Chapitre 2


« Don Juan. J'arrive foutrement pas à y croire. »

Zayn haussa ses épaules, tenant une tasse de café entre ses mains gantées comme si c'était son propre cœur. Lui et Louis étaient en train de grelotter dans le jardin mort de St Luke's, Zayn pour fumer et Louis afin de râler.

« C'est un morceau difficile. Pas particulièrement pour les timbales, mais... »

« C'est un morceau pour faire plaisir au public, » corrigea Louis, poussant du bout du pied les restes fanés d'une hémérocalle. « Tape-à-l'œil, sans aucune substance. Il l'a choisi pour pouvoir frimer devant le Conseil sur le dos de notre talent. En gros, c'est agaçant. Je suis furieux. »

Zayn haussa ses sourcils, avant de prendre une grosse taffe de sa cigarette se consumant et prit une gorgée de caféine. « Peut-être qu'il l'aime bien. »

« Peut-être que c'est Batman. Ce n'est pas le propos. »

Le soleil commençait déjà à se coucher, jetant de faibles nuances de rouge et de rose sur la mâchoire obstinément serrée de Louis. Zayn secoua simplement sa tête et rit faiblement. « Alors, qu'est-ce que tu veux dire, Tomlinson ? »

« Seulement que c'est un attrape-argent affreusement transparent. Un chef d'orchestre sexy montant obtient son opportunité de percer et choisit le morceau le plus difficile qu'il peut trouver pour son premier concert majeur et du moment qu'il ne fait pas un bide, tous ces donateurs idiots – tu sais, Malik, ceux qui se jettent sur tout ce qui est jeune, charmant et en costume, et qui pensent que la chose la plus impressionnante dans le monde est une bande de violonistes bougeant leurs doigts super rapidement – eh bien, ils vont juste ouvrir leur porte-monnaie, » claqua Louis, « comme ça. Je peux te garantir qu'il se soucie seulement de l'argent qu'il va ramener. Il sait que c'est tout ce qui compte pour Grimshaw. »

Zayn réfléchit pendant quelques secondes, frottant son pouce sur le bord de sa tasse en céramique. « Peut-être, » admit-il. « Il est assez bon avec la publicité et tout. Très charmant. »

« Valery se souciait de la musique, » souffla Louis, attrapant la cigarette de Zayn et prenant une taffe indignée avant de la jeter. « Valery était un artiste. Il n'en avait rien à foutre de ces conneries de collecte de fonds et de campagne promotionnelle. »

« Chéri, toutes ces conneries de collecte de fonds et de campagne promotionnelle sont la raison pour laquelle on a un orchestre en premier lieu. »

Louis roula ses yeux et enfonça son doigt dans l'épaule de Zayn. « Hé. Je jouerais dans un coin de rue si j'avais l'impression que j'aurais plus d'intégrité artistique là-bas qu'ici. »

Zayn haussa sceptiquement ses sourcils, mais il ne dit rien.

« Eh bien, peut-être dans la rue, » admit Louis. « J'irais dans une station de métro, là où il fait plus chaud. »

« Il y aurait une acoustique de merde, cependant. »

Louis haussa ses épaules. « Je pourrais m'en servir. Jouer quelque chose d'ambiance, tu vois ?Ballade de Ysaÿe. Ça sonnerait super bien dans le métro. »

« Eh bien, » soupira Zayn, se poussant du mur en pierre tombant en ruine et marchant lourdement à travers un amas de plantes annuelles mortes, « Je suis content que Styles soit là, personnellement, si ça signifie que je suis moins susceptible d'être accaparé par Mme Chicos-Pinceusedefesses-Smythe de la famille des Lesser-Smythe à un événement caritatif ou autre. »

Louis sourit en coin. Zayn était remarquablement beau, avec le physique d'un mannequin et le genre d'yeux noirs qui semblaient contenir des océans d'expérience philosophique, dangereuse et sexuelle. Il était, comme Louis, un éternel favori des riches veuves âgées (et les filles adultes de celles-ci). Contrairement à Louis, qui appréciait savourer l'attention, il avait juste envie qu'on le laisse tranquille.

« Peu importe. Ça ne change pas le fait que Don Juan est ringard comme tout. »

Zayn prit la peine de faire un doigt d'honneur à Louis alors qu'il avançait sur le sol gelé. Louis compta cette conversation comme un succès. Il se reprit mentalement avant de se tourner pour rentrer dans le bâtiment. Les répétitions étaient terminées pour la journée – elles avaient été courtes ; il n'y avait pas encore grand-chose à répéter, et tout le monde était toujours en train de se faire au changement de chef d'orchestre – mais Louis prévoyait quand même de s'exercer pendant au moins deux bonnes heures avant d'aller au pub avec Niall pour leurs parties hebdomadaires de fléchettes et de jeu de dames. Il avait envie de prendre de l'avance dans Don Juan.

C'était le morceau qu'il avait dû jouer lors de son audition pour l'OSL, un classique pour les auditions, vraiment, des doigtés infernaux et un tempo rapide. Sans aucun doute, Don Juan testait la technique. Alors que Louis ramenait son menton contre son torse et descendait, dans un bruit sourd, les escaliers menant au labyrinthe qu'était les salles de pratique dans le sous-sol de l'église, il se souvint de ce jour-là. S'échauffer dans le 'bassin à requins', tous les autres violonistes attaquant le même morceau, chacun plus fort, plus vif et plus exceptionnel que les autres. Ça avait presque été suffisant pour le faire douter. Mais, en fin de compte, Louis avait fermé ses yeux, ayant la certitude c'était lui qui avait investi le plus de temps, le plus d'effort et le plus de concentration. Il avait tout défoncé.

« Je peux à nouveau tout défoncer, » marmonna-t-il, ignorant le fait qu'il parlait à voix-haute dans le couloir vide. Si Styles était en train de le tester, il s'assurerait d'être à la hauteur.

« M. Tomlinson ! » Une voix joyeuse le surprit avec sa main sur la poignée de la porte de la salle. C'était Liam Pine (ou était-ce Payne ? Puce ?), ce larbin de l'administration qui semblait toujours être sur les talons de Grimshaw, habituellement avec un air à moitié désolé.

« Bonjour. »

« Vous avez un rendez-vous avec le Mae – euh, avec Har – » Liam toussa. « M. Styles a demandé votre présence dans son bureau demain à huit heures. Du matin, évidemment. Pour un entretien avec le soliste de votre pupitre. » Il tendit un note semblant très officielle à bout de bras.

« Non, merci, » dit Louis alors qu'il la refusait d'un signe de la main. « Je peux m'en souvenir. » Il glissa à travers la porte et la ferma derrière lui, n'accordant pas un autre regard à Liam.

« C'est également dans votre Outlook ! » entendit-il Liam crier depuis le couloir, l'insonorisation pas assez suffisante pour éviter la paperasse. Louis grinça des dents et se retourna. Il colla un faux sourire sur son visage et fit un signe du pouce, que Liam retourna avec enthousiasme à travers la vitre mince avant de finalement partir.

Il veut probablement me dire comment gérer mon pupitre pour son programme audacieusement difficile. Louis grogna. « J'ira en étant prêt... »

Puis, il ouvrit la partition devant lui et ses doigts filèrent à toute allure. Son esprit s'était refermé, en sécurité dans un endroit sans mots, où il y avait seulement des sons.

*

Il était tard quand Louis sortit de la salle de pratique, la verrouillant derrière lui. Il détestait laisser son violon – c'était presque comme si on lui coupait un membre – mais il ne s'exercerait pas avant le lendemain matin, de toute façon, et il était toujours nerveux lorsqu'il l'avait avec lui dans l'Underground.

« Au revoir, Thunder (ndlt : tonnerre), » chuchota-t-il alors qu'il retirait sa clé de la serrure et testait la poignée. Il le nierait complètement si quelqu'un posait la question, mais Louis nommait tous ses instruments. Ils étaient réellement ses enfants. Ou peut-être ses super-héros. Eh bien, ils étaient ses bébés super-héros, et celui-ci avait été nommé ainsi à cause de son ton de résonance déferlant. Thunder coûtait beaucoup plus que ce que Louis ne pourrait jamais se permettre, mais dans le monde de la musique classique, avec ses riches mécènes et le sens général de la convenance artistique, des très bons instruments semblaient inévitablement se retrouver dans les mains d'excellents musiciens. En fait, Thunder avait été légué à Louis par son ancien professeur et mentor, Leonardo Hall, un des grands violonistes du siècle dernier.

C'était Leonardo qui avait encouragé Louis à commencer à composer. Ce n'est pas comme si j'avais été à la hauteur de ses attentes dans ce domaine, pensa Louis d'un air maussade, alors qu'il enfilait son manteau et quittait la cour de l'église, tournant à l'Ouest sur Old Street vers l'un de la légion de pub miteux que Niall préférait fréquenter après le travail. (Il était toujours en train de dérober en douce des pintes de bière, ressemblant à un étudiant fauché avec ses Ray-Ban cassées et ses casquettes sales, et Louis se demandait si l'un de ses amis qu'il avait rencontrés dans un pub savait ce qu'il faisait dans sa vie.)

Louis frissonna à cause du vent, et au souvenir des doigts de Harry dansant alors qu'il se tenait dans ma pièce pour composer, en train de lire mon travail. L'image lui revint en tête comme la bile remonta dans sa gorge. Il se demanda combien de temps Harry avait regardé le menuet simple, ce qu'il avait vu dans les notes. « C'était juste un exercice, » grommela Louis pour lui-même. Il n'avait pas voulu que quelqu'un... Louis soupira et repoussa tout ça au fond de sa tête, le visage de Harry, son grand corps appuyé contre le bureau et tout, tout à son sujet. Disparu. Inexistant. Il refusait absolument d'être embarrassé par l'incident.

Louis enleva une légère couche de neige sèche des épaules de son manteau en laine noir, repoussant sa mèche sur le côté alors qu'il vérifiait l'enseigne du pub. Le Farringdon Arms était petit et semblait enfumé, sans aucun doute l'un des « trésors cachés » de Niall. Il y avait un homme sur le perron en train de serrer contre son corps une vieille mandoline, se balançant d'avant en arrière, ivre, et chantant des limericks (ndlt : petits poèmes humoristiques britanniques) grossiers.

« Une fois, j'ai rencontré une femme appelée Annie
Qui a invité un boucher dans son lit
Mais en un regard elle a dit
Alors qu'il enlevait son pantalon
'Je vais prendre un salami à la place' »

« C'est l'une de mes compositions originales, » bafouilla l'homme, souriant à Louis et faisant un signe avec son menton mal rasé.

« La meilleure chanson que j'ai jamais entendu, » sourit Louis, puis il lui lança une pièce. Il s'arma ensuite de courage, fronçant son nez à l'odeur de la bière et à la fumée de cigarette lorsqu'il passa la lourde porte.

Le pub était sombre et assez plein pour un lundi soir. Louis traversa le bar bondé pour se diriger vers les jeux de fléchette tombant en lambeaux accrochés au mur. Il aperçut une touffe de cheveux décolorés appuyée contre un tabouret, parlant avec animation à une femme imposante et plus âgée. Gladys Howard, la première soliste des cors d'harmonie. Louis sourit simplement et roula ses yeux alors qu'il s'avançait vers eux – Niall était le genre de personne qui inviterait n'importe qui à boire un coup entre amis, même une femme de soixante-dix ans qui sentait constamment le fond de teint en poudre et le parfum Shalimar.

« Hey ! The Tommo ! » Niall avait déjà bien entamé une pinte de bière. « J'étais justement en dire de raconter à Gladys la fois où on a montré nos fesses au Philharmonique de Londres. »

« Mme Howard, » dit Louis en souriant, tendant sa main en guise de salutation. « C'est grand plaisir de vous voir ici ; tout ce que Niall a pu vous dire est un mensonge. »

« Merci, M. Tomlinson, » répondit-elle. Elle posa le bout de ses doigts aux ongles rouges dans la paume de Louis, semblant étonnamment à l'aise dans cet environnement miteux. « Je vous promets de boire suffisamment pour oublier quoi que ce soit de compromettant. » Elle fit sournoisement un clin d'œil à Niall et puis tourna à nouveau son regard vers Louis. « Comment sont ses fesses, alors ? »

« Oh, » dit gravement Niall, se penchant par-dessus le reste de sa pinte. « C'est le paradis. »

« C'est vrai, » dit Louis en haussant des épaules. Il était plutôt fier de son derrière, et de quoi il avait l'air dans un pantalon moulant. Définitivement au-dessus de la moyenne.

« Je dois admettre que je suis tentée de les pincer de temps en temps, » gloussa Gladys.

« Je pourrais vous laisser le faire, » dit Louis, pinçant ses lèvres et creusant pensivement ses joues. « Tout dépend de combien de cocktails vous allez m'acheter. »

« C'est noté. » Gladys laissa un soupçon de méchanceté illuminer ses yeux lourdement ridés alors qu'elle ajoutait, « Vous savez, mon pauvre défunt mari était plat comme une planche. Comme M. Horan. »

Niall grogna dans son verre maculé. « Gladys, espèce d'enflure. »

Louis rigola alors qu'il retirait son manteau et s'asseyait à leur table. Il y avait une autre veste drapée sur le tabouret en face de lui et une bière ambrée pas terminée ; il se demanda qui d'autre Niall avait invité. « On a des équipes égales pour les fléchettes, alors ? »

« Ouais, j'ai oublié de te dire que... »

Harry Styles choisit ce moment-là pour sortir des toilettes, agitant ses mains pour les sécher alors qu'il se dirigeait maladroitement vers leur table.

« Oh, » dit platement Louis.

« M. Tomlinson. » Harry était plus grand que ce dont il en avait l'air au premier abord, dominant Louis dans le pub sombre. Il ne put pas s'empêcher de remarquer la façon dont son jeans skinny moulé ses cuisses, sa chemise ouverte au niveau du col pour révéler le bout d'un tatouage en-dessous de ses clavicules. Si jeune et si cool, pensa Louis avec mépris, mais ce n'est que de la superficialité, n'est-ce pas, Don Juan ?

Louis haussa ses sourcils. « C'est mon nom. Bien joué. »

Harry laissa échapper un de ses rires injustifiés alors qu'il posait ses fesses sur le bord du tabouret ; il était déjà éméché, avec seulement la moitié d'une bière. « On a un entretien demain... »

« Ce mec-là, Liam, me l'a dit. »

« C'est planifié et tout. C'est dans votre Outlook. »

Louis soupira. « Apparemment. »

Ils détournèrent tous les deux leurs regards, et Louis partit après quelques instants inconfortables pour aller se prendre un Tom Collins au bar. Il n'avait pas envie de voir les regards tendancieux que Niall et Gladys s'échangeaient probablement – les partenaires de pupitre étaient toujours comme cul et chemise. Le souvenir des yeux de Harry alors qu'il lisait sa composition sur le tableau tâché lui revint à nouveau, juste un flash discordant avant qu'il l'enfouit au fond de sa tête. Non, non, à ignorer, mauvais ; il n'y a rien. Il sourit hermétiquement au barman alors qu'il acceptait son verre puis il retourna vers la table.

Harry était au milieu d'une histoire et semblait la raconter aussi lentement qu'il le pouvait. « ... un homme très costaud, assez effrayant, est sorti de derrière le camion et il a dit, » sa voix baissa d'une octave plus basse, « 'Qu'est-ce que vous faites, les garçons ?' Et on a tous secoué nos têtes, 'oh, rien, monsieur. Rien. » A part Josh, qui a dit, « Je vous rends votre donut si vous arrivez à deviner mon deuxième prénom. »

Louis s'assit, soupirant distinctement. Cette petite anecdote allait clairement nulle part. Harry s'arrêta pendant un moment, bredouillant et déglutissant. « Euh, et le reste d'entre nous avons juste envie de s'enfuir. Mais Josh a dit, « Allez, devinez. Il a quatre syllabes et commence par un G.' »

Est-ce le charme légendaire de Harry Styles ? Louis continua de regarder en face de lui, fortement septique, et il se demanda s'il était en train d'imaginer des choses quand il vit un léger soupçon de rouge apparaître dans le cou de Harry.

« Vous savez ce que l'homme a donné comme réponse ? » demanda Harry.

Gladys et Niall secouèrent leurs têtes et Louis ravala un autre soupir d'ennui.

Le visage stupide de Harry s'étendit avec un énorme sourire. « Glande mammaire ! »

Niall éclata de rire, se penchant par-dessus son verre, son visage d'irlandais rouge à cause de l'alcool et d'hilarité. « Glande mammaire, » répéta-t-il, ricanant. Gladys avait une main sur sa bouche, cachant son sourie par réflexe.

« Alors ? » demanda Louis, ses mots sortant d'un ton sec et de façon un peu précipitée. « C'était quoi son vrai deuxième prénom ? »

« Gamaliel, je crois. Mais ce n'est pas le – »

« Oh, tu pensais que cette histoire avait un point ? »

Le visage de Harry se décomposa et Louis ressentit des remords soudains et inattendus qui lui retournèrent le ventre. Il les ignora, baissa simplement sa tête et prit calmement une gorgée de son cocktail. Pourquoi devrait-il se soucier de l'opinion que Harry Styles avait de lui ? Il n'arrive pas à raconter une petite histoire idiote à propos d'un chauffeur de poids lourd, d'un donut volé et de l'un de ses amis snob bizarre ; comment va-t-il survivre pendant une semaine à essayer de diriger un orchestre symphonique ? Des histoires, c'est de ce dont la musique est composée. Les meilleures histoires qui existent.

« Lou, » marmonna Niall entre ses dents. « Sois gentil. »

« Quoi ? » répondit-il, doucement.

Harry éclaircit sa gorge, toussant une fois dans son poing. « Est-ce que... On devrait peut-être aller jouer aux fléchettes, non ? »

Ils se levèrent tous, les tabourets raclant par-dessus le rock classique bruyant qui venait tout juste de débuter sur le jukebox. Louis se tint sur le côté pendant que Niall payait le barman pour quatre jeux de fléchettes, buvant la fin de son Tom Collins et observant distraitement Harry bavarder avec Gladys. Le sourire idiot qui était collé à son visage, ses grands yeux verts plein de lumière sous une frange de boucles chocolat et ses lèvres larges et pleines... Eh bien, pensa Louis en haussant ses épaules, c'est peut-être de là que vient la réputation de son charme. Ils étaient vraiment stupides, ses cheveux. Des cheveux bouclés d'une petite fille de cinq ans, pas d'un homme adulte. Et ses pieds sont sont trop grands.

Louis se trouva à fixer les bottes abîmées de Harry, ses pieds légèrement tournés en dedans, quand Niall arriva derrière lui et claqua trois fléchettes dans sa main. « T'as les roses, » annonça-t-il, fortement.

« Tu dis ça comme s'il y avait quelque chose d'inférieur à propos de la couleur rose, » répondit impérieusement Louis, posant son verre vide sur la table et bougeant pour jouer son premier tour. « Est-ce parce que c'est une couleur pour fille ? Affreux. Gladys, t'es avec moi ; je ne vais pas me mettre en équipe avec un machiste. »

Harry le regardait un peu étrangement, mais Louis n'y porta pas attention et atteignit le double vingt avec sa première fléchette. Ça ne se transforma pas vraiment en une grande partie de jeu. Louis et Gladys écrasèrent l'autre équipe en l'espace de dix minutes, Harry tâtonnant et touchant aussi souvent le contour qu'il le loupa – bizarrement peu coordonné pour quelqu'un compétant pour donner des coups d'archet précis et avec un doigté nécessaire pour jouer un instrument à cordes. Niall s'amusait beaucoup, il remarqua à peine quand Louis trouva une excuse pour partir après que Harry empala presque le barman avec sa dernière fléchette.

« Dieu merci, c'est fini, » marmonna-t-il pour lui-même alors qu'il enveloppait son manteau autour de son torse et sortit dans l'air frais. Le ciel était noir depuis un moment et une légère couche de neige s'était installée sur le trottoir. Louis marcha vivement jusqu'à la station de métro la plus proche, essayant de trouver un sens à cette soirée. Il y avait juste quelque chose au sujet de Harry qui le dérangeait. La façon dont il semblait glisser à travers la vie sans avoir affaire à beaucoup de critique sur le plan professionnel, puisque tout le monde aimait les prodiges – surtout ceux qui étaient charmants et amenaient de l'argent. La façon dont il se pavanait dans ses jeans moulants, trop cool pour s'habiller de façon professionnelle, « avant-gardiste » et plein de fausse profondeur. La façon dont Louis n'arrivait même pas le détester d'agir comme un baratineur arrogant, parce que malgré les attentes que Louis avait à son sujet, ce n'était pas exactement comment il s'en sortait. Louis n'était pas vraiment sûr comment Harry s'en sortait. A certain moment, il avait réellement semblé incertain. Eh bien, peut-être que Don Juan possède un minimum de connaissance sur lui-même.

Louis loupa presque son arrêt. Il dut se précipiter et pousser à travers le wagon bondé pour accéder aux portes, et il laissa seulement échapper un souffle, qui créa un petit nuage, quand il se tint sur le trottoir. Il marcha en traînant des pieds pendant la courte distance jusqu'à son appartement – qui était plus comme une petite maison, vraiment, sa porte verte prise en sandwich entre deux autres dans la rue étroite – et il la déverrouilla pour entrer à l'intérieur.

L'appartement était froid et sombre, ayant perpétuellement une odeur de renfermé parce que les tâches ingrates comme le ménage ne pouvaient simplement pas se trouver trop haute sur la liste des priorités d'un artiste, et Louis venait seulement ici pour dormir, de toute façon. Dans ses moments les plus irréalistes, il se plaisait à imaginer une famille de fantômes faire leur vie dans son salon inutilisé. Il monta d'un pas lourd les escaliers au tapis usé sans allumer la lumière (inutile de le faire), il atteignit le palier, tâtonna un peu avec une petite poignée en cuivre et ouvrit la porte de sa chambre. Les draps froissés étaient baignés par la lumière bleue de son écran d'ordinateur – il avait dû oublier de l'éteindre ce matin. Il retira son manteau et s'assit devant le clavier, ouvrant distraitement son navigateur Internet en débattant pour savoir s'il allait ou non donner la satisfaction à Liam Payne de réellement vérifier son Outlook.

A la fin, il ne put pas se résoudre à cliquer. D'ailleurs, il se souviendrait de ce truc avec Styles. L'entretien. Ce n'était pas comme s'il pouvait l'oublier.

Louis soupira fortement, déjà certain de ce qu'il était sur le point de faire – quelque chose qu'il n'avait pas exactement évité de faire ces dernières années, il ne s'était juste jamais autorisé à considérer que c'était une activité possible. Il soupira à nouveau pour faire bonne mesure, le transformant presque en un geignement mélodramatique, même s'il n'y avait personne d'autre pour l'entendre.

« Quelqu'un doit divertir les fantômes, » grommela-t-il. Puis il tapa le nom de Harry Styles dans une barre de recherche et appuya sur Entrée.

Le premier résultat était un lien vers sa page Wikipédia. Louis décida que c'était un bon point de départ, il cliqua sur l'hyperlien et fut immédiatement rempli par le regret quand il vit que la page de Harry était longue, avec plusieurs photos récentes de lui et de vraies sous-parties. En incluant une sur sa Vie Privée. (Louis Tomlinson existait sur Wikipédia seulement comme une « ébauche liée à la musique. »)

Louis survola les informations basiques. « Harry Edward Styles, né le bla bla bla, beaucoup trop récemment, est un violoniste et chef d'orchestre anglais. Parents Anne Cox et quelqu'un Styles, une grande sœur Gemma, s'est rapidement montré prometteur, a étudié le violoncelle dans un conservatoire ennuyeux en Autriche, peu importe, ennuyeux, ennuyeux... » Louis avait vaguement eu connaissance du passage de Harry à l'Orchestre Philharmonique de Berlin en tant qu'artiste vedette – et de tous ses albums solo au grand succès et aux noms horriblement kitch qu'il avait sorti quand il avait dans les environs de vingt ans (« Midnight Memories ? » grogna Louis. « S'il te plaît, dis-moi que c'était une idée du label. Cependant, ça sent bon la sensibilité de Styles. En ce qui me concerne, lui et Josh Groban peuvent monter un club de bouclés mignons et me laisser en dehors de ça, merci beaucoup. ») – alors il sauta directement à la section parlant du travail de Harry en tant que chef d'orchestre. Il y avait des liens vers de nombreuses critiques enthousiastes de son passage à l'Orchestre Pops de Boston, ce qui fit rouler les yeux de Louis. L'Orchestre Symphonique de Chicago, il avait dû le prendre plus sérieusement, malheureusement. Et l'Orchestre Philharmonique de Los Angeles, où il avait passé toute l'année précédente.

« Pas étonnant qu'il soit un tel hippie californien. »

Une boule chaude de frustration commença à se former dans son torse alors qu'il lisait la liste des accomplissements de Harry, parsemé de photos de son sourire avec ses fossettes et ses grandes mains tenant maladroitement un bâton. « Comment ne voient-ils pas à quel point il est insipide ? » grogna Louis. « C'est juste un rien tape-à-l'œil ! »

Louis imagina que les fantômes compatissaient pour lui.

« Eh bien, » continua-t-il, sur le ton de la conversation, « je blâme l'obsession des américains pour l'accent anglais. »

Il fit réellement semblant d'avoir un débat avec lui-même pour savoir s'il devait regarder la section Vie Privée. Mais elle était relativement courte, juste une note à propos du soutien de Harry pour les droits LGBT et son travail avec une œuvre de charité britannique appelée Believe in Magic. Pas de détails croustillants sur ses relations.

« Ennuyeusement ennuyeux. Evidemment. »

Louis envisage de fermer son ordinateur et d'aller au lit, mais le deuxième résultat de la recherche, sous Wikipédia, était un article du magazine Esquire, et il n'y avait pas moyen que Louis loupe l'opportunité de s'en moquer. Rien que la première phrase le fit croasser de rire :

C'était une chaude après-midi de printemps et Harry Styles instragrammait des sushis.

« Oh, continuons, » entonna Louis alors qu'il se plongeait dans la prose ridicule et pleine d'adulation. Rien de tel qu'un article de magazine « le sujet de ce papier est beaucoup plus cool que toi, tu devrais être reconnaissant du privilège de nous payer pour avoir le plaisir de lire à propos de lui » pour une bonne lecture haineuse.

Imaginez un chef d'orchestre – c'est bon ? Un vieil homme ridé avec des cheveux blancs rebelles et un nœud papillon de travers ? A présent, débarrassez-vous de cette image mentale, parce que Harry Styles fait voler en éclats les stéréotypes populaires sur la musique classique tandis qu'il fait fureur à Los Angeles. David et Victoria Beckham, Charlize Theron, Robbie Williams, et Kelis ont tous, récemment, été vus au premier rang – non pas d'un match des Lakers mais à au dernier concert de la saison printanière de l'Orchestre Philharmonique de Los Angeles, dimanche dernier au Walk Disney Concert Hall.

Louis grogna et grommela en continuant de lire l'article, tout en avalant chaque mot au sujet des vêtements de Harry, ses foulards à mille huit cent dollars et ses amitiés avec différents créateurs de mode. « Foutrement ridicule. C'est une putain de blague, ce mec. » Au moment où il arriva à la dernière phrase (Regardons les choses en face – Harry Styles a rendu Mozart à nouveau cool.), Louis était affalé dans sa chaise, frappant doucement et théâtralement sa tête contre son bureau.

« S'il vous plaît, tuez-moi. »

Il y avait un autre lien en dessous de l'article : Harry Styles, photographié par Annie Leibovitz – VOIR LE DIAPORAMA ! sur lequel Louis cliqua sans trop y réfléchir.

A ce moment-là, il fut confronté à un Harry Styles nu.

« Bordel – » Louis réduit la fenêtre de navigation et prit une profonde respiration tremblante. « Qu'est-ce que... des tatouages... » Des tatouages avaient été mentionnés dans l'article, évidemment, mais Louis avait simplement roulé ses yeux et marmonné, « comme si aucun autre musicien classique n'avait jamais eu de tatouage. » Il en avait fait un des années auparavant, un bel archet de violon à l'arrière de son bras droit. Sans parler de la vaste collection de Zayn.

Mais, d'une certaine manière, l'idée de Harry Styles avec des tatouages n'était pas la même chose que de voir Harry Styles avec des tatouages. Il n'était certainement pas le même gamin rondelet de quinze ans durant cet été à Interlochen. Plus maintenant.

Louis ne put pas s'en empêcher. Il agrandit à nouveau la fenêtre et fixa la photo. Harry se trouvait sur ce qui ressemblait au bas-côté d'une route déserte, son torse généreusement maculé de poussière et une expression sérieuse sur son visage. Il tenait son violoncelle devant lui, légèrement incliné sur le côté pour révéler une fine ligne de poils descendant à partir de son nombril. Les yeux de Louis parcoururent le contour du corps de Harry, la forme de ses muscles bien développés. Finie la douce peau blanche et les rondeurs d'enfant. Tout ce qui restait de ce Harry Styles était le mirage de poignée d'amour de chaque côté de ses hanches – Louis pouvait dire qu'elles étaient en quelque sorte une illusion d'optique, mais leur forme semblait familière et étrangement érotique.

Il ferma ses yeux, essayant de bloquer les souvenirs de Harry Styles le suivant le long des chemins de copeaux de bois du camp, Harry Styles lui souriant avec enthousiasme. Harry Styles troublé, gêné et sautant dans le lac, espérant que personne n'avait remarqué son érection accidentelle, même si tout le monde l'avait évidemment vu...

Louis ouvrit à nouveau ses yeux. Il cliqua sur la prochaine photo. Des tatouages jonchaient les bras et la cage thoracique de Harry, un amas aléatoire de dessins noirs et gris.

« Putain. »

Il pouvait sentir qu'il commençait à durcir dans son pantalon alors que la galerie photo continuait de défiler, s'autorisant à se faire plaisir en laissant son regard s'attarder sur les cuisses de Harry, ses tétons foncés, le muscle de son bras droit alors qu'il était penché par-dessus son violoncelle. L'image de Harry penché en avant dans un cas général était quelque chose que Louis avait essayé de ne pas avoir en tête pendant toute la journée. Maintenant que son sexe était en train de durcir, il trouva ça sérieusement difficile de maintenir un certain niveau de contrôle mental. Frustré, Louis ferma brutalement son ordinateur, retirant son pantalon et sa chemise (ignorant la façon dont le léger frottement que ça engendra ne fit qu'envenimer la situation dans son boxer) et il grimpa sous la chaleur de sa couette moelleuse pour aller dormir.

Il n'avait pas trouvé le temps de se masturber depuis un moment, c'était tout. C'était juste une réaction animale normale à la vue d'un homme quasiment nu... n'importe quel homme quasiment nu aurait produit la même réaction chez lui. Le sexe de Louis palpitait, le gland faisant pression sur l'élastique de son boxer. Il résista à l'envie de baisser une main et se branler, toujours à moitié dans le déni. (Combien de va-et-vient ça prendrait en pensant simplement à cette première photo ? Deux ?)

« Putain de Harry Styles, » souffla-t-il, essayant d'ignorer la vague soudaine de chaleur et d'envie déferlant dans son entrejambe. « Non. » Il se tourna sur son flanc, refusant de se toucher.

Les images de l'article de l'Esquire inondèrent sa tête, se mélangeant avec le soudain souvenir vif de Harry à quinze ans, son érection se balançant visiblement dans son maillot de bain. Oh, Louis n'allait pas penser à ça. Il n'allait penser au sexe d'un adolescent ; c'était trop déroutant et horrible, et il allait simplement dormir.

« Dors, » ordonna-t-il à son cerveau à travers ses dents serrées.

Ça prit un certain temps.

*

Louis se réveilla avant l'aube lorsque son réveil sonna. Il frotta son visage, encore groggy, clignant des yeux vers les fenêtres sombres et essayant de comprendre pourquoi il faisait toujours noir. Puis ça lui revint avec des visions fugaces de rêves confus – il avait ce rendez-vous avec Styles. Evidemment, Louis ne pouvait pas se permettre de perdre du temps sur sa pratique, alors ça signifiait qu'il devait aller à St Luke's encore plus tôt que d'habitude. En plus, il y avait des compositions qu'il avait cachées dans ce qui avait été son repaire secret, mais qui était apparemment le nouveau bureau de Harry maintenant. Il ferait mieux de les retirer avant que Styles décide d'aller fouiller dans les tiroirs.

Il s'habilla rapidement, ne faisant pas vraiment attention à ses vêtements. On ne peut pas tous s'offrir des foulards à mille huit cent dollars. Il finit dans un pantalon en velours qui était légèrement usés, et était également légèrement trop court (Depuis combien de temps n'avait-il pas acheté de nouveaux habits ? Probablement, depuis que sa mère était venue lui rendre visite.), des chaussettes violettes criardes et un genre de pull par-dessus une chemise à col. Ses lunettes. Louis passa une main désintéressée à travers sa frange, fixant son reflet dans le miroir de la salle de bain. Il avait peut-être été jeune et sexy récemment, mais il commençait à se rendre compte que ces jours étaient juste derrière lui. A présent, il était seulement un violoniste d'âge mûr espérant un contrat pour un album qui ne viendrait jamais, se fondant dans l'arrière-plan d'un orchestre.

« Garde la tête haute, Tomlinson. T'as toujours ta santé. Et ta sensibilité artistique, qui n'a pas encore été corrompue par la musique pop, les footballeurs désirables, Instagram ou les créateurs de mode. Qui peuvent être les femmes des footballeurs désirables. Ou les sushis. »

Louis quitta sa maison en se sentant supérieur. Il prit son café à la gare et monta dans l'Underground presque vide menant au Barbican. Il faisait un froid glacial ; il enroula son écharpe noire tricotée autour de lui et enfonça son visage dedans pour contrer le vent.

Sa première priorité en entrant dans St Luke's fut d'aller voir Thunder. Il était à l'endroit où Louis l'avait laissé, confortablement installé dans son étui, et il put laisser échapper un soupir de soulagement. Il se sentait toujours un peu tendu quand il n'avait pas son violon avec lui. Louis passa un bloc de colophane ambre sur son archet avec respect. C'était la même colophane qu'il avait utilisée lors de son adolescence – bon Dieu, probablement la même colophane qu'il avait prise à Interlochen – et plus d'une décennie plus tard, il commençait seulement à ne presque plus en avoir.

Certaines personnes pourraient penser que c'était bizarre d'avoir de l'affection pour de la colophane. Pour Louis, c'était la voix de son instrument. Elle enduisait la mèche en crin de cheval de son archet, s'accrochait aux cordes de Thunder et lui permettait de s'exprimer. Et le pain diminuant dans son enveloppe en soie bleu était aussi familier pour lui qu'un vieil ami.

« Juste quelques gammes pour chauffer mes doigts. » Quelques gammes se transformèrent en un peu plus, et rapidement Louis se perdit dans le seul monde où il voulait être, le monde dont il était accro. Il pratiqua les parties les plus difficiles de Don Juan, aplanissant les légers couacs dans son doigté. Le son de Thunder s'élevait dans les airs, étouffé par les murs de la pièce et Louis souriait doucement, inconsciemment. Au moment où il revint à lui, il se rendit compte qu'il lui restait seulement quinze minutes avant son rendez-vous pour se faufiler dans le bureau de Harry et trouver ses brouillons.

« Merde, » grommela-t-il, rangeant précipitamment Thunder dans son étui avant de quitter la salle de pratique et de monter les escaliers deux par deux. Il espérait que Styles ne serait pas là en avance.

Mais Louis put entendre des voix s'élever venant de plus loin. La porte du bureau exigu de Harry était légèrement ouverte. Louis n'avait pas l'intention d'écouter aux portes, mais... eh bien, s'il allait y avoir un différend entre Nicholas Grimshaw, directeur général, et Harry Styles, chef d'orchestre invité, il voulait savoir qui allait l'emporter. Pour le bien de l'orchestre. C'est ce que n'importe quel excellent premier violon ferait, se dit-il.

« Liam a revu l'emploi du temps à ma demande, » disait Grimshaw. « On voulait faire un coup promotionnel massif, te vendre comme le nouveau visage de l'OSL. » Louis roula ses yeux, se cachant dans le petit couloir sombre près de la cage d'escaliers. J'en étais sûr. Tout se résume toujours à l'argent.

« Je vais être honnête, » répondit Harry, « séance photo, séance photo, apparition à un gala de charité... ça ne me laisse pas beaucoup de temps pour réellement répéter avec eux. »

« On a des chefs d'orchestre assistants très compétents pour ce genre de choses, » dit Grimshaw. Louis pouvait presque voir le mouvement indifférent de son poignet, et il grogna doucement. Valery n'autoriserait jamais un assistant à diriger toute une répétition. Ils étaient seulement supposés prendre la relève quand le chef d'orchestre principal faisait une répétition individuelle avec l'une des pupitres.

« J'ai bien peur de ne pas travailler comme ça, » dit Harry, d'un ton plus gentil que Louis aurait probablement utilisé dans une même situation. D'une certaine manière, ça énerva seulement un peu plus Louis contre lui.

« Et j'ai bien peur que cet emploi du temps ait été finalisé. »

« Finalisez-le à nouveau. » Louis haussa ses sourcils. Peu de personne avait le courage de tenir tête à Grimshaw quand il parlait avec sa voix glaciale ; il n'aurait pas pensé que Harry en serait capable. Un moment passa et il entendit ce même rire injustifié auquel il devait apparemment commencer à s'habituer. « Oh, Nick, allez. Vous ne m'avez pas seulement engagé pour mon joli visage, hein ? »

Voilà finalement, le charme, pensa Louis, ses lèvres pincées en un froncement. Il sait ce que Grimshaw était en train de faire.

« M. Styles, bien sûr que je respecte votre jugement... »

« Bien, » dit Harry, un peu trop gaiement. « C'est réglé alors. »

« Une autre chose... » Grimshaw éclaircit sa gorge. « Nous – certains membres du conseil d'administration et moi – nous nous demandions si vous étiez réellement attaché au choix de Don Juan. Pas que nous n'aimons pas Strauss, mais d'habitude c'est un morceau utilisé pour les auditions. C'est en quelque sorte devenu d'outil dans le milieu, vous comprenez, il est utilisé pour évaluer les compétences techniques. Pas, peut-être... oh comment dire ça ? Il n'a pas vraiment le niveau de sérieux que notre public a l'habitude d'entendre pour l'ouverture d'une saison. »

« Je pensais que vous aviez dit que vous voulez de la fraîcheur ? »

« De la fraîcheur, oui, mais pas complètement peu orthodoxe. »

Harry soupira, posant lourdement quelque chose sur son bureau. Sa voix était douce, et Louis se pencha en avant pour écouter. « Ecoutez, M. Grimshaw. Depuis que j'ai décidé de m'essayer à diriger un orchestre, j'ai envie de faire Don Juan. C'est un très beau morceau, mais son âme a été perdue. »

Louis balança son poids d'un pied à l'autre, son cou devenant raide à l'endroit où il était appuyé contre le mur. Eh bien, d'accord, pensa-t-il. C'était inattendu. Harry fit une pause et Louis se demanda s'il commençait à regarder au loin, le même air concentré sur son visage que lorsqu'il avait lu la musique de Louis sur le tableau.

« Intéressant, Harry, mais pourquoi ne pas l'avoir joué à Chicago ou L.A. ? Le public américains – »

« Oh, je ne pouvais pas. Don Juan ne convenait pas à ces orchestres, parce qu'il nécessite un premier violon exceptionnellement fort, indépendant et parfait techniquement. Quelqu'un qui peut réellement mener l'orchestre. »

« Certes, mais – »

« C'est la raison pour laquelle j'ai accepté ce poste, Nick. Pour pouvoir enfin donner à Don Juan la deuxième chance que l'œuvre mérite. »

« Oui, mais je ne suis pas sûr que l'OSL convienne réellement pour – »

« Vous avez Tomlinson. »

Louis s'étouffa presque, collant son dos contre le carrelage froid alors qu'il essayait de ne pas respirer trop bruyamment. Harry avait suivi sa carrière ? Il était ici à cause de lui ? (Est-ce possible d'être flatté et totalement furieux en même temps ?)

« Eh bien... » Grimshaw éclaircit sa gorge. « Faites ce que vous pensez être le mieux, M. Styles. C'est vous qui décidez. » Il sortit d'un pas altier du bureau et Louis se tendit, ayant peur de se faire surprendre. Mais Grimshaw tourna à gauche. Quand Louis entendit le bruit de ses pas s'affaiblir dans le couloir, il laissa échapper une respiration qu'il n'avait même pas conscience d'avoir retenue. Il regarda sa montre – trois minutes avant son rendez-vous avec Harry.

Il n'y a pas grand-chose qu'une personne puisse faire en trois minutes. Alors Louis défroissa son pull et se présenta devant la porte ouverte, la nouvelle information tournoyant toujours dans sa tête. Harry était penché au-dessus son bureau, remettant en ordre de façon tatillonne un tas de partitions. Louis laissa ses yeux se promener sur ses longues jambes et ses jolies petites fesses alors que certaines photos de l'article de l'Esquire flottaient dans le chaos qu'était ses pensées.

« Tu penses que Don Juan a une âme ? »

Harry toussa et tourna rapidement sa tête. « T'as écouté. »

« J'espionnais. »

« ... C'est mieux ? »

Louis haussa ses épaules et s'assit sur la chaise de bureau grinçante de Harry, jouant de façon absente avec la mousse sortant d'une déchirure dans le vinyle. « Non, » dit-il légèrement, « mais c'est plus précis. » Il ne savait pas dans quoi il s'embarquait avec cette conversation, mais sa recherche de la veille et toutes ces gammes complexes qu'il venait de pratiquer l'avaient mis dans une humeur téméraire. Il y avait quelque chose tirant dans le bas de son ventre, un désir inexplicable de troubler Harry, de le transformer en le garçon gêné de quinze ans qu'il avait été au camp. De le punir d'oser envahir son espace.

« Louis Précision Tomlinson. »

Louis cligna des yeux. « Quoi ? »

« A cause de ta technique et ce que tu viens de dire, alors... Précision est ton deuxième prénom ? » dit Harry avec un sourire plein d'espoir.

« Oh, mon Dieu, » souffla Louis. « S'il te plaît, Styles, épargne-nous ton humour basé sur les deuxièmes prénoms. » Harry laissa éclater un rire de surprise, comme si Louis venait juste de dire quelque chose de drôle plutôt que de méchant.

Puis il s'installa sur le bord de son bureau, les jambes croisées au niveau des chevilles et ses poignets appuyés contre le bois alors qu'il supportait son corps élancé. Il sourit à Louis. « Alors, es-tu secrètement amoureux de moi, ou t'as juste fait une légère traque ? »

Louis roula ses yeux, la frustration brûlant. Il se pencha en avant, ses coudes sur ses genoux, laçant ses mains ensemble et regardant rigoureusement Harry. « Apparemment, t'es celui qui me traque, Styles. Ou est-ce que j'ai mal entendu quelque chose ? »

Harry haussa ses épaules. « J'avais besoin d'un violoniste qui pouvait assurer techniquement. Quelqu'un avec des qualités de meneur. Tu es en haut de la liste. »

« Mmm. » Louis laissa son torse retomber, faisant craquer la chaise alors qu'il passait le bout calleux de son index sur le bord tranchant et irrégulier du vinyle déchiré, la colère brûlant alors qu'il se forçait à oublier à quel point il avait été excité la veille. Maintenant que le moment était passé, le souvenir était humiliant. Comme si l'existence même de Harry se moquait de lui, jusque dans sa vie sexuelle pathétique et non-existante. « Quel est le but de cet entretien, alors ? »

« Eh bien, c'est surtout en quelque sorte pour vous motiver. Je suis sûr que si Grimshaw désapprouve Don Juan, tout le monde a dû râler dans mon dos. »

Louis hocha de la tête. « En effet. » Il n'allait pas le nier.

Harry porta une main à son menton, frottant sa lèvre inférieure avec son pouce alors qu'il continuait, ayant cet air obnubilé sur son visage tandis qu'il fixait un point au-dessus de la tête de Louis. « Je veux juste l'occasion de m'expliquer pleinement à l'orchestre. » Il parlait lentement, comme si ses mots étaient enfouis profondément. « J'ai l'impression que j'ai cette idée en tête depuis toujours, comme un secret, totalement privée. Elle s'est tellement développé dedans que j'arrive facilement à me la décrire. » Louis baissa son regard et vit qu'il avait rentré ses pieds vers l'intérieur, vulnérabilité. « Et maintenant que j'ai enfin l'opportunité d'en parler à d'autres personnes, de la concrétiser dans le vrai monde, j'oublie qu'une partie de cette idée est très personnelle... » Il tourna ses yeux vers Louis, ses sourcils froncés. « C'est juste angoissant. Tu vois ce que je veux dire ? »

Les yeux de Louis glissèrent vers le dernier tiroir du bureau, où il avait rangé les brouillons de ses compositions. Il déglutit, conscient de la soudaine sécheresse dans sa gorge. « Nope. J'ai bien peur que ce que tu dis soit du charabia, Styles. »

Harry hocha pensivement de la tête. « D'accord. Je ne pense pas avoir besoin de te donner des conseils sur... » Il fit un mouvement ridicule pour imiter un violoniste jouant, sa posture et la position de son poignet drôlement mauvaises.

« Non. Tu n'en as pas besoin. » Louis se leva et sortit de la pièce, seulement légèrement plus sur les nerfs que lorsqu'il était entré.

*

Zayn écoutait, inclinant son menton vers le haut pour souffler la fumée chaude vers les corbeaux tournant en rond au-dessus d'eux.

« Alors, c'est en quelque sorte de ma faute si on doit jouer Don Juan. Je te jure, Harry Styles est genre mon propre cauchemar personnel prenant vie. »

« Tu devrais être flatté, mec. »

Louis grogna doucement, tapant du pied le sol du jardin gelé et frissonnant. Plus qu'une menace, la soudaineté de Harry dans tous les domaines rendait Louis de plus en plus en colère. « J'ai l'impression qu'il m'utilise, putain. Genre, je suis cet automate avec une bonne technique qu'il peut utiliser pour réaliser son rêve de créativité stupide. Et bien sûr qu'il devait intervenir et ajouter son talent artistique avant-gardiste dedans pour faire en sorte que je sois assez bon. »

Zayn le regarda, le scepticisme visible partout sur son visage. « T'es sûr que tu ne te projette pas ? Ça ressemble à J – ça ne semble pas fondé. »

« Oh, c'est simplement ce qu'il a dit à Grimshaw. Et quand il m'a parlé, il a rendu ça clair que c'est mat echnique et sa putain de... vision personnelle... Donne-moi ça. » Louis tira la cigarette de la bouche de Zayn et prit une grosse taffe, sentant la nicotine infiltrer son sang et calmer ses nerfs. « C'est un putain de connard. »

Zayn haussa ses épaules. « Si tu le dis. »

Niall passa dans le bureau de Harry au Barbican avant la répétition vendredi. Harry avait passé la matinée à bosser sur Don Juan, souhaitant être à St Luke's à la place. Ce bureau était plein de surfaces en bois sans défauts et semblant coûteux et des grandes baies vitrées. C'était beaucoup plus difficile pour Harry de regarder confortablement l'espace tout en réfléchissant à un problème, alors qu'il pouvait voir toutes les personnes qui passaient sur la mezzanine du deuxième étage. Il était en train de grommeler pour lui-même sur le manque d'intimité et de prendre des notes pour la famille des vents, ses épaules tendues, quand il leva son regard et vit Niall appuyé contre l'encadrement de la porte. Ses bras croisés contre son torse et ses pieds liés au niveau des chevilles, il souriait en coin et attendait avec une fausse nonchalance que Harry remarque sa présence.

Harry se redressa dans sa chaise, rigolant et secouant sa tête, content de la distraction. Content que c'était Niall.

« Quoi ? » demanda ce dernier, ne souriant plus de façon narquoise.

Harry renifla. « Rien, » dit-il, « parfois ça me frappe juste à quel point t'es une personne vraiment ridicule. »

Niall laissa tomber son menton contre son torse, rigolant silencieusement avec Harry, dans un acquiescement tacite.

« Laisse-moi deviner, » dit Harry, frottant ses mains sur son visage alors qu'il continuait de rire, « si ça m'avait pris un peu plus longtemps pour te voir, t'aurais toqué à l'encadrement et genre dit 'You-hoooou, 'y a quelqu'un ?' hein ? »

Niall éclata de rire et se poussa de la chambranle, entrant complètement dans le bureau. Ses yeux biglaient d'amusement.

« Faux, » annonça-t-il joyeusement. Il s'installa dans l'une des chaises en face de Harry avec un doux soupir et se mit à l'aise dans une position avachie. « J'avais opté pour 'Terre à Harry', en fait. » Il défroissa l'avant de son pull et haussa ses épaules, assez fier de lui. « C'est un classique. »

Harry plissa ses yeux et fit une grimace comme s'il était en train d'y réfléchir. « 'You-hou, Terre à Harry' aurait été encore mieux. »

« Tu peux garder tes you-hou pour toi, merci, » dit Niall avec un air à moitié dégoûté.

Harry fut incapable de s'empêcher de glousser. « Oh, je peux, hein ? » demanda-t-il avec un petit haussement de sourcils suggestif.

Niall hua, les yeux écarquillés. « Et c'est moi qui suis ridicule ? » se moqua-t-il. Il tourna sa tête d'un côté à l'autre d'incrédulité, presque comme s'il cherchait quelqu'un pour le soutenir. Il était clairement ravi que Harry entre dans son jeu.

« Hééé, ce n'est pas ma faute ! » dit Harry. « Ça sonnait comme un euphémisme. »

« T'as la mentalité d'un gamin de cinq and, tu le sais ? »

« Comment c'est d'avoir un gamin de cinq ans comme patron ? »

« Merveilleux. J'adore complètement, » dit Niall, ne ratant pas le coche. « Je veux des biscuits en forme d'animaux, s'il te plaît, patron. Où est ta cachette, alors ? » Il se pencha en avant et tendit son cou, regardant la rangée d'armoire sous la grande fenêtre se trouvant derrière Harry.

Ce dernier prit un air désolé. « J'viens de les finir, désolé. Matinée stressante. Je peux faire quelque chose d'autre pour toi, cependant ? »

Niall se cala contre le dossier de sa chaise, rigolant. Il soupira de contentement et répondit sérieusement. « Nan. J'voulais juste voir comment t'allais, c'est tout. » Il tapota ses doigts sur les accoudoirs en métal, haussant ses épaules et ses yeux chaleureux. « Tu sais, comme le meilleur ami au monde que je suis. Je voulais te demander comment se passaient les choses jusqu'à présent et tout, m'assurer que t'es bien installé. »

« Tout va bien, » dit Harry avec un petit sourire. Il se recula à nouveau dans sa chaise, soupirant et regardant vers le plafond pendant un moment. Tout semblait aller un peu mieux maintenant, rien qu'en interagissant avec Niall. Harry l'aimait beaucoup. « Tout se passe bien... Tout va bien. Ouais. Tout va bien. »

« Grimmy a été casse-couille ? »

Harry laissa sortir un éclat de rire reconnaissant. « Rien que je ne peux pas gérer. » Il passa une main à travers ses cheveux puis se redressa, regardant Niall dans les yeux, espérant que les siens n'aient pas l'air trop vulnérables. « Comment tu trouves que ça se passe ? » demanda-t-il.

Niall sourit. « Eh bien, t'as certainement Gladys de ton côté, alors ça ne peut pas aller trop mal, hein ? »

Harry ricana. Il avait eu son entretien avec Gladys Howard la veille. Ils avaient passé la majorité de leur temps ensemble à parler de Niall et de comment il l'avait emmené dîner une fois toutes les deux semaines pendant la majeure partie de l'année. Parfois dans un restaurant français chic, parfois à un vendeur de hot dog dans la rue, toujours un nouvel endroit, toujours délicieux. Harry savait que le rendez-vous s'était bien passé, surtout en comparaison avec les autres. Un en particulier, peut-être. »

« Cette femme t'adore, c'est évident, » dit Harry.

Niall hocha de la tête, un signe fier de confirmation. « Et je l'adore également, » répondit-il, bougeant dans sa chaise pour se mettre plus à l'aise. Il n'arrivait jamais à rester immobile.

« Est-ce qu'ils détestent l'œuvre de Strauss, Niall ? » demanda timidement Harry après une courte pause, grimaçant légèrement en visualisant le visage de Tomlinson lors de leur entretien cette semaine. Ses pommettes tranchantes, l'intensité de ses yeux sous ses sourcils froncés. La façon désinvolte dont il avait prononcé Don Juan, comme s'il l'utilisait comme une sorte d'arme – comme une attaque personnelle déguisés et étrange contre Harry, ou comme une blague avec lui-même. Harry réprima un frisson et mordilla la peau autour de l'ongle de son pouce, son rythme cardiaque accélérant légèrement. « A quel point ils la détestent ? »

Niall balaya l'inquiétude de Harry avec un geste de la main. « Oh, je ne sais pas. Il y a eu quelques plaintes, peut-être. Rien d'extraordinaire. Comme d'habitude. » Il haussa des épaules. « Tu sais, t'es nouveau. Alors. »

Harry hocha de la tête, prenant une respiration tremblante et l'expirant doucement. Il savait, que trop bien. Il avait été le nouveau beaucoup de fois. Nouveau et jeune, une combinaison particulièrement puissante. Il avait été sous-estimé par des orchestres pendant presque toute sa carrière en tant que chef d'orchestre. Parfois, certains musiciens avaient été purement et simplement dédaigneux. Harry avait un souvenir particulièrement vif, lors d'un passage en tant qu'invité à Cologne, d'un second violon incroyablement prétentieux qui l'avait ouvertement informé qu'il n'avait simplement pas assez d'expérience pour être un bon chef d'orchestre, pas à son âge ; ce n'était simplement pas possible, pas encore. Bon Dieu, les violonistes, pensa sombrement Harry, toujours de tels rabat-joie. Les blagues existent pour une raison...

« Hé, » dit Niall, le faisant revenir à la réalité et lui lançant un regard sévère. « C'est juste une question de temps. Tu le sais. Tu finiras par gagner leur confiance. Vraiment. Tu finis toujours par l'avoir. »

Il était vrai que, jusqu'à présent, Harry avait presque universellement réussi à prouver qu'il était un chef d'orchestre plus que compétant. Il avait toujours finalement été capable d'obtenir le respect de l'orchestre, peu importe à quel point les choses avaient commencé de façon chancelante. Il n'y avait pas de raison que ce n'en soit pas de même avec l'OSL.

« Je ne sais pas ce que c'est cette fois, Niall, » dit doucement Harry, emmenant une main à son front et fermant ses yeux. Il ne s'était pas rendu compte qu'il se sentait aussi inquiet à propos de certaines choses avant de commencer à en parler. « Ça me semble un peu différent. »

Ils restèrent silencieux pendant une minute, Niall le laissant réfléchir.

« Presque comme si j'en voulais trop ? » dit Harry, d'une façon incertaine, ouvrant ses yeux pour jauger la réponse de son ami, ne savant toujours pas lui-même si c'était la bonne réponse.

« Ah, Haz, » dit Niall avec sympathie. Il regarda directement Harry, ses sourcils froncés avec inquiétude. « Allons boire un coup ce soir, hein ? »

Harry jeta sa tête en arrière et rigola, acquiesçant d'un hochement de tête, alors que son affection pour Niall inondait à nouveau tout son corps. Niall sourit, heureux de pouvoir l'aider, et il se lança dans la description des pubs dans le coin qu'il considérait comme un choix admissible. Il avait un système de notations compliqué qui incluait une référence croisée entre ceux avec de bonnes bières, ceux avec des tables fréquemment disponibles et ceux avec un jukebox acceptable. C'étaient les trois gros facteurs, dans l'ordre décroissant d'importance, qu'un individu devait prendre en compte lors de l'évaluation d'un établissement dans la perspective de boire, d'après Niall Horan. Il se considérait comme un véritable expert sur le sujet. (« J'ai fait mes dix milles heures, Harold. Les prodiges se façonnent, ils ne naissent pas, et je suis un prodige des foutus pubs, alors écoute-moi bien. »)

Harry avait été attentif à ce que Niall disait, il appréciait toujours entendre les gens parler des choses par lesquelles ils étaient grandement intéressés, quand un mouvement rapide attira son regard à l'extérieur du bureau. Louis Tomlinson et Eleanor Calder étaient de l'autre côté de la mezzanine, de l'autre côté de l'espace ouvert étroit de l'atrium, marchant vers l'extrémité nord de l'étage. Ils marchaient rapidement – ou plutôt, Tomlinson marchait rapidement, ses jambes puissantes le propulsant en avant avec une efficacité pleine de grâce. Calder arrivait à peine à suivre. Ils étaient probablement en train d'aller à une réunion concernant leur pupitre, à en juger par le gros dossier sous le bras droit de Tomlinson et les étuis à violon qu'ils portaient tous les deux. Juste au moment où Harry était sur le point de reporter toute son attention sur Niall, Eleanor Calder tourna sa tête et jeta un coup d'œil à son bureau. Il semblait qu'elle regardait droit vers lui, mais Harry n'était pas certain qu'elle puisse réellement le distinguer à cette distance, avec la paroi en verre de son bureau entre eux. Cependant, ce fut confirmé qu'elle le pouvait lorsque (à son grand amusement et surprise) elle sourit ouvertement et fit un signe de la main, d'une façon immanquablement charmeuse, agitant ses doigts vers lui et allant même plus loin en repoussant ses beaux cheveux foncés par-dessus une de ses épaules. Le regard de Harry dévia vers Tomlinson, juste à temps pour le voir rouler lourdement des yeux à l'échange, pas du tout impressionné, comme d'habite, puis il redoubla le rythme de son allure. Sa partenaire de pupitre fut forcée de faire plusieurs grands pas pour le rattraper, ses mocassins parés de bijoux brillant à la lumière passant en continu à travers les fenêtres à l'avant du Barbican.

« Putain de Tommo, » dit Niall avec un grognement. Il s'était tourné pour regarder par-dessus son épaule, suivant le regard de Harry quand il avait arrêté de l'écouter, et il fut apparemment assez amusé par ce qu'il avait vu. « Toujours sur une foutue mission. »

Harry rit jaune. « Il en a certainement une pour moi. »

« Je pense quand même que vous vous entendrez bien, » déclara Niall. Il grimaça puis continua avec précaution, appuyant bien sur le dernier mot, « Un jour... »

« Il pense que je suis nul, » dit Harry, jouant avec ses lèvres, la vérité de sa déclaration se solidifiant dans son cerveau lorsqu'il la dit à haute-voix. « Il pense que Don Juan est nul et que moi aussi. »

« Tu n'es pas nul, et si Louis pensa ça, alors c'est un idiot. » La voix de Niall était basse, sa déception concernant la situation clairement évidente. Il tapotait durement ses doigts contre les accoudoirs, à présent, agité.

« C'est rien que je n'ai jamais connu avant, » dit Harry, doucement et de façon peu convaincue. C'était vrai. Ou du moins, ça aurait dû l'être. Ça aurait dû être vrai, mais ça ne l'était pas, pas tout à fait. Louis semblait différent, d'une certaine manière. Il le blessait toujours si profondément, si rapidement, et Harry n'était pas prêt à réfléchir à pourquoi c'était le cas. Il n'était pas encore prêt.

« Je vais lui parler, » dit fermement Niall, gigotant toujours de frustration dans sa chaise.

« Non ! » s'exclama Harry, plus fortement qu'il ne l'avait prévu. Il rougit furieusement. Il dut secouer sa tête et prendre une profonde respiration avant de continuer, essayant de se reprendre. « S'il te plaît, ne fais pas ça, Nialler. J'apprécie le fait que tu veuilles m'aider, mais je peux m'en occuper moi-même. Vraiment. »

Il se sentit étrangement exposé en laissant voir à Niall à quel point Louis le préoccupait. Il était gêné, en fait. Il roula ses yeux pour lui-même, voulant régler ça, reprendre en quelque sorte le contrôle. Il était habituellement tellement à l'aise en étant vulnérable devant Niall et il ne savait pas pourquoi ce n'était pas le cas cette fois. Bon Dieu, tout au sujet de Louis Tomlinson le mettait de mauvaise humeur, le faisait se sentir étrangement mal dans sa peau. C'était ridicule. Il était ridicule, il devait mettre fin à tout ça. Il ne pouvait pas laisser Tomlinson lui embrouiller les idées ; Harry pouvait très bien le gérer.

« Je dramatise trop ; ne m'écoute pas. C'est ce nouveau boulot, le stress, et tout. C'est bon. Je vais bien. Tout va bien avec Louis Tomlinson. C'est le meilleur, le plus câlin et le plus facile-à-vivre violoniste au monde. Tout est merveilleux et génial. Ne t'en fais pas pour moi. »

Niall le regarda sceptiquement de l'autre côté du bureau, ses sourcils haussés. « Si tu le dis, Styles. »

Harry hocha de la tête. « Oui. »

« On va quand même boire un coup, d'accord ? » dit Niall, toujours inquiet et ayant probablement l'intention de reprendre la conversation au pub.

« Ouep, » acquiesça Harry, « aller boire un coup serait bien. » A ce moment-là, Harry ne souciait pas de ce que Niall pensait qu'il allait réussir à lui soudoyer plus tard. Il ne souciait pas du fait qu'il céderait probablement et déballerait ses insécurités pathétiques. Il avait juste hâte de la sensation et du poids d'un verre froid dans sa main, de la beauté indéniable au ton ambré d'une excellente bière, du bourdonnement agréable, de la brume plaisante et de la sensation de ventre plein. Harry avait vraiment,vraiment besoin de boire un coup, c'était certain. Ça avait été une longue semaine.

Louis balança son poids d'un côté à l'autre dans sa chaise, faisant attention à ne pas trop faire basculer son violon, là où il était posé sur son genou gauche. Il étira son cou puis doucement ses épaules, les faisant rouler en des cercles lâches, essayant de soulager un peu la tension dans ses muscles alors qu'il attendait que Styles poursuive la répétition. On était mardi en fin d'après-midi, et ils avaient travaillé sur Don Juan pendant plusieurs heures déjà. Actuellement, ils étaient en plein milieu d'un des passages les plus compliqués. C'était déjà parfait techniquement et ça commençait à sonner émotionnellement mature aux oreilles de Louis, mais Styles ne semblait pas vraiment satisfait. Il avait coupé l'orchestre trois minutes auparavant avec un simple mouvement rapide de son bâton et il avait fixé le fond du Jerwood Hall depuis lors, tirant de temps en temps sur sa lèvre inférieure, apparemment perdu dans ses pensées.

Louis roula ses yeux, retenant à peine un soupir d'exaspération. Il jeta un regard à Eleanor, vérifiant si elle partageait son irritation et son désir de simplement en finir. Eleanor était désireuse, très bien – son regard entièrement focalisé sur Harry Styles, semblant presque retenir sa respiration à ce qu'il pourrait dire ensuite. Louis roula à nouveau ses yeux. Cette fois, il ne contint pas du tout son soupir, soufflant assez hargneusement alors qu'il bougeait sur sa chaise. Il baissa son regard vers l'aiguille des secondes de sa montre alors qu'elle avançait doucement, chaque mouvement semblant plus lent que le précédent.

Quand Styles parla finalement, ce ne fut pas ce à quoi Louis s'était attendu.

« Je suis gay. »

Sa voix était un peu rauque de désuétude, mais elle sonna quand même forte et ferme. Une trace de douceur, un rire un peu étouffé irradia en réponse à travers le fer à cheval formé par l'orchestre, s'élevant et se taisant avant d'atteindre le pupitre des percussions. L'attention de Louis était définitivement sur Harry à présent, sa tête se relevant brusquement de son propre chef, ses yeux se plissant immédiatement vers le visage du chef d'orchestre.

Styles sourit à la réaction de l'orchestre. Il leva une main et dit, « Je sais. Je sais. Ce n'est probablement pas une surprise pour la plupart d'entre vous. » Il laissa échapper ce que Louis pouvait seulement décrire comme une faible combinaison entre un gloussement et un ricanement, secouant légèrement sa tête. « Je n'essaie pas de le cacher. » Il ajusta ensuite sa posture, se tenant bien droit avec ses bras croisés dans son dos et Louis déglutit, se penchant en avant dans sa chaise.

« Il y eut un temps où je le faisais, cependant, » dit Styles, éclaircissant sa gorge en toussant dans son poing puis remettant son bras derrière son dos, ses yeux doux. « Un temps où j'essayais de le cacher. » Il inclina sa tête en arrière puis en avant, une ou deux fois. « Ce qui est compréhensible, je pense, étant donné la façon dont les choses étaient, et dont elles peuvent toujours l'être... J'étais un adolescent et, vous savez, c'est assez difficile comme ça. » Il roula ses yeux. « Je n'avais aucun sens de la mode et une grosse touffe de poil en guise de coiffure, un gros visage rond. » Il sourit et fit un cercle autour de sa tête avec ses mains. « Dans toutes les photos de ma mère datant de cette période, je ressemble à une sorte de Saint-Bernard trop empressé. » Styles rigola doucement avec l'orchestre, mais Louis vit quelque chose scintiller dans ses yeux alors qu'il attendait que les rires se taisent, presque comme de la tendresse.

« Mais ce n'était pas seulement des difficultés à quoi je faisais face, » continua Styles. Il secoua sa tête et prit une profonde respiration. « J'avais un secret. Un qui semblait tellement énorme et tellement... tellement gênant, faute d'un meilleur mot. Un secret que je voulais sans cesse qu'il disparaisse. Mais il ne le faisait pas ; il ne disparaissait pas. Même si je faisais de mon mieux pour l'ignorer à l'époque. Genre, si je faisais semblant que je ne savais pas qu'il était là, si je ne le reconnaissais pas entièrement, alors je n'aurais jamais à l'accepter. Je pourrais simplement continuer à vivre de cette façon. Je veux dire, pourquoi quelqu'un d'autre aurait à le savoir, si je ne le savais pas moi-même ? »

Louis resserra sa prise autour du manche de son violon alors que Harry parlait, sa paume glissante et en sueur sur l'érable poli. Il ferma ses yeux contre une vague soudaine de souvenirs de sa propre adolescence. Des nuits blanches passaient le regard dans le vide, dans l'obscurité de sa chambre, marchandant avec une entité inconnue pour la délivrance de cette injustice semblant épouvantable qui s'était imposée à lui. L'inquiétude écrasante venant avec. La peur et la solitude. Il frissonna puis il ouvrit à nouveau ses yeux quand Harry continua à parler.

« J'étais aux Etats-Unis quand j'ai eu seize ans, » dit Harry, « dans une école privée du Massachusetts pour les jeunes musiciens. » Il gloussa, « Je suis sûr que vous pouvez imaginer. C'était plein de petits merdeux très talentueux et hyper compétitifs. » Un éclat de rire pour approuver parcourut l'orchestre et Harry sourit, attendant à nouveau qu'il se dissipe avant de continuer. « Et j'étais définitivement l'un d'entre eux, » dit-il, une main sur son torse alors qu'il faisait référence à lui-même, « définitivement l'un des petits merdeux.

« Cependant, j'avais une amie pendant que j'étais là-bas. Rhea D'Angelo. » Il fit une pause, levant son regard vers le plafond pendant un moment. « Elle s'appelait Rhea D'Angelo. Elle jouait du violoncelle avec moi et elle n'était pas une petite merdeuse. C'était une personne adorable. » Harry secoua sa tête et déglutit avec un sourire tendu et ressemblant plus à une grimace, presque comme s'il se préparait à quelque chose. Louis se pencha un peu plus en avant, se décalant sur le bord de sa chaise. « On n'en parlait jamais, » dit Harry, « mais Rhea connaissait mon secret. C'était un accord tacite entre nous. Elle savait, et ça me donnait l'impression d'être en sécurité – elle me donnait l'impression d'être en sécurité. »

Harry soupira. « Rhea avait deux ans de plus que moi, cependant, et les autres garçons de mon âge étaient intimidés par elle. » Il laissa échapper un petit rire jaune. « Parce qu'on était des petits merdeux et qu'elle venait d'une partie plus dure de Boston et portait beaucoup de noir, » il roula ses yeux, faisant un peu bouger sa mâchoire, « et elle avait de vrais seins. Alors. Ils avaient peur. Et, évidemment, ça ressortait dans la façon dont ils parlaient d'elle. Qui était horrible ; je suis sûr que vous pouvez l'imaginer. Et parce que j'étais un peureux et un lâche, et que j'avais envie de m'intégrer, je n'ai jamais pris sa défense. En plus de n'avoir jamais nié quand ils suggéraient qu'on couchait ensemble – dans, je vous l'assure, des termes beaucoup, beaucoup plus graphiques que ça – je ne l'ai jamais défendu. Je le regrette bien assez. C'était déjà assez grave. Mais ensuite... »

Harry s'arrêta et prit une autre profonde respiration. Louis pouvait voir que sa main gauche tremblait légèrement. Il l'avait laissé tomber de son torse et elle tremblait en agrippant le pupitre devant lui. « Mais ensuite, Rhea et moi avons été ensemble à Boston, pendant un weekend au printemps. Maria Kliegel jouait avec l'Orchestre Philharmonique et on avait tous les deux envie d'y aller, comme Rhea avait dix-huit ans, on avait pu rester dans un hôtel. Et c'était – ça avait été un super weekend. La musique était fantastique, Rhea m'avait fait visiter Boston et je m'étais senti... je m'étais senti sophistiqué, en quelque sorte. Comme si j'étais réellement presque un adulte pour l'une des premières fois de ma vie... Et ensuite, on est rentré à l'école. »

Harry prit une respiration tremblante avant de continuer, sa voix tendue. « Et ces garçons étaient simplement persistant. Ils étaient après moi pour savoir exactement que j'avais fait avec Rhea D'Angelo dans cette chambre d'hôtel. 'Comment c'était Boston, Styles ?' de façon très suggestive. 'Comment était D'Angelo ?' 'Tu l'as baisé, hein ?' 'T'es obligé de l'avoir fait.' Et je n'arrêtais pas de dire, 'Non, non. On est juste amis. Il ne s'est rien passé,' mais ils n'y ont pas cru et ils ont continué. Jusqu'à ce que ça devienne finalement 'Eh bien, pourquoi pas ? Pourquoi tu ne l'as foutrement pas fait, Styles ?' et 'Qu'est-ce qui ne va pas chez toi ?' C'était... ça me touchait de beaucoup trop près. Je pouvais les sentir en train de se rapprocher de moi. De moi et de mon secret. »

La respiration de Louis se coupa dans sa gorge, un petit pic d'adrénaline familier traversant son corps, plusieurs de ses propres souvenirs similaires passèrent dans sa tête. Des souvenirs de quand il avait eu l'impression d'essayer de semer quelque chose qu'il n'arriverait jamais à fuir.

« Je savais au fond de moi que c'était juste une histoire de quelques secondes avant qu'ils posent la question, » dit Harry. « Je pouvais la sentir arriver. 'T'es gay ou quoi ?' 'Ouais, est-ce que c'est ça, Styles ? T'es gay ? C'est ça, alors ?' Et je sais que ça semble inévitable, la direction que prend cette histoire. Que j'avais dû céder, que j'avais fini par simplement mentir et dire que j'avais couché elle pour qu'il me laisse tranquille. Et je l'ai presque fait. Presque. Ça aurait été mieux, peut-être, que ce que j'ai réellement dit. Parce que juste avant, juste au moment où j'avais été poussé à bout et sur le point de céder, j'ai été frappé par ce terrible éclair de créativité. Et j'ai dit, avec autant de dédain acerbe possible, 'Pourquoi je voudrais coucher avec Rhea D'Angelo, de toute façon ? On a l'impression qu'elle sort tout droit de la fumée d'une cigarette.' » Harry laissa échapper un son étranglé et ressemblant à un sanglot, un son confus de dégoût de soi-même. « Et j'ai reçu des rires en réponses, » dit-il, tristement. « Un grand éclat de rire admiratif à cause ce truc horrible et cruel que je venais de dire au sujet de la personne qui, à cette époque, était réellement – réellement ma meilleure amie. »

La voix de Harry craqua légèrement sur les deux derniers mots, et il prit une autre respiration instable, fermant momentanément ses yeux et levant une fois de plus une main vers l'orchestre. « Je ne peux même pas décrire la honte que j'ai ressenti, rien qu'en ayant dit ça. Mais ensuite, je me suis rendu compte, avec une sorte d'effroi au ralenti, que Rhea m'avait entendu. Qu'elle se tenait à côté des distributeurs de boissons à quelques mètres derrière nous et qu'elle avait entendu tout ce que j'avais dit. »

Il fit une pause, posant ses paumes contre ses yeux pendant quelques secondes. L'orchestre était complètement silencieux ; Louis arrivait à peine à respirer.

« Ce n'est pas exagéré de dire que, à ce moment-là, c'était le pire moment de ma vie. C'est toujours l'un d'entre eux, » soupira finalement Harry, ses sourcils froncés, alors qu'il touchait son sternum du bout des doigts. « Je n'ai jamais pu pleinement arranger mon amitié avec Rhea. Je me suis excusé, et puisqu'elle était une meilleure personne que moi, elle a accepté mes excuses... mais je ne la blâme pas de m'avoir jamais refait complètement confiance. Pendant des années, je n'arrivais à repenser à ce souvenir. J'étais tellement déçu par moi-même, dévasté. Même maintenant, c'est peut-être la troisième fois que j'en parle depuis que c'est arrivé.

« La raison pour laquelle j'en ai parlé, la raison pour laquelle j'en parle maintenant, c'est parce que je pense que la plupart des gens ont vécu ce genre de moment, » il fit un geste vers les musiciens devant lui, « et que la plupart des gens ont ce genre de souvenir. Le souvenir d'un moment où vous n'avez pas respecté quelqu'un, que vous l'avez humilié et, en même temps, vous avez eu l'impression de vous dévalorisé également. Comme si vous aviez l'impression de trahir vos morales et, aussi dramatique que ça en a l'air, que c'était irréparable. Une cause perdue odieuse. »

Louis bougea sur sa chaise, en se reconnaissant dans les propos de Harry de la culpabilité envoya une vague chaude de honte à travers son corps. Il se souvint de certains moments à Interlochen, quand il avait seize ou dix-sept ans, des moments où il avait mené à la baguette les autres enfants, les ridiculisant devant tous les autres à cause de leur technique moins bonne. Il grimaça intérieurement quand des images spécifiques traversèrent son esprit. (De grands yeux verts humides, prudents et vulnérables alors qu'ils clignaient en le regardant. Des boucles douces et brunes par-dessus un front moite, et des épaules voûtées en avant, des rondeurs d'enfant. Le Boléro.) Louis déglutit fortement aux souvenirs, son cœur loupant un battement. Les moniteurs plus âgés l'avaient surnommé Napoléon derrière son dos, « Le Petit Napoléon des Violons. » Ça avait été humiliant quand il l'avait découvert, encore plus parce qu'il s'était rendu compte qu'il était justement utilisé, et qu'il le méritait probablement.

Harry tapa avec deux doigts sur la partition devant lui. « Maintenant, c'est exactement – exactement le genre de sentiment intense que Don Juan ressent pendant cette partie de l'œuvre. Il est dévasté par ses propres actions, par la façon dont il a traité ces femmes, et il n'a presque plus d'espoir, comme s'il ne pouvait pas réparer ses erreurs et qu'il était indigne. Voilà ce que je veux que vous jouez. C'est la force et la puissance de cette émotion que je veux que vous apportez à ce passage lorsque que nous le jouons. »

Harry contempla l'orchestre après avoir fini de parler, ses yeux bougeant doucement sur chacun d'entre eux, essayant de voir si ses mots avaient été parfaitement assimilés. Louis était stupéfait. Il cligna rapidement ses yeux, son cœur battant toujours à la chamade. Il ressentait une déconnexion, une sensation de noyade alors que son cerveau luttait pour concilier le Harry Styles devant lui avec toutes les idées qu'il avait eues sur lui dans sa tête.

« Harry est gay ? » siffla Eleanor dans un chuchotement.

« Quoi ? » demanda Louis, après un moment, se tournant pour la regarder, ses sourcils froncés de confusion.

« Harry est gay ? » répéta-t-elle, clairement surprise et irrité par lui de ne pas avoir divulgué cette information.

Louis grogna avec incrédulité. « C'est tout ce que t'as retenu de toute cette histoire ? » demanda-t-il, son corps se secouant avec un rire silencieux et dubitatif.

Eleanor haussa ses épaules.

Louis était en train de glousser légèrement lorsqu'il se retourna vers le podium du chef d'orchestre pour attendre les prochaines instructions. Il releva doucement sa tête, rigolant toujours, et il prit une brusque respiration quand il rencontra le regard de Harry. Son cœur tomba dans son ventre alors que le visage de Harry se décomposait en réaction à l'amusement de Louis, son indifférence apparente. Louis eut envie de se justifier immédiatement, eut envie de s'expliquer. Mais tout ce qu'il put faire fut de rester assis avec sa bouche bée et sa main droite se levant un peu dans une tentative ratée de contester. Harry avait déjà fait disparaître son froncement et s'était retourné vers l'orchestre, annonçant une mesure et levant ses bras, prêt à reprendre la répétition.

Putain, pensa Louis, alors qu'il suivait le bâton de Harry, débutant la première note avec un mouvement tout en douceur de son archet. Putain. Ce n'était pas du tout ce à quoi il s'était attendu.

Notes:

#LIARBTrad


Le vrai deuxième prénom de Josh Groban est Winslow, pas Gamaliel (ou Meriwether dans la VO)

On ne manque pas réellement de respect à Don Juan dans le milieu de la musique classique, enfin les auteurs originaux ne pensent pas, mais elles ont pris une liberté artistique !

Elles s'excusent également auprès des violonistes. Le violon est un instrument noble.

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