Chapitre 121

Les bruits de la fête nous parviennent un peu étouffés. Dans cette pièce, isolés du reste du monde, nous nous observons sans rien dire. Jared est appuyé contre son bureau, les mains dans les poches, le visage sans expression. Il est d'un calme olympien alors que moi je m'agite, tournant en rond, cherchant la manière d'aborder les choses. J'évite de croiser son regard, mais mes yeux sont irrémédiablement attirés par les siens. J'essaie d'analyser dans quel état d'esprit il se trouve et si je peux réussir à le convaincre.

- Tu voulais me parler ? commence-t-il d'une voix posée.

- Oui, je...

Devant mes réactions à fleur de peau, son sourire en coin apparait. Il tente de l'estomper mais je vois bien qu'il est satisfait de l'effet produit. Il faut que je me calme. Je m'assois sur l'accoudoir du canapé, oblige mes mains à se tenir tranquille.

- J'ai des choses à te dire maintenant que notre collaboration est terminée.

- En effet.

Mes battements anarchiques de mon cœur ne m'aident pas à trouver la concentration nécessaire pour sortir les bons mots. J'y ai réfléchi toute la semaine mais rien ne m'est venu.

- Cette histoire entre toi, Christian et moi... elle doit cesser.

- Je suis d'accord.

Il se redresse et se rapproche. Non, non ! Reste loin. Je ne vais pas réussir à tout déballer s'il commence son petit jeu de séduction.

- J'ai besoin que tu arrêtes de jouer avec moi.

- Je ne joue plus.

Avant qu'il n'arrive à me bloquer entre lui et le canapé, je me relève et m'éloigne. Il s'immobilise et me regarde m'agiter à nouveau.

- Michelle, il faut que tu arrêtes de nier l'évidence. Tes sentiments ont changé.

- Absolument pas. En tous cas, pas comme tu te l'imagines.

- Et je m'imagine quoi selon toi ?

- J'ai compris que tu n'es pas celui que je pensais, mais pour autant...

Je lève les yeux au ciel comme si cela pouvait m'inspirer les mots justes.

- J'aime Christian. Je veux vivre avec lui. Mais j'ai de... l'affection pour toi. J'ai appris à te connaitre et à voir une autre facette de toi. Alors j'ai envie maintenant qu'on cesse de se battre. Toi et moi, mais aussi Christian et toi.

Il se met à rire.

- C'est si difficile à admettre que tu es envie de moi ? Tu préfères te dire qu'il ne s'agit que d'affection ?

Il a mimé les guillemets de manière ironique. Je le vois perdre peu à peu patience.

- C'est pourtant la réalité. Tu te trompes sur mes sentiments. Jamais je ne laisserai tomber Christian.

- Je n'abandonnerai pas aussi facilement. Tu le sais.

Sa détermination ne fait aucun doute. Il n'y a pas d'issue possible.

- Je t'en prie, Jared.

- Non, je me battrais.

Je cache mon visage dans mes mains et lâche un long soupir de désespoir. Pourquoi ? Ça aurait été tellement plus simple s'il avait accepté les choses. D'une main tremblante, je sors l'enveloppe de mon sac et lui tend. Il la prend et je n'ose pas voir sa réaction. Je l'entends juste l'ouvrir et le papier se déplier. S'en suit un long silence. Ma respiration s'accélère.

- Bordel de merde. C'est quoi ça ?

Sa voix gronde tandis que les photos s'éparpillent sur la table basse.

- Je ne voulais pas en arriver là.

- Réponds-moi. C'est quoi ça ?

- Mes garanties.

- Tes...

Jared se met à jurer avant d'envoyer valser tout ce qui couvre son bureau dans un vacarme assourdissant. Un instant, je redoute de voir quelqu'un débarquer. Mais la porte reste close. Il s'est mis à arpenter la pièce de long en large. Je suis paralysée par la peur. Soudain, il fonce vers moi, m'attrape par les épaules et me secoue.

- Tu me fais chanter ?

Je cligne plusieurs fois des paupières, incapable de lui parler.

- Michelle !

Son cri me fait sursauter.

- Je me déteste de te faire ça mais tu ne me laisses pas le choix. J'ai besoin que tu laisses tomber. Tu comprends ?

Il me repousse violemment, me faisant tituber sur mes talons. Ses mains fourragent son cuir chevelu tandis qu'il reprend sa ronde rageuse.

- Jared, abandonne. Laisse-moi vivre ma vie. Laisse-le vivre la sienne. Le passé doit rester où il est sinon...

- Sinon tu vas me balancer aux flics. C'est ça ?

Je n'ose pas confirmer ses dires.

- Tu ne sais pas à qui tu te frottes.

- Bien sûr que si. Fierro.

Il stoppe sa marche et me dévisage.

- Comment...

- Je ne suis pas seule dans cette histoire. On m'a aidée.

Je le vois chercher dans son esprit qui peut bien savoir.

- Christian ? demande-t-il soudain.

- Pas seulement.

- Qui ?

J'hésite un instant, mais il est déjà trop tard pour faire machine arrière.

- Tony. C'est le petit ami de ma meilleure amie.

- Mais... Je croyais que...

- Je sais.

Oui, tout ça n'est qu'un foutu traquenard et je suis une garce de première. Il se laisse tomber dans le canapé, comme anéanti. Ses mains cachent son visage et je vois bien qu'il se sent pris au piège. J'aimerais venir m'asseoir près de lui et m'excuser, mais c'est impossible. Finie la gentille Michelle. A ses yeux, je ne suis sans doute plus qu'une salope qui le fait chanter.

Alors que je m'attends à ce qu'il tente de m'étrangler ou un truc du genre, il se met à rire. A rire à gorge déployée. Je le regarde, incrédule, en me demandant s'il n'a pas pété une durite.

- Putain ! ça s'appelle retour à l'envoyeur ! Moi qui était en train de te manipuler pour obtenir ce que je voulais, me voilà pris de court par la seule fille que je pensais incapable de ce genre de choses. Je me suis fait baiser en beauté.

Je tique en entendant sa réplique acerbe. Me manipuler ? Ça veut dire que ces derniers jours, il me jouait la comédie ? il se redresse prestement et me balance son sourire sarcastique.

- Franchement, je dois saluer ta performance de menteuse. C'était du grand art.

- Je... je ne t'ai jamais vraiment menti. C'est toi qui a passé ton temps à tricher pour que je fasse ce que tu attendais de moi.

- Sauf que c'est moi qui me retrouve avec une menace en bonne et due forme.

Je ne peux rien opposer à cet argument. C'est la stricte vérité, même si j'aurais préféré le contraire. Jared lâche un soupir avant de poursuivre.

- Très bien, tu as gagné. Je vous ficherai la paix. De toute manière, j'en ai marre de jouer de tout ça.

J'hésite devant sa reddition beaucoup trop rapide. Il plante son regard dans le mien.

- Tu croyais quoi, que j'allais risquer ma peau pour tes beaux yeux ? Tu es mignonne mais pas autant que ma vie. Si ça te plait de rester avec cet imbécile heureux, hé bien, reste. Je n'en ai plus rien à foutre. A partir d'aujourd'hui, pour moi, vous n'existez plus.

Il me tourne le dos et le poids qui me pesait s'estompe un peu. Je me sens minable mais libérée de cette bagarre que je mène depuis des semaines.

- Je suis désolée, Jared.

- Ne te fatigue pas. Me faire planter un poignard dans le dos, j'en ai l'habitude maintenant.

Je le regarde si vulnérable malgré la froideur qu'il essaie de laisser paraitre. Je recule à petit pas vers la porte et m'apprête à sortir.

- Attends.

Je me fige et le vois se rapprocher.

- Avant que tu partes, je veux une compensation.

Merde, je crains le pire. Il n'est plus qu'à quelques centimètres de moi et me couvre de toute sa hauteur.

- Un baiser. Un vrai. Assez long que je le voudrais. Ensuite, tu pourrais disparaitre définitivement.

Un baiser ? mon cœur s'affole. Non, ce n'est pas une bonne idée. Les souvenirs de mon cauchemar s'impriment à nouveau sur mes rétines. Je secoue la tête.

- Putain, Michelle, vocifère-t-il. Ce n'est qu'un baiser. Tu peux bien m'accorder ça.

Je sais que je fais une connerie monumentale mais son regard m'incite à m'exécuter. Il est sur le point d'exploser et si ça peut calmer sa frustration et mettre un point final à toute cette merde, il faut que je le fasse. Je calme ma respiration et m'avance vers lui. Mes mains se posent sur son torse et sa tête s'incline déjà. Il n'y va pas par quatre chemins et dévore mes lèvres. Sans délicatesse, sans douceur. Prenant ce qu'il revendique depuis des jours. Les assauts de sa langue ont le goût de la vengeance. Celle qu'il ne pourra pas assouvir à cause de mes manigances, de ma traîtrise. Alors je me laisse faire. Si ça peut le soulager.

Tout à coup, la porte s'ouvre. Dans un réflexe, je le repousse loin mais le mal est déjà fait. Comme si les astres étaient contre moi, comme s'ils avaient tenté de me prévenir, le scénario de mon cauchemar prend forme. Mon âme est transpercée par deux yeux émeraude et je me sens perdre pied.

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