Morgan,

On se traîne tant bien que mal jusqu'à la voiture, chaque mouvement me rappelant que mon corps est en piteux état. Je démarre en silence, le regard fixé droit devant moi. On a été pris par surprise, et je déteste cette sensation d'impuissance. Mais plus que ça, je déteste l'idée que Diamond soit entre les mains de ce con.

— Mills ne lui fera pas de mal, tente Prince pour me rassurer, brisant le silence tendu.

— Il est capable de tout, tu le sais, il va se servir d'elle.

Je hoche la tête, ma mâchoire crispée. Il faut qu'on sache ce qu'il mijote. Il ne va pas rester planqué bien longtemps, il aime agir vite. Il adore les coups d'éclat.

Chaque minute passée me rend fou. Je pense à Diamond, à ce qu'elle pourrait être en train de subir en ce moment. Les pensées qui pourraient la hanter. Est-ce qu'elle croit qu'on l'a abandonnée ? Qu'on s'est fait descendre et qu'il n'y a plus d'espoir ? Est-ce qu'elle a peur ?

Après avoir déposé Prince devant l'hôpital, je me rends à la villa de Mills, bien différente de nos lieux de rendez-vous. Celle-ci lui donne plus une image de papa tranquilou plutôt que de gangster, je comprends mieux pourquoi il préfère les urbex. En réalité je n'ai pas la moindre idée de s'il est père. Dans son jardin, un de ses gorilles garde du corps tourne en rond. Il est nerveux, jetant des coups d'œil dans tous les sens.

Je me glisse hors de la voiture en silence, chaque mouvement une douleur lancinante dans mes côtes. Cette mission aurait été beaucoup plus facile avec Prince à mes côtés, mais je n'ai pas le choix. Il est hors jeu, et je dois me débrouiller seul.

Je me faufile derrière les buissons, me rapprochant de la fenêtre du salon. J'ai dis une fenêtre? Une immense fenêtre alors. À l'intérieur, j'aperçois Mills en pleine conversation avec un de ses hommes. Je retiens mon souffle et tends l'oreille.

— ...demain soir, au Moulin Rouge. Ils y seront tous, Les Perfine et les Durand, crois moi ça va être un strick.

Mills parle d'une voix calme, presque détachée, comme s'il organisait une soirée... Bowling?

— Et la fille? Tu es sûr de vouloir faire ça ?  demande l'autre, un type balafré avec une cicatrice qui traverse tout son visage.

Mills sourit, un rictus satisfait qui me donne envie de lui arracher les dents une à une.

—  On la remet à son père, comme prévu. Mais avant ça, elle va nous être utile.

L'autre homme hoche la tête, mais je remarque son hésitation.

— Putain c'est une gamine, elle a quoi 20 ans ?

— Une gamine ? » Mills éclate de rire. Tu me trouves horrible ? L'horreur, c'est de laisser ce putain de monde continuer à tourner comme ça. Cette gamine est la clé. Son père va payer une fortune pour lui avoir rendu, puis bye la compagnie, bye le labo Weis. Nous, au moins, on a les couilles de faire ce que les deux autres geeks n'ont pas eu de faire. Pour le bien de tous parfois, il faut commettre des horreurs.

Je serre les poings, luttant contre l'envie de bondir à travers la fenêtre. Mais je dois rester concentré, c'est là que je capte un détail important.

— Et si elle remarque la bombe avant ?  demande l'homme.

Mills lui lance un regard en coin, comme s'il était surpris de la question.

— Elle est déjà en place, un jolie petit sac à main Prada rouge.  On fait exploser tout ça au moment où les Durand et leurs associés seront là. Cette petite Diamond va devenir notre instrument de mort, et elle n'en saura rien. Elle pense qu'on va la libérer, la pauvre. Mais quand tout sautera, elle sautera avec.

— Mills, la gamine avait vraiment l'air méfiante, on dirait pas qu'elle te croit quand tu lui dis que tu comptes la rendre saine et sauve à son père.

— J'ai remarqué, ne t'en fais pas, je lis en elle comme dans un livre ouvert. Une seule conversation et crois-moi, je l'ai percé à jour.

Mon sang se glace. Ils prévoient de faire sauter le Moulin Rouge et d'y piéger Diamond. Il a raison, je n'aurai jamais eu les couilles. Demain soir, il n'y apas que le Weis labo qui regardera tranquillement le spectacle de danseuse, il y aura aussi des innocents et honnêtes. Des gens bien aveuglés par le sérum. Il y aura Diamond.

Mills se redresse, croisant les bras.

— Jamais le sérum ne viendra dans nos petites villes, jamais il ne nous détruira. Il a fait assez de mal comme ça.

Je recule, mes pensées tournant à mille à l'heure. Il faut que je sorte de là et que je prépare un plan. Diamond est en danger immédiat, et je ne laisserai pas ce connard la transformer en bombe humaine.

Je me glisse hors de la propriété aussi discrètement que possible, mes côtes protestant à chaque pas. En rejoignant ma voiture, une seule pensée me traverse l'esprit : sauver Diamond coûte que coûte, même si je dois y laisser ma peau. Mills ne sait pas à quel point je suis prêt à tout pour elle.

Je démarre en trombe. J'ai moins de vingt-quatre heures, Prince est hors-jeu, mais je suis prêts à prendre des risques.