Chapitre 18
Morgan
Diamond dort encore, paisiblement, son corps enveloppé dans les draps, et l'idée de la laisser seule, même pour quelques instants, me pèse. Mais j'avais besoin de ce moment de solitude, de clarté.
Je me prépare un café, les gestes automatiques, et m'installe dans le fauteuil face à la fenêtre. Le silence de la maison est presque assourdissant après la tempête émotionnelle des précédents événements. Pourtant, ce silence est vite rompu par des pas légers derrière moi. Je n'ai même pas besoin de me retourner pour savoir qui c'est.
— Alors, tu t'es décidé à affronter la lumière du jour ? lance Prince, son ton moqueur habituel.
Je souris malgré moi, mais je garde les yeux fixés sur la fenêtre. Je l'entends s'approcher, et il s'assoit en face de moi, une tasse de café à la main.
— Si je n'avais pas tout entendu, je dirais que t'as la gueule de bois, continue-t-il, un sourire en coin. Sauf que t'as pas bu une goutte d'alcool hier soir. Tu aurais au moins pu te recoiffer, faire un minimum semblant. Tu sais que je déteste ta gueule d'après baise, trop suffisant à mon goût.
Je ne réponds pas immédiatement, prenant une gorgée de mon café avant de lever les yeux vers lui. Comme toujours, son expression est un mélange d'insolence et de curiosité. C'est ce qui le rend à la fois exaspérant et attachant. Il a cette façon de lire en moi, de comprendre ce que je ressens, souvent avant même que je ne le comprenne moi-même.
— J'étais en train de réfléchir, dis-je enfin.
— Ça, c'est jamais bon signe, réplique-t-il en riant. Mais dis-moi, tu réfléchissais à quoi ? À Diamond, peut-être ?
Il a cette lueur dans les yeux, celle qui me fait comprendre qu'il sait déjà la réponse. J'hésite un instant, mais je finis par hocher la tête.
— Ouais, à Diamond. Et à tout le reste.
— Ah ouais, tout le reste, hein ? Il repose sa tasse sur la table basse et se penche un peu vers moi, les coudes sur les genoux. Mais tu sais que j'ai pas besoin de détails croustillants, t'inquiète pas pour ça. C'est pas ça qui m'intéresse.
Je fronce les sourcils, intrigué.
— Ah oui ? Et qu'est-ce qui t'intéresse, alors ?
Il me regarde un moment, son sourire s'élargissant légèrement, avant de répondre.
— Ce que tu comptes faire, évidemment. Avec Diamond, je veux dire. Je sais que t'es pas du genre à faire les choses à moitié, mais... tu lui as tout dit ? Le contenu de la lettre ? Ton identité ?
Je sens un frisson me parcourir. Le poids de sa question est bien plus lourd que son ton léger pourrait le laisser croire. Je prends une profonde inspiration, détournant le regard vers la fenêtre.
— Non, pas encore, admis-je finalement.
Le silence s'étend entre nous, jusqu'à ce que Prince le brise à nouveau.
— Tu sais que t'es en train de jouer avec le feu, hein ?
Je hoche la tête, les lèvres pincées. Il n'a pas besoin d'en dire plus, je sais qu'il a raison. Chaque jour qui passe, chaque instant que je passe avec elle sans lui dire la vérité, c'est un risque de plus de la perdre. Je serre la mâchoire, sentant la tension remonter en moi. Je n'ai pas encore eu le courage de lui parler de tout ça.
— Elle ne sait rien, dis-je d'une voix tendue.
— Et t'as l'intention de lui dire quand ? Après le mariage ? Ou tu préfères attendre que le bébé soit là, histoire de bien la coincer ?
Je lui lance un regard noir, mais il ne fait que sourire, apparemment ravi d'avoir réussi à me faire réagir.
— T'es un enfoiré, tu le sais ça ? grogné-je.
— Ouais, je sais, répond-il sans se départir de son sourire. Mais je suis aussi ton meilleur pote, et c'est mon boulot de te rappeler quand tu fais de la merde. Elle a certainement envie de rentrer chez elle, tu ne penses pas ?
Je laisse échapper un soupir frustré, passant une main dans mes cheveux. Il a raison, encore une fois, et ça m'énerve. Je voudrais la garder éternellement. Ignorante.
— Qu'est-ce que tu veux que je fasse, hein ? lui demandé-je, presque désespéré. Si je lui dis tout, elle va me détester. Elle va me quitter. Si je ne lui dis rien...
— Ouais, peut-être, admet-il en haussant les épaules. Mais tu préfères quoi ? Qu'elle te déteste maintenant, ou qu'elle te déteste encore plus quand elle découvrira que tu lui as menti depuis le début ?
Je ne réponds pas, parce que je n'ai pas de bonne réponse à ça. Il a raison, encore une fois. Chaque jour où je garde le silence, c'est une trahison de plus, un mensonge de plus. Et chaque jour, le risque que tout explose en plein vol grandit.
— Merde, pourquoi t'as toujours raison, toi ? fini-je par dire, la voix pleine de frustration.
Il éclate de rire, un rire franc et moqueur, comme si ma détresse était la chose la plus drôle du monde.
— Aufait, je voulais pas te casser le moral encore plus mais, on a reçu une invitation, enchaîne-t-il soudain, changeant complètement de sujet. De la part de Mills.
Je le regarde, surpris. Mills. Le simple nom me fait serrer les poings.
— Mills ? Tu plaisantes ? demandé-je, incrédule.
— Je t'assure que non, mec. Il veut nous voir. Il a proposé un dîner. Et crois-moi, ce n'est pas pour discuter de la pluie et du beau temps.
Je laisse échapper un grognement. Mills est tout ce que je déteste dans ce milieu. Un chef de gang violent, manipulateur, qui n'a aucune limite. Il n'est pas comme nous. Pas de code d'honneur, pas de respect pour ses hommes. Juste un pouvoir brut, imposé par la peur et la violence.
— Et pourquoi on devrait y aller ? craché-je. Qu'est-ce qu'on a à gagner ?
Prince hausse les épaules, mais je peux voir qu'il est aussi agacé que moi par cette situation.
— Pas grand-chose, honnêtement. Mais refuser pourrait être encore pire. On sait tous les deux comment il est. Il ne supporte pas qu'on lui dise non.
— Merde, Prince. On ne peut pas se permettre de se mêler à ses affaires. On a déjà assez de problèmes avec le Weis Labo. Si on commence à jouer dans la cour de Mills, on va s'en mordre les doigts.
— Je sais, je sais, répond-il en levant les mains en signe de reddition. Mais on n'a pas vraiment le choix. Il faut y aller, au moins pour voir ce qu'il veut. Et si ça tourne mal, on avise.
Je serre les poings, essayant de garder mon calme. L'idée de me retrouver face à Mills, de devoir écouter ses propositions tordues, me répugne. Mais Prince a raison. Nous sommes coincés. Refuser, c'est se mettre en danger. Accepter, c'est s'embarquer dans une situation qui pourrait très vite nous dépasser.
— D'accord, soupiré-je finalement. On ira. Mais on fait attention. Pas de promesses, pas d'engagements. On écoute, on observe, et on sort de là dès qu'on peut.
Soudain une pensée me tétanise. Et si Mills savait pour Diamond.
— J'aime pas la tête que tu fais, je sais à quoi tu penses. On savait très bien que Mills finirait par comprendre. On ne s'est jamais vraiment caché dans le quartier, on voue tous la même haine au Weis labo par ici.
— Oui sauf que de base on pensait ramener l'autre merdeux de Justin je te rappel.
— Il ne fera rien à Diamond, si on lui demande gentiment, dit-il dans un sourire.
Mills ne s'en prend jamais à nous, et je sais exactement pourquoi. D'abord, parce qu'il bave d'envie à l'idée de nous recruter, Prince et moi. Pour lui, on est plus que des gars du quartier qui se sont fait un nom, on est des « cerveaux du réseau », des génies du hacking qu'il rêve d'avoir dans ses rangs. Mais il y a surtout une autre raison : le journal de David Weis. Ce fichu journal bourré de secrets et d'informations sur le sérum lui-même et Weis labo à ses débuts. Ce journal que je suis le seul à posséder, qui en réalité n'est d'aucune utilité' mais ça je suis le seul à le savoir. Car, c'est la seule chose qui me garde à l'abri des griffes de Mills. Tant que je le tiens, Mills sait qu'il doit nous avoir de son côté.
— Allez, je vais me préparer pour ce foutu dîner. Essaie de ne pas trop ruminer, mec. Et qui sait, peut-être que Mills sera d'humeur à discuter de ses dernières aventures de gangster du dimanche, ajouta-t-il en souriant.
La conversation avec Mills est déjà un poids énorme, mais celle que je dois avoir avec Diamond me pèse encore plus. Je lève les yeux au ciel.
— Ouais, je vais essayer, réponds-je en soupirant.
Il se dirige vers la porte, mais avant de sortir, il se retourne une dernière fois.
— Et Morgan... quoi qu'il arrive, je suis là, OK ? On a survécu à bien pire que ça. On s'en sortira.
Je hoche la tête, touché par ses mots. On a traversé tant de choses ensemble, lui et moi. Des combats, des trahisons, des pertes. Et à chaque fois, on a tenu bon. Mais cette fois, c'est différent. Parce que cette fois, il y a Diamond. Et avec elle, tout est plus compliqué, plus risqué.
— Merci, Prince, dis-je doucement.
Il me fait un signe de tête avant de sortir, me laissant seul avec mes pensées. Je reste là un moment, fixant la porte par laquelle il est sorti, essayant de mettre de l'ordre dans le chaos de mes émotions. Je sais que je ne peux pas continuer à fuir la vérité. Mais comment lui dire ? Comment lui révéler que tout ce qu'elle croit savoir sur moi, sur nous, est basé sur des mensonges ?
Je me lève finalement, incapable de rester assis plus longtemps. Je me dirige vers la chambre, la gorge serrée. Quand j'entre, Diamond est assise sur le lit, les cheveux en bataille, encore enveloppée dans les draps. Son visage s'illumine en me voyant. Elle me regarde un instant, comme si elle essayait de lire en moi, de comprendre ce que je ne lui dis pas. Puis elle sourit, et c'est comme si le poids sur ma poitrine se faisait un peu plus léger.
— Tout va bien ?
Je m'approche d'elle, m'asseyant sur le bord du lit. Je prends sa main dans la mienne, la caressant doucement du pouce. Ce simple contact me réconforte, mais il me rappelle aussi à quel point tout ça est fragile.
— Oui, tout va bien, dis-je, même si je sais que ce n'est qu'une demi-vérité.
Elle hoche la tête, comme si elle acceptait ma réponse, même si je vois bien qu'elle ne me croit qu'à moitié. Je sais qu'elle sent que quelque chose ne va pas, qu'il y a quelque chose que je ne lui dis pas. Mais pour l'instant, elle ne pousse pas plus loin, et pour cela, je lui en suis reconnaissant.
— Je vais me doucher, dis-je en me levant. On a... un dîner ce soir.
— Un dîner ? Avec qui ?
— Mills, réponds-je en essayant de ne pas montrer mon dégoût.
Elle fronce les sourcils, visiblement surprise.
— Mills ? Mais pourquoi ?
— C'est compliqué, Diamond. Mais c'est quelque chose que Prince et moi devons faire.
Elle me regarde un instant, puis hoche la tête, acceptant ma réponse sans poser plus de questions. Je suis soulagé, mais je sais aussi que ce moment de répit est temporaire. À un moment donné, elle voudra des réponses. Et à ce moment-là, je devrai être prêt à lui donner.
— Allez, on y va, dit Prince en ouvrant la porte les yeux clos de peur de voir quelque chose qui pourrait le traumatiser à vie, pauvre enfant. Et souvenez-vous, les amis : sourire, politesse, et pas de promesses. C'est notre mantra pour la soirée.
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