Deux heures plus tard, nous étions à un bar portoricain - qui faisait aussi boîte de nuit - que nous avait recommandés Doth. Le geste doux qu'avait eu Harry plus tôt avait beau avoir embelli mon humeur pendant quelques temps. Le seul hic, c'était que je ne cessais de voir Doth se rapprocher de plus en plus de lui ce qui m'avait vite fait redescendre de mon nuage. Nos baisers me manquaient, ses déclarations d'amour aussi niaises qu'elles étaient me manquaient, faire l'amour avec lui me manquait aussi. Putain, un jour sans sa présence et j'étais déjà complètement folle. Folle de lui.

Oui, il avait fallu qu'il me rende malade de jalousie, qu'il m'embrasse des milliers de fois, qu'il caresse affectueusement ma main et me sourit comme un cliché pour que je comprenne tout ce que je ressentais pour cet homme. Ah, c'est pathétique, soupirai-je. La cure que je m'étais imposée n'avait donc servi à rien. Mes sentiments avaient toujours été là, je les avais juste dissimulé sous un tas de terre. Je m'étais forcée à oublier, à les enterrer et à aller de l'avant mais, quoi que j'ai pu faire, ils ont demeuré et ils restent encore et toujours. Si, pendant un an, je n'ai pas pu l'oublier, je n'arriverai donc jamais à surpasser mon amour pour cet homme. La seule conclusion qui traversa mon esprit fut à la fois un soulagement et une traversée d'adrénaline :

Je suis amoureuse de lui. Éternellement.

Nous étions tous ensemble assis autour d'une table. Harry ne m'avait toujours pas adressée un mot et je sentais que j'étais en train de faire une overdose de « Darry. » L'ambiance était plutôt légère pour les autres, j'étais la seule qui n'étais pas d'humeur à faire la fête. Je me contentais de fixer Harry qui faisait semblant de ne pas m'avoir vu lui lancer des couteaux avec les yeux.

"Et donc, qui pour un action ou vérité ?" lança Doth en tapant des mains avec enthousiasme. 

"Allez." répliqua positivement Hakeem en posant son verre de rhum sur la table. 

"J'suis pour ! J'ai plein de bonnes idées pour les actions." rit presque machiavéliquement Malory en se frottant les mains et en regardant Azkan. Ce dernier la considérait étrangement. "Ecrivons les actions et vérités sur des papiers qu'on mettra dans deux gobelets différents !" Son idée était plutôt bonne mais je n'avais pas vraiment envie de jouer à ce jeu. Qui sait, les questions pourraient porter sur des sujets fâcheux et les actions pourraient être... ambiguës.

"Oh et, par pitié, celui qui écrit un truc du genre "qui est ton crush", je le jette dans un bain d'acide." grogna Azkan et les autres pouffèrent de rire. Il fallait que l'on trouve juste les matériaux nécessaire. Les gobelets furent remplacés par des verres, Malory nous prêta des feutres indélébiles. "Mais putain, personne trouve ça bizarre qu'elle ait des marqueurs dans son sac ?" s'exclama Azkan, incrédule. 

"J'ai amené ça pour écrire sur le visage du premier qui s'endort ce soir." Elle le fusilla du regard. "Finalement, il ne sera destiné qu'à une seule et même personne, je te laisse deviner qui." souligna-t-elle puis elle lui sourit avec une hypocrisie digne d'un sketch comique. Doth prêta des feuilles de papier qu'elle avait arraché d'un bloc-notes qui se trouvait dans son sac à main. J'écris deux ou trois actions, trouvant des idées farfelues par-ci par-là mais, pour les questions, je laissais les autres s'en charger ; ils avaient l'air beaucoup plus inspirés que moi.

Quand tout le monde eut fini, la partie commença.

"Harry, action ou vérité ?" le questionna Doth en battant des cils. Pétasse. Les magnifiques yeux de mon homme croisèrent les miens. Je sentais qu'il y avait une tension indescriptible entre nous, comme si nous avions un lien invisible qui s'établissait par nos yeux.

"Action." choisit-il, sans briser le contact de nos regards. Sa langue passa lentement le long de ses lèvres et ses pupilles se dilatèrent. Oh, je le voyais. Dans son regard, nous étions tous les deux, sans vêtements, connectés l'un à l'autre, se faisant plaisir sans aucune limite. Ses yeux se détachèrent lorsque Doth secoua le verre des actions devant lui. Je soupirai. Sa main fouilla quelques secondes dans le verre puis, il en sortit un papier. Il le déplia puis lit. "Roule une pelle pendant quinze secondes à l'une des personnes ici présentes. Sérieusement ?" grogna-t-il. Je vis Doth frétiller dans son coin, ne pouvant s'empêcher de sourire tout en hyper-ventilant. Mes sourcils se froncèrent et ma colère s'éveilla d'autant plus. S'il allait embrasser Doth, je vous jure que j'allais exploser. Vacances ou pas vacances.

A ma surprise, Azkan, assis à côté de Malory, se rapprocha d'elle et enroula son bras autour de sa taille de manière possessive. Cela ne semblait pas déranger Malory qui, par ailleurs, se blottit contre lui en embrassant chastement sa joue. Soit ces deux-là étaient compatibles en terme de bipolarité, soit ils étaient en couple et se disputer était leur manière de communiquer. Les deux possibilités étaient tout à fait plausibles, j'imagine.

Harry épiait tout le groupe du regard, mais ses yeux se fixèrent sur moi. Il ne bougea pas avant de se lever et d'avancer vers le canapé sur lequel Doth et Hakeem étaient assis. Mon sang ne fit qu'un tour et, d'un seul geste, ses lèvres s'étaient soudées à celles d'Hakeem. Personne ne bougea, comme si le temps s'était ralenti. Le métisse ne bougeait pas, les yeux écarquillés. Au bout d'une quinzaine de secondes, Harry s'enleva de lui et s'essuya les lèvres.

"Mais... Je... Tu... Qu'est-ce qui vient juste de se passer ?" bégaya Hakeem.

"Dites-moi que je rêve, Haky est finalement réel !" s'écria Malory en regardant le ciel, les mains jointes. Azkan éclata de rire, jusqu'à se tenir le ventre, je crus voir des larmes couler le long de ses joues tant il riait.

"Oh mon dieu. On savait déjà tous qu'Harry était bisexuel mais Hakeem... Mec, il ne t'a même pas repoussé."

"C'était juste un baiser. Vous allez vous en remettre." se moqua le bouclé en roulant des yeux. Je ne sais pourquoi, la scène n'était pas vraiment drôle à mes yeux... Ni même à ceux de Doth, la pauvre, elle était toujours abasourdie par ce vent phénoménal que lui a mis Harry. C'était la seule chose qui me fit lâcher un petit rire discret.

Harry revint à sa place et le jeu reprit. Azkan dut boire cinq shoots d'alcool cul-sec, Doth fut obligé de nous raconter tous les détails de sa première fois (ce qui fut très ~ gênant et encore, le mot est faible) et Hakeem a du aller tirer cinq numéros à cinq différentes filles ce qu'il réussit avec succès. C'était au tour de Malory, elle avait choisi Action et devait donc séduire un garçon en employant tous les moyens possibles : elle choisit Azkan. Quelqu'un me cacha les yeux et je ris en essayant d'enlever les mains.

"C'est un peu trop adulte pour toi, petite." susurra Hakeem à mon oreille alors que les autres sifflaient et acclamaient Malory qui faisait l'aguicheuse.

"Je ne suis plus innocente Hakeem, ce temps-là est terminé, j'ai déjà vu d'autres-- C'est fini ?" l'interrogeai-je, changeant, j'espérais discrètement, de sujet. Ses mains s'ôtèrent de moi mais ses yeux m'épiaient avec suspicion. J'évitai son regard mais je savais qu'il m'observait encore.

"C'est à toi Anzel. Action ou vérité ?" 

"Action." choisis-je, après mure réflexion. Ma main plongea et fouilla hasardement dans le verre pour en ressortir un papier froissé. Je le dépliai et le lis. Dépose du sucre sur le torse du garçon de ton choix et lèche-le avec ta langue. "Je choisis vérité finalement." marmonnai-je en posant le papier sur la table.

"Ah non !" protesta Doth. "C'est pas drôle de changer d'idée après avoir lu le papier." argumenta-t-elle, les sourcils froncés. J'inspirai, puis expirai un grand coup, me retenant de faire quelque chose que je n'aurais pas regrettée. Je regardai Harry puis Doth et enfin les autres avant de pousser un soupir.

"Harry ?" l'appelai-je en me tournant vers lui. Je fus un peu troublée en m'apercevant que ses yeux ne m'avaient pas quittés, son visage restant neutre. "Enlève ton tee-shirt s'il te plait." Quelques secondes passèrent, pendant lesquelles tout le monde me scrutait avec curiosité jusqu'à ce que Doth ne s'interpose encore une fois :

"Attends, on veut d'abord savoir ce que tu vas faire." Par "on", elle voulait dire "je" mais je laissais cette pensée dans un coin de ma tête, ne désirant pas empirer mon humeur déjà bien assez médiocre.

"Je vais lécher Harry." déclarai-je et, à ces mots, Azkan recracha sa boisson. Malory lui tapotait dans le dos alors qu'il s'étouffait. Doth semblait horrifiée. "Je dois déposer du sucre sur le torse d'un des garçons et le lécher et j'ai choisi Harry. C'est tout." Je roulai des yeux avec agacement. Mes joues rougirent quand-même malgré moi à la pensée de moi, sur Harry, dans une position sexuelle tout bonnement divine. Je m'humectais les lèvres, mes orbes marrons zonant sur le bouclé en question. Oh putain, il enlevait son tee-shirt. Ses abdominaux se contractèrent et l'encre qui y résidait semblait m'attirer irrésistiblement vers lui. Je partis demander au barman un sachet de sucre qu'il m'offrit avec un sourire. 

Revenant à la table, je déchirai le sachet et mes yeux entrèrent en contact avec ceux d'Harry. Je posai mon genoux sur le canapé qui s'affaissa. Je versai le sucre sur ses pectoraux et un peu sur son ventre. La respiration d'Harry se coupa, je levai les yeux, m'apercevant à quel point nous étions proches. Ses fossettes apparurent alors qu'il me sourit. J'avais envie de l'embrasser à pleine bouche. A la place, je me penchai sur lui et ma langue lapa son torse sucré. Le goût de sa peau était plus délicieux que ce saccharose. Je sentais qu'Harry était tendu. Il devait lui aussi ressentir cette attraction insupportable. Je ne pouvais plus m'arrêter ; léchant, embrassant sa peau parsemée de granulés, jusqu'aux derniers grains. 

Comme dans un état second, je me relevai, les paupières à demi-fermées et je m'avançai, juste pour goûter les - j'en suis sûre - succulentes lèvres d'Harry. Le dos de sa main m'arrêta, et je revins à moi-même, une impression de déjà-vu en tête. J'entendis alors Malory s'écrier :

"Ah bah putain, j'ai jamais vu un truc aussi chaud." 

"Pourtant t'as déjà vu mon Azkanator." 

Il y eut un blanc. Doth ne disait pas un mot, regardant juste Harry et Hakeem ne se trouvait plus dans la pièce. Harry remettait son t-shirt, alors que je m'humectais les lèvres pour rassembler mes esprits.

"Alors, c'est la deuxième chose la plus chaude que j'ai jamais vue." dit Malory après avoir réfléchi. Je lâchai un rire nerveux. Mon cœur brûlait hargneusement puisque je repensai au rejet de la part de celui que j'aime. Pourquoi est-ce que tout est si compliqué ? Il tenait à ce que nous cachions cette "relation" alors que cette dernière tenait à peine debout. Elle était trop fragile pour être autant réprimée. "Du coup, c'est à toi Harry." continua la décolorée. Harry choisit Action.

"Monter dans une chambre avec une des filles pendant cinq minutes." lit-il à voix haute. Silence. Je n'osais pas lever les yeux. Par la suite, tout s'écroula lorsqu'Harry prononça le prénom de Doth. Comme si le ciel me donnait un signe, mon cœur céda. Je posai ma main sur ma poitrine, serrant l'habit qui cachait mes sentiments sur le point de déborder. Je craquai, me laissant sombrer dans cette noirceur si familière. Dans un regard dénué de tout sentiment, je scrutai Harry qui prenait son nouveau jouet par le bras. Il se retourna, ses yeux captivant intentionnellement les miens. 

"À quoi tu joues ?" chuchotai-je, même s'il ne pouvait m'entendre. Il resta impassible ce qui ne put m'indiquer s'il m'avait comprise. Est-ce que tout était sur le point de se répéter ?

Deux minutes s'écoulèrent pendant lesquelles Hakeem était revenu et le couple décoloré était parti danser. Je devenais malade. Malade de les imaginer ensemble, de l'imaginer elle poser ses lèvres là où je devrais poser les miennes. Je devais me calmer, il fallait que je fasse confiance à Harry. La dernière fois, j'avais été trop impulsive et résultat, un énorme quiproquo s'était créé.

"Ça ne te met pas en colère ?"

Je relevai la tête. 

"De quoi ?" Hakeem observait mes réactions.

"Doth." Il marqua une pause. "Avec Harry." 

Est-ce qu'il savait ?

"Pourquoi ?" feignis-je. 

"Je sais pas, j'me souviens vaguement que vous étiez sortis ensemble malgré le fait qu'Harry était--" Il s'interrompit, comme s'il s'apprêtait à dire un secret.

"Gay, c'est ça ? Enfin, bisexuel plus précisément." Il demeura muet. Il était inutile de cacher plus longtemps cette vérité évidente alors je décidai de dévoiler toutes mes cartes. "Hakeem, j'aime Harry. Il est l'homme de ma vie alors oui. Oui, ça me rend furieuse de le voir au bras d'une autre. J'y peux rien mais j'embrasse ce sentiment de jalousie qui nous prouve, à Harry et à moi, à quel point je suis folle de lui." susurrai-je avec douceur. Il semblait décontenancé, ne sachant que dire ou que faire. "Je ne sais pas ce que tu ressentais à propos de... de tout ça mais je ne tiens pas à ce que tu te fasses de fausses idées alors je préfère te dire la vérité : je suis amoureuse de Harry, depuis le premier jour où ses yeux ont captivé les miens." 

Hakeem eut un air embarrassé avant de soupirer humoristiquement : 

"Pour une fois que j'allais sortir le grand jeu." 

J'eus alors un rire gêné qu'il me rendit avec plus d'honnêteté que ce que je ne pensais.  Ne pouvant plus attendre, je me levai et traversai les quelques mètres qui me séparaient des escaliers. Je les montai alors, les yeux observant mes pieds et, alors que j'atteignais le haut des marches, je me heurtai à quelqu'un. Je m'excusai mais je ne reçus aucune réponse de la part de cette personne. Elle descendit les escaliers à toute vitesse et, malgré la faible luminosité, je reconnus le dos de Doth. Avant qu'elle ne parte sur la piste de danse, son visage se tourna vers moi et elle avait l'air étrange. Comme bouleversée. Mes poings se serrèrent, dans l'insécurité. Je dois faire confiance à Harry, me rappelai-je.

Je me retournai et, cette fois-ci, ce fut Harry qui me rentra dedans. C'est quoi cette manie de ne pas regarder en face de soi ?

Il ne bougea pas. Devant moi, il avait l'air assez étrange lui aussi mais cette fois-ci, on aurait dit de la nervosité.

"Que se passe-t-il ?" murmurai-je. Il attrapa sa lèvre inférieure de ses dents avant de déclarer le plus simplement possible :

"On s'est embrassé."