18. Bacon volant
30 Août 1975
Freddie réfléchissait à la suite de la mélodie de sa chanson d'amour dont il avait fini l'écriture dans son lit, la veille. Il traversa la cour, perdu dans ses pensées avant qu'un détail ne l'en sorte. Des câbles partait du bâtiment principal et partait en direction de l'annexe à laquelle il se rendait en passant en plein milieu de la cour dans laquelle le groupe jouait au frisbee.
En arrivant dans la sellerie, il se rendit compte qu'il s'agissait en fait des fils de la batterie de Roger que ce dernier avait décidé d'installer là pour travailler avec son bien-aimé.
Sur place, Freddie vit effectivement l'imposant instrument installé dans un coin, juste à côté du petit piano droit. La pièce était assez exigu ce qui relevait de l'impossible le fait d'avoir pu installer les deux instruments dans ce même lieu.
Le chanteur sentit une main se poser sur sa joue gauche pendant qu'une autre se disposait en travers de son torse. Il reconnut instantanément le parfum de son non-énigmatique ravisseur qui le retenait dans une douce étreinte.
- Cela m'avait manqué, monsieur Taylor.
- Moi de même, répondit l'intéressé tout en embrassant la nuque de son partenaire.
Les deux amants s'étaient vraiment manqué. Cela faisait si longtemps qu'ils n'avaient pu s'adonner à leur amour. Freddie s'était retourné afin d'embrasser son cher et tendre sur la bouche en disposant ses mains autour de son cou. Roger renforça le moment en disposant une main sur sa joue qu'il caressait de son pouce, l'autre était allée se poser sur son omoplate et faisait de délicats aller-retours jusque dans le bas du dos de Farrokh. Ils restèrent ainsi un certain temps tout en se rapprochant subrepticement, de plus en plus, jusqu'à ce qu'ils ne soient parfaitement côté à côté, leurs corps ne formant plus qu'un.
Ils durent se séparer quelques instants plus tard, en se souriant radieusement l'un à l'autre, à bout de souffle. Freddie eut un nouvel éclair de génie et chanta une petite phrase à son chéri sur une tonalité très douce.
- You take my breath away.
(Tu me coupes le souffle)
- Et d'où te sors toutes ces idées de génie ?
- Je ne sais pas, répondit le chanteur avec un sourire en coin.
- Tu es sûr de ne pas savoir ? Dis moi ton secret...
Roger se rapprocha comme pour donner un baiser à son amant, mais il changea ses projets après avoir entendu la réponse de ce dernier.
- Non.
Il le souleva du sol et le pris précautionneusement dans ses bras, tel un chevalier transportant sa princesse épuisée.
- Tu n'en as pas la moindre petite idée ? répéta-t-il malicieusement avant de lui arracher un baiser volé.
- Je t'aime...
Ils s'adonnèrent à un autre baiser passionné mais Roger voulut continuer de s'amuser un peu en continuant de taquiner son bien-aimé.
- Allez, maintenant fais moi descendre.
- Nan. Jamais. Tu es à moi pour l'éternité.
À ces mots, Freddie se lova contre lui, qui le portait toujours dans ses bras où il se sentait tant en sécurité, en prononçant le nom de celui qu'il aimait dans un langoureux murmure.
Une demi-heure plus tard, Roger se retrouva derrière sa batterie, surexcité de montrer sa nouvelle chanson au pianiste. Il s'agissait en fait d'une chanson d'amour dédiée à... sa voiture.
- Qu'est-ce qu'il y a, Fred' ? demanda le batteur inquiet face à la tête que faisait son amant durant l'écoute de son œuvre.
- Rien. C'est juste que... hum... Comment dire ? Je ne pense pas que cela corresponde à l'esprit de l'album. Même si c'est très bien, honey.
- Bien sûr... répliqua Roger en tentant de dissimuler sa frustration. Et toi, alors ? Qu'est-ce que tu proposes ? On va voir si c'est mieux !
Il se leva précipitamment de sa batterie pour aller chercher le petit carnet de Freddie sur le piano.
-C'est quoi ça ? The Cowboy Song ? Je comprends rien à tes notes, joue-la.
Les mélodies que Freddie écrivait ne comportaient pas une notation traditionnelle. C'était un ensemble d'accords de La, Si et Do écrit en majuscule, semblable à des pattes de mouches et complètement incompréhensible. L'essentiel était structuré dans son esprit.
- Ho, ça... C'est un vieux morceau. Je ne sais pas s'il a un réel intérêt, je n'ai jamais su le finir, comme deux autres chansons en fait.
- Fait moi juste écouter.
Il se mit au piano et débuta quelques merveilleuses notes, qui suffirent à elles seules, à transporter Roger et lui faire oublier toute sa rancœur vis-à-vis du jugement de sa propre chanson, il n'était plus là, mais dans un monde magnifiquement mélancolique. Plus rien n'existait autour, mis à part les touches du piano qui créaient une atmosphère onirique à la fois triste et cruelle, mais belle. Vraiment très belle. L'introduction suffisait à montrer toute la complexité de la vie, elle avait le pouvoir de mettre n'importe quel auditeur à nu pour quelques instants. Puis, Freddie commença à chanter, et pour ça, les mots faisaient défauts, il fallait uniquement laisser la musique continuer de provoquer toutes ces étranges sensations pourtant si agréables à ressentir.
- Mama... just killed a man. Put a gun against his head, pulled my trigger, now he's dead.
(NDA : désolé pour les non-anglophones, mais normalement il n'y a pas besoin de traduire. En fait, je trouve qu'en français le charme se perd, cette chanson est tout simplement intraduisible si on veut garder la force des émotions qu'elle transmet.)
- Freddie, c'est... magnifique ! Mais ne crois pas que j'oublie que tu ne veux pas de ma chanson dans l'album.
Midi avait déjà sonné et les deux amoureux rejoignirent les autres pour manger. Freddie fit un détour par sa chambre pour mettre son petit carnet en sûreté dans la commode de sa chambre.
Quand Roger arriva dans la cuisine qui leur servait également de salle à manger, il fut immédiatement désigné comme cuistot par Brian et John qui étaient "exténués pour avoir travaillé toute la matinée sans relâche".
Il faisait cuire du bacon dans une poêle et chanta sa chanson presque malgré lui. Brian le coupa presque instantanément, dès qu'il entendit le refrain.
- Amoureux de ta voiture ? C'est une blague !?
- C'est ma nouvelle chanson, et je compte bien la mettre dans l'album.
- Tu graisses la culasse ? Très subtil !
- C'est une métaphore, Brian !
- Ha oui ? Et de quoi parle cette chanson au juste ?
- Et toi alors ? Avec ta chanson, Sweet Lady ? Ta nana te compares à un fromage !?
- Bah oui, c'est plutôt chouette, non ?
Roger poussa une exclamation outrée et voulu exprimer sa désapprobation, mais Brian ne lui en laissa pas le temps.
- Admet seulement que c'est un peu faible.
- Faible !? Et ça , est-ce que c'est faible ? hurla-t-il en envoyant le bacon qu'il faisait griller en plein dans la figure de Brian et sur le pauvre John qui n'avait rien demandé et n'était même pas intervenu sur leur désaccord.
- Tu en as parlé à Freddie, au moins ?
- Désolé Roger, mais il n'y a de place que pour une drama-queen dans ce groupe, déclara l'intéressé qui venait d'arriver juste à temps pour voir son déjeuner s'envoler sur les deux musiciens.
Il comprit qu'il vaudrait mieux partir essayer de piquer un sandwich à quelqu'un plutôt que de tenter de raisonner Roger. Le batteur était fou de rage et voulait se venger de Brian, et du bassiste qui ne prenait même pas sa défense, à tout prix. Il saisit le premier objet qui lui vint sous la main et l'approcha dangereusement des deux hommes assis en face de lui.
- NON ! Pas la cafetière ! s'écrièrent-ils en chœur tout en levant un doigt pour espérer avoir un peu plus d'autorité sur Roger.
Le blond lâcha la cafetière qui s'écrasa au sol avant de partir en furie. Il alla se réfugier dans le seul endroit où il était certain de pouvoir négocier avec le groupe tout en étant au calme : le placard du couloir.
Il s'agissait en fait d'une penderie dans laquelle traînaient de vieux manteaux qui n'avaient certainement pas servi depuis des années. L'endroit était poussiéreux et avait une épouvantable odeur de renfermé. Roger eût l'impression d'être dans le vieux grenier miteux où sa grand-mère conservait les robes de sa jeunesse qu'elle appelait " la bonne époque où les jeunes personnes avaient encore un cerveau".
Il pensait en avoir pour un bon moment de solitude, mais Freddie avait entendu le cri de désespoir de John et Brian et avait vu Roger partir. Il frappa à la porte du placard.
- Roger, je sais que tu es là.
- Non.
Roger ne se rendit compte que trop tard que s'il parlait il trahissait sa présence.
- N'ouvre pas !
Freddie soupira, il allait perdre patience.
- Roger, arrête tes gamineries et sors de là tout de suite ! Il faut qu'on bosse et on ne peut plus se permettre des conneries pareilles.
- D'accord. Je sortirai. Quand ma chanson sera planifiée sur l'album !
Brian et John venaient d'arriver.
- Allez Rog'! Fais pas le con ! Il faut qu'on commence à répéter quelques morceaux ensemble cette aprèm. dit le guitariste.
- Débrouillez-vous sans moi!
- S'il te plaît, Roger, intervint John. Pense un peu au groupe. EMI va pas être content si on prends autant de retard juste pour un petit caprice. Imagine qu'il brise le contrat...
- Nan ! s'époumona Roger en coupant le malheureux bassiste qui cherchait un terrain d'entente.
- Désolé Fred', mais j'abandonne, dit le guitariste avant de partir suivi de John.
Roger se trouva seul avec Freddie qui n'était pas prêt de céder. Comme on dit, amour et travail ne font pas bon ménage. Ils avaient leur premier désaccord sentimental à cause du boulot.
- Écoute, darling, ta chanson est super. Elle ne convient juste pas à l'esprit de l'album. Mais on peut très bien la mettre sur un prochain projet. Je suis sûr que dans nos prochains albums, il y en aura au moins un qui conviendra à ton merveilleux morceau.
- Mais moi, je veux que cet album soit A Night At The Opera ! Celui que tu aimes tant, parce que tu m'aimes, non ? Je veux que tu penses à moi en contemplant ta réussite dans le miroir. Parce que c'est avec cet album que tu deviendra la légende que tu seras, ce pourquoi tu es né. Je veux que tu penses à moi à chaque fois qu'on te demandera un autographe. Je veux que tu te rappelles de ce désaccord en te disant que ce n'était rien, juste la belle époque des débuts de notre couple. Je veux que tu te souviennes de moi pour que notre amour soit encré à jamais dans ta mémoire, je veux que tu te rappelles que je t'aime quand tu doutes, quand tu as peur. Et au moins, si on en venait à ne plus être ensemble...
- Stop ! D'accord.
Roger sortit enfin du placard, et les deux tourtereaux partirent répéter main dans la main même si Freddie était tourmenté par les dernières paroles de son amant. Se séparer... Ça lui paraissait inconcevable, mais il ne pouvait oublier son baiser avec Paul qui ne signifiait pourtant rien pour lui. Il aimait Roger, mais nul ne pouvait savoir ce que le sort leur réservait.
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