Chapitre 98
Jared a changé d'humeur. De taciturne, il est passé enthousiaste.
- Nous commencerons les travaux dès que possible. Je tiens à ce que cet endroit me ressemble le plus vite possible. Et puis, devoir partager le bureau avec Suarez ne me plait pas. Il faudra prévoir un autre endroit pour lui.
Cette réflexion attire mon attention. Pourquoi ne veut-il pas partager son espace avec le gérant du restaurant ? après tout, Suarez a plus de légitimité à l'utiliser que lui. Jared n'est que le propriétaire. Ça m'étonnerait qu'il ait décidé de changer de métier. Au moins qu'il ait choisi d'investir le bureau pour y traiter d'autres affaires.
- Il va falloir que je modifie un peu la configuration des lieux. Vous commencez à vous plaire ici ? Vous voulez vous y installer définitivement ?
Il me lance un regard suspicieux. Merde, je suis en train de lui mettre le doute.
- Je crois que ça ne te regarde pas. Fais ce que je te demande et c'est tout. Je gère mes affaires comme bon me semble.
Hé ben voilà ! J'ai tout gagné. A vouloir faire ma maligne, je l'ai mis sur le qui-vive. Je laisse mes épaules s'affaisser. Je savais que ça allait être difficile mais je ne peux m'empêcher de redouter un retour de bâton si jamais il comprend à quel jeu je joue. Je sors mon téléphone et scrute l'écran. Peut-être devrais-je faire machine arrière et accepter la proposition de Christian. Quitter la ville, mettre de la distance avec cet homme est sans doute la solution la plus sûre.
- Tu vas le rappeler pour te répandre en excuses, je parie.
Le ton sarcastique de sa voix me sort de mes réflexions. Je range mon smartphone aussitôt.
- Je t'ai déjà dit que ma vie privée ne te regarde pas.
- Donc quand tu es en colère, tu me tutoies, ironise-t-il. Je ne sais pas ce que je préfère le plus. Te voir en colère contre ton imbécile de petit ami ou t'entendre me vouvoyer comme si j'avais tout pouvoir sur toi.
Un frisson de dégoût me parcourt. Il joue avec mes nerfs avec une telle aisance que j'en suis toute retournée.
- Pense ce qu'il te plait ! Enfin je veux dire...
Un rire méchant remonte de sa gorge.
- Non, en fait, ce que je préfère, c'est te voir te débattre avec tout ça. C'est franchement amusant.
Je lui lance un regard noir et pars vers la sortie. Il me rattrape en quelques enjambées et se place entre la porte du restaurant et moi.
- Où comptes-tu aller, princesse ? Je n'en ai pas fini avec toi.
- Moi si. Sauf si tu as autre chose à rajouter pour le projet. Dans le cas contraire, je retourne à mon travail. Je ne suis pas là pour te servir de distraction.
Il avance vers moi et ses doigts viennent caresser l'ovale de mon visage. Je réprime avec difficulté un mouvement de recul.
- Pourtant, tu le fais à merveille. Si je m'écoutais, je te garderais ici, le jour comme la nuit. Et dieu sait que j'aimerais savoir ce que tu donnes une fois le soleil couché.
Je serre la mâchoire et refoule une nausée.
- Jared.
Une voix masculine vient d'interpeller mon harceleur. Ce dernier s'est tendu en l'entendant. Dans un mouvement rapide, il fait volte-face et je peux voir qui l'a mis si mal à l'aise. Deux billes noires fixent durement l'homme à mes côtés, avant de glisser vers moi et d'y déverser une noirceur sans nom. Mon sang se glace sous l'effet de ce regard. Je retiens mon souffle tandis qu'il me détaille sans sourciller.
- Je vois pourquoi tu disais être occupé ce matin. Une de tes conquêtes ?
- Non, répond-il sèchement. Elle travaille pour moi.
- Intéressant.
Moi, je dirais plutôt, mauvaise nouvelle pour moi. Tout à coup, Jared ne me semble plus aussi impressionnant et dérangeant. Cet homme me fait cent fois plus flipper. Je sens une main se refermer sur mon épaule pour m'obliger à détourner le regard.
- Je passe te chercher pour déjeuner et pas de refus. C'est clair ?
Je me contente de hocher la tête tellement je suis perturbée par cette rencontre. Quand Jared me relâche enfin, je me sauve aussi vite que je peux. Je suis obligée pour cela de passer près de l'homme au regard si dérangeant. Derrière lui, je découvre deux brutes épaisses, aux mines patibulaires. Une idée traverse aussitôt mon esprit. Se pourrait-il que cet homme soit une des relations douteuses de Jared ? Dans ce cas, je ferais mieux d'imprimer son visage dans mon esprit pour en faire part à Tony. Je tourne légèrement la tête vers lui et constate avec effroi qu'il me suit du regard tandis que je franchis la porte de sortie. Je dévie immédiatement mon regard vers Jared pour constater qu'il fronce les sourcils. Mais je ne lis pas de la colère, mais plutôt une certaine inquiétude. Bizarrement, ça me rassure. J'ai sûrement mis le doigt sur un élément important pour la suite de notre plan. Je quitte enfin ce lieu maudit et me dirige à grands pas vers l'arrêt du tram. Dès que je ne suis plus à portée de vue, je sors mon téléphone et tapote nerveusement le numéro.
- Oui ?
- Tony, je crois avoir trouvé quelque chose d'intéressant.
Un bruit de fond me fait comprendre qu'il se déplace. Sûrement pour garder notre conversation secrète.
- Je t'écoute.
- Je sors du restaurant. Je crois qu'il a mordu à l'hameçon, mais il reste sur ses gardes.
- Il fallait s'y attendre. Je t'ai dit que ça allait prendre un peu de temps.
- Oui, je sais. C'est assez éprouvant.
- Michelle, tu sais, il n'est pas trop tard pour trouver une autre solution.
- Comme quitter Christian ? Non, impossible.
Je l'entends soupirer avant de reprendre d'un ton assuré.
- Alors, qu'est-ce que tu as trouvé ?
- En fait, j'ai croisé un homme en sortant. Jared n'avait pas l'air ravi de le voir. Et je t'avoue que moi non plus. Ce mec m'a fichu une frousse bleue. Il y a quelque chose de... terrifiant dans son regard.
- Il a dit quelque chose de précis ? N'importe quoi qui pourrait nous aider à l'identifier ?
- Non, pas vraiment. Mais si tu as des photos des gens douteux qui tournent autour de Jared, je suis certaine de pouvoir l'identifier.
Un silence pesant s'installe. Tony va-t-il continuer à me soutenir dans ce projet ? Je le sens de moins en moins convaincu. Mais il doit m'aider. Sans lui, ce sera voué à l'échec.
- Ok. Je t'envoie ça sur ton mail. Mais dès que tu as fini, tu vires tout ça de ton ordi. Il ne doit rien rester.
- Oui, oui.
- On doit être plus prudent, Michelle. Achète-toi un téléphone prépayé et rappelle-moi avec. Nous devons garder nos liens secrets. Tu devras garder tes distances avec Josie aussi. Je ferais en sorte qu'elle n'essaie pas de te contacter dans les prochains jours.
- Ok.
J'accuse un peu le coup, mais je savais qu'on allait arriver à là. Tony m'avait prévenu.
- D'autant plus qu'elle devient particulièrement curieuse au sujet de Jared.
Ah oui ! Mince ! Elle essaie de trouver des infos sur lui pour le faire chanter. Je me rends compte que Tony et elle ont eu quasiment la même idée.
- En fait, je crois qu'elle essaie de faire la même chose que moi.
- C'est-à-dire ?
- Trouver des informations compromettantes sur Jared.
- Je comprends mieux son attitude maintenant. Je la trouvais un peu trop... enthousiaste et bavarde.
- Plus que d'habitude, tu veux dire ? pouffé-je.
- Oui, c'est ça. Il va falloir que je la canalise elle aussi. Tu m'en donnes du travail, se moque-t-il.
Le pauvre. Il essaie de m'aider et se retrouve dans des tirs croisés.
- Merci, Tony.
- Il n'y a pas de quoi. On n'a encore rien fait.
- C'est vrai mais au moins tu me donnes une porte de sortie.
- Assez périlleuse, malheureusement, soupire-t-il. Au fait, j'ai été obligé de laisser le détective enquêter sur toi. Je vais faire en sorte d'éliminer toutes les informations qui nous relient, Josie et moi, à toi. Mais pour le reste...
- Oui, ne t'inquiète pas. Je vais gérer.
- Il va trouver la faille, tu sais. Il va se faire un plaisir de s'en servir.
L'image de Nathan apparait aussitôt dans mon esprit. Il est ma faille, la faiblesse de ma vie. Jared va s'en servir contre moi et je ne pourrais rien faire à part subir.
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