Chapitre 79
Encore enfermée dans un espace restreint avec ce type. Décidément, aujourd'hui, ce n'est pas mon jour. Je me cale contre la portière pour mettre le plus de distance possible entre lui et moi. Jared reste concentré sur la route, même si de temps à autre, son regard glisse vers moi. Il reste étonnamment muet alors que je sens bien qu'il meurt d'envie de continuer à jouer avec moi. Je ressers ma prise sur mon sac que j'ai posé sur mes genoux pour camoufler mes jambes dénudées. Ce geste nerveux ne lui échappe pas. Ses lèvres se retroussent légèrement.
- Inutile de les cacher. Je finirai bien par les voir et je suis persuadé que c'est toi qui me les montrera.
- Dans tes rêves.
Il ne relève pas et contente de sourire. Je n'en reviens pas de l'aplomb dont je fais preuve face à lui, alors qu'il me fout une trouille bleue. C'est peut-être pour ça d'ailleurs. Dans ce genre de situations, je n'ai que deux façons de réagir : pleurer ou me rebeller. Heureusement, mon cerveau a opté pour la deuxième solution. Sinon il m'aurait déjà bouffée toute crue.
Jared gare sa voiture à l'arrière d'un bâtiment situé en plein centre-ville. Je dois avouer que l'emplacement est idéal pour un restaurant. Le quartier est truffé d'immeubles de bureaux. De quoi ramener une clientèle régulière et potentiellement riche. Il coupe le moteur et sort de la voiture. Je l'imite, mon cerveau passant déjà en revue les projets de l'agence effectués dans le secteur. Il me semble qu'on a refait la déco d'une agence de mannequinat pas très loin. Je suis si concentrée que je manque de buter contre son torse en contournant la voiture. Il se tient bien droit, bloquant le passage vers la ruelle. Des souvenirs très désagréables refont surface. Instinctivement, je fais un pas en arrière. Un rictus de satisfaction vient déformer sa bouche. Il pose la main sur le toit de sa voiture et fait un pas vers moi. Je m'oblige à ne pas bouger. Ne pas laisser transparaitre à quel point je suis tendue. Quand sa main se tend vers moi, je ne maitrise plus mon anxiété et mon corps recule de lui-même. Mais sa main se referme sur mon bras et il me tire vers lui. Je laisse échapper un petit cri, qui le fait rire.
- Attention à la flaque de boue, murmure-t-il à mon oreille.
Je dévie le regard pour constater en effet qu'il y a derrière moi une jolie mare d'eau croupie qui aurait, à coup sûr, ruiner mes sandales et ma robe.
- Je ne voudrais pas que tu salisses l'intérieur de mon bébé tout à l'heure quand je te ramènerai chez toi.
J'écarquille les yeux et me dégage promptement. Non mais quel connard ! Tout ce qui l'intéresse, c'est sa putain de voiture. Il rigole de plus belle, tout en s'écartant.
- L'entrée de service est par ici, me dit-il en montrant une porte d'un mouvement de tête. Mais nous allons passer par l'entrée principale pour que tu te rends compte du travail à faire.
Je passe à côté de lui, en le poussant presque. Ce que j'aimerais être ailleurs. Quand j'arrive dans l'artère principale, je m'arrête et attends qu'il me rejoigne. Il prend tout son temps, me double et continue son chemin comme si je n'étais pas là. Et me voilà à trottiner derrière lui.
- C'est quoi ton but exactement en demandant à ce que je travaille pour toi ?
- Mais je n'ai rien demandé. C'est Lilah qui l'a proposé. Tu aurais pu décliner.
- Mais bien sûr, ricané-je. Refuser une tâche demandée expressément par Mademoiselle Madden.
- Ce n'est pas de ma faute si tu n'as pas le courage de lui tenir tête, répond-il en haussant les épaules.
- Facile à dire pour le fils à papa qui n'a pas eu à travailler pour avoir son propre restaurant.
Il se stoppe net et fait volte-face. Son regard est assassin. Je retrouve le mec complètement cinglé qui m'avait sauté dessus après que je lui ai mis une gifle. Je me fige, redoutant sa réaction.
- Ne parle pas de ce que tu ne connais pas.
Sa mâchoire se contracte avec force. Mon cœur se met à battre rapidement.
- Tu bosses pour moi. Alors tes réflexions à la con, tu les gardes dans sa petite tête ou je te le ferai regretter. Et il n'y aura pas de Christian pour venir te sauver cette fois-ci.
Je blêmis, saisissant son sous-entendu.
- Maintenant, tu me suis, tu la fermes et tu fais ton boulot, dit-il, en m'attrapant par le bras.
Il hâte le pas, m'entraînant à sa suite. Je n'ose pas me défaire de sa poigne. Quand il pousse la porte d'entrée, il me relâche enfin. Je masse discrètement mon bras endolori. Sale brute. A peine sommes-nous entrés qu'un grand brun se précipite vers nous.
- Monsieur Patton, heureux de vous voir ici. Il y a un problème ?
- Pourquoi ? Il faut forcément qu'il y ait un problème pour que je vienne dans mon restaurant.
Le sourire de l'homme, face de lui, s'efface aussitôt.
- Ce n'est pas ce que je voulais dire... c'est juste qu'on vous voit peu ici.
- Ça va changer. J'ai décidé que le restaurant avait besoin d'un petit lifting. Mais peut-être devrais-je aussi envisager une restructuration.
Le ton est cinglant et je me dis que son interlocuteur est en train de payer ma réplique de tout à l'heure. Pour essayer d'apaiser l'atmosphère, je tends la main vers ce dernier pour me présenter.
- Bonjour, Mademoiselle Muller. Je travaille pour l'agence M Designs. Je viens faire les premiers repérages à la demande de Monsieur Patton.
J'essaie d'être la plus agréable possible mais le jeune home reste crispé.
- Monsieur Suarez, directeur du restaurant. Enchanté.
Ses traits tendus essaient tout de même d'esquisser un sourire. Rapidement, il reporte son attention sur Jared.
- Vous comptez commencer les travaux dans combien de temps ?
- Tout dépend de l'efficacité de Mademoiselle Muller. Vous serez informé en temps et en heure. Maintenant, si vous voulez bien, nous allons jeter un coup d'œil à l'établissement et ensuite j'emprunterai votre bureau pour notre entretien.
Comprenant que la conversation est close, le directeur hoche la tête et s'éloigne. Je réprime une réplique à l'intention de Jared. Il se comporte vraiment comme un salopard de première. Ce dernier se retourne, la mine réjouie.
- Voilà donc l'objet du délit. Qu'en penses-tu ?
Ce mec est sûrement schizophrène. Il passe de la colère noire à la fausse amabilité en un éclair. Mais je crois qu'il vaut mieux que je fasse comme si de rien n'était ou ça va dégénérer. Je laisse mes yeux parcourir la salle. L'endroit est pas mal, mais dans un style assez rétro, avec une ambiance de pub irlandais. Beaucoup de boiseries et de cuir. Un style particulièrement masculin correspondant à une classe d'âge mur.
- Vous comptez viser quel genre de clientèle ?
- Les hommes d'affaires, les jeunes cadres dynamiques. Je veux que cet endroit devienne le lieu incontournable pour faire des affaires en toute discrétion.
- Je comprends. Donc rien d'extravagant mais quelque chose de plus moderne, en gardant la touche masculine.
Jared esquisse un grand sourire.
- Lilah n'a pas menti. Tu as l'œil.
Je fais fi de son regard un peu trop insistant et commence à noter quelques idées sur mon carnet.
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