Chapitre 81


Cette journée a été un vrai calvaire. Jared prend un malin plaisir à me torturer avec toutes sortes d'insinuations. Son regard, lui aussi, est dérangeant. J'ai l'impression d'être un pauvre petit moineau que le chat surveille et attend le bon moment pour le croquer vivant. Je n'ai même pas pu avaler mon déjeuner. J'ai quand même réussi à le convaincre qu'il fallait que je rentre au bureau quand l'horloge affichait quatorze heures. Je peux faire beaucoup de choses sur papier mais arrivé à un certain stade dans le projet, je dois passer à l'ordi.

Evidemment, il n'a pas voulu me laisser rentrer en bus. Jusqu'au bout, il a voulu garder le contrôle. C'en est étouffant. Intérieurement, je croise les doigts pour l'orgueil de Mademoiselle Madden l'empêche de me confier ce dossier dans sa totalité. Je ne me sens pas la carrure d'assumer un chantier et les attaques de Jared.

Quand nous arrivons enfin au bureau, je file sans un mot vers mon box, bien contente d'être en territoire connu.

- Mademoiselle Muller ! Il vous en a fallu du temps pour faire ce premier entretien !

Le ton de ma boss est cinglant.

- Je sais. C'est juste que...

- Ne la grondez pas, Lilah. Tout est entièrement de ma faute.

La moue glaciale de ma patronne se mue en un sourire radieux.

- Jared ! Alors êtes-vous satisfait de son travail ?

- Plus que satisfait. Je crois qu'on est comme... connectés. Cette jeune femme a su saisir mes attentes au-delà de mes espérances. J'en suis ravi.

Je vois Mademoiselle Madden tiquer légèrement devant cette avalanche de compliments. Je me sens de plus en plus mal. Non seulement il va foutre le bordel dans ma relation naissante avec Christian, mais en plus, il est en train de mettre en péril mon travail.

- Hé bien... je suis... heureuse qu'elle ait su me suppléer avec talent.

Jared se rapproche d'elle et joue de son charme.

- C'est grâce à vous, Lilah. Vous êtes assurément une excellente professeure.

Cette dernière le dévore des yeux de manière un peu trop évidente. Bon sang ! Qu'ils couchent ensemble et qu'ils me fichent la paix.

- Ma chère Lilah, continue-t-il, en lui prenant la main. Puis-je vous demander deux faveurs ?

- Je vous écoute.

Jared la couve d'un regard plein de promesses. Cet homme est doué pour manipuler les autres. C'est horrible. Il sait exactement ce qu'il faut dire, ce qu'il faut faire pour attraper dans ses filets celle qu'il veut. Et là, tout de suite, c'est ma patronne qui est devenue son objectif.

- J'aimerais continuer à travailler avec Mademoiselle Muller. J'aime bien sa façon de voir les choses. Et vu qu'elle a été formée par vous, je suis certain de ne pas être déçu.

Mademoiselle Madden se crispe aussitôt. Je le savais. Elle ne me laissera jamais ce chantier. Surtout que c'est celui du beau mâle qu'elle convoite. Mais Jared ne se laisse pas démonter pour autant.

- Et surtout... j'aimerais que vous veniez diner avec moi ce soir. Il me faut absolument votre avis. C'est vous l'experte. Et puis, passer la soirée avec une femme aussi belle que vous serait un honneur pour moi.

Son visage, tendu quelques secondes auparavant, affiche une moue de surprise, avant de se muer en un rictus de victoire.

- Accordé. Je prendrais les notes de ma subordonnée et je vous dirai si ces idées valent quelque chose. On se donne rendez-vous pour dix-neuf heures. Cela vous convient-il ?

- C'est parfait.

Jared continue de jouer l'homme conquis par le charme de ma patronne. Il se penche et dépose un baiser sur sa joue. Un peu plus et ils se sautaient dessus devant moi. Je n'en reviens pas. Il se tourne légèrement vers moi et affiche un sourire satisfait qui me file des frissons. Je le regarde s'éloigner et la nausée me prend à la gorge. Quand la porte de l'ascenseur se referme, Mademoiselle Madden tape un grand coup sur mon bureau.

- Je ne sais pas ce que vous lui avez fait, mais il semblerait que vous ayez réussi à suffisamment impressionner Monsieur Patton pour qu'il réclame vos services. Il y a intérêt que vous ne me fassiez pas honte. J'attends vos notes pour dix-heures heures dernier délai. Alors mettez-vous au boulot et cessez de bailler aux corneilles.

Voilà, je suis dans de beaux draps ! Si mon travail est trop bon, elle va me haïr de la concurrencer. Et s'il n'est pas à la hauteur, elle va sûrement me virer. A savoir ce qui vaut mieux pour moi : perdre mon job ou travailler pour Jared. Pour l'instant, pas le temps de me poser la question. Il faut que je boucle tout ça pour dix-huit heures et j'ai une montagne de choses à faire. Alors je plonge dans le travail, bloquant toute autre pensée qui pourrait venir perturber mon boulot.

Il est pratiquement l'heure fatidique quand je mets un point final à mon dossier. Je me poste devant l'imprimante pour récupérer les feuilles qui sortent à un rythme hypnotique. Je suis épuisée. Cette journée a été éprouvante et elle n'a pas fini de l'être. J'attrape mon téléphone et envoie un texto à Christian pour le prévenir que je suis encore au bureau et que j'aurais du retard.

- J'espère pour vous que si vous êtes sur ce téléphone, c'est que vous avez terminé.

Ma boss se tient devant moi, rafraîchie et vêtue d'une robe à faire rougir une nonne. Elle est juste à tomber. Bien plus belle que moi, je ne vois pas pourquoi elle me jette ces regards agacés. N'importe quel homme la préfèrerait.

- Je... oui, je suis en train de l'imprimer.

Elle me toise un instant avant de lâcher.

- Bien. J'ai quelque chose à faire dans mon bureau avant de partir. Ramenez-le-moi dès que c'est prêt.

Au bout de cinq minutes, j'ai enfin fini. Je rassemble le tout et le glisse dans une chemise. Je frappe à la porte et attend qu'elle m'autorise à entrer. Sa voix perçante me somme de venir. Je m'exécute.

- Voilà.

Elle m'arrache le dossier pratiquement des mains. Je vois bien qu'elle m'en veut.

- Mademoiselle Madden, si ça pose problème que je m'occupe de ce chantier, ne vous sentez pas obligée.

- Vous ne m'obligez à rien. C'est à moi de décider et non vous. Le client est roi. S'il vous réclame, il vous aura. Mais sachez que je n'aime pas la tournure que ça prend.

- Moi non plus, murmuré-je pour moi-même.

- Vous dites ?

- Rien, Mademoiselle. Je ferai ce que vous avez décidé.

Elle se lève de son siège et fait le tour de son bureau.

- Vous le saurez demain matin. Maintenant, partez. Je ne veux pas vous payer trop d'heures supplémentaires.

Je hoche la tête et sors précipitamment de son bureau. Je suis fatiguée, je suis à bout.Je suis à la limite de fondre en larmes. Et maintenant, il faut que je rejoigne Christian et je balise à l'idée de le décevoir.    

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