Chapitre 96


Plus Tony m'explique son plan, plus l'espoir qui venait de naître en moi fond comme neige au soleil.

- Tu vas devoir en informer ton petit ami si on veut que ça marche, conclue-t-il.

- L'informer ne suffira pas. Il faudra que je le convainque.

Et cette idée me fout franchement les jetons. Au fur et à mesure que je me rapproche de l'immeuble où je travaille, je sens mon estomac jouer au yoyo. Il ne va jamais être d'accord. Alors que je tourne à l'angle de la rue, je me fige. Christian est déjà là, appuyé contre la portière de sa voiture, les mains dans les poches. Il m'attend. Sauf qu'il croit que je suis encore à l'intérieur. Je sens que ça commence mal. Je me rapproche de lui discrètement pour pouvoir me préparer à la confrontation.

- Salut.

Il sursaute presque en m'entendant parler à côté de lui. Ses yeux de jade me dévisagent un instant.

- Michelle ? Mais d'où sors-tu ? Je n'ai pas bougé de là depuis bien un quart d'heure !

- Je n'étais pas à l'intérieur, avoué-je, en mordillant ma lèvre.

- Mais tu étais où ?

- En ville.

- Quoi ?

La stupeur fait place à la colère.

- Mais on avait convenu que... Tu t'es mise en danger, bon sang !

- C'était pour la bonne cause, soupiré-je. Viens, je t'expliquerai en chemin.

J'ouvre la portière et le regarde avec insistance. Devant mon attitude ferme, il contourne la voiture, sans rien dire, et entre dans l'habitacle. Le véhicule s'élance sur la route et les mots coulent de ma bouche, sans discontinuer. Christian m'écoute attentivement, n'intervient pas, mais je le sens se tendre au fur et à mesure que je parle. Quand j'arrive à la fin de mon exposé, je crois bien qu'il lutte intensément pour ne pas sortir de la voiture pour aller se défouler sur quelque chose ou quelqu'un. Il se gare enfin en bas de chez moi mais il n'a toujours pas décoché un mot.

- Christian, il faut que tu me dises quelque chose, n'importe quoi, mais j'ai besoin de savoir que ce que tu ressens.

Ses mains sont crispées sur le volant et son regard se perd au loin.

- Je refuse que tu risques quoi que ce soit à cause de moi. Je t'en demande déjà beaucoup trop et là tu veux jouer les appâts. Non, je ne peux pas l'accepter.

Je m'y attendais. Mais malheureusement, après avoir tourné la chose une centaine de fois dans ma tête, je ne vois guère d'autres solutions.

- Et tu suggères quoi comme solution de secours ? Parce que j'ai beau réfléchir, je n'en vois pas d'autres.

Il ne dit rien, bien conscient qu'on est dans une impasse. Jared est un pitbull acculé qui ne peut que mordre. Plus de discussion possible, plus d'échappatoire à cette confrontation inévitable qui va nous détruire. Soudain, Christian se tourne vers moi, le regard plein d'espoir.

- On n'a qu'à partir, tous les deux, loin d'ici et de toutes ces merdes. Jamais je n'aurais dû revenir. Le passé, c'est le passé. J'ai essayé de réparer et ça n'a fait qu'empirer. A vouloir retisser des liens avec ceux qui ont compté pour moi, je n'ai fait que creuser un peu plus le gouffre entre nous. Alors, à quoi bon continuer de me leurrer. Je n'ai plus ma place dans cette ville. La seule chose qui me retient, c'est toi. Alors viens avec moi.

Je reste bouche bée devant sa proposition. Il veut vraiment que nous partions, tous les deux. Il veut refaire sa vie ailleurs, avec moi. Je suis à la fois flattée, émue et bouleversée. Parce que contrairement à lui, je ne veux pas quitter cet endroit. J'y ai mes racines, ma famille, mes amis. J'y suis bien malgré tout ce que j'ai pu traverser.

- Christian...

Ma voix s'éteint. Je me sens mal parce que j'aimerais tellement lui répondre oui, mais je ne peux pas. Il baisse les yeux et se détourne.

- Je sais. A quoi je pensais ? Evidemment, que tu ne veux pas. Toi, tu as des gens qui t'aiment ici. Tu as ta vie. Et moi, comme un idiot d'égoïste, je te demande de tout quitter pour me suivre.

Je saisis son visage entre mes mains pour l'obliger à me regarder.

- J'aurais aimé aller au bout du monde avec toi. Sois en sûr ! Mais fuir ne résoudra rien. On doit l'affronter et le mettre au pied du mur. Il faut qu'il comprenne que sa vendetta doit cesser et qu'il doit passer à autre chose. Ce sera bénéfique autant pour lui que pour nous.

Son regard vacille. Je vois bien la douleur qui le traverse. Tant de culpabilité pour une seule personne, un seul cœur, ce n'est pas bon.

- Très bien. On fera comme tu l'as décidé. Mais je veux que tu sois très prudente. Tu t'engages sur un terrain très glissant. Je ne supporterais pas qu'il t'arrive malheur.

Je lui souris tendrement et dépose un baiser chaste sur ses lèvres.

- Merci de me faire confiance. Tout va bien se passer.

- Si seulement tu avais raison, soupire-t-il.

Je passe une main apaisante sur sa joue. Il s'y appuie et maintient mes doigts un peu plus longtemps contre elle. Ses yeux se ferment. Il pourrait tellement fragile à cet instant. Enfin, il se redresse et prend une grande inspiration.

- Allons chercher tes affaires.

Je hoche la tête et sors de la voiture.

La soirée s'est passée tranquillement. Sans heurt, sans accro. Calme, bien trop calme. Comme si nous nous préparions à ce qu'il allait se jouer dans les prochains jours. Même si je me montre forte et sûre de moi, je flippe à mort. Je vais devoir jouer la comédie devant Jared et je ne sais pas si je vais être crédible. Et puis, comment faire en sorte qu'il est assez confiance pour me laisser l'approcher ? Je me blottis un peu plus contre le torse de Christian qui dort profondément. Mon esprit n'est pas tranquille. J'ai peur que tout cela ébranle un peu plus notre couple déjà fragile. Je ferme les yeux et me laisse bercer par la respiration de l'homme qui occupe toutes mes pensées depuis ces dernières semaines.

J'ai tellement envie de vivre avec lui une histoire d'amour sans bouleversement perpétuel. Je suis même prête à aller contre mon aversion pour celui qui a essayé de me toucher sans mon consentement. Autant dire que cela va me demander un effort surhumain. Mais je sais que ça en vaut la peine. Pour lui. Pour moi. Pour le bonheur que je sais trouver auprès de lui. Car il me connait, m'aime pour ce que je suis, avec mes défauts et mes qualités. Il ne me laissera pas. Il refuse de partir si je ne suis pas à ses côtés. Et ça, ça me donne la volonté de mettre en action le plan de Tony.

Je me laisse aller au sommeil. Demain sera un autre jour. Demain, je serais une autre Michelle, en apparence seulement. Je vais devoir l'abandonner, me passer de lui. Mais ce ne sera que pour un temps et pour mieux lui revenir après.    

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