6. Top modèle


Hoseok était le meilleur photographe de la ville. Il le savait. Et il n'hésitait pas à le dire à qui voulait bien l'entendre. D'un côté, il avait bien raison. Il avait travaillé dur pour en arriver là et il méritait sa réputation. Son agenda était rempli pour les six mois à venir et il ne dormait que quand il avait le temps. Cette vie lui convenait. Il obtenait tout ce qu'il voulait, ses comptes en banque étaientt pleins. Il pouvait exercer son génie créatif et même si parfois il ne faisait pas ce qu'on lui demandait, ça finissait toujours par être mieux que la commande originale. Il connaissait son métier et faisait comme il le sentait lui. Cette vie lui permettait aussi de rencontrer beaucoup de monde, de ne pas se sentir seul, même s'il l'était au final.

Parce qu'Hoseok courait après quelque chose, et être photographe était à ses yeux un moyen de le trouver plus rapidement. Ou alors, c'était une illusion, il ne s'en rendait pas bien compte.

Ce matin, il avait un rendez-vous pris au dernier moment. Quelqu'un avait annulé et quelqu'un d'autre en avait profité pour prendre la place. C'était un jeune mannequin qu'il ne connaissait pas, et qui allait devoir poser pour de la lingerie masculine de luxe. Hoseok photographiait beaucoup plus de femmes que d'hommes, c'était ainsi que les choses étaient faites. Il était bien heureux de pouvoir passer la matinée entière à photographier un homme, il trouvait ça plus intéressant et moins prise de tête. Même si de toute façon, il aimait son métier et tout lui convenait. Il arriva en avance dans ses locaux et prépara tout ce dont il avait besoin. La veille, on était venu lui livrer les vêtements qui allaient être utilisés ainsi qu'un cahier des charges. Il avait eu le temps d'étudier le tout. Il avait même eu droit à un dossier sur le mannequin. C'était la première fois qu'il faisait un photoshoot pour cette marque, et surtout, avec lui. Ca n'allait pas être si facile que ça, finalement. La première fois, ils étaient toujours intimidés par son équipe mais surtout par lui.

Hoseok, une fois ses dernières vérifications terminées, descendit au pied du bâtiment pour fumer une cigarette. Et puis pour croiser son futur sujet à son arrivée. Histoire d'observer un peu. Il se plaça un peu plus loin, ne restant pas à côté des portes. Le jeune homme se présenta finalement, accompagné de deux jeunes femmes. Le visage camouflé sous des lunettes de soleil, son corps était mince, peut-être même trop. Le photographe n'aimait pas quand les hommes étaient trop maigres, ça lui donnait une impression étrange. Pour les femmes, ça ne le dérangeait pas, même si quelques courbes légères étaient toujours appréciables. Mais après tout, il voyait le corps humain comme un objet à travers lequel il exprimait son art, sa vision des choses était un peu biaisée. Il marchait de manière déterminée, c'était un bon point pour lui. Il était plutôt bien habillé, mais c'était sûrement les marques qui lui offraient des vêtements, il n'avait plus qu'à les accorder. Il était jeune, mais certainement plus âgé que la plupart des mannequins débutants. Hoseok ne savait pas si ça avait une signification ou non, mais c'était peu commun. Il termina sa cigarette, remonta et rejoignit rapidement son studio.

- Bonjour à tous. Si tout le monde est présent, on va pouvoir commencer.

Il regarda autour de lui et constata que son équipe était complète. Une des jeunes femmes accompagnant le mannequin confirma qu'ils étaient tous là également. Hoseok observa le jeune homme, à présent délesté de ses lunettes. Il avait un beau visage. En le regardant de plus près, il put apercevoir une cicatrice sur sa pommette gauche. Ca aussi, c'était peu commun. Mais ça faisait son charme. Et si ça convenait à la marque, ça lui convenait aussi. Il apprit que les deux jeunes femmes étaient ses maquilleuses personnelles, en raison de cette cicatrice mais aussi de son tatouage. Il était vrai que les personnes qui s'exposaient publiquement préféraient cacher leur tatouage, du moins celui avec lequel ils étaient nés. Lui ne voulait pas le cacher. Il savait que le montrer aux yeux du monde lui permettrait de trouver ce qu'il cherchait plus facilement. Et c'était son objectif dans la vie. Il laissa le trio faire ce qu'ils avaient à faire, leur laissant les vêtements pour que le mannequin puisse s'habiller. Il attendit qu'il revienne, vêtu d'un boxer relativement sobre. Il savait qu'il y avait plus osé dans la collection, mais il était d'avis qu'il valait mieux commencer par ça.

- Bien, tu es prêt ? Tu peux t'installer dans le décor. Hum, laisse-moi réfléchir, déplace la chaise là-bas et mets-toi à califourchon dessus, dos à moi. Puis tourne ta tête vers moi et lance-moi un regard de défi. Oui, c'est ça ! Continue, bouge un peu, cambre-toi un peu plus.

Hoseok prit des photos, se déplaçant et continuant à donner ses instructions. Il demanda à son mannequin de changer de sens pour avoir des photos de face, le faisant se pencher vers l'arrière cette fois. Ils continuèrent sur cette lancée et finalement, tout se passa bien. Jusqu'à ce qu'il ne reste plus que de la lingerie osée. Le jeune homme changea complètement de comportement. Il avait l'air totalement gêné. C'était plus petit, plus serré, plus sexy, et parfois même, ses fesses n'étaient plus du tout couvertes. Après trois sous-vêtements, Hoseok décida d'arrêter pour faire une pause. Lui n'en avait pas besoin, c'était pourquoi il avait un peu oublié d'en donner une aux autres. Son équipe avait l'habitude, mais ce n'était pas toujours le cas des mannequins.

- Hey, Jungkook ! Lança-t-il au jeune homme avant qu'il ne sorte. Rhabille-toi et viens avec moi, je te paye une clope.

Le plus jeune hocha la tête et réapparut rapidement. Il semblait très timide d'un coup, chose qu'il n'avait pas montrée pendant les photos, du moins pas avant la lingerie sexy. Il le suivit sans dire un mot et une fois en bas, il récupéra la cigarette qu'on lui proposait. Mais il ne parvint pas à l'allumer. Hoseok comprit qu'il n'avait jamais fumé. C'était un bon point, il prenait soin de son corps. C'était sans doute pour ça que malgré sa minceur prononcée, il avait une couche de muscle intéressante.

- Attend, je vais te l'allumer. Dis-moi, Jungkook, depuis combien de temps tu fais ce métier ?

- Euh, je ... Jungkook toussa. C'est mon premier photoshoot.

- Tu es mannequin depuis peu ?

- C'est ça.

Hoseok avait vu que c'était la première fois qu'il travaillait pour cette marque, mais il ne se doutait pas que c'était la première fois tout court. Finalement, il était bien plus à l'aise qu'il ne le pensait. Il comprenait pourquoi cette marque de luxe l'avait choisi, même s'il avait dépassé la vingtaine. Il avait un énorme potentiel. Et qui mieux que lui pour le faire ressortir ?

- Bon, je vais y aller directement. Si tu veux pas continuer, on peut arrêter là et je te trouverai un remplaçant. Si c'est la première fois, je comprends que tu sois mal à l'aise. Mais si tu veux continuer, un conseil : décoince-toi.

- Je ... C'est juste que ... Je n'ai pas l'habitude. J'ai l'impression d'être complètement nu.

Hoseok rit.

- Si tu avais été nu, j'aurais mis la lumière tamisée et j'aurais fait sortir quasiment tout le monde. Crois-moi, par rapport à ce que j'ai déjà pu voir, tu es encore plutôt bien couvert. Maintenant, dis-toi que ceux qui sont sur le plateau savent à quoi ressemble une paire de fesses, parce qu'ils en ont une aussi. Et chacun d'entre eux a déjà pu voir un homme à poil, je te l'assure, les femmes comme les hommes. Je peux déjà te dire que toute mon équipe m'a déjà vu en tenue d'Adam.

Il rit à nouveau. C'était arrivé une ou deux fois qu'il se change à la vue de tout le monde. Il n'était pas pudique, son corps ne lui faisait pas honte. Son studio, ses règles, il faisait ce qu'il voulait. Il aperçut des couleurs rosées sur les joues de son interlocuteur et ça le fit rire. Ce dernier ne lui répondit pas mais semblait déjà un peu plus calme. Ils finirent leurs cigarettes et remontèrent. Jungkook eut encore quelques minutes avant de recommencer. Lorsqu'il fut prêt, ils reprirent leur travail. Ils n'avaient plus grand chose à faire. Mais Hoseok n'était plus aussi concentré qu'avant. Son poignet le grattait et le brûlait un peu. Il ne l'avait remarqué qu'en laissant Jungkook se préparer une seconde fois et avait appliqué de la crème pour les allergies, il en faisait parfois. C'était de plus en plus désagréable, mais il tint bon. Et la matinée se termina dans l'inconfort pour lui. Il invita son équipe à déjeuner mais Jungkook et ses deux accompagnatrices refusèrent. Son poignet le gratta jusqu'au soir, et le lendemain matin, il n'y avait plus rien.

Quelques mois plus tard, après la publication des photos, on lui demanda de reprendre Jungkook comme modèle. Mais cette fois, c'était pour la couverture d'un magazine très connu. Il le fit dans l'urgence, sur un jour de repos. Il n'y avait que quelques personnes de son équipe de présentes, il ne pouvait pas demander à tout le monde de revenir pour une petite photo de rien. Il était capable de gérer ça. Le jeune mannequin arriva seul, déjà maquillé et coiffé. Il avait apporté sa tenue mais ne l'avait pas encore enfilée parce qu'il ne la trouvait pas vraiment agréable à porter. Tout se passa bien, Hoseok était étonné des progrès qu'il avait fait. En si peu de temps, il était vraiment devenu à l'aise en face de l'objectif. Lorsqu'il se changea à nouveau pour repartir, Hoseok fit irruption dans la pièce pour l'inviter à partager un repas, comme il le faisait toujours. Il ne se sentit pas gêné de le voir aussi peu vêtu mais se rendit compte que l'autre l'était.

- Tu viens manger avec nous ? Sache que tu ne peux pas dire non deux fois de suite, alors ...

Le plus jeune se retourna vers lui en souriant timidement.

- Et bien, je suis supposé faire attention à ce que je mange, je ne sais pas si c'est une bonne idée ... Est-ce que tout va bien, tu n'arrêtes pas de te gratter ? Tu vas finir par te faire mal.

- C'est rien, c'est mon tatouage. Ca faisait longtemps que ça ne m'avait pas fait ça. Pour le repas je peux te proposer un truc diététique si tu veux, je connais un coin qui fait des repas assez peu caloriques mais très bons !

- Très bien. Mais je n'ai pas beaucoup de temps.

La plus âgé râla encore après son poignet qui commençait réellement à lui faire mal. Il jeta un coup d'oeil à sa peau, qui rougissait maintenant à vue d'oeil. Jungkook s'approcha de lui.

- Attend, je vais regarder. Moi aussi ça m'arrive de temps en temps, j'ai une peau très fragile. Mais il faut que tu arrêtes ... Oh !

- Oh ?

Hoseok fronça les sourcils. Ca ne lui disait rien de bond. Jungkook toucha son tatouage et murmura la phrase qu'il pouvait y lire. "La beauté de l'apparence est seulement un charme de l'instant : l'apparence du corps n'est pas toujours le reflet de l'âme.". *George Sand. Il releva son visage vers le photographe et le détailla. Puis il prit la parole encore plus timidement.

- C'est ... c'est à cause de moi. Je m'en vais, je ne peux pas manger avec toi.

Jungkook lui tourna le dos pour se rhabiller.

- Attend, comment ça c'est à cause de toi ? Je fais une allergie à toi ? Jungkook, réponds-moi !

Il s'approcha de lui pour le forcer à lui répondre. Jusqu'à ce qu'il aperçoive l'inscription dans le creu de ses reins. Sans la moindre gêne, il attrapa Jungkook pour l'immobiliser et ainsi lire ce qu'il avait sous les yeux. Il reconnut cette phrase pour l'avoir tant vue, tant répétée. Choqué, il le relâcha et s'éloigna.

- Tu te l'es fait faire ? Dis-moi que tu te l'es fait faire !

Le plus jeune s'habilla et garda le silence. Hoseok attendait une réponse, bras croisés sur sa poitrine. Il ne comprenait pas. Il ne voulait pas comprendre. Il ne voulait pas accepter ce qu'il venait de comprendre. Jungkook récupéra ses dernières affaires et s'approcha de lui pour sortir par la porte juste derrière.

- Je suis né avec, comme toi ! Mais t'inquiète pas, je vais faire comme si nous n'étions pas destinés l'un à l'autre. Tu n'as pas l'air d'apprécier l'idée.

Puis il partit. En passant les grandes portes du bâtiment, il ne put retenir quelques larmes. Jungkook ne s'était jamais vraiment intéressé à cette histoire de tatouages et d'âmes soeurs. Ses parents, à l'origine, ne l'étaient pas. Ils n'avaient jamais croisé la route de leur âme soeur respective, et après des recherches, ils avaient tous les deux découvert que c'était parce qu'ils étaient morts alors qu'ils n'étaient encore que des enfants. Alors le jeune homme n'avait jamais réellement accordé de l'importance à tout ça, parce qu'il avait vu ses parents heureux quand même. Sauf qu'aujourd'hui, il avait mis la main sur celui qui lui était destiné. Il ne s'attendait pas non plus à ce que ce soit un homme. Ca ne le choquait pas, il savait que ça existait, les couples homosexuels, même façonnés par le destin. C'était un peu gênant parce qu'il n'avait jamais vraiment été attiré par les hommes, mais il savait que s'ils étaient liés, c'était pour une bonne raison. Mais en observant Hoseok, il avait compris avant même de lui dire que ça n'allait pas passer. Il était assez observateur et il avait bien vu qu'Hoseok était un homme à femmes, rien d'autre. Leur destin commun était tout simplement impossible et il avait préféré fuir plutôt que de l'affronter.

Jungkook, autant que Hoseok, retournèrent à leurs vies respectives. Le premier s'efforça de faire un travail correct et sa carrière grimpa encore en flèche. Tout le monde l'aimait. Il était doué, à l'aise, transmettait beaucoup de choses. Et il était d'une grande beauté. Un réalisateur lui proposa même un rôle dans un film, mais pour le moment, il n'avait pas encore répondu à cette offre. Il pensa de temps en temps à cette histoire avec le photographe mais tenta tant bien que mal de l'oublier. Quant à ce dernier, il se berça d'illusions. Il se persuada que quelqu'un d'autre avait la même marque que lui, que quelqu'un d'autre représentait son destin. Pas un homme. Il ne voulait pas d'un homme. Il n'était pas comme ça. Lui, ce qu'il aimait, c'était les femmes. Et uniquement les femmes.

Durant les mois qui se suivirent, ils ne se croisèrent pas. Jungkook n'eut pas à poser pour lui en urgence, mais il ne sut pas qu'Hoseok avait refusé de le prendre au dernier moment. Mais certaines marques avaient quand même demandé à ce qu'il lui trouve une place dans son emploi du temps, et il avait repoussé à des mois, quand il était libre. Il devait admettre qu'il ne pouvait plus refuser parce que tout le monde s'arrachait le mannequin. Et qu'il en allait aussi de sa réputation. Mais il n'avait pas envie, non. Il ne voulait toujours pas admettre.

Puis vint le jour où Hoseok dût photographier Jungkook de nouveau. Toute la semaine, il fut de mauvaise humeur. Son équipe ne comprit pas le problème, il n'avait parlé de ça à personne. Il était même étonné que personne n'ait compris, il devait bien y en avoir au moins un qui avait vu le tatouage de Jungkook. Et dans son équipe à lui, ses maquilleuses, n'avaient-elles pas fait le lien ? Il arriva à la séance en retard, encore plus de mauvaise humeur. Puis il fit son travail. Il salua à peine le mannequin mais eut tout de même un pincement au coeur quand il se rendit compte qu'il avait maigri et perdu la fine couche de muscles qu'il avait autrefois. Ce monde demandait toujours plus de minceur et c'était souvent dangereux pour les mannequins ou les acteurs. Cette fois, il n'offrit pas le repas et alla s'enfermer pour manger seul. Son poignet le grattait et c'était désagréable. Malgré tout, il se demandait si Jungkook ressentait la même chose au niveau de son tatouage. Si c'était le cas, il n'en montrait rien.

Deux ans passèrent de cette façon. Ils se croisèrent de temps en temps, lors de photoshoot ou d'événements prestigieux. Chaque fois, le plus âgé remarquait la maigreur du plus jeune, toujours plus extrême. Ils n'échangèrent que très peu de paroles, toutes professionnelles, ou pour donner le change devant les autres. Chaque fois, la brûlure d'Hoseok était pire que la précédente. Mais il ignorait ça, il n'était toujours pas capable d'accepter. Il préférait encore vivre seul. Et puis, après tout, ce n'était pas important, si ? Certains vivaient très bien sans leur âme soeur. Il en était capable lui aussi. Mais malgré ses tentatives, il ne fut pas capable de rester en couple avec quelqu'un. Il y avait toujours quelque chose qui n'allait pas. Jungkook aussi eut des aventures officielles, mais il soupçonnait que c'était plus pour son image que par amour. Les barrières d'Hoseok étaient en train de tomber, il n'en pouvait plus. Cette histoire l'obsédait. Complètement. Il souffrait physiquement, même en l'absence de Jungkook, et sa souffrance psychologique commençait aussi à apparaître. Sauf qu'il ne voulait pas céder. Il eut bientôt une autre séance photo avec lui. Ce matin-là, il n'était pas en retard, puisqu'il avait passé la nuit dans ses studios. Il avait tout préparé, il avait beaucoup réfléchir à sa façon d'agir avec lui. Il voulait lui présenter ses excuses et lui expliquer pourquoi il était incapable d'accepter ce destin. Seulement, tout ne se passa pas comme prévu. Hoseok perdit connaissance peu de temps avant l'heure du rendez-vous. Et Jungkook n'arriva jamais à destination.

Quand le photographe se réveilla, quelques heures plus tard, il était dans une chambre d'hôpital et une infirmière était à ses côté.

- Oh, monsieur Jung, vous voilà enfin réveillé ! On commençait à s'inquiéter pour vous. Comment vous sentez-vous ?

- Qu'est-ce qu'il m'est arrivé ?

- Vous avez perdu connaissance à votre travail. On vous a fait quelques examens mais vous n'avez rien. Vous devez dormir, monsieur, c'est important pour votre santé.

Le jeune homme se mura dans le silence tandis qu'elle s'occupa de lui. Il mangea sans grande conviction. Il ne s'était pas senti fatigué avant de s'évanouir. C'était arrivé d'un coup, comme ça. Il s'était senti mal, son coeur s'était serré et plus rien. Il avait encore le sentiment d'avoir le coeur pris dans un étau mais il ne savait pas pourquoi. Il se sentait épuisé maintenant, un peu vide, comme s'il lui manquait quelque chose. Et son poignet lui faisait affreusement mal.

Ce n'est que quelques jours plus tard qu'il comprit ce qu'il s'était passé. Il regardait la télévision et une information le choqua. Jungkook, qui ne s'était pas présenté au shooting, avait eu un accident de voiture le matin même. Dans un état critique, il se trouvait dans le même hôpital que lui. Il avait dû être réanimé car il avait fait un arrêt cardiaque. Hoseok se sentit mal, il crut même qu'il allait de nouveau perdre connaissance. Il suivit attentivement les paroles de la journaliste.

- Des nouvelles de Jeon Jungkook, le jeune mannequin qui a eu un accident de voiture il y a deux jours. Il serait toujours entre la vie et la mort. D'après les premiers éléments d'enquête et les témoignages, il aurait fait un malaise alors qu'il conduisait. Une source proche de sa famille nous a révélé que le jeune homme était anorexique et que c'était probablement la raison de son malaise. Nous avons également pu nous entretenir avec un des médecins qui s'occupe de lui, il laisse peu d'espoir sur un potentiel réveil. Et si cela venait à arriver, Jeon Jungkook serait paralysé. Toutes nos pensées pour ce jeune homme si talentueux et pour sa famille.

Hoseok ne retint pas ses larmes. Il ne savait pas pourquoi il pleurait, lui qui avait tant rejeté Jungkook. Mais il était triste, anéanti. Il ressentait des émotions qui le dépassaient. A ce moment-là, il comprit toute la puissance de leur lien. Ils étaient des âmes soeurs. Le destin en avait décidé ainsi, et malgré tous ses efforts, il ne pouvait plus l'ignorer. Il avait eu beau l'éviter, le nier, il était tombé amoureux de lui, parce que c'était ce qui avait toujours été prévu. Il ne pouvait pas faire autrement.

Les nuits qui suivirent furent difficiles pour lui. Il ne dormit pas beaucoup. Et après la troisième nuit presque blanche, on l'autorisa enfin à sortir de son lit, même si son corps était épuisé. La première chose qu'il fit fut de demander si Jungkook pouvait recevoir de la visite. Son état était devenu stable même s'il ne s'était pas réveillé. D'après les médecins, il n'y avait presque aucun espoir pour qu'il se réveille un jour, et il allait falloir faire un choix. Sa famille allait devoir décider de le maintenir sous respirateur ou de le débrancher. Hoseok était effrayé par cette idée. Si Jungkook mourait, alors il perdrait tout. Il se déplaça difficilement jusqu'à sa chambre mais y parvint. Il entra, tremblant. Son coeur se serra et son tatouage le brûla en le voyant. C'était terrible de le voir comme ça. Il avait des pansements, des bandages, il allait mal. Son corps était réellement très abimé. Le photographe s'approcha et s'assit à côté de lui. Il n'osa pas prendre sa main même s'il en avait envie. Il ne savait pas ce qu'il pouvait ressentir même s'il était dans le coma et il ne voulait pas le faire souffrir. Pendant de longues minutes, il lui parla, lui racontant ce qu'il s'était passé pour eux deux et ce qu'il ressentait. Il avoua tout, sans peur, sans gêne. Il doutait que Jungkook puisse l'entendre, de toute façon. Mais il avait besoin de lui parler, comme s'il était vraiment là, avec lui.

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- Hoseok, dépêche-toi, on va être en retard !

- J'arrive ! Je suis presque prêt.

L'ancien photographe souffla. Il n'était pas satisfait de son apparence. Il n'était jamais satisfait de son apparence. Il grimaça en passant ses doigts dans ses cheveux pour arranger ça mais rien y faisait. Il finit par abandonner la bataille et sortit de la pièce. Il rejoignit rapidement l'entrée pour saisir son manteau et partir. Son chauffeur particulier le déposa rapidement à sa destination et il le remercia chaleureusement. Toujours accompagné, il pénétra dans la galerie. Ils étaient en effet en retard de quelques minutes. La plupart des gens déjà présents dans les lieux se retourna vers eux et des sourires lui furent lancés. Quelques personnes vinrent le saluer, complimentant son travail. Il se tourna alors vers son accompagnateur, qui n'avait jamais vu une seule de ses oeuvres.

- Tu es prêt ? Ca va aller ?

- Oui, je pense que oui.

Ils se dirigèrent alors vers la première photo, d'une taille moyenne. Hoseok, après cette histoire avec Jungkook, avait arrêté de photographier les autres. Il avait passé plusieurs années à ne rien faire, à vivre de sa richesse déjà gagnée. Mais depuis quelques mois, il avait eu l'envie de prendre des photos à nouveau. Il avait alors imaginé toute une collection racontant une histoire. Son histoire, à partir du moment où elle commençait réellement. Ce soir-là était donc à lui, c'était le moment où il exposait tout ça aux yeux du monde. Malgré son absence du monde doré, les gens étaient venus admirer son talent. Ils étaient venus nombreux, et d'autres entraient encore, s'extasiaient sur ce qu'ils voyaient.

Avec énormément d'émotion, Hoseok observa la première photo. Celle d'une voiture accidentée, une vraie épave. Les premières photos de la galerie étaient différentes des dernières, elles n'avaient pas été prises au même moment. Celle-ci avait quelques années, puisque c'était la voiture dans laquelle Jungkook avait eu un accident. La deuxième photo le représentait justement, dans son lit d'hôpital, branché. Les trois suivantes également sous des angles différents. On pouvait voir que malgré les machines, ses blessures allaient mieux, ses bandages étaient moins nombreux. Hoseok osa jeter un regard à son accompagnateur.

- Comment tu te sens ? On peut faire demi-tour si tu veux.

- Non, c'est bon. Je ne me suis jamais ... vu comme ça. Je ne pensais pas que c'était aussi violent.

Hoseok passa une main dans ses cheveux avant de se pencher pour l'embrasser chastement. Ils continuèrent. Sur la suivante, Hoseok apparaissait à ses côtés. Quelqu'un d'autre avait pris cette photo, c'était évident, mais la légende en bas expliquait de qui il s'agissait. Le propre père de Jungkook avait accepté de les photographier ensemble.

- Je ne sais pas si tu le sais mais ... Ce jour-là, tes parents devaient annoncer leur décision pour toi. Te garder comme ça ou te débrancher. Si tu regardes bien, j'ai les yeux brillants, remplis de larmes. Avant leur rendez-vous, j'ai demandé à ton père de nous prendre en photo parce que je voulais avoir au moins une photo avec nous deux. Même si tu étais dans ce lit d'hôpital, même si tu étais déjà presque mort, je voulais nous immortaliser ensemble. Je voulais garder cette dernière image de toi, même si elle était mauvaise.

- Personne ne m'a jamais vraiment expliqué ce qu'il s'était passé pendant tout ce temps. Mon accident, oui, mon réveil, oui, mais entre les deux, je ne sais rien. Tu es venu me voir souvent ?

- Tous les jours, sauf les deux premiers.

- Les deux premiers ?

- Je te rappelle que j'étais aussi hôspitalisé. A cause de toi, je me suis évanoui !

Le plus jeune rit légèrement, même s'il était gêné. Il s'en voulait un peu, il n'avait pas assez pris soin de lui. Il savait que ça allait mal finir mais c'était plus fort que lui. C'était maladif. Ils continuèrent leur chemin. La photo suivante, Jungkook avait les yeux ouverts. Il semblait perdu, complètement vide, branché de partout, mais il était réveillé. Et toutes les photos suivantes retraçaient son parcours. Parfois, il était seul, parfois accompagné de Hoseok, parfois d'amis ou de membres de sa famille. Tout était là. Son premier repas, son premier sourire après l'accident, sa sortie d'hôpital. Toute sa vie, son combat entier étaient exposés. C'était étrange pour lui d'observer son intimité et de se dire que tout le monde pouvait aussi voir ça. Sur certaines photos, il n'était pas à son avantage. Il avait parfois baissé les bras, il était en colère d'être dans un fauteuil roulant. Il était en colère d'être aussi faible. Sur les photos, on pouvait également voir sa reprise de poids, le fait qu'il allait de mieux en mieux. Hoseok s'était occupé de lui à chaque minute. Il avait tout abandonné pour lui et il culpabilisait. Mais Hoseok lui avait déjà dit qu'il préférait cette vie-là et qu'il était heureux d'avoir tout lâché pour s'occuper de lui. Après cette période de bataille, il y eut d'autres photos. Si Hoseok avait officiellement pris sa retraite du monde de la photographie, il avait repris. Pas seulement pour cette exposition. Après le rétablissement de Jungkook, une marque avait fait un pari risqué : le faire poser à nouveau. Même en fauteuil roulant. Même avec de nouvelles cicatrices qui le rendaient laid à ses propres yeux. Même avec une main abimé, deux doigts en partie disparus. Jungkook avait accepté après une très longue réflexion mais avait imposé une condition : Hoseok devait être celui qui l'immortaliserait.

- Hey, mais celle-ci ne faisait pas partie de celles retenues pour la publication dans le magazine !

- Je sais. Mais je trouve que c'est la plus belle.

- La plus belle ? Je suis débraillé, mal installé dans mon fauteuil et regarde le regard que j'ai.

- C'est comme ça que je t'aime, Jungkook. Sur tout mon tirage, c'est sur cette photo que tu as l'air le plus vivant.

Le plus jeune se mura dans le silence. Ce que Hoseok venait de dire, c'était ce qu'il pouvait lire en-dessous de la photo. Il parlait de vie, de beauté et d'amour. Ils finirent l'exposition sur quelques autres moments de vie ou photos officielles pour des marques ou la presse. Jungkook, qui détestait son corps depuis l'accident, réussit à parfois de trouver beau. Mais il savait que c'était le travail d'Hoseok, c'était lui qui avait su masquer ses défauts et mettre en valeur ce qui était encore intact. Ils s'arrêtèrent devant un dernier pan de mur entièrement blanc, sans aucune inscription ni photo. Hoseok fit un signe discret à sa secrétaire qui s'éloigna.

- J'ai une dernière chose pour toi Jungkook. Je ne savais pas si je devais la mettre parce qu'elle n'était pas prévue et qu'elle est très récente mais je trouve qu'elle a autant de signification que les autres. J'espère qu'elle te plaira.

L'assistante du jeune homme revint avec un gros cadre et une petite plaque. Elle installa la plaque en premier, et Jungkook se rendit compte que Hoseok avait quand même prévu quelque chose pour les faire tenir. Il attendit pour s'approcher, il savait qu'il allait gêner la jeune femme. En voyant la photo, quelques larmes lui montèrent aux yeux. Il n'avait pas remarqué, la veille, qu'il avait été pris en photo. Durant une de ses séances de rééducation, il était parvenu à tenir debout pendant quelques secondes. Il était tombé rapidement, mais c'était la première fois qu'il y arrivait. La légende disait qu'une nouvelle page se tournait et qu'une autre vie commençait. Que malgré tout ce que le destin semblait vouloir faire, il fallait toujours y croire et le défier. Et que le seul destin qui était indélébile, c'était celui de notre naissance, des mots inscrits sur notre peau.

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