Chapitre 99
Après avoir rassuré Christian au téléphone, en omettant de lui parler de l'homme étrange que j'ai croisé au restaurant, je décide de descendre attendre Jared devant l'entrée de l'immeuble. Inutile de créer une polémique avec ma patronne. Je m'assois sur le rebord du muret et consulte mes messages. Tony a décidé d'emmener Josie faire un petit voyage en amoureux. Evidemment, elle est plus que ravie et me balance plein de smileys. Ça, c'est de la stratégie made in Tony. Il faut dire qu'avec leur boulot respectif, ils ont peu de temps à consacrer à ce genre d'escapade. Et je pense que ma meilleure amie est bien trop heureuse que son homme décide de lui accorder du temps, pour se poser des questions à propos de cette envie soudaine.
Je suis soulagée qu'elle est autre chose à penser et à faire. En ce moment, elle se fait bien trop de soucis pour moi. Elle va finir par péter une durite. Je lui envoie un petit message pour lui partager mon enthousiasme et la rassurer sur ma capacité à vivre sans elle quelques jours. J'ai encore la tête plongée dans mon téléphone quand j'entends le vrombissement caractéristique d'une voiture de luxe à quelques mètres de moi. Jared passe la tête par la vitre entrouverte et me fait signe de monter. Il ne prend même pas la peine de se déranger.
Je marmonne un juron pour moi-même et contourne le bolide. Je me laisse tomber sur le siège, sans un regard pour lui.
- Toujours d'humeur massacrante, princesse ? Le prof de yoga te met les nerfs en pelote ?
Je pince les lèvres et m'obstine à regarder dehors. Il laisse échapper un petit rire avant de démarrer.
- Allez, vu que tu as réussi à me mettre de bonne humeur, j'ai décidé de t'inviter à la meilleure table de la ville.
- C'est bien trop généreux, patron.
J'ai bien insisté sur le dernier mot pour montrer à quel point il m'agace.
- Je sais, je suis un mec génial.
Et modeste aussi. Quel con.
Le trajet se passe dans un silence de mort, mais je sais qu'il me regarde. Il doit se repaître du spectacle. Ou il est en train d'élaborer une de ses remarques mesquines qui tapent là où ça fait mal.
- Alors, dis-moi, c'est quoi le sujet de votre dispute ? Le fait que tu travailles pour moi, c'est ça ? Chris se sent en danger ?
Qu'est-ce que je disais.
- Je t'ai déjà dit que mes problèmes de couple ne te regardent pas.
- Oh ! Je vois. Divergence de points de vue alors. Et tu lui reproches quoi exactement ? Parce que j'ai cru comprendre que tu n'aimais pas qu'il voit d'autre femmes.
Je grogne en guise de réponse. Parce qu'en fait, cette partie de notre échange n'était pas du tout surjouée. Je n'apprécie vraiment pas qu'il continue à recevoir des femmes pour des thérapies. Je me rappelle très bien en quoi elles consistent et franchement, ça me donne la gerbe à chaque fois que j'y pense. J'en parlerai bien avec Christian mais je crois que pour l'instant, on a des choses plus graves à régler.
- J'imagine que ça a un rapport avec son autre activité.
Je tourne vivement la tête vers Jared. Son sourire narquois ne laisse aucun doute sur le pourquoi de cette remarque. Il veut me mettre mal et me faire comprendre qu'il est au courant de tout.
- Je suppose que tu as dû en bénéficier.
Cette fois, je deviens blanche comme un linge. Comment ? S'il est au courant de ça, il doit savoir que je suis amie avec Josie et du coup, il doit connaitre mon lien avec Tony. On est dans la merde !
- Comment es-tu au courant ?
Son sourire s'élargit et il me lance un regard en coin.
- Je ne le savais pas. Tu viens de l'avouer.
Putain de merde. J'hésite entre la honte et le soulagement. Il était moins une. Je baisse la tête pour fuir ses yeux inquisiteurs. Sa main se pose sur ma cuisse et je sursaute.
- Ne sois pas gênée, Michelle. Je comprends. Un beau mec qui te propose ce genre de services, difficile de ne pas lui tomber dans les bras. Mais crois-moi, tu n'as pas choisi le bon cheval. Il ne peut que te faire souffrir.
J'ai envie de lui crier que non, qu'il a fait exactement l'inverse, que grâce à lui je deviens meilleure. Sauf que je me rappelle que je suis sensée être en plein doute et ça me fend le cœur de sortir la phrase qui me passe par la tête.
- Je tiens à lui. Mais il y a des choses dans sa vie avec lesquelles j'ai beaucoup de mal.
Je reste évasive, mais ça lui semble suffisant. Il ne relance pas le débat et se contente d'allumer la radio pour combler le silence qui s'installe.
Quand on arrive au restaurant, je me dis que je ne suis vraiment pas habillée pour aller déjeuner dans cet endroit. Mais Jared ne semble pas s'en soucier et me guide fermement à l'intérieur. Un serveur nous accueille, salue mon guide avec déférence et nous amène à une table, un peu à l'écart.
- Deux verres de champagne, Éric.
Je le regarde bizarrement. Il me fait quoi là !
- Je t'ai dit, tu m'as mis de bonne humeur. Et puis, je voulais fêter le début des travaux. Tu as pu obtenir de meilleurs délais ?
- Oui, réponds-je en soupirant. Nous pourrons commencer dans deux jours si ça vous convient.
- Excellent. J'en informe tout de suite Suarez pour qu'ils préparent les congés de toute l'équipe. Trois semaines, c'est ça ?
J'acquiesce d'un hochement de tête.
- Je suppose que ce sera sans solde, ajouté-je d'un ton ironique.
Jared fronce les sourcils.
- Tu me prends pour qui ? Evidemment qu'ils seront payés. Je tiens à garder l'équipe. Elle fonctionne à merveille. C'est elle qui fait la réputation du restaurant. Je vais juste diminuer un peu leur salaire durant ce mois-là. Mais pas question de leur donner une raison de me quitter.
J'en reste bouche bée. Mince, cette remarque était vraiment déplacée. Une pointe de culpabilité envahit mon cœur. En fait, je ne le connais qu'à travers le prisme de son aversion pour Christian. En dehors de ça, je ne sais pas qui il est. Evidemment, Tony m'en a fait un portrait peu flatteur lui aussi. Mais après tout, beaucoup de personnes pensent que Christian n'est pas bon pour moi, y compris l'intéressé lui-même. Pourtant, je sais qu'entre nous, il y a quelque chose de spécial qui vaut largement la peine que je me donne. Alors, je peux bien accorder le doute à Jared sur certains points, tout en restant sur mes gardes.
- Je suis désolée. Je n'aurais pas dû te juger aussi sévèrement. Je ne sais rien de ta vie et je n'ai pas à porter un regard aussi négatif sur ce que je ne connais pas. C'est tout à fait injuste.
Ses sourcils se lèvent. Il semble surpris par ma réaction. Mais rapidement, son masque de petit con refait son apparition.
- Quand on couche avec un traitre, difficile de ne pas devenir aussi aigrie et fourbe que lui.
- Là, c'est toi qui es injuste.
- C'est ce qu'il te fait croire.
Je le fusille du regard. Même si je dois me montrer moins enthousiaste vis-à-vis de ma relation avec Christian, je ne peux décemment pas le laisser salir son nom de la sorte. Tant pis si je fais moins crédible.
- En fait, tu es totalement accro. Tu te prends la tête avec lui parce qu'il veut tout décider à ta place, mais qu'il refuse de sortir de son petit confort. Et pourtant, tu es toujours là à le défendre.
- Tu ne peux pas comprendre, me renfrogné-je. Toi tu ne le vois qu'à travers les reproches que tu t'acharnes à tourner et retourner dans ta tête. Moi, je suis amoureuse de lui. Et puis, je ne suis même pas sûr que tu saches ce que ça veut dire réellement.
Son regard se durcit et je me mords aussitôt les lèvres. Merde, merde. Michelle et son côté « je mets les pieds dans le plat ». Il faut vraiment que j'apprenne à tenir ma langue. Heureusement, je suis sauvée par le serveur qui nous ramène les coupes et les menus. Jared ne détache pas son regard de moi pour autant. Il congédie d'un geste le serveur en commandant le menu du jour, sans même me demander mon avis. J'avale une gorgée de champagne pour masquer mon trouble.
- Comme tu disais juste avant, tu ne connais rien à ma vie. Alors abstiens-toi de tes commentaires foireux. J'étais de bonne humeur et je veux le rester. Alors je vais me contenter des bonnes nouvelles, à savoir que les travaux commencent sous peu et qu'entre toi et cet abruti, ça va moins bien que tu veux bien le laisser croire.
Je voudrais répliquer mais je sais que cela n'aura pas l'effet désiré. Alors je me contente de soupirer et de lever mon verre.
- Au chantier.
- Au chantier, réplique-t-il avec un sourire en demi-teinte.
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