Revenue des enfers
"Kira, comment vis-tu avec toute cette rage en toi ?"
Bip* Bip* Bip*
Ce son était pour elle à la fois apaisant et angoissant. Parce que tous les 3 "bip", il y avait cette douleur lancinante qui revenait. Cette douleur qu'elle ne pouvait même pas localisée. Cette douleur diffuse, sourde et assommante. Elle n'osait pas bouger le moindre muscle, ni même respirer trop fort. A chaque fois que la douleur l'assaillait, elle retenait sa respiration. Et puis il y avait cette voix douce et chaude, qui l'apaisait. Elle venait régulièrement lui rendre visite environ tous les 360 bips. Elle ne comprenait pas tellement ce qu'elle lui disait mais elle était apaisante car elle s'en suivait presque immédiatement d'un apaisement totale et d'une disparition des douleurs. Elle chérissait cette voix car c'était la seule chose à laquelle elle pouvait se raccrocher dans son océan de douleur. Elle avait la sensation d'être sur un radeau perdu en plein océan et qu'elle voguait au gré des vagues. Et puis un jour, la lumière fit brusquement irruption dans son océan obscure.
- Ne remuez pas autant, vous allez ouvrir vos points de sutures. dit l'apaisante voix familière.
"Qu'est-ce qu'il m'arrive ?"
Elle voulu parler mais elle avait si mal à la gorge, une douleur horrible, comme si elle était entrain d'avaler milles rasoir. La lumière était si aveuglante qu'elle du fermer les yeux, persuadée que la lumière pourrait lui bruler la rétine. En remuant, elle se tordit de douleur. Ses jambes lui faisaient atrocement mal, comme des millions d'épines qui se plantèrent soudain dans ses jambes. Ce retour à la réalité était si cruel, comment la douce voix avait pu lui faire ça ? La torturer ainsi, quel sadisme ! Elle avait envie de lui hurler de lui rendre son océan obscure et de la laisser tranquille. Mais elle ne pouvait pas lui parler. D'ailleurs ouvrir la bouche n'était pas envisageable vu la douleur qu'elle ressentait en bougeant le moindre muscle de son visage.
- N'essayez pas de parler. Pas pour l'instant. Reposez-vous le temps de vous réhabituez à la lumière. Nous vous avons sorti de votre coma artificiel maintenant que la plupart de vos blessures sont guéries.
L'homme marqua une courte pause, comme si il réfléchissait à ce qu'il allait lui annoncer ensuite.
- Vos fractures sont quasiment résorbées. Il faudra beaucoup de rééducation pour réussir à marcher de nouveau mais vous marcherez. Comme votre bras gauche. Les douleurs que vous ressentez sont des douleurs fantômes. Votre subconscient se souvient de la douleur et continue d'envoyer les signaux nerveux au cerveau. Avec le temps, ces douleurs cesseront et nous pourront diminuer les doses de morphine. En attendant, il faut commencer à vous réalimenter correctement. Depuis votre accident, vous êtes alimenté par injection. Ne mangez pas trop vite.
La douce voix paraissait plus sèche que dans son souvenir. Elle n'avait pas senti les mains du chirurgien sur ses jambes et se concentrait exclusivement sur cette voix familière à son oreille.
- Vous pouvez bouger les orteils ?
Elle se concentra. Le soupir de soulagement du médecin lui fit penser qu'elle avait réussi à obéir. Elle le sentit s'approcher d'elle. Son ombre devait légèrement cacher la lumière puisqu'elle réussit à ouvrir lentement les yeux sans avoir l'impression qu'on y versait de l'acide. Devant elle, le visage d'un homme d'une trentaine d'année. Les traits durs mais le regard doux. Un regard tellement intense, d'un vert lagune incroyable. Jamais elle n'avait vu de tels yeux auparavant. Et son parfum, rassurant et familier.
- Comment vous vous appelez, mademoiselle ? demanda t-il doucement.
Elle chercha dans sa mémoire à répondre à cette question simple. La plus simple du monde. Elle fouilla longtemps dans sa mémoire mais elle eut l'impression de fouiller le fond d'un sac à main sans jamais parvenir à mettre la main sur ses clés. D'ailleurs le sac à main était vide. Totalement vide. Rien. Il n'y avait rien dedans. Son cerveau semblait vide de tout souvenir. Elle se sentit pris d'un élan de panique et son coeur s'accéléra.
- C'est bon, c'est pas grave, calmez-vous. La mémoire vous reviendra tôt ou tard, c'est normal après un traumatisme crânien de ne pas se souvenir des choses simples. Dès que vous parviendrez à vous souvenir, dites le à l'infirmière et on se chargera de prévenir votre famille.
Après son réveil, la jeune patiente mis quelques heures à sortir de sa confusion. Son seul lien avec la réalité dorénavant, ce jeune et beau chirurgien qui venait régulièrement prendre de ses nouvelles. Elle resta longtemps à l'hôpital. Pour réapprendre à marcher, à bouger, à se lever. Peu à peu elle retrouvait de l'autonomie. Mais il y a une chose qu'elle ne pourrait jamais retrouver. Son visage. Peu importe à quoi elle ressemblait avant, son visage aujourd'hui ne ressemblait plus à celui d'une femme. Les brulures, les fractures et les lacérations avaient eu raison d'elle. Elle ne supportait pas de se voir dans un miroir, alors le personnel de l'hôpital avait pris soin de tous les retirer. L'histoire de cette femme qu'on avait retrouvé sur une plage inconsciente avait émue le personnel de l'hôpital. Amnésique et privée d'identité aussi bien physique qu'administrative, elle n'était personne. Et le plus étrange, c'est que personne n'avait envoyé d'avis de recherche. Elle n'avait personne. Elle n'avait que son précieux chirurgien. Cette douce voix qui avait pris soin d'elle et l'avait fait revenir de la mort.
- Je m'appelle Nathan Hawk. C'est moi qui m'occupe de vous depuis que vous êtes arrivés ici. Je suis chirurgien en traumatologie dans cet hôpital.
C'est comme ça qu'il s'était présenté à elle, l'inconnu de la plage. A l'hôpital, tout le monde l'appelait "Mademoiselle Personne". On ne savait même pas son âge. Son corps avait été tellement abimé qu'il n'était même pas permis d'évaluer précisement son âge. Et même sa voix, éraillée par les intubations, n'aidait pas à répondre à cette question.
- Je ne suis personne, Docteur.
- Oui c'est ça, vous êtes Mademoiselle Personne.
- Je n'ai que vous, Docteur.
- Bientôt vous pourrez sortir d'ici et commencez la vie que vous voulez. C'est une chance, c'est un nouveau départ. Beaucoup de gens en rêverait, croyez-moi.
Le Docteur était le seul à passer du temps avec elle. Il discutait de tout et de rien, il était sa présence rassurante, même dans son coma lointain. Malgré son amnésie, Mademoiselle Personne était une femme très cultivée. Un vrai puit de savoir. Ce qui la rendait d'autant plus mystérieuse aux yeux du Docteur. D'où venait-elle, quel était son histoire ? Il avait développé pour elle une sorte d'obsession fascinée. Ses lésions étaient guéries à présent, mais Mademoiselle Personne portait en permanence des bandes de gaz pour dissimuler son visage. Il n'y avait que ses yeux qui lui permettait d'exprimer ses émotions. Nathan était fasciné par ses yeux. Ses yeux noisettes habités par tant d'émotions et d'une mélancolie qui ne s'explique pas. Mademoiselle Personne avait également un humour vif et décalé. Ils avaient créé ensemble, malgré eux, une grande complicité, jusqu'à inventer des jeux ensemble.
- Qui êtes-vous aujourd'hui Mademoiselle ?
- Aujourd'hui je suis Meghan Markle et je vais me marier avec le prince William.
- Bon choix, et alors qu'est ce que ça fait d'être une princesse ?
- Vous savez Docteur, si ça se trouve j'étais un membre de mafia. C'est pour ça qu'on m'a jeté à l'eau. Je suis peut-être une très mauvaise personne.
- Vous n'avez pas l'air d'une criminelle pourtant.
Nathan était le seul à pouvoir faire rire cette femme blessée et abandonnée par la vie. Le destin peut être cruel parfois. Priver quelqu'un à la fois de son identité, de son visage et de son histoire. Nathan pensait souvent à sa patiente. Obligée de se camoufler, sans famille, sans argent, elle ne pourrait jamais s'en sortir dans la vie. Même si il essayait par tous les moyens de la persuader du contraire. Mais Mademoiselle Personne était terrifiée à l'idée de devoir quitter un jour sa chambre d'hôpital. Depuis plusieurs mois maintenant, c'était ici son seul foyer, sa seule famille. Qu'allait-elle faire dehors seule ? Elle ne pourrait pas garder ses bandages éternellement sur le visage. Mais qui donnerait une chance à un monstre comme moi ? disait-elle. Elle avait l'air forte pourtant. Mais Nathan l'entendait pleurer seule dans sa chambre quand il passait devant et qu'il n'y entrait pas.
Alors un jour, Nathan Hawk eut une idée. Une idée insensée. Si insensée qu'il n'en parla à personne. L'attachement et la peine qu'il avait pour Mademoiselle Personne dépassait la déontologie médicale. Mais le destin les avait réunis et il ne pouvait pas la laisser comme ça, affronter le monde avec ce visage. Et seule. Il ne pouvait pas. Il s'était promis de la réparer, de la remettre sur pied. Et sa mission n'était pas terminée.
Alors un beau matin, Dr Hawk entra plein de confiance dans la chambre de sa patiente préférée.
- Je vais vous redonner une vie, Mademoiselle Personne ! s'exclama le médecin en fermant la porte derrière lui.
- Comment ça Docteur ? s'étonna t-elle.
Nathan était emporté par un élan d'enthousiasme fou. Elle n'avait jamais vu son docteur dans un tel état d'euphorie.
- Et pas n'importe quelle vie ! La vie de rêve de la plus belle femme du pays.
La patiente rit aux éclats.
- C'est une blague docteur ? La plus belle femme pour Frankenstein peut être, mais je ne serais jamais Miss Univers !
- Et pourquoi pas ?
- Vous avez perdu la tête, rentrez vous reposer. Vous avez encore fait trop d'heures de gardes !
- Pas du tout ! dit-il en s'asseyant à côté d'elle sur le lit. Mon meilleur ami est un chirurgien esthétique très renommé. Je vais lui demander de vous opérer et vous donner le plus beau visage qui puisse exister.
Elle ria à nouveau.
- Et avec quel argent ? Je n'ai rien du tout. Je suis encore moins qu'une SDF. Au moins, les SDF connaissent leur prénom. Je n'ai même pas ça.
- Je paierai. déclara t-il, jetant un coup d'oeil inquiet à la porte.
Elle se figea et l'observa avec insistance. Soudain interloquée par son sérieux et son aplomb.
- C'est sûre, vous avez perdu la tête, Docteur !
- Je ne fais pas ça par charité. se justifia le médecin.
- J'espère bien, je n'ai pas besoin de votre pitié, Dr Hawk !
- En échange, je vous confierai une mission très personnelle. Vous allez m'aider. Parce que je ne veux pas que vous vous sentiez redevable à vie de ce que je ferai pour vous, je vous donnerai l'occasion d'effacer cette dette. Une fois la mission terminée, vous serez libre. Et vous aurez un nouveau visage. Et quoi de mieux pour redémarrer dans la vie qu'un corps et un visage magnifique ? Je suis la personne qui vous connais le mieux ici. Et je sais que vous êtes une belle personne. Avec votre esprit et votre culture, vous serez la femme parfaite.
Mademoiselle Personne hésita plusieurs jours. Mais elle n'avait pas le choix. Dehors, elle n'était rien. Qu'allait-elle devenir ? Errer dans les rues ? Trouver un travail où on ne la voit pas ? Mendier ? Elle n'avait pas le choix. Alors elle fit le choix d'une femme qui n'avait pas le choix. Peu importe la contrepartie que lui demanderai le Docteur, elle devait lui faire confiance et accepter. Et c'est ce qu'elle fit.
Nathan Hawk avait à peine la trentaine et il était déjà devenu un médecin reconnu expert dans sa spécialité. Mais c'était aussi un homme brillant. Un génie selon Mademoiselle Personne. Et en bon génie, son plan était infaillible. Elle accepta et les opérations s'enchainèrent. La reconstruction faciale était longue et pénible. Chaque trace de son accident s'effaçaient au fur et à mesure des interventions. Son corps et son visage furent façonnés et modelés selon les recommandations du Dr Hawk. Sa voix fut modifiée également. Le visage final que découvrit la jeune femme et le Docteur allait bien au delà des espérances. Le Docteur avait réussi son pari. Faire de Mademoiselle Personne la femme la plus belle du pays. Il était à présent convaincu qu'il l'avait devant elle. Il toucha son visage du bout des doigts comme pour s'assurer du réalisme de son oeuvre. Son émotion était palpable. Plus que la beauté de son visage, il avait l'impression de rencontrer enfin cette femme qu'il connaissait par coeur. Comme si enfin, il voyait l'enveloppe extérieure de cette personne dont il ne connaissait que l'intérieur. Les expressions de son visage étaient parfaites et le rendu était d'un naturel éblouissant.
- Tu as fait un travail incroyable, Mike ! lança t-il à l'attention de son ami.
- C'est expérimental mais je suis content que cela ait fonctionné. Mademoiselle a été une patiente exemplaire. Heureusement, les muscles étaient moins touchés que les os, cela a été plus facile à réparer. Après, je me suis servi de la structure osseuse existante pour créer ce visage. Mademoiselle devait déjà être une jolie femme pour que je réussisse à obtenir ce résultat parfait. J'ai modifié principalement le nez, la forme des paupières et les pommettes. Et un peu le coté droit de sa mâchoire. répondit le chirurgien en posant ses doigts gantés de blanc sur son menton pour montrer son oeuvre à son ami.
- Je ne sais pas à quoi vous ressembliez avant, mais vous êtes encore plus belle à présent. Regardez. dit-il en lui tendant un miroir.
Quand son regard rencontra la femme qu'elle était devenue, Mademoiselle Personne n'en crut pas ses yeux. Son visage était si parfait. Chaque courbe semblait avoir été dessiné sur un logiciel. Sa peau, la forme de son visage, de ses yeux, la courbe de ses lèvres, l'arête de son nez. Tout était parfaitement dessiné par un artiste au goût particulièrement raffiné.
- Tu es mon chef d'oeuvre, Kira. chuchota le Docteur à l'oreille de sa patiente.
- Kira ?
- Oui. Ca veut dire Lumière. Je trouve que ça te vas plutôt bien.
- Kira. répéta la jeune femme.
Les larmes coulèrent sur ses joues, elle ne put les réprimer. Elle se retourna pour sauter au cou de son Docteur et le serra contre elle de toutes ses forces. "Merci" répéta t-elle inlassablement. "Merci Docteur Hawk".
A la grande surprise de Kira, le Docteur ne comptait pas s'arrêter là avec son chef d'oeuvre. Il l'invita à cohabiter avec lui le temps de ce qu'il appelait "la mission". Kira refusa au début par pudeur mais le Docteur insista et tenta de la rassurer sur ses intentions.
- Ne t'inquiète pas, je n'ai pas l'intention de faire de toi une esclave sexuelle. Mais tu dois habiter ici car je dois t'entrainer. déclara t-il.
- M'entrainer ? demanda Kira, interrogative.
- Oui, un corps de rêve n'est rien sans l'entrainement. Tu vas devoir apprendra à te défendre et sculpter ton corps avec assiduité.
Kira ne fut par surprise par les exigences du Docteur. Sa musculature saillante semblait trahir des heures d'entrainement physique après les longues gardes aux urgences.
- Alors c'est ça que vous faites après le travail ? lança t-elle dubitative.
- Oui pourquoi ?
- Vous feriez mieux de vous trouver une femme ! ria t-elle.
Il répliqua en lui lançant sa serviette de gym au visage.
- Ne rie pas !
- Oh ce que vous êtes ronchon parfois !
- Au boulot ! lâcha t-il en désignant la tenue de sport qui était posée sur son lit.
Kira s'entraina dur pendant plusieurs mois. Au rythme des exigences de son mentor. Il lui fournit également une garde robe et des papiers d'identité. Il s'était lui même occupé de toutes les démarches auprès du tribunal pour donner une identité à cette mystérieuse inconnue. Kira Light, née le 10 Janvier 1997 à Ontario au Canada. Même si il disait que la mission effacerait sa dette, Kira savait qu'elle lui devait la vie. Sa nouvelle vie.
Les efforts payèrent rapidement et lui donnèrent un corps de rêve en plus d'un visage de poupée sculpté par la chirurgie. L'œuvre de Nathan Hawk était achevée et la mission allait enfin pouvoir commencer.
Mais il y avait deux choses que le Docteur n'avait pas prévues dans son plan.
La première est que son chef d'oeuvre retrouve la mémoire. Et la deuxième est qu'il en tombe follement amoureux.
***A suivre***
Note de l'auteur : Ceci est une histoire originale qui m'est venue à force de regarder des drames coréens pendant mes vacances. Entre deux révisions, j'ai écrit cette histoire et en voici le 1er chapitre. J'expérimente un nouveau style de narration, donc dites-moi si vous aimez, si l'histoire vous intéresse ou si ce n'est pas la peine que je continue ;) A très vite chers lecteurs !
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