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« L'ennui est un des visages de la mort. » J. Green


Je sortis de ma chambre après avoir entendu sonner à la porte. Je n'avais pas fumé depuis quelques jours et l'herbe m'était rapidement montée à la tête, me détendant rapidement malgré ce que Charles m'avait dit. Il fallait que je lui présente mes excuses. Je savais que je m'étais vexée parce qu'il avait raison. D'une part, j'avais promis. D'autre part, cela allait mal finir. J'étais une sorte de monstre.


Quand j'étais sur le point d'aller en visite chez mes parents, quelques semaines plus tôt, Charles m'avait fait jurer de ne pas m'investir dans une nouvelle histoire. Nous étions convenus que je devais rester célibataire un maximum de temps. J'étais réellement d'accord avec lui. À ce moment-là, Sébastien et moi parlions déjà depuis un moment. J'avais une petite idée de ce qui m'attendait à mon arrivée, du moins je savais que si je voulais, je pouvais. J'avais décidé de ne pas vouloir. J'étais persuadée que c'était aussi simple que cela.

Vingt-quatre heures avaient suffit pour que je cède. Il me plaisait, j'étais jeune, libre, pourquoi m'empêcher de vivre ? Nous étions convenus de simplement profiter de ces quelques semaines et de voir ensuite où le vent nous mènerait. Ce n'était pas sérieux. Je ne rompais pas ma promesse.


J'entendis discuter à l'étage du dessous. Je reconnus tout de suite la voix d'Olivier, l'un des jumeaux. Je commençai à descendre les escaliers lorsqu'il se mit à chuchoter à son frère :


- Tom, arrête, on va se faire prendre !


- Arrêter quoi ? intervins-je depuis l'avant dernière marche de l'escalier, suspicieuse.


Olivier se tenait droit comme un piquet, son téléphone entre les mains. Les deux frères s'échangèrent un regard et Thomas m'expliqua, résigné :


- Olivier vient de m'empêcher de prendre Charles et Soren en photo.

Je haussai un sourcil. Il poursuivit :


- Ils ne savent pas qu'on sait et Olivier dit que c'est mieux ainsi. Tu sais, pour leur laisser le temps.


- Mais de quoi est-ce que tu parles ? m'agaçai-je.


- Chut ! s'exclama Thomas. Ils arrivent !

Petit à petit, les pièces se mirent en place dans mon esprit. Je devais être livide car Tom ricana en m'observant. Charles et Soren entrèrent dans le salon en riant. Je fixai Charles, interdite.

- Eh, Maxy, ça va ? s'enquit-il en se précipitant sur moi, inquiet.


- Je... bredouillai-je. Oui, oui. Ça va. J'ai besoin d'un verre.


Les jumeaux éclatèrent de rire, et je compris. Olivier en avait les larmes aux yeux et Thomas se tenait le ventre. J'avais encore marché. Pire, même. J'avais carrément couru.


- Je vous déteste ! les attaquai-je, excédée.


Puis, à Charles :


- Ils sont vraiment cons !


- Qu'est-ce qu'ils ont encore fait ? demanda-t-il.


Le fou rire des deux guignols repartit de plus belle. J'attendais qu'ils racontent leur vanne à mon ami lorsque je surpris le regard froid de Soren sur moi. Je le fixai à mon tour, mais il ne cilla pas. Alors je détournai le regard et reportai mon attention sur autre chose. Ici, j'étais chez moi. Je n'allais pas le laisser apporter son arrogance dans mon univers.


Charles attendait toujours une explication.


- Ils m'ont faire croire que... Je ne sais même pas ce que j'ai imaginé. Qu'il se passait un truc entre vous.


- Qui, vous ? s'enquit-il.


Je les désignai, Soren et lui, penaude.


- Et tu les as crus ?! s'exclama-t-il.


- Mais tu sais comme ils sont, me défendis-je. Je n'ai même pas eu le temps de réfléchir, vous êtes entrés dans la pièce durant la fraction de seconde où je réalisais ce qu'ils insinuaient.

Charles se moqua.

- Mais tu me connais, Maxy.


- Toi, oui. Mais lui, non, dis-je en pointant Soren du doigt.


J'aurais mieux fait de me taire.


- Tu penses que je suis gay ? intervint l'intéressé, amusé.


Mais ce n'était pas vraiment de l'amusement. Il avait plutôt l'air de me mettre au défi, avec sa voix rauque.


J'allais mettre un point d'honneur à lui apprendre une chose : Maxine Lanvin ne se laisse pas faire, sous ses airs de fille modèle innocente.


- Bonsoir à toi aussi, Soren, rétorquai-je dans un sourire hypocrite. Bienvenue chez nous.


Pas chez toi, chez nous.


- Maxine, me salua-t-il. Crois-moi, il n'y a pas un gramme d'homosexualité en moi.


Sa voix était sèche, son regard sérieux. Je l'avais froissé, tant mieux.


Charles nous observait et secoua la tête en riant.


- Franchement, Max, tu me surprendras toujours, dit ce dernier. J'ai rarement vu une fille intelligente que toi et, pourtant, tu tombes dans le panneau à chaque fois.


Je lui servis un magnifique doigt d'honneur en guise de réponse et fonça vers le placard à alcool, loin d'eux. Je sortis les bouteilles une par une et les installai consciencieusement sur la table, fraîchement réinstallée dans la bonne pièce. Je culpabilisai en songeant que Charles avait remis les meubles en place, sans moi.


J'étais dans la cuisine lorsque j'entendis des bruits de pas dans mon dos.


- Je suis désolé, dit Charles. Je ne voulais pas te faire de la peine, tout à l'heure.


Je me retournai et lui souris.


- C'est à moi d'être désolée. Tu avais raison, j'avais promis. Mais j'ai le droit de vivre, non ? Je ne peux pas m'empêcher de vivre.


En entendant la tristesse dans ma voix, Charmes me fit un sourire attendri et me pris dans ses bras.


- Bien sûr, Maxy. Profite de la vie. Tant que cette histoire ne te rend pas malheureuse, tu as le droit de faire ce que tu veux. Il va venir te voir ?


Je haussai les épaules.


- Je n'en sais rien. Il m'a dit qu'il aimerait venir, mais je doute qu'il ait le temps.


J'étais, aux yeux des autres, toujours celle qui mettait fin à mes relations de couple. Ce que les gens ne pouvaient pas voir, de l'extérieur, c'est que je partais pour ne plus souffrir. Charles, lui, le savait. Il connaissait ma tendance à m'impliquer à corps perdu dans des histoires qui ne menaient à rien, avec des hommes qui ne menaient à rien. C'était parce que je n'étais pas capable d'autre chose que de me laisser vivre au jour le jour. Et jusqu'ici, cela semblait convenir à Sébastien.


- Tu penses vraiment que Soren est gay ? demanda Charles, tout à coup.


Je ris.

- Je sais très bien qu'il ne l'est pas. Mais il ne m'aime pas, alors j'ai décide lui rendre la pareille, annonçai-je.


Charles leva un sourcil, surpris.


- Qu'est-ce qui te fait penser qu'il ne t'aime pas ?


- Son comportement à la fac, son regard noir et froid, le fait qu'il ne m'ait même pas dit bonjour, listai-je.


- Tu es sûre que ce n'est pas plutôt toi, qui ne l'aime pas ?


- Je n'ai aucune raison de ne pas l'aimer ! rétorquai-je.


Charles me fit son regard fatigué, celui qui voulait dire « je n'en peux plus de toi ».


- Tu viens de les lister, Max.


Je lui lançai un regard noir, mais il m'ignora et pris ma main pour m'attirer dans la salle à manger. Les jumeaux étaient en grande discussion. Soren, un verre à la main, regarda nos mains scellées une seconde de trop. Il devait se demander s'il se passait quelque chose, entre nous. Comme tout le monde. Personne ne comprenait notre relation. « Vous devriez vous mettre ensemble, vous êtes les seuls à vous supporter ! ».


C'était précisément pour cette raison que nous avions bien raison de rester ami.


La porte d'entrée s'ouvrit sur Ninon, très en retard, et mon ami me lâcha immédiatement la main. Je ne pus me retenir de lui lancer un regard plein de sous-entendus. Je savais qu'il savait que je savais. Je savais aussi qu'il continuerait de nier, par fierté. Ninon contrariait son ego et il n'était pas habitué. Charles était du genre à toutes les avoir.

Je me précipitai vers Ninon, les bras grands ouverts, et elle s'élança dans mes bras. Elle m'avait manquée.

- Max ! s'exclama-t-elle. Enfin, tu es rentrée ! Enfermée ici toute seule avec ces deux-là, plus jamais.


Je ris.


- C'était si terrible que ça ?


Elle haussa les épaules, un petit sourire aux lèvres et le regard fixé sur un point derrière moi. Je suivis son regard. Soren. Évidemment.


- Il te plaît ! m'exclamai-je.


- Chut !


- Il te plaît ! répétai-je, en chuchotant.


- Évidemment, qu'il me plaît. Regarde-le !


Elle soupira et passa une main dans ses cheveux. Je me retournai à nouveau pour observer Soren. Son arrogance le rendait si insupportable. C'était malheureusement l'une des première chose que l'on remarquait chez lui, ce qui lui avait valu d'être directement classé dans la catégorie de ceux à qui je n'accordais pas mon attention.

Il dû sentir mon regard sur lui car il leva les yeux dans notre direction. En voyant Ninon, il esquissa un sourire.

- Eh bien ! m'exclamai-je. On dirait que tu as toutes tes chances !

Son visage s'éclaira. Je connaissais Ninon. Ce ne serait qu'une histoire sans importance, rien de bien différent de d'habitude. J'espérais que s'il se passait quelque chose avec Soren, cela pousserait Charles à réagir.


- Et toi, comment s'est passé ton été ? s'enquit-elle.


Je lui fis un petite sourire et elle comprit immédiatement.


- Maxine Lanvin ! me réprimanda-t-elle en me donnant une tape sur l'épaule.


- Calme-toi, ce n'est pas sérieux, ris-je.


- Jusqu'à ce qu'il tombe amoureux, contra-t-elle.


Je soufflai, soudainement très pressée d'échapper à cette discussion.


- Ça ne va pas nécessairement se produire.


- Si ! intervint Charles, dans mon dos.


Je me retournai et le fusillai du regard.


- Tu les ensorcelles, ajouta-t-il.


- Je n'en connais qu'un qui est ensorcelé, ici.


Je m'éclipsai dans la foulée, les laissant tous les deux là-dessus. Charles allait me faire payer ce coup bas, mais j'étais convaincue que Ninon était à des années lumières d'imaginer ce qu'il se tramait dans sa tête. Je filai rejoindre les garçons dans le salon. Je me servis un verre de rhum, mon carburant de soirée. Je bus une gorgée et contourna la table pour aller m'asseoir dans le canapé.

- Ça manque un peu de musique, non ? dis-je.


- Tu n'as qu'à en mettre, rétorqua Soren.


Je levai les yeux vers lui et répliquai :


- Tout le monde ici sait que ce n'est pas une bonne idée.


Une façon subtile, je l'espérais, de lui faire comprendre que je n'étais pas plus ravie que lui de cette cohabitation.


- Oh que oui, confirma Thomas. C'est la déprime assurée, sinon.


Une bulle de satisfaction éclata dans ma poitrine.

- Pourquoi ? demanda Soren.


- Elle n'a que des chansons tristes dans son téléphone, expliqua Olivier.


Personne n'avait jamais réussi à comprendre que ces chansons, moi, elles me rendaient heureuse. À mes yeux, elles n'étaient pas tristes du tout. Mais c'est une bataille que j'avais cessé de mener depuis bien longtemps.


Soren continua de m'observer et je m'étonnai que son regard si clair puisse avoir l'air si noir. Pourtant, c'était sa façon de regarder la plupart des gens. Il n'en était peut-être même pas conscient. Il semblait y avoir une tempête constante derrière ses yeux. Sombre et orageuse. Ninon arriva, Charles sur ses talons, mais celle-ci fonça droit sur Soren. Elle s'installa sur une chaise à côté de lui et ils se lancèrent dans une discussion animée. J'étais estomaquée.

Et voilà, c'était lancé. Ce nouveau chapitre à écrire. J'étais entourée de mes amis, que je n'avais pas vus depuis des semaines, mais je m'ennuyais. Je les aimais du fond de mon cœur, ils étaient ma famille, mais je rêvais d'ailleurs. J'étais complètement désabusée. Ce n'était pas normal. C'était plus fort que moi, j'avais besoin de changement, j'avais besoin d'action. J'avais besoin de me sentir vivante.


J'étais là, assise sur ce canapé, avec une envie irrépressible de vivre quelque chose d'extraordinaire. J'étais là, privilégiée, bien entourée, et j'avais le sentiment de passer à côté de tout ce qui valait vraiment le coup d'être vécu. Rien ne me suffisait. J'avais l'impression de perdre mon temps et cela me tuait.


Alors je fis la seule chose qui me permettait, dans l'immédiat, de calmer cette ardeur : je vidai mon verre du traite et sortis sur la terrasse fumer un joint.

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