Chapitre 116


C'est profondément indécise sur la façon de me conduire que j'arrive au travail ce matin. Les responsables s'affairent déjà dans la cuisine autour de Jared. J'ai l'impression d'arriver comme un cheveu sur la soupe. On dirait qu'ils n'ont pas vraiment besoin de moi. Remarquant ma présence, Jared s'arrête et m'offre un sourire éblouissant. Je sens le rouge me monter aux joues quand tous les regards se reportent sur moi.

- Voilà enfin la femme de la situation. Il ne reste pas grand-chose à faire. Ils vont terminer la salle privée et le bureau de Suarez. Mais nous avons absolument besoin de tes conseils précieux concernant l'aménagement intérieur. Les meubles sont arrivés donc il nous faut quelqu'un pour expliquer aux gros bras comment les disposer harmonieusement.

- Tu aurais pu le faire toi-même. Après tout, c'est ton restaurant.

- Sur ce coup, je m'incline devant tes compétences en la matière. Tu es bien plus douée que moi en la matière. Vous êtes d'accord avec moi, messieurs, n'est-ce pas !

Un brouhaha d'approbations lui répond. Je me sens encore plus mal. Voir tous ces hommes, qui sont dans le métier depuis longtemps, que j'ai souvent croisé et admiré le travail, reconnaitre ma valeur me rend toute chose. Mais le plus perturbant est le regard de Jared. Bien trop doux, bien trop chaud. Je ne sais pas quoi lui dire. Il a réussi à foutre à l'air mon plan de résistance. Il n'est plus question de le faire patienter, mais bien de comprendre ses nouvelles règles du jeu.

- Bon, messieurs, je vous laisse aller vaquer à vos occupations. Je vais faire le point avec Mlle Muller concernant l'aménagement de la salle.

Le groupe se disperse et je me retrouve seule avec lui. Face à ses yeux bleus qui me scrutent sans ciller, je me suis figée. Que suis-je sensée faire ? son sourire en coin réapparait et me donne un coup de fouet. Reprends-toi, bon sang. Conduis-toi en professionnelle. Je me penche sur le plan pour me rappeler ce que j'avais envisagé au départ.

- Alors... on va commencer par déballer le mobilier et les placer comme on l'avait prévu. On rectifiera si besoin. Et si jamais ça ne te plait pas, on changera.

- Je te fais totalement confiance.

Je relève la tête vers lui, un peu étonnée.

- Tu es sûr ? parce que ce sera la première chose que verront les clients.

- Justement. Tu m'as prouvé que tu as une meilleure vision que moi sur ce point. Alors, lâche-toi et épate-moi.

Il se rapproche et plante à nouveau son regard dans le mien.

- Tu ne cesses de m'étonner. Je suis pressé de voir ce que ça donnera.

Il fait aussitôt volte-face et s'apprête à passer la porte.

- Au fait, j'aurais besoin de toi un peu plus tard ce soir. Tu pourrais réserver ta soirée pour moi ?

- Réserver ma soirée ? je ne crois pas que ce soit une bonne idée, dis-je au tac-au-tac, un peu paniquée.

- Je dois rencontrer la chef de projet Evénementiels que j'ai choisie à propos de l'inauguration. Nos cuisines ne seront pas opérationnelles ce jour-là, alors j'ai opté pour quelqu'un de l'extérieur. J'aurais besoin de ton avis.

- Ah.

Je suis à la fois soulagée et surprise de son attitude sage et responsable.

- D'accord. Je vais décommander ma séance de sport.

- Et Christian ? Je suppose qu'il va t'attendre.

Je grimace. Ah oui, lui, par contre, risque de poser problème.

- Je vais trouver un moyen.

- Je t'en remercie.

Il sort en me saluant une dernière fois. Et c'est tout ? Pas de pique concernant mon indécision ou à propos de Christian. Franchement, il commence à me faire flipper grave. Etre aussi gentil ne lui ressemble pas. J'ai peur du retour de bâton. Je me replonge dans le travail pour oublier ce qui me déstabilise, si bien que midi arrive et je suis toujours là. Le mobilier est installé et je suis assez contente du résultat. Jared est parti régler d'autres affaires. Des fois, j'oublie qu'il n'a pas que ce restaurant à gérer. Je profite de cette accalmie pour téléphoner à la salle de sport. Je m'excuse platement auprès de ma nouvelle coach. Deuxième fois que je lui fais faux bond. Mais elle est compréhensive et je me sens moins coupable de la laisser en plan en sachant que je lui libère la soirée. Reste à convaincre Christian. J'écoute les tonalités s'enchainer et je sens mon angoisse monter en flèche.

- Allo ?

- Bonjour, mon ange.

Son ton grave qui sait si bien me réchauffer ne parvient pas à chasser mon malaise. J'ai comme l'impression de le tromper en passant la soirée avec Jared.

- Bonjour. Comment tu vas ? dis-je sur un ton enjoué, pour cacher mon trouble.

- Bien. Surtout après avoir entendu ta voix.

Je me racle la gorge. Merde, pourquoi je me sens mal ? c'est juste pour le travail. Rien d'autres.

- Christian, je t'appelle pour te dire que je ne vais pas aller à la salle ce soir.

- Un souci ?

- Non, juste le travail qui me retient plus tard.

Un silence lourd de sens s'en suit.

- Tu veux dire plutôt que Jared te retient.

- Tu te méprends. On doit rencontrer la personne qui va préparer la soirée d'inauguration. Jared voudrait mon avis.

- Parce que tu es devenue spécialiste dans les petits fours à présent ?

Je soupire devant le ton agacé qu'il emploie. Je le comprends. Si c'était Maxine qui lui avait une demande du même genre, j'aurais pété un câble. Mais là, je n'ai pas l'intention d'outrepasser les limites du travail. Surtout pas avec Jared.

- Christian... je sais que tu n'apprécies pas que je travaille pour lui, mais je t'assure que tu n'as pas à te faire de souci. C'est toi que j'aime et personne d'autres.

- Jared est très fort pour retourner le cerveau des femmes qu'il côtoie.

- Sauf que je n'éprouve rien pour lui, à part de la peur et du dégoût. Tu sais pourquoi je suis encore là. Je n'ai toujours pas changé d'objectif. J'attends juste la confirmation de Tony.

- La confirmation de Tony ? A propos de quoi ?

Je me mords la lèvre. Merde, c'est vrai, on n'en a pas parlé.

- Je ne peux pas te le dire au téléphone. Demain soir, on se voit et je t'expliquerai. Tu veux bien venir chez moi ?

Christian marmonne quelque chose d'incompréhensible avant de me répondre.

- Très bien. On se voit demain chez toi. Mais fais attention à lui.

- Je te promets. Je t'aime.

- Moi aussi. C'est bien pour ça que je me fais autant de soucis.

Il raccroche et je range mon téléphone. Je sens que les choses risquent de tourner au vinaigre si je ne suis pas prudente. Surtout que j'ai encore ce fichu document avec moi. Il faut absolument que je trouve un moyen de le remettre en place, en croisant les doigts pour que Jared ne se soit pas aperçu de son absence.    

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