Chapitre 105

Jared quitte le canapé et se dirige vers moi. Instinctivement, je serre les poings et la mâchoire.

- On se détend. Maintenant que tu as fait ce que je t'ai demandé, je n'ai plus de raison de jouer au méchant. Allez, on y va. On n'est pas en avance.

Il me tend une main que je refuse. Je vais devoir le suivre, mais pas question de lui être agréable pour autant. Je me plante devant la porte d'entrée et attend qu'il daigne sortir pour refermer derrière moi. Un sourire narquois accroché aux lèvres, il se dirige vers le couloir d'un air nonchalant. Il a gagné, il le sait et il en est fier. J'ai envie de l'étrangler mais malheureusement pour moi, je ne fais pas le poids. Je le suis dans l'ascenseur et garde une distance de sécurité.

- Arrête de faire la tête, Michelle. Tu verras, tu vas apprécier cette soirée.

- Ben voyons. Ce n'est pas comme si tu me l'avais imposée.

Il soupire d'exaspération et enfonce les mains dans ses poches. Les portes s'ouvrent et je le suis sans broncher. Il m'ouvre la portière dans un geste de galanterie mal placée. Je ne sais pas à quoi il joue, mais il m'agace fortement. Je m'installe après lui avoir adressé un regard noir. Il n'en tient pas compte et me rejoint. Le trajet se fait dans le silence. Ça n'a pas l'air de le gêner et moi ça me permet de retrouver un semblant de sérénité. Nous arrivons bientôt à une villa accrochée à flanc de colline. Un grand portail en défend l'entrée. Jared ne vit de toute évidence pas dans la pauvreté. Mon petit appartement fait ridicule à côté. Il gare sa voiture devant l'entrée et vient m'ouvrir. J'avoue avoir bugué quelques secondes devant l'architecture des lieux. C'est absolument stupéfiant.

- C'est magnifique !

- Oui, je sais. Elle m'a coûté un max mais elle en valait la peine.

Une immense maison d'architecte de plain-pied, parfaitement intégrée à la nature sauvage des environs. Elle s'y fond avec grâce, sans pour autant négliger un côté moderne et élégant. Si je m'écoutais, j'irais toucher les pierres de parement de la façade pour confirmer mon intuition. Je suis sûre que ce sont des pierres de la région taillées pour donner un effet camouflage encore plus prononcé.

- Je savais que tu apprécierais. Tu as l'œil pour ce genre de choses.

- J'avoue que je suis curieuse.

- Je te ferais visiter plus tard si tu veux. Mais pour l'instant, on est attendu.

Sans me le demander, il glisse ma main sous son bras et m'entraîne à l'intérieur. Je suis bien trop subjuguée par l'endroit pour protester.

- Jared ! On se demandait ce que tu faisais !

Un homme d'une quarantaine d'années vient d'interpeller le propriétaire de ce petit bijou architectural et le gratifie d'une accolade virile. Je me suis mise légèrement en retrait et les observe. L'échange a l'air amicale, presque vrai. Mais avec Jared, tout est relatif.

- Alors où t'étais-tu éclipsé ?

- J'étais allé chercher ma designer.

- Ah ! la fameuse Mademoiselle Muller dont tu n'arrêtes pas de chanter les louanges. Enchanté, Mademoiselle.

Il me prend la main et la sert délicatement. Mes sourcils se sont levés d'étonnement. Comment ça, il a parlé de moi et de mon travail ? Depuis quand Jared est-il aussi... altruiste ?

- Michelle, je te présente Oliver Grant, le PDG de Grant Industries. Je lui ai montré les plans que tu as élaborés pour le restaurant et ça l'a beaucoup enthousiasmé. Quand il verra les résultats et les délais que tu es capable de tenir, je suis certain que tu auras un nouveau client.

Heu ! Il me fait quoi là ? Il est vraiment bizarre.

- Je suis certaine que M Designs sera ravi de vous compter parmi ses clients, Monsieur Grant.

- Non, tu te méprends. Je parlais de toi en particulier, me reprend Jared. C'est toi qui a ce regard si singulier.

- Je suis d'accord avec Jared. J'ai déjà travaillé avec Mademoiselle Madden et j'avoue que votre façon d'aborder les choses est... inattendue et intelligente. Je suis pressé de voir ce que cela donne en réalité.

- Moi aussi, Oliver, renchérit Jared. Je suis vraiment enthousiaste à l'idée de vous montrer le nouveau visage de mon restaurant.

Un serveur passe alors à côté de nous. Jared saisit deux coupes et m'en tend une.

- A la fin de ce chantier !

Nous levons nos verres pour répondre à son toast. Je suis vraiment perdue. Ce mec est franchement déstabilisant. Après avoir montré son côté perfide et arrogant, il me sert le couplet du mec sympa. Monsieur Grant s'éclipse en s'excusant et en promettant de venir voir les travaux sous peu. Me voilà seule avec Jared. C'est l'occasion de clarifier la situation.

- Tu m'expliques parce que là, je ne te suis plus.

- Tu es une designer de talent. C'est normal que je fasse ta publicité.

- Heu... non, ce ne me parait pas normal. Jusqu'à présent, tu t'es montré plutôt hostile à mon égard. C'est quoi ce changement d'attitude ?

- J'aime les gens qui se donnent à fond, réplique-t-il en haussant les épaules. Et de toute évidence, c'est ton cas. Tu as vraiment un don et je trouve dommage que tu te cantonnes à l'exécution des dossiers de Lilah.

J'ai soudain envie de rire. Il n'est pas en train de suggérer ce que je pense ?

- Attends ! tu es en train de me dire que je devrais prendre mon indépendance ?

- Exactement. Tu devrais créer ta propre boîte. Ce soir, c'est l'occasion de nouer des partenariats intéressants pour ton avenir.

- Jared, je t'en prie ! ricané-je. Ne raconte pas n'importe quoi. Ce n'est pas sur un chantier que je me ferais une réputation et surtout pas une clientèle.

- Mais moi je peux t'y aider. Il suffit que tu te fasses confiance.

- Ce n'est pas la question.

Il m'oblige à lui faire face en me tenant fermement par les deux bras.

- Tu as raison. La question est de savoir ce que tu veux faire de ta vie. Faire ce que tu aimes à fond ou vivre dans l'ombre de ton petit ami.

Nous y voilà ! Tout ça est encore en rapport avec Christian. J'aurais dû m'en douter.

- Je suis dans l'ombre de personne.

- Tu es sûre ? parce que jusqu'à présent, ce que je vois c'est une jeune femme talentueuse qui s'accroche à un amour toxique qui l'empêche d'être heureuse. Ça te rappelle quelque chose ?

Je blêmis. Il fallait s'y attendre. Il me parle de Nathan de manière sous-entendu, mais c'est parfaitement clair. Je me dégage de sa poigne et murmure entre mes dents.

- De qui parles-tu là ? De Christian ou de Nathan ? Parce que j'ai comme l'impression que tu en sais plus sur ma vie que tu veux bien le dire.

- Si tu me demandes si j'ai fait une enquête sur toi, alors oui, c'est le cas. Je ne m'entoure pas de collaborateurs sans prendre un minimum de renseignements sur eux avant.

- C'est aller un peu loin tout de même.

Le sourire en coin qu'il affiche m'agace autant que son absence de réplique.

- Pense à ce que je t'ai dit. Tu mérites mieux que de jouer les sous-fifres de Lilah. Tu vaux largement autant qu'elle. Il suffit que tu oses faire ce que tu veux de ta vie, pour une fois.

Jared me laisse toute seule pour réfléchir à notre discussion. Je me sens vraiment perturbée par ses arguments. Il est doué, vraiment doué pour trouver comment te faire douter. Et cette fois, il a su me mettre parfaitement devant mes doutes de toujours. Suis-je capable de vivre par moi-même, sans compter en permanence sur quelqu'un, que ce soit Josie ou Christian ? suis-je prête à voler de mes propres ailes ?

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