Chapitre 123


Je regarde le soleil se lever à travers mes rideaux à moitié tirés. Je ne sais plus depuis combien de temps je suis ainsi, la tête calée sur mes genoux, le regard dans le vague. Les cauchemars, la vie réelle, tout se mélange. Dès que je ferme les yeux, je revois son beau visage dévasté pour la scène qu'il a surprise, et mes sanglots reprennent. Mais ce matin, je n'ai même plus la force de pleurer. Je suis juste résignée. C'est fini. Il est sorti de ma vie.

Cela fait plusieurs jours que je n'ai pas mis le nez dehors. C'est trop difficile de voir le monde continuer à tourner quand le mien s'est fracassé à mes pieds dans ce fichu bureau. Je préfère laisser le temps s'écouler. A un moment ou un autre, je finirai par sortir la tête de l'eau.

Soudain, la sonnette de l'entrée me fait sursauter. Je me rends compte que le soleil est bien haut dans le ciel à présent. Je crois que mon esprit se perd de temps à autre dans le labyrinthe de mon chagrin. Un peu comme un automate, je me dirige vers la porte. A tous les coups, c'est encore Josie. Elle vient tous les jours pour tenter de me faire voir la lumière du jour. Sommes-nous jeudi ? Vendredi ? Mais quand j'ouvre, je ne tombe pas sur la silhouette fine et élancée de ma meilleure amie, mais sur une masse de muscles tatouée. Ses yeux bleus balaient ma tenue.

- En effet, ça ne va pas du tout.

Je baisse les miens et me rend compte que je ressemble à un épouvantail. Je porte le tee-shirt de Christian et un bas de jogging informe, celui que j'enfile quand je suis en pleine déprime. Je hausse les épaules.

- Qu'est-ce que tu veux, Mike ? marmonné-je, lasse.

- Ta copine Josie est en train de péter un câble. Elle s'inquiète vraiment pour toi. Et comme elle ne réussit pas à te faire bouger, elle a décidé de m'envoyer. Ne me demande pas pourquoi.

Je lâche un soupir d'exaspération et tourne les talons. Je ne l'invite pas à entrer. Je sais qu'il le fera. Je me dirige vers la cuisine et sors tout mon attirail pour me préparer un thé.

- Quelque chose à boire ?

- Ça va aller.

Il s'assoit sur un des tabourets et s'accoude au bar. Je m'affaire machinalement. Tandis que l'eau bout, je reste plantée devant la plaque de cuisson. Je sens peser le regard de Mike sur moi alors je tourne mon regard vide vers lui.

- Alors, tu me racontes ? dit-il simplement.

Son expression est neutre. Pas de tristesse ni de compassion. Juste le Mike que je connais.

- Tu veux me faire croire que Jo ne t'a pas briefé avant ?

- Non. Je n'aime pas les on-dit. J'attends que ce soit toi qui me parle.

C'est mon ex-coach ex-amant tout craché. Entier, imperturbable, posé. Un vrai roc. J'en ai horriblement besoin en ce moment. Josie est beaucoup agitée pour moi. Il me faut une personne calme et prête à m'écouter, sans juger. Alors je décide de tout déballer. Armée de ma tasse de thé fumant, je m'assois sur le tabouret lui faisant face et lui raconte tout. Mes yeux ne se relèvent que quand j'ai tout dit. Devant mon silence, il se frotte le menton, tout en faisant une moue dubitative.

- Donc il te dit de lui foutre la paix et tu le fais. Mais t'es quel genre de filles ?

J'aurais presque envie de rire devant son air incrédule. C'est vrai que si j'étais du genre de Jo, je serais allée jusqu'à chez lui pour le harceler jusqu'à ce qu'il m'ouvre et m'écoute. Mais je ne suis pas Josie. Je n'ai pas son courage. Affronter la vérité en face, voir dans ses yeux que l'amour est mort, c'est beaucoup trop difficile. Je risque de perdre l'esprit, m'enfoncer dans une dépression dont je ne saurais me relever.

- Je ne suis pas comme ça, Mike.

- C'est faux, assène-t-il sans détour. Tu es une battante. Je l'ai vu le soir où tu m'as sauté dessus. Il t'avait blessé. Pourtant tu as décidé de relever la tête et de vivre malgré tout. Pourquoi aujourd'hui ce serait différent ?

- Parce que...

Les explications restent bloquées dans ma gorge. Parce que je l'aime à mourir, à m'en étouffer. Il est devenu mon oxygène. Celui qui fait tourner mon monde. Continuer sans lui, ce n'est pas possible.

- Je n'y arrive pas... vivre sans lui...

- Alors bats-toi.

Je relève les yeux vers lui. Les siens affichent une détermination sans faille.

- Si tu l'aimes, tu n'as pas le droit de le laisser s'éloigner sans tout tenter. C'est ça aussi aimer. Tout faire pour prouver que tu as besoin de lui.

Je l'écoute et c'est comme si mon cœur repartait enfin. Il a raison. Je ne peux pas abandonner aussi facilement. Je dois tout faire pour lui. Je dois lui montrer que je ne le laisserai pas tomber, que je ne l'ai pas trahi, que je suis toujours là.

- Quel jour sommes-nous ?

Mike semble déstabiliser par ma question, mais finit par répondre.

- Vendredi. Pourquoi ?

Je saute de mon tabouret et m'active. Il n'y a pas une minute à perdre. Je dois lui faire comprendre qu'il est toujours le centre de ma vie et qu'il le sera tant que je vivrais. Je prends mon portable et grimace devant le nombre d'appels manqués et de messages non lus. Mais aucun de lui. D'accord, il ne veut pas me répondre au téléphone. Alors je vais procéder autrement. Je file dans ma chambre, trouve par miracle une feuille de papier et un stylo.

- Qu'est-ce que tu fais, tigresse ?

Mike me fait sursauter.

- Je me bats.

Il me sourit avec douceur. Quand je passe à côté de lui, je l'attrape et le sers fort contre moi.

- Merci. Tu es un vrai pote.

- Aïe, grimace-t-il. Ça c'est un coup bas. Passer de « saute-moi » à « T'es un vrai pote », ça fait mal.

Je lui file une claque amicale sur l'épaule et il éclate d'un rire franc. Je m'assois au pied de la table basse et commence à écrire. Mon stylo glisse sur la feuille sans discontinuer. J'y mets mon cœur, mes tripes et ma vie. Je veux qu'il comprenne, qu'il voit à quel point il est important pour moi, que la vie sans lui pour l'illuminer est sans intérêt, que j'ai besoin de lui pour respirer. Quand j'ai fini, ma main me fait horriblement mal et la feuille est noircie par l'encre des mots que je n'ai pu lui dire. Je me tourne enfin vers Mike qui est resté patiemment à mes côtés.

- Je peux te demander un service ?

- Tout ce que tu veux, ma belle.

- Tu pourrais aller lui donner ça.

Il me fixe, dubitatif.

- Il ne m'ouvrira pas. A Josie non plus. Il sera surpris de te voir chez lui. Et puis, t'es un mec, tu sauras trouver quoi lui dire pour qu'il accepte de la lire.

- Non mais c'est quoi ses propos sexistes ! réplique-t-il, faussement choqué.

- Mike, je t'en prie.

Il se penche vers moi et m'embrasse le sommet du crâne.

- Evidemment que je le ferais, tigresse. J'adore jouer à Cupidon, conclue-t-il en riant.

Il se lève, la lettre à la main, et me tend l'autre.

- Tu viens avec moi ?

Mon cœur s'affole aussitôt.

- Non, non, je ne peux pas.

- Allez, je sais que tu en meurs d'envie.

- Mais s'il me voit... paniqué-je.

- Tu resteras dans la voiture. Je me garerais devant chez lui. Il ne se rendra même pas compte que tu es là.

Je me sens soudain fébrile. Le revoir. Bien sûr que j'en ai envie. A en crever. Mais vais-je pouvoir rester là, sans lui courir dans les bras ? Et s'il me voit, ne va-t-il pas claquer la porte sans même prendre la lettre ?

- C'est trop risqué, conclue-je.

- Mais non ! Allez, file te doucher et te changer. T'en as vraiment besoin.

Sans que je puisse protester, il me pousse jusqu'à la salle de bains et claque la porte derrière moi.     

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