Victoire - La une
Steph' et moi convenons qu'un bol d'air me fera le plus grand bien. Poppy, qui aboie en bas, semble valider l'idée. Pendant que je troque ma nuisette contre un ensemble de sport, avec ma porte d'armoire en guise de paravent, ma cousine raconte ses déboires quant au suivi médical de sa mère. Puis, le silence s'impose et je jette un regard curieux en sa direction : elle a le nez plongé dans son téléphone et
son minois, jusqu'alors radieux, s'est figé. La soupçonnant encore discuter avec l'éducateur de Poppy, qu'elle garde en grande partie en raison du désir qu'elle ressent pour lui, je la sermonne :
— Steph', si c'est qui je crois... Vraiment, tu devrais prendre tes distances... Ce flirt n'a rien de sain, il est marié !
Elle secoue négativement la tête et tourne son écran, qui affiche une page people d'un magazine dont elle reçoit toutes les alertes. Mes yeux s'écarquillent à la vue des photographies affichées en grand dans l'article... et ils manquent de sortir de leurs orbites lorsque j'en lis le titre.
— « L'amour vitesse mille » ?! je glapis.
Avec Gabin et moi, mangeant en tête à tête... en train d'éplucher mon catalogue... ironiquement à la page des alliances. Une photo vraisemblablement prise depuis l'intérieur de la pizzeria.
Nos voisins de table ?
Mon regard passe de l'article au sourire en coin de ma cousine. Je tape dans ses conclusions hâtives :
— Ce n'est pas ce que tu crois. Je travaillais, là !
— Toujours est-il que tu avais l'air d'apprécier le moment.
— Autant que cela était possible avec un ours ronchon comme lui...
— Ce n'est pas ce qu'ils en disent !
Elle m'en lit un passage :
— « Alors que le jeune millionnaire se bat encore contre les rumeurs à son sujet, le revoilà sur le marché des rencontres. Le caractère volage et les comportements discutables du fils de Montarby ne paraissent pas freiner Victoire Cottin, celle sur laquelle il a jeté son dévolu... au point de déjà vouloir lui passer la bague au doigt ? ». Ensuite, il y a un paragraphe sur toi.
— Comment peuvent-ils coucher par écrits leurs suppositions et les communiquer comme des vérités ?! je bégaie.
Oui, à la boutique, il y avait deux-trois paparazzis, mais que la venue des policiers, pour ma voiture, a fait partir ! Contrairement à cet homme, je ne suis pas habituée, ni à me méfier dans la rue, ni à me cacher, ni à voir mon nom dans la presse ! Cet article cause mon trouble.
Il m'avait prévenue... mais c'est lui qui est venu.
Je hausse mes sourcils et, en mettant mes chaussettes, explique :
— Gabin de Montarby est un client. Il s'était rendu à la boutique pour acheter un bracelet à sa mère et nous avons épluché tout le catalogue pour qu'il visualise bien la différence entre les matériaux.
— Quel hasard, qu'il vienne ce matin-là... Et pourquoi ce n'est pas Martine qui s'en est chargée ?
Je sors une paire de baskets de mon armoire, les enfile.
— Parce qu'elle a sauté sur l'occasion de déléguer.
— Je doute qu'il lui ait proposé un déjeuner, à elle.
— Ce n'était pas un rendez-vous galant ! Il était l'heure du repas et il mourrait apparemment de faim, nous avons continué devant une pizza, voilà tout.
— Tu n'allais jamais m'en parler ?
— Non ! Parce que c'est insignifiant... Beaucoup d'affaires se discutent autour d'un verre ou d'un bon repas, sans générer nécessairement de coucherie.
— Tu as dû lui taper dans l'œil.
— Alors là, tu fais autant fausse route que ce torchon... Il est antipathique dès qu'il pense qu'un rapprochement s'effectue entre nous. Il s'est montré clair sur ses intentions, et elles ne sont pas de tenter quoi que ce soit à mon égard. Il était tout autant surpris de me voir. Une coïncidence pure et dure.
— Et ça te peine ?
— De quoi ?
— Qu'il n'envisage rien de plus ?
Je me cache le visage, étire mes joues vers le bas en expirant :
— Stéphanie Nicole Delamare. Je me fiche de cet homme. Quand comprendras-tu que tu ne peux pas jouer les entremetteuses si aucun des deux partis n'est intéressé ? Va t'habiller, zou.
Je la congédie. Elle se prépare vite et après un passage à la salle de bain pour nous débarbouiller, nous brosser les dents et nous coiffer un minima, nous sommes prêtes.
Je laisse Stéphanie choisir la destination. Nous avons un peu de route pour trouver un coin de forêt sympathique. Poppy est comme une folle. Quand je me gare, elle ne répond plus de rien et hurle dans nos oreilles. L'affluence en une matinée dominicale est correcte. Nous aurons au moins un peu de tranquillité : seules cinq voitures et une camionnette, plus loin, occupent la place. La petite chienne tournoie sur elle-même, gratte la vitre.
— Tiens ton démon, ris-je, il y a un groupe de promeneurs là-bas.
J'indique à Stéphanie trois personnes avec des bâtons de marche nordique, mais elle tient la laisse en oubliant qu'elle ne l'a pas attachée au harnais. Quand je m'en rends compte, il est trop tard. Ma cousine ouvre la portière... Et la spitz bondit hors de la voiture, fonçant vers l'extrémité du parking.
— Poppy ! crie sa propriétaire. Poppy, stop !
Nous sortons en toute vitesse, fonçons pour rattraper la furie blanche. Des aboiements joyeux nous parviennent. Quand nous arrivons au niveau du kangoo et que nous le contournons, nous tombons nez à nez avec un deux hommes, dont un en fauteuil roulant... sur lequel est en train de sauter Poppy.
Nous nous précipitons pour l'en interdire en hauts cris puis nous confondons, de concert, en excuses, fixant notre malencontreuse victime. Penchée sur lui, je récupère un mouchoir, demande son approbation et époussette son pantalon afin d'enlever la terre sèche que Poppy lui a mis dessus. Poppy, que ma cousine récupère au sol d'un mouvement rapide tout en s'assurant que l'homme, au crâne rasé, n'a rien et n'a pas été plus sali. Il répond, grand sourire, que ce n'est rien. Bras tendu, il continue même à caresser cette tornade qui nous sert d'animal de compagnie. Ce geste met en évidence de légères contractures au niveau de ses mains.
Mon cœur se serre. Je suis là, à me lamenter sur mes objectifs de carrière compromis, alors que je devrais me réjouir de respirer et marcher sans besoin d'assistance... J'ai beaucoup de respect pour ceux qui mènent ce combat... en et ayant la joie aux lèvres le concernant !
Je ne peux pas m'empêcher de me demander ce qu'il s'est passé pour qu'il finisse paralysé. Ses jambes sont extrêmement fines, serrées l'une à l'autre et tournées dans le même sens. Il n'a peut-être jamais marché de sa vie... En revanche, son buste et ses bras sont musclés, ce qui me fait penser à une diplégie, une forme de paralysie cérébrale touchant principalement les membres inférieurs.
Le stress redescend un peu. Heureusement qu'ils sont compréhensifs...
— Victoire ? s'étonne une voix masculine.
Je relève la tête, croise ces inoubliables iris châtain... Comment ai-je fait pour ne pas reconnaître l'homme élancé qui se tient derrière le fauteuil, positionné pour pousser ce dernier ?
Ça commence à faire beaucoup, là.
— Vous, ici ? m'étonné-je.
— Mmh... Il semblerait, oui.
Telle une évidence, planté devant moi comme si le monde lui appartenait, Gabin de Montarby porte un jogging noir et un débardeur. On dirait un de ces fameux professeurs de sport, ceux du lycée, fraîchement diplômés et outrageusement athlétiques, sur lesquels on fantasme quand on est ados.
Je me ressaisis, coupe court :
— Ravie de vous avoir croisés. Je vous souhaite une belle balade, encore navrée pour Poppy.
Je m'adresse également à l'homme, en contrebas, dont les traits communs me sautent maintenant aux yeux. Bien moins chevelu, il a néanmoins la même implantation de sourcils, la bouche identique au centimètre près et le visage pareillement creusé. Et ce nez !
Je pivote, crochète Stéphanie au passage pour l'inciter à me suivre. Elle a à peine le temps de dire au revoir que celui qui m'est encore inconnu lance :
— La Victoire ? C'est vous, la bijoutière ?
Je me stoppe net, me retourne.
Ai-je loupé un épisode ?
— Gabin m'a beaucoup parlé de vous, poursuit-il.
Je m'apprête à lui demander des explications quand il me coupe l'herbe sous le pied :
— Et si nous nous promenions ensemble ?
Je me rends alors compte que je m'évertue à regarder vers le bas. Pour une raison qui m'échappe, l'envie de me carapater m'a prise aux tripes dès que j'ai entendu la voix de Gabin.
Stéphanie, qui me connaît comme sa poche, sait que je vais décliner. Elle m'en arrête en enfonçant ses ongles dans ma peau. Je la scrute, paupières plissées. Cachant sans subtilité sa bouche, elle chuchote :
— Vickyyy. Tu ne peux pas dire non à un handicapé.
Mes cils papillonnent et je n'en reviens pas qu'elle me sorte pareille énormité. Mais... déplacé ou non, ça me fait tout de même revoir ma position.
— C'est d'accord, accepté-je.
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