Chapitre 101
Le chantier commence à prendre forme. On a passé les deux premiers jours à vider l'intérieur du restaurant et maintenant, les ouvriers entament le travail de fond. Sols, murs, bars, tout y passe. Je suis obligée de me rendre sur place tous les matins et tous les soirs afin que les équipes avancent au rythme voulu. Jared s'est un peu calmé. Il est bien trop obnubilé par tout ça pour penser à mon couple. Et puis, Christian et moi avons pris un peu nos distances. Il faut dire que je n'ai plus beaucoup de temps à lui accorder. C'est fou comme le suivi de chantier est prenant. Je comprends pourquoi ma patronne est toujours par monts et par vaux. Et puis, le fait qu'on se voit moins semble conforter Jared dans l'idée qu'entre Christian et moi, ça s'essouffle.
Alors que je consulte les plans et le planning, mon téléphone vibre. Un message de Christian.
« On se voit ce soir ? »
Je soupire en le lisant. Si seulement je pouvais, mais j'ai mille choses à régler car en plus du restaurant, Mademoiselle Madden m'a mise sur d'autres dossiers. Donc j'ai du travail à ne plus savoir qu'en faire.
« Désolé, pas ce soir. J'ai une tonne de boulot et je suis crevée. On se voit à la salle ? »
La réponse tarde à venir. Je sais que ça lui fait du mal qu'on soit obligé de jouer cette comédie, mais il faut qu'on soit forts. Ça ne durera pas éternellement. Juste le temps de piéger Jared.
« Ok »
Ok ? Et c'est tout ? Je m'attendais à ce qu'il proteste, qu'il tente de m'amadouer. Mais ce n'est pas plus mal. C'est qu'il commence à me faire confiance et à assumer tout ça. Soudain, quelqu'un m'arrache mon smartphone des mains. Jared. Mais à quoi il joue ? Je tente de reprendre mon bien, mais il le tient à bonne distance. L'enfoiré !
- Oh ! Comme c'est dommage ! Tu fais faux bond au prof de yoga ? Il a l'air tout malheureux.
- Rends-moi mon téléphone, m'énervé-je tout en sautillant.
- C'est bien plus drôle de te voir gigoter dans tous les sens.
Je stoppe aussitôt mes bonds, attrape son col et tire dessus pour que son visage soit à mon hauteur.
- Redonne-le-moi, marmonné-je entre les dents.
Mon visage est si proche du sien que je peux sentir son souffle sur mes lèvres. Les siennes s'étirent dans un sourire diabolique.
- Un baiser et je te le rends.
Je me fige un instant. Que suis-je sensée faire ? Le lui accorder pour mieux l'enfoncer dans ses certitudes ou l'envoyer bouler ? Mais une voix derrière moi me coupe l'herbe sous le pied.
- Monsieur Patton, vous avez de la visite.
Pendant encore quelques secondes, il fixe avec avidité ma bouche puis, d'un coup sec, se dégage de mon emprise. D'un geste sûr, il glisse mon téléphone dans mon décolleté avant de se diriger vers la sortie, comme si de rien n'était. J'en deviens rouge pivoine. Non mais quel culot ! Il me faut quelques secondes pour reprendre mes esprits. Je balaie des yeux la salle. On dirait bien qu'il est parti. Et c'est là que je l'aperçois. Il est dehors, devant le restaurant, en compagnie du même homme que la dernière fois. Gabriel Fierro. Ils sont en plein discussion. C'est l'occasion ou jamais. J'allume fébrilement mon smartphone et pointe l'objectif de l'appareil photo dans leur direction. Je prends rapidement quelques clichés. Les voilà qui rentrent. Je me détourne rapidement et fais mine de photographier l'intérieur. Ils passent à côté de moi, sans me prêter attention. Je retiens ma respiration jusqu'à ce qu'ils aient passé la porte du bureau.
Je range fébrilement mon téléphone dans mon sac et essaie de me concentrer sur mes plans. Sauf que mon cœur qui bat à cent à l'heure ne m'aide pas. Si je reste ici et qu'ils me voient dans cet état, ils vont se douter de quelque chose. Alors je décide de prendre mes clics et mes clacs et de m'en aller en douce. De toute manière, je ne pourrais rien faire de plus ce matin. Je salue rapidement les responsables et m'éclipse comme une voleuse. Je marche d'un pas rapide jusqu'à l'arrêt et patiente dans un état de grande nervosité. Quand je m'installe enfin dans le tram et qu'il démarre, je me sens franchement mieux.
Voilà, c'est fait ! J'ai une preuve de l'implication de Jared avec un baron du crime. De quoi lui foutre assez la trouille pour qu'il nous laisse tranquilles. Il faut que j'appelle maintenant Tony pour le tenir au courant. D'une main tremblante, je sors le téléphone prépayé de mon sac et compose le numéro. Rapidement, il décroche.
- Je t'écoute.
- Je crois qu'on a ce qu'il nous faut. J'ai obtenu des photos de Jared et de son mystérieux visiteur en train de discuter.
Un silence gênant s'installe.
- C'est un premier pas, mais ce ne serait pas suffisant malheureusement.
- Quoi ? Comment ça ?
- Une photo n'est pas une preuve suffisante. Elle peut aiguiller mais pas accuser. Il va nous falloir des documents qui montrent clairement le lien entre eux.
Je soupire de dépit.
- Je suis désolé mais tu vas devoir y retourner et te rapprocher un peu plus de lui. Il faut que tu trouves un moyen pour fouiller dans ses documents personnels.
- Ok, j'ai compris. Merci, Tony.
- Par contre, tu peux d'ores et déjà les mettre de côté. Efface-les tout de suite pour éviter qu'il ne les découvre. Elles sont sur ton téléphone, je suppose ?
- Oui.
- Très bien, télécharge-les sur ton ordinateur. Et Michelle, ça va aller. Tu te débrouilles comme une chef.
- Merci, soupiré-je.
- Au fait, le détective continue à surveiller tes allers et venues. Alors, fais attention.
J'entends alors du bruit derrière lui.
- Il faut que je te laisse. Tiens-moi au courant.
Avant que je ne puisse lui répondre, il raccroche. Je me sens soudain très lasse. Ne verrais-je donc jamais le bout du tunnel ? Je me sens si mal tout à coup. Moi qui m'était faite une joie en me disant que tout cela allait enfin prendre fin. Mais non, je ne suis qu'au début de tout ça. Je vais devoir le laisser m'approcher un peu plus, gagner sa confiance. J'en tremble déjà. Et s'il me réclamait encore un baiser, dois-je le lui concéder ? Et ensuite, se croira-t-il permis de me toucher ? Ça, je n'y arriverai pas. C'est au-delà de ce que je peux supporter.
Je quitte le tram, le moral dans les chaussettes. Christian me manque tout à coup cruellement. Je sors mon téléphone pour l'appeler. Juste pour entendre sa voix, pour me rassurer.
- Il y a un problème ?
Mon cœur se réchauffe instantanément.
- Non, non. J'avais juste envie de t'entendre.
- Hé ! Mon ange, si ça ne va pas, dis-le-moi et je rapplique sur le champ. Où es-tu ?
- Je rentre à l'agence. Je vais me mettre au boulot. J'ai des dossiers en retard.
- Tu es sûre que ça va aller ?
- Oui, ne t'inquiète pas. Tu me manques. J'aurais aimé passer du temps avec toi ce soir mais vraiment j'en ai par-dessus la tête avec toute cette paperasse à régler.
- Ne t'inquiète pas. Je saurais t'attendre. Mais si tu vois que c'est trop difficile, arrête tout. On trouvera un autre moyen.
Je souris malgré moi contre le combiné. Je suis beaucoup moins optimiste que lui.
- Il faut que j'y aille.
- Je t'aime.
- Moi aussi.
Je raccroche, le cœur gros, et m'engouffre dans le hall d'entrée.
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