Consacrée à toi

PDV Rahinatou

Je crois que les supermarchés sont mes
endroits préférés dans cette ville. À l'intérieur il fait frais, ça sent bon et on y croise beaucoup de gens riches. Parfois, même si je n'ai rien à acheter, j'y fais un tour juste pour le plaisir ; certains appelleraient ça du « lèche-vitrines ». Moi je dis que c'est une distraction à bon escient. Un jour j'ai lu quelque part que l'illusion est la première apparence de la vérité. Alors j'y pense et j'y crois, chaque fois que je fais le tour des rayons des magasins les plus chics, sans un sous dans la poche. J'y crois quand je pioche des vêtements qui me plaisent et que je passe de longues minutes dans les cabines d'essayage à voir comment ils me siéraient à merveille si j'avais l'argent pour les payer. C'est une sorte de thérapie, je dirais. Une thérapie qui m'aide à oublier, l'instant d'une matinée ou d'un après-midi, que je ne peux en réalité pas me permettre un tel train de vie. Je n'ai pas la possibilité de véritablement savourer ces privilèges. Et donc à défaut de cela, je simule.

Cependant aujourd'hui je viens vraiment faire des courses. Ou du moins, faire une course. Je suis à la recherche d'un cadeau d'anniversaire pour Nathan et je tiens à lui offrir quelque chose de spécial, qu'il sera évident que j'ai acheté cher.
Je n'ai pas beaucoup réfléchi à ce sujet. C'est un grand fan de hoodies depuis peu, alors j'ai pensé qu'il serait content de recevoir un ensemble jogging pour son anniversaire.

Le taxi me dépose sur le trottoir du palais des sports. Le centre commercial est situé juste en face. J'ai déjà hâte d'y pénétrer. D'un pas vif je traverse la route fourmillant de véhicules de tous les âges. Dès que je franchis la grille de l'enceinte, une ribambelle d'enfants crasseux se précipitent sur moi en tendant des bols ou leurs mains. Je les regarde à peine, je n'ai rien à leur donner. Je fonce tout en les ignorant, jusqu'à entrer enfin dans le bâtiment.
Aussitôt, l'air frais et agréable de la climatisation me ravive les sens. Les lumières donnent aux jolies couleurs des murs un aspect encore plus flamboyant. Restaurants, glaciers et crêperies sont les premiers à accueillir les visiteurs. Ça grouille de monde. Des familles qui partagent un repas, aux amoureux qui boivent avec deux pailles dans le même verre. Tous sont beaux et bien habillés, ça sent l'aisance à plein nez.

Je poursuis mon chemin, non sans envier au passage un hamburger ou une énorme crêpe au Nutella. Je résiste à la tentation gourmande de goûter aux choses que tous ces gens de la classe au-dessus savourent par habitude, et j'emprunte le couloir qui mène aux boutiques de mode.

J'entre dans une boutique de survêtements et commence à chercher l'ensemble idéal pour mon amoureux. L'agent d'accueil, un grand homme à la peau très foncée et brillante se rapproche de moi. Je le trouve vraiment beau.

— Bonjour madame. Puis-je vous aider ?

— Em... Je voudrais un ensemble Nike pour homme si possible.

Il hoche la tête, les mains croisées dans son dos :

— Les ensembles, c'est par ici. Si vous voulez bien me suivre...

Et il m'emmène jusqu'au rayon approprié. Je le remercie et me mets à fouiller.
Mes yeux s'écarquillent lorsque je regarde le prix derrière un ensemble gris qui se rapproche un peu de ce que j'espérais trouver : 37 000 francs CFA ! Non mais oh ! Je veux acheter des vêtements, pas une voiture ! C'est littéralement plus cher que notre loyer. J'ai un budget de 9 000, moi.

Le monsieur derrière moi m'observe. Je me sens gênée. Je n'ai pas envie qu'il découvre que je n'ai pas assez d'argent pour acheter ce que je veux. Je lui souris timidement.

— Tout va bien, madame ?

— Oui, oui, je... Je ne suis juste pas sûre que ce soit la bonne taille.

— Oh, nous avons d'autres tailles en stock, dites-moi laquelle vous intéresse et j'irai vous chercher ça.

— Mais non, ne vous embêtez pas, rien n'urge.

— Cela ne m'embête surtout pas, c'est mon travail, dit-il en m'offrant un sourire radieux avant de disparaître dans une pièce que je présume être le local de stockage.

Je panique et m'éclipse avant qu'il n'ait le temps de revenir. Je sais, ce n'est pas très glorieux comme acte mais je préfère toujours prendre la fuite plutôt que d'assumer que je suis pauvre.

De nouveau dans le long couloir, un nuage noir commence à se former au-dessus de ma tête. Pourquoi même est-ce que je tiens absolument à faire cet achat ici ? C'est évident que tout est plus cher dans cet endroit. Au marché, à ce prix-là, j'en dégote quatre, des ensembles comme ça. Il suffit juste d'avoir l'œil pour ne pas se laisser berner par la qualité douteuse.

Résignée à poursuivre ma quête du cadeau idéal à Mokolo, je décide de m'arrêter à un restaurant avant de m'en aller. Un bon shawarma me remontera sans doute le moral et puis, 8 000 francs suffiront largement à obtenir un truc de premier choix à Mokolo.

Pendant que j'attends ma commande, je vois un groupe de personnes familier arriver vers moi. Un homme, une femme et deux petites filles. Oh putain, c'est Akim et sa famille.
J'ai soudain l'impression d'avoir de grosses gouttes de sueur qui perlent sur mon front. C'est une blague, mon Dieu ? Cette journée ne pouvait décidément pas plus mal tourner.
Je prie de toutes mes forces pour qu'il m'ignore. De toute façon il n'oserait pas venir me parler devant sa femme et ses enfants, si ?

— Rahi ? s'étonne-t-il, visiblement ravi.

Eh ben, si, il ose.

J'esquisse un sourire des moins convaincants tandis que la jeune femme qui l'accompagne, radieuse dans sa robe en tissu wax assortie au foulard qui recouvre sa tête, se met à me dévisager d'un air hostile.

— Qu'est-ce que tu fais là, eazizati ?

— Petite balade. Et toi, la question ne se pose pas.

Je fais un coucou aux deux petites mignonnes et je souris à la dame, qui me le rends d'une manière agressive.

— Oui, comme tu peux le voir je suis avec mes trésors. Hadja, viens, que je te présente.

Ladite Hadja se rapproche, tenant ses filles par les mains. À l'instant, ses yeux me lancent tous les mauvais sorts imaginables. Il y a dans son regard le poison qu'on retrouve dans celui de nombreuses femmes qui considèrent pour ennemies les femmes plus jeunes, mais en plus, ses pupilles brillent de la promesse meurtrière d'une femme qui doit partager son homme.

— Hadja, ma femme, Rahinatou, ma petite protégée.

— Enchantée, je glisse dans l'espoir de détendre l'atmosphère.

— De même, dit-elle en hochant la tête, ce même sourire glacial collé aux lèvres.

Ça me donne froid dans le dos.

— Et voici les plus belles, reprend Akim, Fatima et Yasmine. Dites bonjour à Tantine.

Les petites me saluent généreusement. Elles sont adorables.
Un blanc pesant s'insinue et rend ce moment embarrassant encore plus insupportable. Heureusement...

— La commande C59 s'il vous plaît ! s'écrie une voix au comptoir.

— Oh, c'est la mienne !

Sauvée par le gong. Ah ça, oui.

Je récupère mon shawarma et retourne vers Akim et ses bien-aimées pour dire au revoir.

— Bon, j'y vais. Passez une bonne journée.

— Je suis si content de t'avoir vu. Au revoir. On s'appelle.

J'acquiesce par politesse et disparais sans plus tarder. J'hallucine. Devant sa femme. Sa femme ! Et ses enfants !

*

Mokolo. Pour le comprendre, il faut l'avoir vécu.

— La plus belle, viens, j'ai des robes sexy pour toi.

— Oh, mannequin mannequin sans forcer, tu vois ces pantalons, non, ils n'iraient à personne d'autre.

— Ma chérie tu ressembles à quelqu'un qui porte seulement les bonnes choses comme ces chemises que je tiens. Regarde. Viens voir.

Et on me tapote l'épaule par ci, et on me tient le poignet par là... Une véritable jungle.
Heureusement, je suis une habituée. Et une chose que je sais, c'est que quand ces vendeurs ambulants vous accostent, même s'ils ont totalement tort de vous toucher partout avec leurs mains qui ont traîné je ne sais où, il ne faut pas répliquer. Au mieux faire semblant d'être intéressée, et au pire les ignorer. Mais il ne faut jamais s'emporter, au risque d'y laisser votre peau.

Malgré tout, je réussis à me faufiler, je les esquive autant que je peux, j'avance, je me dépêche. Je fais le tour des boutiques de vêtements et des friperies du marché mais je ne trouve rien à part des contrefaçons foutrement laides. Plus d'une heure à tourner en rond et toujours rien. Je commence à m'épuiser. Puis j'atterris dans la boutique de Sheney, un vendeur de chaussures dont je suis une fidèle cliente ; j'achète quasiment toutes mes paires chez lui, c'est un peu devenu comme un ami.

— On dit quoi, Sheney ? soufflé-je en m'écroulant sur l'un des tabourets de la pièce.

— Yo petite sœur. On est là. Toi, c'est comment ?

— Massa, ça doit faire deux heures que je cherche un ensemble jogging, mon frère ! On ne vend plus du bon dans ce marché ?

— Tu as regardé dans les fripes ?

— Évidemment. J'ai même commencé par là.

— Hum, c'est sans doute parce qu'on est déjà en soirée. Faut revenir demain très tôt.

— Mais j'ai cours. Ah et puis merde, j'en ai marre de marcher. Je vais trouver autre chose à lui offrir.

— À qui ?

— Nathan. C'est dans deux jours, son anniversaire.

Le jeune homme a hoché la tête en retroussant les lèvres sous sa moustache naissante.

— Quoi ? ai-je demandé, un brin offensée.

— Hum hum. Juste un peu étonné que tu sois toujours avec lui.

— Et pourquoi j'aurais dû ne plus l'être ?

Il ignore ma question et se met à remuer la tête sur la musique qui s'échappe de sa radio. Ses locks courtes et raides en plus de son style débraillé lui donnent une apparence de délinquant. Parfois il fume de l'herbe. Tout à fait à l'opposé du profil des personnes que je m'autorise à côtoyer. Mais Sheney a un bon fond. Un grand cœur sous ses muscles de voyou insensible, et beaucoup de sagesse à partager. Il a tout mon respect, malgré sa prétention à se mêler de ce qui ne le regarde pas.

— Les femmes désirent facilement ce dont elles n'ont pas besoin, c'est bien vrai.

— Qu'est-ce que tu veux dire par là ?

Il sourit discrètement, change de station radio parce que la chanson Qui croira verra vient de commencer, puis me regarde à nouveau :

— Sinon à défaut de trouver le cadeau que tu prévoyais, tu pourrais envisager un dîner en amoureux : simple et efficace, et si tu veux mon avis, beaucoup plus romantique que des vêtements.

Bien que cette manie qu'il a d'ignorer mes questions m'irrite beaucoup, je reconnais que sa suggestion vient en quelque sorte me sauver la mise. Ça m'a tout l'air d'être un bon plan B, un dîner en amoureux ; je n'aurais qu'à ramener un petit gâteau et une bougie au restaurant. Voilà.

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