7. i n g é r a b l e

"[...] Le suicide, n'est-ce pas ?"

"N'y pense même pas ! Jamais je ne te laisserai te suicider."

"Mais qu'ai-je à part cette possibilité ? Vivre en continuant à souffrir ? La mort est la seule des solutions."

"N'importe quoi, as-tu pensé à ta cousine, à tes soeurs, à ta mère et... à moi ?"

"Ouais mais j'ai pensé à moi-même aussi. A tout ce qui m'est arrivée, à tout ce qui se passe dans ma vie. Mais quelle vie ? Je n'ai jamais goûté au bonheur. On m'a toujours dit : tu devras faire de grandes choses plus tard, comme tes soeurs. La seule personne qui m'aie élevé est ma mère, je n'ai presque pas connu mon père : je n'ai jamais eu l'amour d'un paternel, d'un homme. Je n'ai jamais su comment me défendre. Je n'ai pas appris comment jouer au football. Je n'ai jamais pu rire aux blagues nulles de mon père. J'ai jamais pu lui souhaiter "bonne fête papa". Je n'arriverais même pas à visualiser son visage si nous n'avions pas de photos de lui. La seule chose que je sais c'est que je lui porte une grande affection pour des raisons inconnues. Sûrement grâce à ces si fameux « liens du sang ».
Ma mère n'avait ni le temps ni la force de remplacer mon père à cause de la place que prenaient mes trois grandes soeurs dans notre quotidien. Elle m'a appris tout ce qu'elle pouvait m'apprendre ; le reste, j'ai dû lui faire face moi-même. Je ne suis encore qu'une enfant, Matthew. Je ne connais que ce que j'ai vécu toute ma vie, c'est-à-dire de paraître ridicule ou bien stupide dans tout ce que j'entreprends. S'il te plaît, apprends-moi, apprends moi ce qu'est la vraie vie, sors moi de ma zone de confort, je veux ressentir ce sentiment si dangereux qu'est l'adrénaline. C'est mon dernier espoir, Matthew."

"Je... C'est... C'est d'accord."

"Mademoiselle Scott."

"Promets moi juste Anzel que tu n'abandonneras pas... que tu ne mettra jamais fin à tes jours."

"Mademoiselle Scott."

"Je ne--"

"Mademoiselle Scott !" cria une voix, le ton stricte. Je me réveillai en sursaut pour faire face à une personne, un professeur dont le nom m'est inconnue.  "Mon cours n'est pas un endroit pour faire la sieste. Soit vous prenez des notes soit c'est la porte !" Le professeur pointa la porte du doigt.

"Erm, oui oui, désolée." m'excusai-je après avoir lâché un bâillement indésirable. Le vieil homme marmonna quelques mots dans sa barbe et reprit son cours comme si de rien était. C'était silencieux dans la salle, tout le monde était concentré sur la voix du professeur. Mais à quoi m'attendais-je ? C'était l'université, les études touchaient à leur fin. Mais je n'avais pas envie. Je ne voulais plus grandir. Je préférerais continuer à boire, à assister à des fêtes et à détester Harry. Oui, c'était un vœu infantile, digne de collégiens mais qu'importe. J'aimais ce petit quotidien même s'il allait s'écourter bien trop tôt. Décidée, je secouai la tête. J'allais profiter. J'allais récupérer toutes ces années que j'avais perdues à ne pas m'amuser, à seulement étudier. La seule chose qui était dommage, c'était que je ne l'avais pas remarqué plutôt, que je n'avais pas profité pleinement de mon enfance au moment voulu.

Peut-être que ma mère avait espéré me préserver de ce monde, me laissant mon innocence mais m'ôtant involontairement la sociabilité et donc l'amusement. Bien évidemment, je ne le lui reprochais pas. Ma mère avait fait de son mieux pour m'élever malgré son handicap et l'absence de mon géniteur. Et c'était un succès, sa plus grande fille était chef d'une grande entreprise, l'une était avocate, l'autre mannequin. Elle était une femme admirable et respectable. Ce qui n'allait jamais être mon cas. On me l'avait répété. Répété. Et encore répété. J'étais le vilain petit canard dans cette famille de cygnes étincelants. La petite tâche sur la blancheur éclatante. La pauvre feuille morte parmi les roses bourgeoises. J'ai tellement d'exemples de ce genre que je pourrais en faire tout un livre de la taille d'un dictionnaire LaBrune.

La matinée se termina rapidement laissant place à la pause déjeuner. Je me rendis au restaurant du coin, là où nous nous étions donnés rendez-vous, Isabella, les autres et moi. Je rentrai à l'intérieur. Mes yeux cherchèrent mes amis. Je trouvai juste Isabella, assise seule à une table pour deux. Je m'assieds à côté d'elle. Elle ne daigna même pas me jeter un regard, concentrée sur un livre qui ressemblait trait pour trait à un de ces livres de cuisine que ma mère gardait tout au fond de son placard. Je n'osai pas lui poser la question et préférai parler d'autre chose :

"Lorenzo et Matthew ne sont pas arrivés ?" Elle me jeta un regard noir m'indiquant qu'elle était encore remontée contre moi mais me répondit quand-même.

"Lorenzo se trouve à son nouveau travail et Matthew est toujours en cours." répliqua-t-elle. Je poussai un soupir en posant ma main sur son bras.

"Excuse-moi d'être partie sans vous la nuit dernière." Isabella ferma sèchement son livre et haussa ses sourcils parfaitement tracés.

"Tu crois sincèrement que je vais te pardonner ? Encore, si ça avait été la première et unique fois je n'aurais rien dit mais là, c'est la troisième fois Anzel ! J'en ai marre, de toi, de Matthew et de ton comportement irresponsable ! T'as dix-huit ans bordel, pas quatorze. T'es plus un gosse, t'es majeure, il est temps que tu t'en rendes compte et que tu grandisses une bonne fois pour toute." Rouge de colère, elle amena la lanière de son sac à son épaule et s'en alla du restaurant. Quant à moi, je restais assise et assez secouée par ses paroles. Elle avait sûrement raison. Ça mérite un bon shot d'alcool pour fêter ce nouveau coup de blues ! Je me levai, déterminée mais heurtai quelqu'un par la même occasion. La personne me retint par le bras pour m'empêcher de tomber et je levai les yeux, m'apprêtant à l'insulter. Je me stoppai dans mon élan en croisant un visage aux traits attrayants. Je mordis ma lèvre. Sexy. Ses yeux étaient bleus, d'une légère teinte verte. Ses cheveux blonds pointaient vers le ciel et sa bouche... Mon dieu sa bouche.

"Tu ne t'es pas fait mal, bébé ?" souffla-t-il contre mon visage, en mordant sa lèvre.

"Ne m'appelle pas... oh et puis merde, c'est quoi ton prénom ?" bredouillai-je. Des beaux gosses comme ça, on n'en croise pas tous les jours putain. Je me dois -- à moi et à ma fierté féminine -- de le draguer.

"Je m'appelle Jacob." se présenta-t-il avec un sourire accroché aux lèvres. Même son prénom est sexy, que voulez-vous que j'y fasse ?

"Ça te dirait d'aller t'amuser ce soir ?" Il haussa les sourcils de manière trop mignonne et je pris ça pour un oui.

*

"Envoie-nous d'autres verres Gary !" hurlai-je en continuant de boire cul-sec des verres. Une fois tous les verres disposés face à moi vides, je me relevai, triomphante. "J'ai gagné !" criai-je en levant les bras en l'air en signe de victoire. Jacob me jeta un regard dépité.

"C'est pas juste ! T'as triché !" s'énerva-t-il et je pouffai de rire en attrapant ses joues.

"Mais non, fais pas la tête Jay ! Je t'adore même si t'es un perdant." rigolai-je en déposant un chaste baiser sur ses lèvres. Il sourit alors et m'attira vers lui pour m'embrasser à pleine bouche.

"Woah, c'est chaud par ici." s'exclama la voix moqueuse de Lorenzo. On continua de s'embrasser, excluant sa présence. J'aimais embrasser Jacob, il était plus que bon à ça. Il avait de l'expérience. Mais Harry embrassait quand-même mieux que lui. BORDEL, pourquoi je pensais à lui quand j'étais à l'apogée de mon "bonheur" ? Pense à Jacob. Songe au plaisir que tu vas ressentir quand vous allez baiser ensemble. Harry ne me baisait pas, il me faisait l'amour. Énervée par mon comportement, je repoussai doucement Jacob. Il m'observa, semblant encore sur sa faim et je m'en foutais. "T'as pas vu Isa ?" m'interrogea Lorenzo. Assise sur les genoux de Jacob, je le fixai l'air de dire "tu nous déranges là".

"T'es encore là toi ?" le narguai-je mais il ne fit que lever les yeux au ciel.

"Tu sais où elle est, oui ou non ?" siffla-t-il. Je finis par acquiescer de la tête en lui montrant du doigt le bar. "Merci." Il partit puis ma proie me tira vers lui pour que l'on reprenne notre baiser.

La soirée s'envenima au fil des heures. Je buvais, je buvais, je buvais. Sans arrêt, sans réfléchir, sans regret. Harry, c'est qui déjà ? Je divaguais beaucoup. Je me souvins vaguement être monté sur une table, puis avoir entamé une chorégraphie digne d'une strip-teaseuse professionnelle. Après je me souvins aussi avoir enlevé mon haut pour me retrouver en soutien-gorge-jupe devant tous ces mecs en chaleur. Puis là, quelqu'un m'avait kidnappée.

Je me débattais de toutes mes forces contre la personne qui me portait sur son épaule.

"Lâche moi enculé ! J'espère que tu resteras puceau toute ta vie ! Retourne en Virginie, espèce d'hymen sur pattes ! La seule chose que tu fourreras toute ta vie, ce sera un beignet, espèce de bâtard !" hurlai-je à m'en exploser les poumons. On me jeta finalement au sol mais quelqu'un posa sa main sur ma bouche pour que personne n'entende. Je fermai les yeux et me secouai dans tous les sens mais il retenait aussi mes poignets. Je léchai sa main et il la retira en lâchant un cri de dégoût. "Si tu me violes, tu sauras la vérité sur Anzel Scott ! Je suis transexuelle ! J'ai un pénis et ouais, tu l'avais pas vu venir celle-là !" mentis-je. "T'es dégoûtée hein ?"

"Est-ce que tu pourrais fermer ta délicieuse bouche avant que je ne la ferme moi-même ?" s'agaça-t-il.

"Ha-Harry ?" bafouillai-je, encore éméchée. "Tu vas me violer ?" le questionnai-je en ouvrant les yeux. Il roula des yeux et me relâcha. Il enleva son t-shirt, me laissant admirer son torse tatoué puis me l'enfila malgré mes protestations. Mes paupières demeuraient à moitié fermées et les bordures de mes yeux devaient être rouges.

"Tu es trop imprudente Anzel." dit-il sur un ton fatigué. Fatigué de moi, je suppose. "Et si j'étais vraiment un homme prêt à abuser de toi à tout moment ? Tu serais bien trop ivre pour protester ou bien te défendre." Ma mémoire se mit en route et un souvenir refit miraculeusement surface.

"Mais l'an passé, qui m'avait ordonné de ne pas s'approcher de lui en étant prêt à profiter de moi ?" lui rappelai-je et il plaqua sa main à côté de mon visage, me faisant sursauter. J'entendis la chanson "It ain't me" de Selena Gomez et Kygo démarrer au loin.

"Je n'avais jamais eu l'intention de te toucher Anzel, si j'ai fait cela, c'était pour que tu t'éloignes de moi et évites de m'empoisonner."

"T'as dit quoi ?" balbutiai-je, incertaine de ce que j'avais entendu à la fin de sa phrase.

"J'ai dit que si j'ai fait toutes ces conneries, c'était uniquement pour que tu t'éloignes de moi et évites de me faire tomber amoureux de toi." clarifia-t-il.

"On avait pourtant dit que c'était terminé Harry." l'accusai-je et il fronça les sourcils.

"C'est bel et bien terminé mais je ne pouvais en aucun cas te laisser te pavanner en sous-vêtements et aguicher ces mecs. C'est ce qu'un ami ferait, n'est-ce pas ?" J'hoquetai, moqueuse :

"Ami, uh ?" Je ne pus réprimer un rire. "On ne sera jamais amis Harry, ce n'est pas entre les deux : c'est soit... soit l'un soit l'autre." avouai-je même si nous le savions tout au fond de nous.

"Que veux-tu dire ?" Il parut perplexe.

"Oh Harry, tu sais très bien de quoi je parle." chuchotai-je. "Soit nous nous voyons de cette façon, soit nous ne sommes rien l'un pour l'autre." Il baissa le regard sur le t-shirt que je portais, qu'il m'avait prêté. Ce t-shirt symbolisait son attachement pour moi. Harry le savait. Je le savais. Mais il fallait toujours qu'il le dénisse :

"Je n'y crois pas un mot." Menteur. "Nous pouvons être amis." J'ouvris la bouche mais il renchérit : "Seulement amis."

"Laisse moi rire." murmurai-je en lorgnant sa silhouette semi-éclairée par les lumières du plafond. Nous restâmes silencieux, s'observant. "Dans tous les cas, je n'accepterais pas que tu me mettes une troisième fois des bâtons dans les roues, ou bien même un bâton dans le trou." blaguai-je et je pouffai à ma propre blague. Harry rougit mais je n'en fus pas sûre à cause de la faible luminosité. Je repensai au passé, changeant de sujet. 

"Dis moi Hazzychou, tu saurais pas où se trouve Cody ?" Il m'épiait, la mine grave.

"Cody est dans le coma." répondit-il simplement.

"Attends quoi ?" Harry n'osa pas rencontrer mon regard. "Pourquoi ?"

"Je l'ai battu jusqu'à ce que son dernier os se brise." expliqua-t-il le ton si bas que je crus avoir halluciné. Ils s'étaient embrassés la dernière fois que je les ai vus alors pourquoi ?

"Et pourquoi au juste ?"

"Parce qu'il le méritait après tout ce qu'il nous a fait, c'est tout." Il haussa les épaules, indifférent. Il se fout de ma gueule là ?

"Nous ? Attends, il t'a fait du mal à toi et à quelqu'un d'autre ? Qui ?"

"A tout le monde mais surtout à moi, j'imagine." déclara une voix à notre gauche. On se tourna vers elle. C'était une fille que j'avais déjà vue. Mais son prénom m'échappait. "Désolée, je viens juste d'arriver et j'ai entendu ce que vous venez de dire. Enfin, de qui vous parliez. C'est pourquoi j'ai besoin d'éclaircir ce point."

"Malory... Tu n'es pas obligée d'en parler." la retint Harry, l'expression peinée. La dite Malory me jeta un coup d'oeil, elle avait l'air profondément attristée.

"Elle a le droit de le savoir, Harry." Elle inhala une grande bouffée d'air. "Tu vois A-Anzel, j-j'avais une soeur qui s'appelait Keithan." expira la jeune fille. "avais" ? Harry et elle ne me regardaient pas dans les yeux. Je surpris les poings fermement serrés d'Harry à trembler comme une feuille. "Cody l'a tuée." Sa voix chevrotante atteignit mes oreilles et j'entendis un sanglot sortir de sa bouche. Elle la couvrit vite mais trop tard, elle avait déjà fondu en larmes. Harry lui tapota dans le dos, le regard vide. Mes oreilles bourdonnaient et je craignais qu'elles n'aient supporté cette révélation qui fit dégringoler tout mon sang-froid.

Cody était un meurtrier ?

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