Chers nichons

La bouteille vide d'Orangina me servait de micro alors que je m'amusais à chanter sur Love On The Brain de Rihanna en me tortillant devant Mathias. Son enceinte musicale émettait le son assez fort pour camoufler une bonne partie de ma voix de casserole. Je bougeais théâtralement, prétendant que j'étais en plein concert, un peu comme on fait tous dans nos salles de bain devant le miroir. Là, ses yeux étaient mon miroir et son rire était la seule approbation dont j'avais besoin pour continuer à me donner en spectacle sans gêne.

Je mettais le bout de la bouteille devant sa bouche quand je voulais qu'il chante la suite des paroles et il a parfaitement joué le jeu, bien qu'assis, plus à l'aise à me regarder qu'à danser avec moi.

Must be love on the brain !

— And it keeps cursing my name...

No matter what I do...

— I'm not good without you !

— And I can't get enough... must be love on the brain, ai-je terminé en l'invitant à se lever.

D'une main il a pris la mienne, puis a tenu une partie de mon visage dans l'autre pour venir cueillir ma bouche avec la sienne qui paraissait frémir de bonheur.

— Bah dis donc, c'est moi qui te rends aussi heureux ? l'ai-je charrié.

— Tais-toi et embrasse-moi.

Il n'avait pas à me le demander. L'avoir en face de moi était toujours comme me tenir près d'un aimant vêtue d'une combinaison de métal, il m'attirait naturellement et unir nos deux corps semblait être le seul but pour lequel nous avions mutuellement été créés. Le seul moment qui me privait de toute réflexion, où mes pensées ne divaguaient pas, et l'ensemble de mes sens s'appliquait à une seule tâche : jouir de son corps faisant vibrer le mien.

Pendant que nos langues s'entremêlaient et que les caresses commençaient à reprendre une vigueur particulière, la voix de Rihanna ne cessait de proclamer en boucle exactement le fond de mon ressenti.

Ça doit être un amour plutôt cérébral.
C'est ça qui me fait me sentir ainsi.
J'en ai des bleus, mais ça me fait un effet d'enfer !
Et je ne m'en lasse pas.
Ça doit être un amour plutôt cérébral,
et ça continue de maudire mon nom.
Peu importe ce que je fais,
je ne peux être bien sans toi
et je ne m'en lasse pas.
Ça doit être un amour plutôt cérébral.

— Bien joué, a marmonné Mathias. Maintenant je ne pourrais plus l'écouter sans penser à ta grosse tête.

— Tu pensais déjà à moi sans arrêt avant ça, donc pas grand chose ne changera.

Il a rigolé à moitié avant de rétorquer :

— Tes chevilles ont pris du volume, dis-moi.

— Pas cool d'avoir de la concurrence, hein ?

Il m'a lancé un regard félin puis glissé sa main sous mon haut où ses doigts ont dégrafé mon soutien gorge avec une habileté pertinente, et alors que ceux-ci s'aventuraient désormais sur la surface de ma poitrine, un sentiment subit de répulsion m'a fait sursauter, ce qui l'a stoppé net.

— Quoi ? s'est-il enquis.

J'ai froncé les sourcils, pas sûre moi-même de comprendre ce qui avait causé cette réaction.

— Je... em...

— C'est douloureux ? Tu vas bientôt avoir tes règles ?

Je l'ai regardé un peu confuse, puis tout à coup comme prise de court, j'ai répondu :

— Oui, c'est ça. Exactement. Alors euh, si tu pouvais éviter...

— Bien sûr, t'inquiète. Je n'y toucherai pas.

Évidemment, c'était un gros mensonge que je venais de débiter. Non seulement je n'étais pas près d'avoir mes menstrues, mais en plus quand bien même c'était le cas, mes seins ne me faisaient jamais mal.

*

Plantée toute nue devant la glace de la salle de bain, j'observais avec insistance ces deux boules brunes qui étaient suspendues à mon buste comme des phares d'une voiture allumés en plein jour, vers qui tout le monde dirige son attention. Je les regardais, morne, comme si je les découvrais tout juste, comme si leur présence me revenait subitement et me mettait face à un dilemme.
Ma poitrine généreuse ne m'avait jusqu'à lors jamais gênée. Au contraire, elle était une grande fierté, surtout pour la fan de mangas que j'étais.

Je repensais à ma dernière année de collège durant laquelle, ayant toujours été la plus jeune de ma classe, j'étais la seule à ne pas avoir de poitrine alors que toutes les autres ressemblaient déjà à de vraies femmes.
Les jours de sports, dans les vestiaires, je me rendais douloureusement compte que j'étais la seule à ne pas encore porter de soutien-gorge. Chaque jour je me mirais en me demandant, impatiente et complexée, quand est-ce que mes seins allaient se développer. Maintenant je me mirais en me demandant pourquoi ils s'étaient développés autant.

J'ai noué ma serviette autour de mon torse, suis rentrée d'un pas décidé dans la chambre et, avec un soupçon de colère dans les gestes, je me suis mise à fouiller dans mes vêtements et à jeter sur le sol tous ceux qui, extravagamment ou pas, disposaient d'un décolleté à l'avant.

— Mais qu'est-ce que tu fais ? s'est manifestée Chantal, allongée sur son lit devant Netflix.

— Ça ne se voit pas ? Je me débarrasse des habits que je ne veux plus.

— Quoi ? T'es folle ?

Elle s'est rapprochée et a soulevé un bodysuit noir parsemé de dentelle que j'aimais beaucoup.

— Tu ne veux plus de ça ? a-t-elle demandé de façon rhétorique et un brin incrédule.
Et ça non plus ? a-t-elle renchéri en tenant cette fois le top en satin beige qu'elle m'avait offert pour mon anniversaire.

Je me suis arrêtée pour la fixer en croisant les bras, l'air de dire « qu'est-ce que tu crois, toi ? » et elle m'a renvoyé un regard qui signifiait « tu m'expliques maintenant ou tu tiens à ce que j'insiste ? »
J'ai secoué la tête et tenté de sortir pour esquiver la discussion, ce qu'elle m'a empêché de faire en m'empoignant le bras au moment où je passais devant elle.

— Lâche-moi, ekie ! Je veux juste faire un peu d'espace dans mon dressing, pour ça aussi il faut que je te rende des comptes ?

— Je ne te crois pas.

— Mais c'est ton problème ! Tu te prends trop pour ma mère dernièrement. Calme-toi ! Je te les offre si tu veux, mais lâche moi la grappe, ok ?

Je me suis agressivement libérée de sa poigne et suis finalement partie sous la douche en essayant de paraître le plus impassible qui soit.

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