Chapitre 111


Avant d'aller à la salle de sport, je passe en coup de vent au restaurant. Juste le temps de faire le point sur les avancées du jour et ensuite je file. J'appréhende un peu de voir Jared. Son attitude de ce matin m'a laissé une impression étrange. Je n'ai vraiment pas envie d'approfondir la question. Pas aujourd'hui du moins. J'ai besoin de recul et mon cerveau sature un peu. Lorsque que je pousse la porte d'entrée, mon estomac et mon cœur dansent la samba. J'essaie de ne rien laisser paraitre. De toute manière, entourée des autres responsables, je ne crains rien. Il faut juste que je garde mes distances avec lui.

En m'apercevant, ils se cessent leurs conversations et se réunissent. Mes yeux parcourent l'assistance avec anxiété, mais force est de constater qu'il n'est pas là. Bizarre.

- Quelqu'un saurait où est passé Mr Patton ? demandé-je.

- Il vient de sortir. Un rendez-vous urgent, si j'ai bien compris. Il nous a dit de commencer sans lui.

J'acquiesce d'un hochement de tête. Je devrais être soulagée mais ce genre de comportement ne le ressemble pas. Depuis qu'on a débuté le chantier, il ne rate aucune réunion. Il tient absolument à donner son avis sur chaque décision prise. Qu'est-ce qui peut bien l'obliger à louper ce rendez-vous quotidien ? Je chasse rapidement cette pensée et lance le débat. Une demi-heure plus tard, toujours aucune trace de Jared et nous avons terminé. Je salue tout le monde et décide d'aller à sa recherche. Peut-être est-il dans son bureau. Je frappe quelques coups et, n'entendant pas de réponses, tente malgré tout d'ouvrir la porte. Et, ô miracle, elle se déverrouille sans problème. Mais lorsque je rentre, il n'y a personne.

Jared a laissé son bureau ouvert ? Il a dû vraiment partir précipitamment. J'ose faire quelques pas à l'intérieur. Qu'est-ce que je fais ? Je l'attends, je l'appelle ? Une idée traverse alors mon esprit. C'est l'occasion rêvée de farfouiller. Je suis seule, le propriétaire ne semble pas vouloir revenir de sitôt, j'ai donc tout le loisir de chercher d'autres preuves. Sans plus réfléchir, je me précipite vers la pile de documents étalés sur la table. Je lève, ouvre des dossiers, lis en diagonale les papiers qui me passent sous la main. Je tire sur le tiroir et fouine le plus vite et le plus efficace possible. Soudain, un document attire mon attention. Je le sors pour le lire. « Cession de parts du restaurant The Circle à la société Baraden & Cie ». Jared cède des parts de son restaurant à une société ? Je continue à lire. Quoi ? vingt pour cent ! Ce n'est pas énorme, mais assez pour que cette compagnie ait son mot à dire sur la façon de gérer l'établissement. Et si... Sans réfléchir, je fourre le document dans mon sac. Il faut absolument que je montre ça à Tony. J'ai comme l'impression que cette transaction avec une compagnie complètement inconnue n'est pas claire.

- Michelle ?

La voix de Jared me fait sursauter. Merde ! Je ferme le tiroir et cours pour m'asseoir sur le canapé. J'ai à peine posé mes fesses dessus qu'il ouvre la porte. Son regard de glace me transperce. Ses sourcils se froncent. Mon cœur arrête de battre.

- Qu'est-ce que tu fais ici toute seule ? Et où sont passés les autres ?

Ma gorge est serrée. La trouille bloque ma voix.

- Ils sont partis. Je... je suis restée parce que... il n'y avait personne pour fermer. Et puis... il fallait que je... te parle.

Ses yeux ne m'ont pas quittée. Bordel, il se doute de quelque chose. Il va forcément se douter de quelque chose. J'ai l'air coupable. Affreusement suspecte. Il se rapproche et je me crispe. Je n'arrive plus à le regarder. Je baisse la tête comme une enfant prise en faute.

- Tu voulais me parler ? Et de quoi donc ?

- Eh bien, je...

Je le sens s'installer juste à côté de moi. Un frisson d'appréhension me traverse. Vu ce qu'il a failli me faire alors qu'on se connaissait à peine, je n'ose imaginer ce qu'il me fera quand il comprendra. Son index pousse mon menton vers le haut, m'obligeant à replonger dans l'océan gelé de son regard. Je palis en voyant avec quelle intensité il m'observe.

- De quoi as-tu peur, Michelle ?

Je tente d'avaler ma salive, mais elle a disparu. Ma gorge est sèche. Mes mains agrippent mon sac.

- De quoi tu parles ? Je n'ai pas peur.

Son doigt caresse l'ovale de mon visage et je tressaille.

- Oh si, tu as peur. Est-ce moi qui te met dans un état pareil ?

Je suis fichue.

- J'ai comme une idée de ce qui te perturbe autant.

Je me mets à trembler de plus belle.

- Il faut de toute évidence qu'on clarifie les choses. Pour revenir à ce que tu m'as dit ce matin. Oui, je ne suis pas le genre de mec qui s'inquiète du fait de coucher avec plusieurs femmes en même temps. Le sexe est un plaisir qu'il est idiot de vouloir partager avec une seule personne. Et oui, j'avais très envie de te mettre dans mon lit pour emmerder Christian. Mais, les choses ont un peu changé. Depuis que je te vois tous les jours, mon opinion sur ta petite personne a... évolué. Je te prenais pour une idiote tombée sous le charme de l'autre imbécile et j'allais prendre un malin plaisir à foutre la merde entre vous. Et je suis, semble-t-il, sur le bon chemin, mais... je me rends compte que tu es plus que ça et ce que je vois me plait énormément.

Jared se rapproche un peu plus. Mes yeux s'écarquillent. Je n'ose plus bouger. Oh putain de merde ! Je fais quoi maintenant ? Il croit que je suis en train de perdre la tête pour lui. Si je le repousse, il va se braquer et chercher la petite bête. Et forcément, le pourquoi de ma présence ici sera remis sur le tapis et il risque de découvrir le pot aux roses.

- J'ai comme l'impression que toi aussi ton regard a changé sur moi. Je me trompe ?

Je secoue la tête, ne sachant quoi faire d'autres.

- Je ne suis pas l'enfoiré que Christian essaie de te faire croire, continue-t-il. Et tu commences à douter.

Il replace une mèche de cheveux derrière mon oreiller. Ma respiration se brouille. Un sourire satisfait apparait sur ses lèvres. Il croit qu'il me trouble, alors que c'est la peur qui me tient bien serrée entre ses griffes.

- Avoue-le, Michelle. Tu ressens quelque chose pour moi.

- Jared, je...

Son doigt se pose sur ma bouche et je m'arrête. Doucement, il comble l'espace entre nous. Non, non, non ! Pas ça ! Je suis tétanisée. Impossible de faire machine arrière. Je ne peux aller nulle part. Quand ses lèvres rencontrent les miennes, j'ai l'impression de tomber d'un immeuble. Je cesse de respirer. Sa langue vient me goûter, tente de se frayer un chemin. Je lui cède malgré l'écœurement que je ressens. Mon cœur se brise. Je ne veux pas, mais je ne peux pas l'en empêcher. La terreur d'être découverte surpasse le dégoût et la culpabilité. Je gémis, réprimant les sanglots qui menacent. Pourquoi, pourquoi je fais ça ? Christian ne me le pardonnera jamais, même en sachant pourquoi je le fais. Surtout en sachant pourquoi. Sa main se glisse dans mes cheveux, approfondissant ce baiser qui me torture. Son corps se colle au mien. C'en est trop. C'est au-delà de ce que je peux endurer. Je me détache et me lève précipitamment. Je cours pour sortir, pour fuir ce qui vient de se produire. L'air me manque. Les larmes se mettent à couler. J'ai envie de vomir. Je n'aurais pas dû. J'aurais mieux fait de le repousser dès qu'il a tenté son approche. Je ne sais comment j'arrive à ma voiture. J'entre et claque la portière. Les mains crispées sur le volant, je pleure. Je pleure ma bêtise, ma culpabilité, mon dégoût. Je pleure l'amour que je vais perdre quand il l'apprendra.

Non, je ne peux pas le lui dire. Je ne veux pas qu'il me quitte. J'ai besoin de lui.Bien trop besoin. J'essaie de calmer les spasmes qui me secouent. Il faut que je retrouve le contrôle. Ce n'était qu'un baiser. Juste un baiser. Un baiser pour masquer mon vol, pour faire en sorte que tout cela s'arrête. Christian n'en saura rien, parce que ça nous détruirait. Et je refuse que ça finisse comme ça. Mon souffle reprend un rythme normal, même si mon cœur bat de manière anarchique. Je vais rentrer chez moi pour me reposer. Demain, je verrais plus clair et je trouverai comment faire pour que ce cauchemar prenne fin.J'appellerai Tony. Je lui montrerai le document. Il me dira, j'en suis certaine, que c'est une preuve qui suffira à faire sortir Jared définitivement de mon univers. J'irais l'affronter seul. Sans Tony, sans Josie, sans Christian. Juste lui et moi. Pour préserver ce secret. Et je le ferais plier.Convaincue par mon discours, je démarre d'une main tremblante. Mais ma vue est tellement floue qu'il me faut plusieurs minutes pour réussir à quitter cet enfer.    

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