4 - Continuer à avancer

Caroline

Mon regard se perd par la fenêtre ouverte. Le vent qui s'engouffre dans mon bureau m'oblige à enfiler un long gilet de laine. Je déteste avoir la sensation d'être enfermée, de plus, j'aime entendre les bruits provenant du dehors. Ça me détend.

Je soupire tout en me replongeant dans mes dossiers. Aucune concentration depuis ce fameux soir. Son demi-sourire m'obsède, ses yeux froids me poursuivent et le goût de sa bouche me laisse une sensation de trop peu.

Oublie-le, Caro.

Bon, plus facile à dire qu'à faire. Mais ce type n'est pas pour moi ! D'un, il est visiblement un habitué des femmes d'expérience, son petit jeu semble bien rodé. De deux, et ce n'est pas négligeable, il va y avoir conflit d'intérêts puisqu'il investit dans LFA. Ça risquerait de me retomber dessus, cette histoire. Seulement... c'est la première fois que je ressens réellement du désir.

Mes expériences passées ont été désastreuses. Je n'en ai pas eu beaucoup, mais elles m'ont profondément marquée. Trois aventures, trois catastrophes. Je me suis toujours demandé si les souvenirs de ma mère et de son étrange relation avec mon père pouvaient avoir un effet bloquant sur moi. C'est ce que je croyais. Du moins, jusqu'au baiser de Vince.

Mon premier amant, je l'ai rencontré à l'université. Nous suivions les mêmes cours d'économie et nous révisions ensemble à la bibliothèque. De fil en aiguille, nous nous sommes rapprochés. Ma première fois a été douloureuse, humiliante. Impossible de ressentir de l'envie. Au départ, il a été rassurant, me confiant qu'avoir la trouille était tout à fait normal. Au bout de deux semaines, il m'a traitée de glaçon impossible à dégeler malgré toutes ses tentatives. Super rassurant et positif pour la suite.

Le deuxième est parti sans un mot après notre deuxième tentative. C'était peu de temps après le premier. Je ne voulais pas rester sur un échec, sur ce sentiment de ne pas être à la hauteur. Je l'ai laissé faire, aller jusqu'au bout alors que je ne ressentais aucun désir pour lui. Il a dû s'en rendre compte...

Le dernier, d'ailleurs, s'était mis en tête d'être meilleur que les autres. Je l'avais prévenu dès notre première sortie. Je lui ai dit que je n'étais pas très à l'aise, que mes premières expériences avaient été assez malheureuses. Au final, il a laissé tomber, lui aussi. Ses conclusions me serrent encore le cœur : « Tu es un cas désespéré ! J'en avais marre de t'attendre, j'ai préféré jouir plutôt qu'espérer ne serait-ce qu'un gémissement de ta part. Je suis désolé, mais tu es frigide. »

Autant dire que j'ai été un peu déboussolée de ressentir du désir pour Vince. Aussi vite et aussi intensément. C'est bien le premier à me faire autant d'effet rien qu'en m'embrassant. Il aura fallu qu'un sombre géant au regard de glace débarque pour que mes hormones s'en trouvent toutes chamboulées.

Sauf qu'il me paraît trop dangereux pour moi. Et son caractère n'a pas l'air évident à supporter. Dommage que ce baiser se soit fini aussi brusquement. Je ne saurai jamais jusqu'où il aurait pu m'emmener dans le plaisir.

Je perds la tête ! C'est une archi-mauvaise idée de coucher avec lui, de toute façon !

On toque à la porte. Je m'oblige à arrêter de penser à lui. Ça ne sert à rien de ressasser. Gaëtan entre dans mon bureau en refermant derrière lui. Il grimace en voyant la fenêtre ouverte et s'installe le plus loin possible pour éviter l'air froid.

— Tu vas finir par tomber malade, grommelle-t-il en se frottant les bras. Si tu as trop chaud, t'as qu'à utiliser la clim' !

— Mets un pull, répliqué-je sans lever les yeux de mon dossier.

— Tu vas bien ?

— Oui.

Son silence finit par me faire redresser la tête. Je grimace en voyant son air réprobateur. Je referme ma pochette, m'adosse à mon fauteuil et croise les bras sur ma poitrine.

— Tu voulais ? lui demandé-je le plus poliment possible.

— De tes nouvelles, répond-il du tac au tac. Tu es enfermée ici depuis deux jours.

— J'ai du boulot, figure-toi. Tu en as aussi, me semble-t-il. N'es-tu pas responsable du prochain lancement de LFAone ?

— Le projet de commercialisation de notre premier modèle se déroule comme prévu, réplique-t-il en fronçant les sourcils. Il y a quelques tensions avec notre filiale américaine, mais rien d'insurmontable pour l'instant... Est-ce que tout va bien ?

Je me contente d'un petit sourire contrit qui le fait soupirer.

— Kévin pose beaucoup de questions sur toi, ces derniers temps, reprend Gaëtan.

L'ex-assistant de l'ancien P.D-G. Florent Festoin... qui, au passage, est mon père... Super nouvelle.

— Il commence à me sortir par les yeux, murmuré-je.

— À moi aussi. Il cherche la moindre erreur pour te décrédibiliser auprès du conseil. Il profite du fait que Jacques ne soit plus là pour contrebalancer.

L'évocation de Jacques me rend nostalgique. Cet homme est devenu mon père de substitution pendant mon adolescence. Il a bien connu ma mère, Odile, quand ils étaient au lycée, et m'a recueillie lorsque j'ai fugué après son suicide. Ma mère lui faisait confiance. La lettre qu'elle m'a laissée me disait de prendre contact avec son ami et que je pouvais me fier à lui. Elle ne s'est pas trompée. Jacques ne le sait sûrement pas, mais il m'a sauvé la vie, m'empêchant de reproduire le modèle maternel. Sauf qu'aujourd'hui, il n'est plus là pour me guider.

— Désolé de te rappeler de mauvais souvenirs, reprend Gaëtan en s'approchant pour me frotter le bras. Tu as des nouvelles ?

— Il devait passer un scanner aujourd'hui. J'ai prévu d'appeler l'hôpital tout à l'heure.

— Dis-moi si je peux faire quelque chose.

— C'est gentil, merci.

Je tente un sourire, mais cela doit plutôt ressembler à une grimace tristounette. Gaëtan ne s'attarde pas et je me retrouve seule, encore une fois. Mon esprit vagabonde vers celui qui était devenu ma bouée de sauvetage.

C'est Jacques qui m'a soutenue lorsque j'ai pris la décision de faire tomber mon enfoiré de géniteur de la tête de LFA. Je n'avais que cette idée à l'esprit, me venger, venger ma mère, en lui prenant ce qu'il avait construit de toutes pièces. Grâce à Jacques, encore, j'ai pu accéder au poste de P.-D. G tout en poussant mon père dehors.

***

Allez, j'ai décidé de te partager un chapitre supplémentaire !! Youhou !


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