66. A Winter's Tale

Roger regardait par la fenêtre du chalet que Freddie avait acheté à Montreux. Le groupe s'y était installé depuis deux semaines, mais Brian et John avaient préféré louer une chambre d'hôtel. Le blond observait son époux installé sur un banc en face du lac. Farrokh tenait un carnet en main dans lequel il composait les paroles d'une nouvelle chanson, le regard perdu dans le vague en contemplant la splendeur du lac Léman.

Il aimait beaucoup se poser là, au calme, et s'abandonner à ses sensations. Il profitait de chaque moment où la brise venait lui caresser le visage comme pour l'appeler à elle, où les rares remous du  lacs retenaient son attention et stimulaient son imagination, où le ramage des oiseaux perchés dans les plus hautes branches des sapins lui soufflait des idées de mélodies. Il aurait voulu rester là pour toujours. Mais il savait qu'il était loin d'avoir l'éternité devant lui, que son état se dégradait de jour en jour et qu'il devrait bientôt rentrer à Londres pour se soigner. En attendant, il profitait du Lac Léman et de son aspect apaisant qui l'envoûtait pour qu'il vienne passer ses journées près de lui. 

Roger vit le chanteur se faire surprendre par une quinte de toux. Il allait mieux quand on lui avait fait une transfusion juste avant de partir ; mais cela faisait déjà longtemps. Le batteur referma le rideau, attrapa une écharpe au porte-manteau et sortit rejoindre son bien-aimé. Freddie ne le vit pas arriver, il écrivait frénétiquement, l'air émerveillé par son propre génie. Le blond sourit en le voyant pris d'une telle inspiration et attendit que son zèle artistique retombe pour s'asseoir à côté de lui. Il passa l'écharpe autour de son cou dénudé et l'embrassa tendrement. 

— Tu es très inspiré à ce que je vois. 

— Oui, j'aime bien passer du temps ici. Ça me permet de me recentrer sur moi-même et de réaliser quel est l'essentiel.

— Et c'est quoi, l'essentiel ?

Freddie rougit en baissant les yeux avant de planter son regard dans celui de Roger.

— La nature. Les cygnes qui gouvernent ce lac comme des danseurs s'approprient la scène. La musique. Les mille choses que j'ai encore à dire... Et toi. Enfin, nous. Je t'aime. Et j'aimerais que ça ne s'arrête jamais, qu'on mette le temps en pause et qu'on reste à deux dans ce chalet en face du lac pour toujours. 

— Moi aussi, j'aimerais bien. Mais il faudra bientôt rentrer à Garden Lodge, ajouta Roger après une légère hésitation.

— Je sais. Tu seras bientôt débarrassé de moi, ajouta-t-il avec un sourire. Je t'aurais quand même collé jusqu'à la fin.

Roger ne répondit rien, gardant quelques secondes un visage impassible qui commença à se crisper de plus en plus jusqu'à ce qu'il n'éclate en sanglots. Le blond se jeta dans les bras de l'amour de sa vie qu'il ferait tout pour garder auprès de lui. Au bout d'un long moment, il se ressaisit.

— Pardon. Je devrais être fort. Comme tu l'es. Et encore, un centième de ta force suffirait. Mais je n'y arrive pas ! Parfois, j'essaye de me projeter dans l'avenir... Qu'est-ce que je vais pouvoir faire quand tu... après. Qu'est-ce que je vais faire après ? Comment je pourrais vivre alors que tu ne seras plus là ? J'y arrive pas !

— Arrête de te ronger le foie pour des conneries pareilles, mon chéri. Une fois que je serais crevé, tu me balances dans le lac, tu refais ta vie avec quelqu'un d'autre et on n'en parle plus. Mais ne m'oublie pas. Ça serait sympa que tu viennes me voir une fois par an.

— Freddie ! Comment peux-tu dire une telle chose ?! Je t'aime ! Je ne peux pas simplement me dire que c'est fini et aller de l'avant. Toi, peut-être que tu y arriverais. Mais pas moi ! Je t'aime trop pour ça !

Des larmes inondaient le visage de Roger, mais il regardait Freddie dans les yeux, sans flancher. Cette discussion était bien trop difficile pour être poursuivie une autre fois. C'était le moment d'en parler. Maintenant, et jamais plus ensuite. Freddie soupira. 

— Ça ne sert à rien d'être triste. Je ne veux pas te rendre triste. Je veux que tu sourisses en repensant à ce vieil excentrique de Fred' qui t'en a fait voir de toutes les couleurs. Je veux t'entendre rire depuis les étoiles quand tu te souviendras de cette fois où tu t'es enfermé dans le placard à Rockfield Farm pour la B-side de Bohemian Rhapsody. Et de la première fois où je t'ai joué Love of My Life dans la grange. Et à ton anniversaire quand on est allé au Ten Bells pour la première fois. Ou quand je me suis suspendu au lustre complètement défoncé quelques années plus tard. Ne pleure pas pour ce que je n'ai pas pu faire, souris pour ce que j'ai fait. 

Roger l'embrassa passionnément et se blottit contre lui.

— Et pour ce qui est de ce que tu vas faire de moi, je ne veux pas que tu gardes mes cendres avec toi en permanence jusqu'à en oublier de vivre. Je suis mort. Point. Balance mes cendres dans le lac avec un grand sourire aux lèvres pour m'avoir accordé la plus belle chose que la vie pouvait m'offrir : ton amour. Mais garde l'emplacement de ma sépulture secret, je ne veux pas que des hordes de fans viennent troubler le calme qui fait la beauté de cet endroit. En fait, ne le dis à personne. Pas même à John et à Brian. C'est notre endroit.

— D'accord, Fred'. C'est promis. 

— Merci.

Freddie l'embrassa sur le haut de la tête avant de croiser son regard. Roger lui saisit la main.

— Je t'aime !

— Je sais, répondit-il en souriant. Mais je t'aime encore plus.

Roger n'avait pas envie d'entamer une fausse dispute pour mesurer un amour inconditionnel. Alors, il s'abandonna simplement aux bras de son bien-aimé, en profitant de la douce brise du lac qui les enlaçait, comme pour renforcer leur étreinte.

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