La porte s'ouvre brutalement, laissant apparaître Matthieu, l'air inquiet, suivi d'Emily ne semblant pas trop saisir ce qu'il se passe.

Confortablement assise sur le canapé, je les observe tranquillement depuis le salon.

« Qu'est-ce qu'il y a? s'écrie-t-il. Dites moi, à la fin! »

Ma mère débarque, le fixant d'un air d'incompréhension.

« Il n'y a rien, Matthieu, de quoi tu parles? Sinon, je vous ai préparé des crêpes, vous pouvez aller les manger dans la cuisine! »

Sur ce, elle quitte la pièce, marmonnant quelque chose à propos du linge propre qui ne veut pas sécher.

Matthieu reste planté là un moment, ne sachant pas quoi faire. Puis, il m'aperçoit. J'ai du mal à contenir mon sourire moqueur.

Ses yeux s'assombrissent.
« Chloé...démarre-t-il, menaçant.

– Bah, voyons, répliqué-je en feignant l'innocence, tu as du mal comprendre quand je t'ai appelé, sois un peu plus attentif, Matt'. »

Matthieu a horreur de ce surnom, c'est pourquoi je ne me prive pas de le nommer ainsi.
Son regard devient plus noir, faisant redoubler mon sourire hypocrite.

Je me lève et saisit Emily par le bras.

« Viens, on va manger les crêpes! Tu aimes ça, j'espère?

– yes, bien sûr. »

Je la guide jusqu'à la cuisine. Elle s'installe à table et tandis qu'elle tartine sa crêpe de Nutella, je remarque que Matthieu ne nous a pas suivies.

« Je...euh, je vais juste aux toilettes, je reviens, lancé-je à Emily. »

Je sors de la salle à manger.
Je trouve mon faux demi-frère dans notre chambre, plus précisément dans la salle de bain attenante, assis sur le bord du lavabo.

Je soupire.
« Tu vas finir par casser ce lavabo, un jour, à force de t'assoir dessus... descends. »

Il lève les yeux vers moi.

« Je boude, dit-il en faisant une moue dédaigneuse.

– Pauvre petit bébé, me moqué-je.

– Tu m'as volé Emily! »

Je m'esclaffe.

« C'est ça, oui, » je réponds.

Je m'approche et m'arrête en face de lui.

« Je fais la même chose que toi, c'est tout, soufflé-je. Moi aussi, je peux jouer. »

Une lueur de défi s'allume dans ses yeux.

« Tu veux jouer? Ok, jouons. »

Je lève les yeux au ciel. Il est pathétique.
Tout à coup, il m'attire à lui et m'embrasse.

Je mets un temps à réagir; un temps à sentir l'agacement monter en moi.
Je le repousse et déclare froidement:

« Arrête ça! Tu fais exprès, je le sais. Arrête. Tu peux pas m'embrasser quand ça te chante puis aller draguer une autre fille direct après.

– Oh! Pardon, rétorque-t-il sarcastique. Tu as du mal interpréter mes agissements envers Emily; je ne fais que lui parler, j'essaye d'être sociable et accueillant. Tu te fais des idées, ma pauvre.

– Si tu essayes de me faire passer pour une cruche paranoïaque, c'est raté; tout ce que tu veux, c'est la mettre dans ton lit. Et ça pour me rendre jalouse, je le sais!

– Je vois que le but est atteint, alors, sourit-il.»

Je fulmine.

« De toute façon, tu n'as aucune chance à ce jeu; on sait tous les deux que j'ai déjà gagné, ajoute-t-il.

– Ne sois pas si sûr, sifflé-je. »

Il m'énerve au plus haut point; je pourrais l'étrangler en ce moment. Il a retrouvé cet air arrogant et si sûr de lui qu'il avait il y a quelques semaines encore.

Je ne sais pas quoi faire, alors je m'apprête à partir.
Emily doit se demander ce qu'on fabrique.

Je ne demande pas à Matthieu s'il vient avec moi; s'il reste ici après tout tant mieux. Mon 'plan' tient toujours : je tiens Matthieu le plus éloigné possible d'Emily.

Je rejoins notre invitée en bas.
Tout en mangeant nos crêpes, nous bavardons un peu.

Cela me fait mal de le reconnaître, mais cette fille est vraiment gentille.
J'observe ses cheveux noirs qui ondulent légèrement, et surtout ses yeux; ses yeux sont magnifiques. Ils sont d'un vert étincelant, comme deux diamants.

À côté d'elle, je me sens ridicule, quand j'y pense.

« Anyway, reprend-elle, que fait Matthieu? »

Je la fixe longuement, mécontente.
D'où ce que Matthieu fait et l'endroit où il se trouve lui importent? Ne me dites pas qu'en lui ayant parlé une vingtaine de minutes elle s'est déjà autant attachée à lui!

Matthieu a raison; c'est comme s'il avait déjà gagné.

Mon cœur se serre.

Pour toute réponse, je hoche les épaules puis débarrasse nos assiettes.

Je regarde l'heure.

« Il est bientôt 17 heures, annoncé-je, si tu veux on peut jouer à des jeux de société dans la chambre?

– Super! s'exclame-t-elle enjouée. »

Je me retiens de rouler des yeux; cette fille a toujours un air gai sur son visage, elle vit dans un monde de bisounours...

Pauvre fille innocente.

Qui va se faire manipuler par Matthieu, lui servir de jouer. À moins qu'il ne tombe amoureux d'elle.

Cette idée me fait froncer les sourcils. Si Matthieu tombait amoureux d'une fille, ce serait encore pire pour moi. Je crois que je ne supporterais pas...et ça m'agace.

Ça m'agace de ne pas avoir de contrôle sur la situation et sur mes sentiments.

J'emmène Emily dans la chambre où nous trouvons l'ado avec qui je vis sur mon lit.

« On joue à un jeu de société, annoncé-je.»

Il se redresse.

« C'est nul, les jeux de société, rétorque-t-il.

– I like games, intervient Emily.

Elle comprend parfaitement le français, mais n'arrive pas toujours à formuler ses phrases dans cette langue. On lui a dit qu'il n'y avait pas de problème si elle parlait anglais.

Matthieu se tourne vers elle et sa mine s'éclaircit. Il sourit.

« Pardon, ce n'était pas ce que je voulais dire. I meant that Chloé sucks at that kind of games. [ = "je voulais dire que Chloé était nulle à ce genre de jeux" ]

Je me mords la joue, furieuse.
« Tu veux quoi? Uno? »

Matthieu me lance un regard désespéré; il déteste ce jeu.

Heureusement pour moi, Emily semble en être fan. Nous commençons donc à jouer.

***

« Non, mais c'est pas possible! crié-je. »

Cinquième partie. Cinquième fois que je perds.

Matthieu ne se gêne évidemment pas pour se moquer de moi.

« Il faut l'excuser, dit-il d'ailleurs à Emily, elle est très mauvaise perdante, et puis elle n'a jamais de chance. »

Emily lâche un rire, ce qui me fait littéralement péter un câble.

« Emily, démarré-je, tu penses que nous sommes demi-frère et demi-sœur?

– Oui, c'est ce que l'on m'a dit...

– Figure-toi que Matthieu essaie tout le temps de me draguer. Tu trouves ça normal, toi, un frère qui séduit sa sœur? Non, je parie. Enfin bref, il est vraiment accro, et chaque fois qu'on se retrouve seuls, il tente de m'embrasser, contre mon gré bien sûr. Je commence à vraiment avoir peur d'être seule avec lui dans une pièce. Qu'est-ce que tu ferais, à ma place? »

Emily reste bouche bée.
De même pour Matthieu, horrifié. Il balbutie à l'intention de la jeune fille anglaise:

« Mais, non...ce n'est pas ça...pas du tout...

– Tu vois, il n'arrive pas à se justifier! Au départ je ne voulais en parler à personne, claironné-je, car il m'avait menacée de me frapper si je disais quelque chose...mais là c'est trop!

Je la regarde, feignant d'être peinée:

« Je suis désolée, Emily, de te dire tout ça, comme ça, mais il fallait que ça sorte...je n'en peux plus, tu sais...et c'est surtout pour te prévenir. Il fait ça avec beaucoup de filles, les forcer à venir dans son lit! »

La fille au pair ne sait que dire. Elle fixe Matthieu, tétanisée, et l'air dégoûté. Celui-ci a la mâchoire contractée au possible et il serre ses poings si fort que les phalanges de sa main en deviennent blanches. Il ne dit mot, se contentant de me jeter un regard assassin.

J'y suis peut-être allée un peu fort.
Cependant, c'est la seule idée qui me soit venue en tête, vraiment.

« Chloé, je pense qu'on devrait parler deux minutes... siffle-t-il. »

Je m'agrippe à Emily dans un geste théâtral.

« Ne le laisse pas me prendre, s'il te plaît! Il va encore me forcer à l'embrasser! »

La fille, ne sachant que faire, enroule ses bras autour de moi, perdue.

« Matthieu, comment peux-tu faire ça?! You are so a horrible person. How could I like you? It's horrible, god it's horrible... [ Tu es tellement une personne horrible. Comment ai-je pu t'apprécier? C'est horrible, mon dieu c'est horrible... ]

Je pouffe intérieurement. Emily est vraiment trop naïve, encore plus que je ne le pensais. Ça me fait presque mal au cœur de l'utiliser pour me venger de Matthieu.

Malheureusement, Matthieu vient avec une idée derrière la tête lui aussi.

« Tout ça, je le fais pour me venger, et crois moi Emily j'ai toutes les raisons de me venger de cette fille! Tu ne sais pas ce qu'elle m'a fait vivre quand on était petits. Elle m'enfermait dans le placard à balai dès que je touchais à un de ses jouets! Elle me frappait aussi souvent... et tu sais le pire? Il y a un an, elle a soudainement arrêté de me martyriser, et elle m'a dit qu'elle était amoureuse de moi! Tu imagines, une sœur amoureuse de son frère? C'est malsain! Mais j'ai quand même alors essayé de l'embrasser...

Au fur et à mesure qu'il parle, mes paupières se dilatent et mon cœur accélère.

Il poursuit sans s'arrêter, parlant vite mais distinctement de sorte qu'Emily intègre parfaitement chacun de ses mots.

« J'ai voulu l'embrassée, mais elle m'a repoussé. J'ai pas compris, alors...-

– Matt' , arrête! Tu sais très bien que... -

– OKAY, STOP! »

La voix d'Emily nous fait tous les deux sursauter.

« Vous deux, ça suffit. J'ai compris que vous mentiez. Si vous ne vous aimez pas, ce n'est pas mon problème; et vous pourriez régler vos ennuis personnels sans me mêler à ça et sans toutes cess gamineries, s'il vous plaît. »

L' Emily que nous avions connu jusqu'à présent a disparu; le ton de sa voix n'a plus rien d'innocent, de doux, de naïf. Elle n'affiche plus cette mine enjouée et rieuse qui ne l'avait pourtant jamais quittée ces dernières heures.

Non, ici nous sommes en présence d'une Emily tout à fait différente. Sourcils froncés, mine sérieuse, voix autoritaire, pas brusque mais ferme. Comme une mère ferait la morale à ses enfants.

Cela fait son effet; moi et Matthieu nous taisons subitement.

Je me calme et il semble faire de même. Je réalise alors que toute cette histoire était parfaitement ridicule. On aurait dit deux gamins se disputant, Emily a raison.

Finalement, cette fille se révèle tout de même être intelligente. Elle a compris notre petit jeu...cela change toute la suite de son séjour chez nous.

Peu à peu, elle retrouve son air habituel, gai et enfantin.

« On dîne bientôt? »

Je remarque qu'elle nous avait caché qu'elle parlait aussi bien français. Impressionnant.

Décidément, c'est étrange.

Je suis la première à me reprendre.
« Oui, euh, je pense que le repas est prêt, dis-je. »

Je me risque à lever les yeux vers Matthieu. Le regard perdu dans le vide, il s'est rassis sur le lit. Ses yeux reflètent...la tristesse? Pourquoi serait-il triste?

Pourrait-il regretter cette dispute idiote, les choses qu'il a dites? Ça me semble bizarre aussi.

Je secoue la tête, soupire et nous finissons par tous descendre.

*

« Alors, vous vous entendez bien? Ça va, Emily, ils sont gentils avec toi?

Je retiens ma respiration et Matthieu et moi la fixons tous les deux.
Elle sourit largement.

« It's perfect, and they're very nice with me.

– Super, intervient mon père, et je t'avais déjà présenté Kath, n'est-ce pas?

La concernée lève brièvement les yeux vers Emily puis ils dévient à nouveau sur son assiette. Je lève les yeux au ciel; ma sœur n'est donc sociable avec personne?

« Maman, papa, on peut prendre un deuxième chien? demande-t-elle soudainement. »

Surpris, mes parents se concertent du regard.

« Pourquoi veux-tu un nouveau chien? Tu n'aimes pas Sultan?

À l'entente de son nom, le chien qui était couché sur le tapis, se lève en jappant et vient s'assoir par terre, au pied de ma chaise.

Je lui donne quelques caresses.

« Si, je l'aime bien, mais je me disais que deux, ce serait sympa aussi. On a le temps pour s'en occuper.

– Peut-être bien. On y réfléchira, tranche maman. »

Le reste du repas, mes parents assaillent Emily de questions. Je sais qu'ils tentent d'être les plus chaleureux possibles et être sûrs qu'Emily ne manque de rien, mais de là à lui demander cinq fois si elle est certaine de ne pas vouloir se resservir en mousse au chocolat, ils en font un peu trop.

Nous montons finalement à trois dans la chambre. Je n'ai pas eu l'occasion de reparler à Matthieu depuis cette après-midi.

« Emily, avec qui tu préfères dormir ce soir? Lance-t-il.

C'est pas vrai, il reste fixé sur son idée de dormir avec elle!

« Je ne sais pas, c'est vous qui décidez...»

Matthieu m'observe. Je hausse les épaules.

« C'est bon, Matthieu va dormir avec toi, si ça ne te gêne pas trop bien sûr.

– Ok, no problem. »

Matthieu me jette un sourire satisfait.

Je rêve! Il n'a toujours pas renoncé à son petit jeu! Je croyais qu'après l'intervention d' Emily il aurait abandonné!

Il se propose pour m'aider à descendre un coussin et une couverture sur le canapé.

Nous nous retrouvons seuls, tous les deux.

« T'en fais pas, je vais pas te sauter dessus et te forcer à m'embrasser, lâche-t-il sarcastique. Je pourrais, ajoute-t-il après réflexion, mais je le ferais pas.

– Même si tu voulais, tu ne réussirais pas, rétorqué-je.

– Bien sûr que si, tu es très manipulable.

– Arrête, merde, grommelé-je.

– Je n'ai pas abandonné le jeu, sweetie. »

Je le dépasse brusquement et atteins le salon.
Tandis que je jette la couverture sur le divan, ses mains encerclent ma taille.

Je me dégage.

« Tu ne m'auras pas, je te dis. Arrête ton stupide jeu. Je ne veux plus jouer.

– Tu abandonnes? Mais c'est que tu ne tiens pas longtemps, toi... se moque-t-il.

– Ta gueule.

– ...on pourrait peut-être appeler ça de la lâcheté?

– J'ai dis tais toi! »

Je fais volte face mais il s'avance en même temps et je me retrouve face à lui. Mon visage a deux ou trois centimètres du sien.

Je respire avec difficulté. Je me déteste, et je le déteste lui.
Je me déteste, de ne pas arriver à reculer, et je le déteste, de me faire subir son jeu à la con.

Il approche son visage du mien, son nez frôle mon nez, et ses lèvres descendent pour se poser au creu de mon cou.

Je le repousse violemment.

Cela ne fait qu'apparaître un sourire mauvais sur sa bouche.

« Tu me repousses parce que tu as peur, claironne-t-il, parce que tu sais que tu ne peux pas me résister, et que tu finiras par m'embrasser en retour.

– Bien sûr que si je peux te résister. Tu t'es pris pour qui?

– Ok, alors je te défie de ne pas me repousser, et de ne pas m'embrasser en retour. »

Il s'avance vers moi et je déglutis.

***

Hey! Ce chapitre est plus long que les autres, vous avez du le remarquer!

Vous préférez les chapitres comme celui-ci (qui fait 2500 mots) ou des chapitres un peu plus courts comme les précédents ( autour des 1200 mots) ?

J'espère en tout cas qu'il vous a plu.

Que pensez vous d'Emily?

Et Matthieu, qui change et qui se retrouve obsédé par son petit jeu avec la pauvre Chloé?

Comment imaginez vous la suite? 😏

Bisous bisous💋💋💋