussures, l'expression braquée.

— Je suis juste venue t'informer que ce n'est pas terminé entre nous deux.

— Qu'est-ce que tu racontes ? s'étonne-t-il en fronçant les sourcils. Tu es sobre ?

— Parfaitement. Débloque moi, maintenant.

— Pff. Retourne cuisiner avec Chris, plutôt.

Il ne me regarde même pas. Cela m'irrite.

— Pourquoi tu agis tout le temps comme si tu découvrais à peine son existence ? Tu sais pourtant depuis le début que c'est mon meilleur ami.

— Justement.

Il se lève et va bricoler je ne sais quoi dans le placard. 

— Il a toujours été là, poursuit-il, il est toujours là. Ce serait donc tout à fait logique que tu sois présentement avec lui, au lieu d'être ici à essayer de me convaincre de te débloquer.

Je lève les yeux au ciel en soufflant.

— Il est tellement injuste, ton comportement. Pourquoi je ne me suis pas emportée, moi, quand j'ai appris que tu baisais avec Estelle ?

— Ce n'est pas pareil.

— Oh, c'est sûr que ça ne l'est pas ! Pour la simple et bonne raison qu'entre Chris et moi il ne s'est jamais rien passé.

— Juste pas encore.

— Non ! C'est impossible qu'il se passe quoi que ce soit entre nous. C'est mon meilleur ami !

Là, comme si j'avais dit quelque chose ayant déclenché sa folie, il vient se placer bien en face de moi et me fixe droit dans les yeux.

— Tu es donc vraiment naïve à ce point où est-ce que tu te voiles consciemment la face ? Tu crois réellement que si tu proposais à ce mec de coucher avec lui il te dirait : « Non, on ne peut pas faire ça, nous sommes meilleurs potes » ? Tu crois vraiment qu'il n'a aucun sentiment pour toi ?

— J'en suis persuadée.

Je ne suis sûre de rien, à vrai dire. Mais Mathias a peut-être raison sur le fait que je préfère me voiler la face plutôt que de reconnaître la possibilité d'une certaine ambiguïté entre Chris et moi.

— C'est faux. Tu te doutes bien que j'ai raison, affirme-t-il comme s'il avait lu dans mes pensées.

— La seule chose dont je me doute, c'est que tu te fais de vrais films dans ta tête. Pourquoi es-tu si déraisonnablement jaloux ?

— Parce que je te vois ! Et qu'il m'est tout juste inconcevable de croire qu'un autre homme ne te voit pas de la même façon. Je... Je suis incapable d'imaginer que quelqu'un d'aussi proche de toi puisse te regarder sans avoir envie d'embrasser tes lèvres, de parcourir ta peau et se perdre dans ton corps. Comment pourrait-il ? Arrive-t-il vraiment à résister au magnétisme de ton être ? J'en doute. Mais si je me trompe, j'aimerais bien qu'il me donne son secret, afin que je sois moi aussi débarrassé de l'envoûtement dont tu me rends victime.

Mes yeux restent suspendus à ses lèvres. Ses mots ont formé un petit nuage sous mes pieds qui me fait léviter en douceur. Mon cœur entonne l'hymne de l'amour, mais ma bouche ne peut s'empêcher de faire l'idiote :

— Ikii, Louis Aragon sur moi maintenant !

Mathias se frappe le front, l'air dépité alors que je retiens de toutes mes forces un éclat de rire. Puis il me regarde attentivement, avant de s'esclaffer en secouant sa tête.

— Tu m'exaspères.

— Je sais. Mais sérieusement, j'étais loin d'imaginer que tu puisses être aussi poétique. Est-ce un talent que tu m'as délibérément caché ?

— Non. C'est uniquement toi qui m'inspires toutes ces niaiseries.

Subitement, l'air se charge de cette électricité familière qui me rend habituellement incapable de penser avec cohérence.
Ce jeune homme a réellement le chic pour me foutre l'esprit en l'air. Un jour il est clair que je ne lui suscite pas un grand intérêt, et un autre on dirait qu'il est absolument raide dingue de moi. C'est des putain de montagnes russes.
Est-ce qu'il est conscient de cela ? Le ferait-il exprès parce qu'il sait que je trouve mon plaisir dans le chaos ?

Mathias interrompt brusquement ce moment empreint de passion en se déplaçant. Il se dirige vers la salle de bain et s'y enferme, me laissant une fois de plus seule avec mon désir foisonnant.

Je souffle, m'affale sur le lit et essaye de songer à autre chose. Mais lorsque j'entends l'eau de la douche couler, je ne peux m'empêcher d'imaginer son corps nu et mouillé sous la lumière dorée de la petite pièce.
Je ramène mes jambes à mon torse et les entoure fermement de mes bras, de sorte à calmer le tumulte qui se crée dans mon bas-ventre. Mes pensées deviennent malgré tout incontrôlables et je sens que cette fois je ne pourrai pas contenir mon envie. J'arrête donc de lutter et décide d'aller retrouver Mathias.

Je pousse timidement la porte, qui s'ouvre sans difficulté et déjà, les battements de mon coeur s'affolent. Je me déshabille, puis m'avance lentement et ouvre le rideau de douche derrière lequel se trouve un Mathias serein et séduisant. Il n'est pas surpris de me voir. Son regard m'informe qu'il m'attendait. Il me sourit délicatement, l'eau ruisselant sur son corps, sculptant chaque muscle, chaque courbe. Mes émotions s'emballent.
Je le rejoins sous cette pluie artificielle, admirant la beauté de ses traits à laquelle je ne m'habitue pas.

— Tu es magnifique, murmure-t-il, sa voix délicieusement mêlée au bruit de l'eau qui tombe.

Mathias s'avance, et nos lèvres se rencontrent, d'abord doucement, comme si nous prenions le temps de nous retrouver après un temps de césure. Puis le baiser s'intensifie, emporté par le flot de nos sentiments. La chaleur de l'eau nous enveloppe, mais c'est celle de nos corps qui me consume véritablement. Ces deux corps qui s'unissent, fusionnent, s'entrechoquent...
Je me perds dans ses bras, me laisse éperdument aller à cette danse intime.
Ses mains tracent des chemins brûlants sur mon dos, esquissent des cercles ravageurs sur mes seins, et je frémis à chaque caresse. Les gouttes qui s'écoulent le long de ma peau semblent s'inviter dans notre étreinte, rendant chaque mouvement plus fluide, plus sensuel.

L'instant s'étire, et je réalise que je ne veux pas qu'il s'arrête. Je veux mémoriser chaque détail : la douceur de sa peau, l'intensité de ses gestes, la volupté qui nous embrase tous les deux. Ma gorge se vide de soupirs lascifs, qui vont crescendo.
Plus vite, plus fort, plus loin, nous finissons par atteindre un sommet; un frisson d'extase qui nous libère.

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