CHAPITRE 7 - ELLE
Chapitre 7
Selena
☆☆☆
Becky tire le rideau pour la sixième fois en une heure. Elle soupire, un petit air triste. Elle me fatigue. Ça fait trois jours qu'elle passe ses journées devant cette saleté de fenêtre.
— La petite moche vient de lui apporter un dossier, m'informe-t-elle
— Je m'en fous.
— Je me demande ce qu'il fait dans la vie.
— Je m'en fous aussi.
— Tu crois qu'il est...
— Becky ! Je m'écrie
Elle tourne sa tête vers moi, surprise.
— Je m'en fous. Vraiment.
Elle me fait la moue puis vient me rejoindre sur le canapé. Sam s'est endormi sur le canapé depuis une bonne demi-heure devant la télé et j'ai laissé son dessin animé tourner. Sam adore aller chez Becky, cette fille est aussi dingue du monde féerique de Disney que mon fils et possède une collection de dessins animés impressionnante, au grand plaisir de Sam.
— Selena. Ça fait trois jours qu'il n'a pas bougé de la laverie.
— Eh bien, il doit sacrément puer !
— Non, il prend des douches dans l'arrière-boutique de la laverie. Il a demandé à Antonio.
Je tourne ma tête vers elle.
— Comment tu le sais ?
— Euh... Je... Je..., bafouille-t-elle
— Becky... je la sermonne
Elle m'affiche un petit air navré.
— C'est Imelda Torres qui me l'a dit
— Tu te renseignes sur lui ou quoi ?
— Bah, comme tout le monde. Ça fait trois jours qu'il n'a pas bougé. Tout le monde a vu sa super bagnole. Et il faut dire qu'il est tenace. Tout comme toi.
Je grimace. Je ne suis pas tenace, je m'en fous de savoir qu'il veut soulager sa conscience. J'ai un enfant à m'occuper et un nouveau job à trouver.
— Tu devrais y aller, Selena.
— Non !
— Si !
— Non !
— Mais tu es têtue, ce n'est pas possible. Qu'est-ce qu'il te veut à la fin ?
— Honnêtement, je n'en sais rien mais ça aussi je m'en fous.
Et c'est vrai !
— Il paraît qu'il a payé les frères Perez pour surveiller sa voiture. Ils se relayent jour et nuit.
— Il a fait ça ?
Mais quel connard ! Il n'a pas pu s'empêcher de prendre les gens pour ses larbins. Encore une fois.
— Les gamins sont contents. Ils ont pu rembourser l'hypothèque de la maison de leur mère.
Bon, c'est un connard mais il a le mérite d'avoir fait une bonne action, même si je doute qu'il le sache.
La porte de l'appartement s'ouvre alors et Amber y entre, les bras encore chargés de paquets. Je crains qu'elle ait encore eu un épisode kleptomane.
— Selena !
— Oui ?
— Ton beau gosse est toujours à la laverie.
Elle joue avec ses sourcils en affichant un grand sourire.
— Je le sais. Becky se charge de me le rappeler tous les quarts d'heure, je peste.
Elle se laisse tomber sur le fauteuil, retire ses chaussures et les étend sur la table basse.
— Il m'a chargé de te dire qu'il attend toujours et qu'il ne bougera pas.
— Tu as été le voir ?
— Bah ouais. J'avais du linge à laver.
— Dis la fille qui revient sans linge, fait Becky.
Amber lui fait les gros yeux et je ne peux m'empêcher de sourire.
— Je me demande combien de temps il va tenir ? fait Becky.
— Tout le monde se le demande. Les paris sont ouverts paraît-il, dit Amber.
Je souffle de rage. C'en est trop ! Je me lève du canapé, sous les yeux ahuris de Becky et le sourire satisfait d'Amber, prête à le renvoyer chez lui. Son petit manège a suffisamment duré.
— Tu vas où ? me demande Amber.
— Comme si tu ne le savais pas. Je vous laisse surveiller Sam.
J'enfile ma paire de sandalettes et sort de l'appartement. Je dévale les escaliers rapidement et passe devant la voiture de cet abruti. En chemin, je croise Madame Goncalves, la commère du quartier, qui me jette un regard navré.
— Eh ma petite, il va falloir que tu te décides à aller voir ce pauvre garçon...
Je l'ignore totalement et traverse la rue. Il faut que j'arrête son petit jeu. Il va finir par me rendre folle. Et je ne veux pas être mêlée à son petit caprice d'enfant trop gâté par la vie.
Je pousse la porte de la laverie. Peu de personnes s'y trouvent et je repère aussitôt ce débile, un ordinateur portable sur ses genoux et des lunettes coincées sur son nez. Il est assis au même endroit que nous avons pris pour parler, quelques jours plus tôt.
Je ne sais pas ce qu'il m'a pris ce jour-là. Je me suis ouverte à lui alors qu'il est un parfait inconnu pour moi. La seule chose que je sais de lui est son prénom. Ben. Sûrement un diminutif de Benjamin. Étrangement, lui confier tout ce que j'avais sur le cœur m'a fait un bien fou. Il a au moins le mérite de m'avoir écoutée.
Je m'approche de lui et il lève lentement la tête vers moi. Sa bouche forme un « O » parfait, signe de sa surprise. Ses yeux descendent alors sur moi et se relèvent lentement. J'ai l'impression qu'il me regarde aux rayons X. Je me sens aussitôt mise à nue et je n'aime pas ça.
— Salut, me dit-il
— Salut.
Il referme son ordinateur et le pose sur le siège libre, à sa droite. Je prends le temps de l'observer. Une barbe de trois jours a poussée sur ses joues et je dois reconnaitre que ça lui va bien. Je me laisse tomber près de lui et constate qu'il sent bon, comme le premier jour de notre rencontre. Imelda Torres n'a pas dit de conneries on dirait.
Il se tend légèrement et je comprends qu'il ne s'attendait à ne pas me voir aujourd'hui, bien qu'il soit là pour ça.
— Ben, tu ne crois pas qu'il est temps que tu rentres chez toi ? Je commence.
Il me sourit.
— Je suis plutôt bien ici. Les gens sont sympas
— Waouh, tu te mélanges au petit peuple maintenant ?
Il rit. J'aime le son de son rire. Je le trouve communicatif.
— Je n'ai pas vraiment le choix. Ça fait trois jours que j'attends.
— Arrête de m'attendre et rentre chez toi. S'il te plait.
— Alors tu as un petit garçon ?
Il change carrément de sujet en lançant le plus beau sujet à mes yeux.
— Oui. Il a cinq ans.
— Comment il s'appelle ?
La porte de la laverie s'ouvre alors et Madame Rodriguez y entre, sourire aux lèvres. Elle s'approche de nous, une boite en plastique à la main.
— Ils sortent du four, dit-elle. Mange-les tant qu'ils sont chauds, ils en seront encore meilleurs.
— Merci Maria. Tu es une mère pour moi.
Elle lui sourit puis porte son regard vers moi.
— Selena, comment vas-tu ?
— Super, je mens.
Techniquement, ça va. J'ai juste tous mes petits problèmes habituels additionnés à un crétin un peu trop persévérant.
— Ben, tu es toujours d'accord pour vendredi soir.
Vendredi soir ? À son barbecue ? Elle l'a invité ?
— Bien sûr, je serai là avec plaisir.
— Très bien. Dix-huit heures ?
— C'est parfait.
Maria Rodriguez se tourne une nouvelle fois vers moi.
— Je vous laisse discuter, me dit-elle. Bonne soirée.
J'hoche la tête et elle tourne les talons, satisfaite. Je reporte mon attention sur Ben.
— Elle t'a invité vendredi soir ?
— Ouais. Elle est super cette femme. Elle m'a fait des Papas Rellenas. Il paraît que c'est super bon.
— Ça l'est ! Crois-moi.
Il me sourit puis ouvre la boite. Je sens aussitôt l'odeur familière de coriandre et de paprika. Ben tend sa boite vers moi et j'en prends un aussitôt. Je croque dedans en fermant les yeux. Je ne peux jamais résister à ces petits beignets. Ils me rappellent ma grand-mère.
Quand je les rouvre, Ben me fixe, me mettant mal à l'aise.
— Tu... Tu n'en manges pas ?
— Si.
Il prend un beignet et croque à son tour dedans. Il me sourit, satisfait.
— C'est vrai que c'est bon.
— C'est mon péché mignon.
— Tu sais en faire ?
— Bien sûr. J'en fais assez souvent. Mon fils les adore autant que moi.
— J'aimerais goûter les tiens, me dit-il, souriant.
Mon sourire s'efface aussitôt. Je crois que ce garçon s'attend à quelque chose que je ne pourrai jamais lui offrir.
— Écoute Ben. Tu fais fausse route. Je... Je n'ai pas le temps pour un mec, ou pour m'amuser, ou...
— Ça te dit d'aller ailleurs ? Me coupe-t-il.
— Je...
Il se lève, me tend déjà sa main et me supplie du regard.
— J'aimerais te proposer quelque chose, dit-il.
☆☆☆
Un serveur nous apporte nos boissons et les dépose sur la table. Ben ne cesse de me fixer et je suis toujours autant tendue à son contact. Je souffle sur mon chocolat chaud et en prend une gorgée.
— En fait, tu ne m'as toujours pas dit comment s'appelait ton fils ?
Je lui souris. Comme à chaque fois qu'on parle de lui.
— Sam, je souffle.
Je perçois un léger froncement de sourcils. Il ne devait pas s'attendre à ce prénom.
— Samuel, plus exactement. C'était le prénom de mon père.
— C'était ?
— Oui. Mon père est décédé il y a presque vingt ans. J'avais l'âge de Sam.
— Il est mort de quoi ? Si ce n'est pas indiscret bien sûr.
— Ça ne l'est pas. D'une cardiomyopathie hypertrophique
— Oh !
Son petit « oh » était triste. Je déteste quand les gens ont pitié de nous. C'est pour ça que je ne parle jamais de la maladie de Sam. Car sans cette maladie, il est un petit garçon normal et je préfère qu'on le voie comme ça.
— Sam a hérité de ce gêne.
— Ton fils a la même maladie ?
— Elle a été détectée à sa naissance.
— Tu m'expliques ?
— Ça t'intéresse ?
— Sinon, je ne te le demanderais pas.
Je laisse échapper un petit rire. Oui, je vois que ça l'intéresse vraiment.
— C'est une maladie complexe et malheureusement, il n'y a pas de remède miracle à cette saloperie. C'est une maladie du muscle cardiaque.
— Et il n'y a pas de traitement pour ça ?
Si seulement...
— La recherche a fait beaucoup de progrès. Samy a un traitement quotidien. Mais ses médicaments sont chers, très chers. Environ cent soixante dollars par semaine. Tout comme les séances de kiné et le diététicien. J'ai de la chance d'avoir un pédiatre génial et conciliant qui ne me fait pas payer ses consultations. L'idéal pour Sam serait une greffe du cœur.
— Et ces médicaments ? Ça marche ?
— Oui et non. Ça maintient son état de santé mais ça ne l'améliore pas pour autant. Si demain, il n'a pas son traitement, sa santé se dégradera. Tu comprends mieux pourquoi je suis obligé de gagner de l'argent comme je peux. Même si je détestais mon job, il me permettait de payer son traitement et mon loyer. Pour le reste, je me démerdais.
— Tu ne peux pas rester dans cette situation plus longtemps, Selena.
J'hausse les épaules. Je le sais. Mais c'est la vie et je ne peux pas faire autrement.
— Je n'ai pas vraiment le choix. Sans cette saloperie de carte verte, je ne peux pas avoir de couverture sociale. Et sans couverture sociale, Sam ne peut pas faire partie de la liste des receveurs d'organes. Et du coup, je suis obligée de montrer mon cul à des connards six soirs par semaine.
Ma remarque le raidit mais je m'en moque. S'il croit que c'est facile, il se trompe lourdement.
— Est-ce que je peux faire quelque chose pour toi ? Me demande-t-il
Je souris. Ce mec est dingue. Que pourrait-il faire ? Absolument rien.
— Écoute Ben, je te remercie de m'avoir écoutée encore une fois mais à moins que tu aies un cœur tout neuf dans les poches de ton costard à trois mille dollars, tu ne peux rien faire pour moi. Si tu t'en veux de m'avoir fait perdre mon job, je te pardonne. En fait, c'est peut-être bien la meilleure chose qu'il me soit arrivé ce mois-ci. Alors maintenant, Ben, je t'en prie, non, je t'en supplie, rentre chez toi. C'est bien mieux ainsi.
Je me lève de ma chaise sans le quitter des yeux. Il est temps que je parte.
— Merci pour le chocolat.
Je rentre ma chaise sous la table alors qu'il se lève à son tour. Ses yeux couleur chocolat n'ont toujours pas quitté les miens.
— Je n'ai pas de cœur dans mes poches mais je peux faire quelque chose pour toi.
Sa remarque me fige. Je plisse le front. Si seulement il pouvait me dire qu'il est un chercheur qui vient de trouver le remède miracle que j'attends depuis cinq ans...
— Marie-toi avec moi, Selena
Je me raidis aussitôt et fronce les sourcils en inclinant ma tête.
— Qu...Quoi ?!
Il continue à me fixer. Il plaisante ? Il... Ce mec est fou
— Marie-toi avec moi !
Je ne peux retenir mon rire. C'est officiel ! Ce mec est dingue ! Mais alors carrément !
Ben me fixe toujours puis incline légèrement la tête, ce qui provoque mon hilarité. Moi ? Me marier avec lui ? Il est sous héroïne ou quoi ? Oh putain ! Ça se trouve, ce mec est un psychopathe...
— Tu n'es pas sérieux, j'espère ?
— Je n'ai jamais été aussi sérieux de toute ma vie. Et crois-moi, je ne le suis pas souvent.
Il continue de me fixer et mon sourire retombe aussitôt. Si, il est sérieux. Il vient vraiment de me proposer de me marier avec lui. Pourquoi ? Pour toutes les choses que je lui ai confiées ? Non, je ne peux pas me marier parce que je lui fais pitié.
— Non, je réponds.
— Non ?
— Non !
Ses yeux ne trahissent aucune émotion à part de la détermination. Je me demande ce qu'il doit voir dans les miens. De la peur ? Car, oui, là, je flippe carrément.
— À défaut de me répéter, Ben, je ne suis pas une œuvre de charité.
— Je sais. Je ne te vois pas comme ça. Je te trouve touchante, attachante. Et je veux t'aider, Sam aussi.
— Tu fais ça par pitié alors ?
— Non, par altruisme.
Je ne vois pas vraiment la différence. Pour moi, altruisme cache une part de pitié.
— Assieds-toi, s'il-te-plaît.
Il contourne la table, tire ma chaise et m'invite à m'asseoir. Je croise les bras sur ma poitrine, bien décidée à ne pas le laisser m'exposer sa proposition ridicule.
— Non ! Je répète. Je n'ai pas le temps avec tes conneries. J'ai un job à trouver, un fils à m'occuper. Je n'ai pas le temps d'écouter les caprices d'un gosse de riche.
— Laisse-moi t'expliquer et...
— Non ! Je ne veux rien entendre. Rentre chez toi, Ben. Oublie-moi.
— Je ne peux pas...
— Stop ! Tu m'énerves là ! Alors maintenant, je vais sortir de ce café et je te souhaite une belle vie. Je ne veux pas te revoir ou...
Je m'interromps. Je ne sais même pas ce que j'allais dire. Sa proposition est si folle que j'en perds mes mots. Pourquoi veut-il faire ça ?
Je décroise mes bras et tourne les talons. Je pose ma main sur la porte du café quand j'entends.
— Je ne bougerai pas de la laverie tant que tu n'auras pas accepté ma proposition, Selena. Je suis patient, j'ai tout mon temps.
Je ferme les yeux en entendant ses paroles. Il ne semble pas prêt à vouloir me lâcher mais il le faudra. Je suis bien décidée à ne plus le voir. Je tire la porte sans un regard et sors du café.
☆☆☆
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