Friendzone addict

PDV Chris

Nous étions assis à la table du fond — notre place habituelle — au Alpha. Nini me racontait mille et une histoires en se goinfrant de poulet pané et à vrai dire, c'est à peine si je suivais vraiment. Elle parlait de son ex petit ami qu'elle a revu lors de son dernier séjour à Kribi, de sa relation actuelle plus que compliquée, de ses deux amies qu'elle voudrait que j'apprenne à connaître... L'idée ne m'enchantait pas, même si ça faisait plus de deux ans qu'elle fréquentait ces filles. Je ne me voyais pas me joindre à elles pour qu'on devienne un quatuor de meilleurs amis du monde.

Le lien que j'ai avec Nini est unique. On se connaît depuis la classe de première, j'étais alors nouveau au lycée de Kribi. Elle était la seule personne dont la compagnie me permettait de sortir de mon cocon de garçon timide à l'époque. Petite pipelette, aussi sensible qu'une guimauve mais ne manquant jamais une occasion de rire à gorge déployée.

L'année dernière j'ai essayé de lui faire comprendre que j'avais des sentiments pour elle, mais sa réaction m'a fait me replier immédiatement. Je risquais de tout gâcher si j'insistais. En plus, dans un roman qu'elle m'avait prêté, j'ai lu que lorsqu'on a une belle grosse pépite d'or, on ne la fait pas fondre juste pour rigoler, on risque de la perdre. Et la perdre en détruisant notre amitié était la dernière chose que je souhaitais. Alors j'ai entassé mes sentiments, enfermé le tout dans un coffre au fond de mon être et j'ai essayé de me convaincre de leur disparition.

J'ai une copine. Maeva. C'est une fille top, ça fait sept mois qu'on est ensemble. Je suis bien avec elle. Mais... Elle n'est pas Nini.
Je sais que ce n'est pas correct, de penser à ma meilleure amie quand j'embrasse ma petite amie, quand on fait l'amour, quand elle rigole à une de mes blagues et que je suis intérieurement frustré que son rire ne résonne pas comme celui qui hante mes pensées. Ce n'est pas correct qu'elle s'énerve parce que la galerie photos de mon téléphone est truffée de médias de Nini alors qu'elle n'y trouve pas autant d'images d'elle-même. Ce n'est pas correct que je lui parle de Nini les trois quarts du temps qu'on passe ensemble. À sa place, je me serais sûrement déjà quitté. Mais c'est une fille bien, qui malgré tout, comprend et accepte que Nini occupe une place majeure dans ma vie. Pour la rassurer, j'affirme toujours indéniablement que je ne ressens rien de plus pour Nicaise qu'une affection et un attachement amical. Je n'y crois pas vraiment moi-même.

Comment Nini peut-elle ne pas voir à quel point ça me contrarie qu'elle me parle d'autres garçons ? Comment peut-elle ignorer l'évidence qui hurle dans mes yeux « c'est moi qu'il te faut ! » chaque fois qu'elle me relate ses déboires ?
C'est une situation que je supporte de moins en moins.

Déjà lorsque je l'ai connue, elle était sous l'emprise du fameux Ornel, un mec au lycée qui lui avait littéralement lavé le cerveau, l'imbécile ! Quand ça a mal tourné, j'étais là, je l'ai ramassée à la petite cuillère et j'ai patiemment attendu que son cœur s'en remette pour tenter ma chance. Malheureusement, les choses ne se sont pas passées comme je l'espérais.
Maintenant c'étaient de ses histoires avec un certain Mathias dont elle me gavait, et mon ressenti devenait peu à peu insoutenable, tellement, que l'agacement finirait bientôt par se lire sur les traits de ma figure.

— Qu'est-ce que tu vas faire après, toi ? a-t-elle demandé en suçant ses doigts dégoulinant de sauce épicée.

J'ai esquissé un rictus perplexe.

— Après la licence, a-t-elle expliqué. Tu vas faire quel master ?

J'étais un peu buté par la transition de la conversation, mais cela ne m'a pas empêché de répondre posément :

— Justement, je suis entrain d'y réfléchir. Je me demande si ce ne serait pas une meilleure idée de faire un master professionnel plutôt que recherche.

— Un master pro, oui, c'est la meilleure option.

— Et toi ?

Elle s'est essuyé la bouche et a bu quelques gorgées de son soda.

— Tu ne le croiras jamais.

— Quoi ?

— Mon père et moi on a eu une discussion. Il sait que la littérature me passionne et que je ne compte pas me réorienter car c'est ce que j'ai toujours voulu étudier. Seulement, il craint que ça n'en vaille pas la peine. Enfin, ici. En gros il veut que j'aille continuer à l'étranger. En France. Selon lui c'est la meilleure solution, et même la seule, si je veux faire de grandes études de lettres et être sûre qu'elles me serviront à quelque chose.

Ces mots ont résonné dans ma tête comme des baguettes sur des cymbales.

— Ah ouais ? C'est... c'est super, ai-je lamentablement feint, la gorge nouée. Vous en avez parlé récemment ?

Elle a acquiescé.

— Je ne trouve pas ça si super, moi. C'est vrai qu'on parle de voyage et tout, mais eh oh ! Ce n'est pas quelque chose qui se décide comme ça ! J'ai tout de même une vie, ici, bien qu'elle ne soit certainement pas la meilleure de toutes... Et puis, je ne fais même pas confiance à ces concours en ligne.

— Et à ton père ? Tu ne lui fais pas confiance non plus ?

— Si, bien sûr...

— Alors ?

Elle a marqué une pose durant laquelle elle semblait réfléchir.

— Mouais, t'as raison. Je ne sais même pas pourquoi je me prends la tête, en fait. On parle quand même d'aller en France ! La Tour Eiffel ! Le shopping parisien, iih !

Je n'en revenais pas. Je venais de convaincre ma meilleure amie de partir à des dizaines de milliers de kilomètres de moi. L'envie de me frapper la tête contre la table me tenait à la gorge ; je sentais son poids, lourd comme une enclume. Mes lèvres restaient quand même étirées en un sourire banal, prétendant la joie alors que je n'avais plus qu'une envie : rentrer chez moi et ne plus jamais sortir de ma couette. Supporter ses amourettes était une chose, accepter qu'elle s'en aille aussi loin et peut-être pour de bon en était une tout autre.

— Tu es triste ? s'est-elle enquise, un brin amusée.

— Pas du tout. Pourquoi le serais-je ?

— Euh... Sans doute parce qu'on sera séparés ? (Elle a rigolé) Ne te sens pas obligé faire genre, c'est tout-à-fait normal. Toi aussi tu vas énormément me manquer si je pars.

Elle a tendu son bras par dessus la table, m'invitant à prendre sa main que j'ai agréablement reçue dans la mienne. Je l'ai tenue fermement, comme si cela pourrait la faire fondre et la graver en moi. Je ne voulais pas qu'elle parte, mais en même temps ce serait tellement égoïste de le lui dire. Ça l'était déjà bien assez de le penser... En tant que son meilleur ami je devrais me réjouir pour elle, je devrais être heureux qu'elle ait une telle opportunité.

Je lui ai souri plus sincèrement. Le contact avec sa paume me plaisait tant ! Tout chez elle me rendait si heureux ! Ce n'était plus la peine de le nier, il fallait que je sois honnête. Avec moi-même, avec elle. Il fallait que je lui dise que je l'aime, peu importe ce que cela pourrait coûter.

— Je... Em... Nini...

— Hmm ?

— Je... Je vais peut-être me séparer de Maeva.

Elle a froncé les sourcils, l'air choqué et a prudemment ramené sa main à elle.

— Pourquoi ?

— Je ne sens plus la relation.

— Qu'est-ce que tu racontes ? Il s'est passé quelque chose ? Elle te trompe ?

— Non, bien sûr que non. Enfin, pas que je sache.

— Mais alors ? Tu ne l'aimes plus ? Juste comme ça ?

J'ai brièvement haussé les épaules. Elle a repris une gorgée de sa boisson.

— Enfin, tu m'expliques ? Il y a une autre, c'est ça ? Tu as flashé sur une autre fille, hein ?

Je la fixais sans qu'il ne me vienne à l'esprit une seule réponse à lui donner. Elle le faisait peut-être exprès. Ou alors elle était vraiment aveugle.

— Ça alors, les mecs ! Vous êtes vraiment tous des conards. Maeva c'est une fille super, elle aura le cœur tellement brisé, la pauvre ! Je ne comprends vraiment pas... Vous avez pourtant l'air véritablement heureux. Je parie que tu la plaques pour un plus gros cul, n'est-ce pas ?

Elle a posé ses coudes sur la table, attendant sans doute que je dise un mot mais je suis resté interdit. Elle a secoué la tête en plissant les yeux, comme si mon silence avérait son hypothèse et qu'elle en était déçue.

— Crois-moi, si tu fais ça, tu vas le regretter. Maeva t'aime. Et tu l'aimes aussi. Si tu veux, ignore mon conseil et quitte la pour une meuf dont uniquement ta queue est attirée, puis reviens chialer plus tard dans mes bras. Je te consolerai avec la fierté de t'avoir prévenu.

Elle a terminé de siroter son soda.

— « Tous des conards » ? ai-je demandé, incertain, alors que sa phrase me parvenait soudainement comme en retard.

Elle a eu un sourire angélique et, après s'être levée pour signifier qu'on s'en aille, a déclaré très calmement :

— Ouais. Mais toi, je n'ai pas d'autre choix que de t'aimer et te supporter. Tu devrais t'estimer heureux.

Je savais pertinemment que cet "amour" dont elle parlait n'était pas le type que j'aurais voulu partager avec elle. Mais bon, je devrais me contenter de celui-là, au risque de la perdre définitivement. Car ça, je ne m'en remettrais certainement pas.

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