Chapitre 124
Le pickup se gare juste face à l'entrée du petit jardin hétéroclite. Mon cœur bat si vite que ça me fait mal. Il a repris vie un peu trop vite, un peu trop fort pour moi. Mike descend déjà de la voiture. Je voudrais l'attraper par le bras, retarder un peu le moment fatidique mais il est déjà loin dans l'allée. Son poing s'abat avec vigueur sur le panneau de bois. Je regrette déjà d'avoir accepté de le suivre. Et s'il n'était pas ? Si j'étais déjà arrivée trop tard ? Ou pire s'il refusait catégoriquement tout ce qui pourrait le faire penser à moi ?
J'essaie de chasser toutes ces questions qui tournent dans ma tête sans cesse. Ma respiration défaille soudain. La porte s'entrouvre. Je m'enfonce dans le siège. Il est là. Les cheveux en bataille, torse nu. Beau comme un dieu et si mélancolique. Son sourire a disparu. Je suis trop loin pour comprendre ce qu'ils se disent, mais je comprends qu'il est étonné de le voir. Mike lui parle à peine et lui tend ma missive. Christian la prend, la retourne entre ses doigts, jette un coup d'œil interrogateur à son interlocuteur toujours aussi peu bavard et finit par la décacheter.
Ses yeux se mettent à parcourir les premières lignes et il relève aussitôt la tête vers l'entraîneur. Ses sourcils se froncent. Il l'interroge, hésite. Mike lui dit quelques mots avant de se détourner et revenir sur ses pas. Christian le suit du regard un moment et replonge dans sa lecture. Il est droit comme un « i », particulièrement concentré. Soudain, Mike apparait dans mon champ de vision, m'empêchant de voir ses réactions. Il claque la portière derrière lui et démarre.
- Attends, attends !
La panique m'envahit. Je veux savoir. Va-t-il la lire entièrement ? Va-t-il comprendre ?
- Ne t'inquiète pas. Il va la lire.
J'essaie de me calmer mais c'est difficile. Tout se joue sur ce petit bout de papier. Mike tapote affectueusement ma cuisse.
- Il avait une sale gueule. De toute évidence, cette situation vous fait du mal à tous les deux.
Ça me ferait presque plaisir si je ne me sentais pas aussi mal de le savoir malheureux par ma faute.
- Tu as fait le premier pas. A lui de réagir maintenant.
J'aimerais être aussi optimiste, mais la vie m'a appris qu'en matière d'amour, les espoirs sont souvent vains. Même si on fait tout pour que ça marche. Au moins, j'aurais tenté d'arranger les choses. Je n'aurais pas ce regret sur la conscience.
Mike m'a raccompagnée et ne m'a laissée tranquille qu'une fois que je l'ai assuré que j'allais sortir de mon antre. Maintenant que j'ai un objectif, je compte bien honorer ma promesse. Tout en écrivant ma lettre pour Christian, je me suis rendu compte qu'il y avait une chose que je me devais de faire : partir en Inde. Il m'en a tellement parlé, m'a fait rêver. Cet endroit m'appelle. J'ai besoin d'y aller pour découvrir un autre monde, pour ouvrir mon esprit, pour tourner la page, comme nous avions l'intention de faire. Alors j'irais là-bas. Avec ou sans lui. Dans la lettre que je lui ai écrite, je lui explique tout ça et bien plus encore. Je lui parle de ce qu'il est pour moi, de ce que j'étais, de ce que je suis à présent, de mon besoin d'aller de l'avant. Parce que c'est ce qu'il m'a appris. La vie est courte. Il faut la continuer malgré tout. J'aimerais la partager avec lui, mais s'il ne vient pas, je comprendrai et je ne cesserai pas de l'aimer pour autant. Mais ce voyage, qu'il avait projeté pour nous deux, est devenu important à mes yeux. C'est une partie de lui qu'il voulait me livrer, à moi et moi seulement. Alors j'irai le découvrir.
Cet après-midi-là, j'ai parcouru les rues à la recherche de tout ce qu'il me fallait pour partir. Fringues, médocs, papiers. Nous avions entamé les démarches. Ils étaient déjà prêts. Les bras chargés, je rentre à mon appartement. J'ouvre ma valise et commence à ranger consciencieusement mes affaires. Je pars. Je ne sais pas si c'est de la folie ou juste une nécessité, mais je suis déterminée. Mon téléphone sonne. C'est Josie.
- Michelle ? Enfin !
- Bonsoir, Jo.
Ma voix est posée, sûre. Bien loin de la Mickie de ces derniers jours. Comme si prendre cette décision m'avait enlevé un poids. Au moins que ce soit le fait de savoir qu'il a accepté de lire ma lettre, que je lui manque au moins un peu, qu'il souffre autant que moi.
- Tu vas bien ?
- Mieux.
- Tu veux que je passe ?
- Non.
- Alors demain ?
- Josie, demain je pars.
Je n'entends plus le son de sa voix pendant de longues secondes.
- Quoi ?
- Je vais en Inde.
Elle semble réellement perdue.
- Christian et moi devions faire ce voyage ensemble. Je vais y aller.
- Quoi ? Mais s'il ne vient pas ?
Cette idée me transperce le cœur, mais je ne faillis pas.
- Je dois y aller. J'en ai besoin.
Josie ne sait plus quoi dire de toute évidence.
- Ne t'inquiète pas. Je sais ce que je fais. Il faut que je prenne de la distance par rapport à tout ça. Et je pense que c'est la meilleure solution.
- Mickie... tu es sûre de toi ?
- Oui.
- Dans ce cas, je t'amènerai à l'aéroport. C'est à quelle heure ?
- Neuf heures.
- Alors à demain.
- Merci, Jo.
- De rien, Mickie. Je t'aime.
Elle raccroche et je reste plantée là. Les « je t'aime » de Josie sont rares. Ils sont donc extrêmement précieux. Même si je m'en vais un peu comme une voleuse. Elle sera là à m'attendre. Elle a toujours été là.
Neuf heures tout pile. Nous voilà à l'aéroport. Le flot des voyageurs m'oppresse un peu. Alors que j'étais rassénérée hier soir en m'endormant, me retrouver ici, prête à sauter dans un avion pour une destination dont je connais si peu, me rend très anxieuse. Mes yeux balaient frénétiquement la foule. Il n'y a pas que ça qui me rend nerveuse. Je savais que c'était quitte ou double, mais je crois bien que l'espoir est revenu en voyant ma lettre entre ses mains. Et là, je commence à me dire que c'était sûrement une utopie.
Josie me ramène à l'instant présent, m'obligeant à avancer dans la multitude qui patiente pour enregistrer ses bagages.
- Arrête de regarder dans tous les sens. Les flics vont finir par penser que tu as quelque chose à te reprocher.
- Désolé.
Je baisse les yeux sur mon sac. J'ai fait dans le minimaliste. Les températures là-bas sont tropicales. Pas la peine de me trimballer des pulls et autres vêtements chauds. Quelques shorts, robes légères et tee-shirts devraient faire l'affaire. J'y vais pour faire table rase du passé, alors ce bagage léger s'avère une sorte de métaphore de mon âme.
Tony n'a pas pu nous accompagner mais il a tenu à ce que je prenne le numéro d'un de ses contacts sur place. L'Inde, bien qu'étant un pays accueillant, peut se révéler très dangereux pour une femme. Alors il m'a recommandé à un homme qui me trouvera un guide, ainsi qu'un garde du corps. J'ai eu beau protesté, il n'a pas voulu en démordre. Tony a même réglé le tout avant que je ne parte de chez lui. C'est une vraie tête de mule, tout à fait assortie à celle de ma meilleure amie.
- Tu as bien tous tes papiers ?
- Oui.
- Médocs ?
- Oui.
- Téléphone ?
- Oui, maman. Arrête, tu me stresses, pesté-je.
Josie lève les yeux au ciel avant de me serrer fort dans ses bras alors que j'approche du sas des départs.
- Tu vas me manquer, idiote.
- Et toi aussi, maman.
Elle pousse un grognement de protestation mais ne desserre pas pour autant ses bras autour de moi. Je regarde une dernière fois derrière elle pour tenter de repérer une tignasse blonde décolorée par le soleil et la mer.
- Je crois qu'il ne viendra pas, murmuré-je, la voix un peu étranglée.
- Alors c'est un idiot, me rassure-t-elle. Et puis, on s'en fout. Va profiter de tes vacances et quand tu reviendras, on reprendra nos soirées filles et tu iras chasser du mâle.
Je lui souris tendrement, même si je sais que je ne pourrais pas sortir Christian aussi facilement de mon cœur. Mais qu'importe. Je préfère laisser ces pensées pour plus tard, quand je remettrai les pieds sur le sol américain. J'embrasse Josie sur la joue et me détache d'elle. Ses yeux me suivent à travers les vitres et je perçois des larmes poindre sur ses joues. Je lui envoie un ultime baiser et me détourne de ce spectacle déchirant.
Je passe les formalités, enchaine les sas de sécurité. Et plus je me rapproche du départ, plus je sens un immense vide se creuser en moi. Josie me manque déjà. Tony me manque. Mike me manque. Ce sont mes amis, les rocs de ma vie. Mais plus que tout, il me manque. Je dois m'habituer, petit à petit, à son absence, même si c'est difficile. Je dois apprendre à vivre sans lui.
Patientant sur un siège inconfortable, je tripote mon guide acheté la veille. J'y avais cru. Je pensais que ma lettre suffirait pour qu'il comprenne. Mais la blessure devait être trop profonde, trop douloureuse pour lui. Même si je comprends, ça ne m'empêche pas de ressentir cette douleur au creux de ma poitrine. Machinalement, je tourne les pages, sans vraiment les regarder.
- Mararikulam. Très bel endroit. De magnifiques plages. Très romantique. Tu devrais y aller.
Cette voix. Ma respiration s'emballe. Je relève la tête d'un coup sec. Son sourire m'atteint direct au cœur. Christian. Je n'ose pas parler de peur qu'il reparte. Il s'assoit à côté de moi et continue à lire. Mes yeux le fixent. Ses cheveux sont en bataille, ses traits tirés, mais il est toujours aussi beau, aussi lumineux. Il tourne enfin son visage vers moi. Ses yeux verts sont tristes et ça me retourne l'âme.
- Christian.
Ce n'est presqu'un souffle, mais j'ai de mal à articuler tellement j'ai peur. Il me sourit timidement.
- Je suis là.
Mes paupières s'affolent.
- Tu... Je... Pourquoi ?
Ça y est ! Mon cerveau a grillé.
- Ta lettre et parce que je suis un putain d'imbécile fou amoureux. Je ne pouvais pas te laisser partir.
Bordel, Michelle ! Dis quelque chose.
- Ce n'était rien... ce que tu as vu... Je te jure.
- Je sais, répond-il à mon charabia incompréhensible.
Ses mains retirent le livre des miennes. Il me fait pivoter pour que nous soyons face à face.
- Pardonne-moi, Michelle. J'aurais dû te laisser m'expliquer. Ne pas m'arrêter aux apparences. Tu m'as montré tant de fois à quel point tu tenais à moi, mais je continuai à douter. Mais pas de toi. De moi.
Ma main tremblante vient caresser sa joue mal rasée. J'ai la gorge nouée par l'émotion. Mon front se colle contre le sien. Nous soupirons en même temps, comme si ce simple contact nous rendait notre souffle.
- Je l'ai fait pour qu'il nous laisse tranquilles.
- Pas la peine de m'expliquer.
- Si, l'interromps-je. Il le faut. Je ne veux plus de secret entre nous.
J'inspire profondément et me lance.
- Ce soir-là, avant que tu n'arrives, je venais de lui balancer les photos et le contrat. Et il a pété un câble. J'ai cru qu'il allait se jeter sur moi mais il m'a juste ri au nez avant d'accepter de lâcher l'affaire. Il m'a juste demandé une seule chose.
- Le baiser, conclut-il lui-même.
- Je te jure que ce n'était que ça et rien d'autres.
- Je sais. C'est moi. Je me suis laissé happer par mon passé. Encore une fois. Mais c'est fini. Me pardonneras-tu ?
Je ne lui réponds pas. Il n'en a pas besoin. Mes lèvres touchant les siennes est le meilleur des aveux. Je n'ai rien à excuser. Juste à l'aimer et à le comprendre.
- Et moi, me pardonneras-tu ? murmuré-je.
- Je ne t'en voulais pas. Je ne t'en ai jamais voulu. J'étais juste dévasté par ce que je croyais revivre.
Sa bouche reprend possession de la mienne et je sais à cet instant que tout le passé a été balayé, que plus rien ne pourra venir se mettre entre nous. Ni Jared, ni Caitlyn, ni aucun autre. Car à cet instant, nous commençons à écrire notre présent et notre futur. La main dans la main, tête contre tête, cœur contre cœur.
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