2.
Mina rit en renversant la tête en arrière. La sueur le long de ses tempes glissent sur mes mains quand je prends son visage entre mes doigts. Je veux que son corps colle au mien, qu'il ne s'en détache plus. Je veux le poids de sa poitrine sur la mienne, ridiculement petite. Je veux sa langue éclat de pistaches. Sa beau d'ébène sur la surface lisse et blanche de mon ventre. Son corps en apesanteur. Son odeur imprégnée dans le tissu de mon canapé.
Je l'embrasse.
Ca ne dure que quelques secondes.
Le goût de pistaches explosé sur la langue.
Elle recule, rit encore. Puis elle met une distance entre nos deux corps et elle se laisse tomber sur le canapé. Elle me regarde avec sa bouche moqueuse, et ses mots qui mordent, qui ne me laissent aucun répit.
-C'est pas parce que ton Louis t'as quitté pour un mec qu'il faut changer de bord à ton tour.
Le bout de mes doigts est lourd, comme si tout le sang de mon corps s'y était rassemblé pour coaguler. Je tends la main pour baisser le son de la musique.
-Louis n'a pas changé de bord, il était bi de toute façon. Et on avait une relation libre. Donc techniquement, on ne sortait pas vraiment ensemble.
-Il t'as largué.
-Ta gueule.
Je lui balance le premier coussin que j'ai sous la main et elle rit encore.
Bordel.
J'aime ce rire moi. Je veux faire l'amour dans le bruit de ce rire. Et j'ai toujours son goût de pistaches dans la bouche.
Mina me fixe avec son air de tout savoir et je ne sais pas pourquoi mais ça m'énerve, ça me donne l'impression que je dois me justifier, que je dois tout lui dire, tout lui déballer.
-On était d'accord, ok ? On en a parlé avant, tous les deux. Et puis son mec est adorable, ils vont très bien ensemble. Je suis contente pour lui.
Silence.
-Et arrête de me regarder comme ça putain !
Je lui tourne le dos et j'attrape mon paquet de clopes sur la table avant d'ouvrir la porte coulissante menant à mon minuscule balcon. Il fait chaud dehors, une chaleur moite qui se colle à mes vêtements, comme le corps de Mina tout à l'heure, quand on dansait.
Je ne sais pas pourquoi j'ai fait ça. L'embrasser.
Je ne suis même pas amoureuse d'elle en plus. Je suis... Je suis, en bordel. Un bordel de frustration mélangé à des restes de colère et de désir et, voilà.
Mina se glisse à son tour sur le balcon et son épaule nue touche la mienne.
-Désolée Charlie. Je voulais pas... Enfin tu vois.
Non, je vois pas. Mets des mots sur les choses, j'sais pas. C'est si dur que ça de s'exprimer correctement ? C'est pas parce que je t'aime, que tu es mon amie, que tu es importante, que tu as le droit de juger une de mes relations. C'est pas parce que je t'embrasse que tu peux faire des blagues nulles sur ma sexualité. Et tu sais quoi, j'en ai pas moi, de sexualité. Je m'en fous, je m'en tape. Je voulais juste une bouche contre la mienne, je voulais juste que ce soit la tienne parce que ton rire me rends heureuse. T'es contente ?
-C'est rien.
J'écrase ma cigarette dans le cendrier posé en équilibre sur le balcon. Je ne sais pas pourquoi je continue à fumer, c'était un truc de Louis, après l'amour. C'est un truc qui me rappelle le goût de ses baisers froids. C'est un truc parce qu'il me manque un peu, je crois.
Mina m'enlace quelques secondes. Son corps sent la sueur à présent, je n'aime plus tellement. On rentre à nouveau à l'intérieur. Elle met une série sur ma télé, je regarde à peine, j'ai plus envie. Je veux me retrouver toute seule et écrire sur mon mur avec un feutre à encre invisible que je ne mangerais plus jamais de pistaches de ma vie. Je fais semblant de m'endormir, la tête enfoncée dans le coussin large de mon canapé. Mina finit par éteindre la télé. Elle me secoue légèrement et puis elle renonce. Je garde les yeux définitivement clos. Je l'écoute marcher dans mon appartement, en faire le tour, récupérer sa veste sur la commode, sortir un papier du meuble et me griffonner un mot, et puis ses pas s'éloignent et elle claque la porte. J'attends un peu avant de bouger. J'ai du mal à rouvrir les yeux. J'ai peur d'être toute seule en fait.
Je me sens très lourde de l'intérieur. Mon estomac fait des vagues qui raclent les bords de ma cage thoracique. Je chiffonne le mot que Mina m'a laissé sans même le lire et je le jette dans la poubelle sous mon bureau.
Il est presque minuit. Nuit noire, ciel d'encre, j'ai encore envie de fumer, ça me bouffe ce truc, c'est tous les mots silencieux dans ma tête qui se bousculent.
Je déteste tellement mon appartement vide. C'est pour ça que j'invite toujours des gens. C'est pour ça que mes amis passent me voir à n'importe quelle heure de la journée. Mais là il n'y a personne et je tourne mon portable entre mes doigts. J'ai envie d'appeller Louis, de lui demander de me parler un peu. Qu'il me dise que notre amour à nous c'est un amour en ellipses, un amour sous les mots, un amour tout tiède qui ne se voit pas à l'oeil nu. J'ai envie qu'il colle son bras au mien et qu'on regarde nos deux tatouages assortis, lui le soleil et moi la lune, c'est niais mais c'est ancrée à tout jamais, ça a un sens.
Je repose mon portable.
Je ne suis pas dépendante de Louis. Et puis il est minuit, je n'ai pas le droit de le déranger comme ça même si ça ne le gêne pas, même si son mec m'adore et que je suis sûr qu'il lui prendrait le téléphone des mains pour me faire la conversation.
Je suis assez grande pour me gérer toute seule, pour ne pas me cogner la tête contre les murs, pour respirer dans le noir.
Je fais un détour par la cuisine et je me fais deux tartines de beurre chocolat avant de retourner sur le balcon. Je m'assois sur ma petite chaise en plastique, les jambes serrées contre ma poitrine. Je regarde la lumière tamisée de l'appartement d'en face. Je peux presque voir à l'intérieur, tant la fenêtre est proche. Il y a une personne qui marche devant le rideau, une silhouette floue. Je plisse un peu les yeux. Un corps féminin.
Je mords dans ma tartine.
La fenêtre s'ouvre doucement.
C'est une jeune femme. Je la reconnais, je l'ai déjà croisé dans l'ascenseur. Ses yeux sont deux amandes noires qui fuient tous les regards. Ses yeux ne se posent jamais, ils sont comme deux pierres lisses et glissantes de pluie.
Elle est en chemise de nuit, du lin blanc.
Au début elle ne me voit pas. Elle étend ses bras sur le rebord du balcon, sa tête bascule et son front touche le métal froid. Sa nuque est blanche. Le haut de son dos est rond. Je ne sais pas pourquoi je ressens son corps si fort, comme s'il était tout près, comme si dans la nuit il allait me toucher. Je ne sais pas pourquoi je cesse de manger, pourquoi mon ventre se tord lentement, c'est la même sensation que lorsqu'une main l'écrase pour l'embrasser ensuite. Je suis suspendu à ses mouvements. J'ai peur et je ne sais pas de quoi.
Elle relève lentement le visage. Ses yeux se figent dans les miens comme s'ils avaient toujours su qu'ils étaient là, à regarder. Ses yeux sont terriblement noirs, ses yeux sont terrifiés et pleins de poison, ses yeux ont mal, ses yeux sont des caresses bordés d'épines, ses yeux me hurlent quelque chose que je ne comprends pas pendant un dixième de seconde.
Puis ils redeviennent lisses et mats. Ils se ferment Ils n'ont rien à dire.
Elle reste encore un moment comme ça, droite, à m'observer sans un mot. Puis elle recule, la lumière douce de la chambre l'enveloppe entièrement et la porte se referme.
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