Victoire - La bijoutière
Alors que mon index bat la mesure, plus par stress que par accord avec Franz von Suppé, je sonde mon client. Monsieur Gautier ne s'exclame pas. Il n'en fait pas des tonnes, il ne brandit pas l'écrin à qui voudrait y jeter un œil. Non... Il reste calme, et ce n'est pas bon signe.
Le prototype que je lui propose ne lui plaît-il pas ?
La déception pointe le bout de son nez en mon for intérieur et la mélodie joyeuse jouée par les trompettes ne rend ce moment que plus attristant. J'ai travaillé sur cette bague toute la journée, je me suis hâtée et même si mes décisions de design étaient audacieuses, j'y croyais.
N'en pouvant plus de son silence pensif, je le relance doucement :
— Il a-t-il quelque chose qui ne va pas, Monsieur Gautier ? Elle n'est pas comme vous l'imaginez, c'est cela ?
Il m'avait pourtant dit vouloir marquer le coup avec sa nouvelle future femme, Estelle... Qu'elle jalousait ses unions précédentes et qu'il lui fallait, pour l'impressionner, une bague exceptionnelle, complexe, onéreuse. Et le voilà qui murmure :
— Je pensais plutôt à une solitaire... basique...
L'anneau avec une pierre centrale, le classique des fiançailles ?
Je pouffe, plante mes pupilles dans les siennes et demande avec le plus grand sérieux :
— Depuis quand nous sollicitez-vous pour du « basique » ?
Le violon succède aux instruments à vent pour un air plus doux qui rend mon prospect plus conciliant.
— Je dois dire, Mademoiselle Cottin, que je n'ai jamais vu tel modèle...
— Je vous ai promis de vous présenter quelque chose d'inédit, d'unique !
Peut-être est-il temps de lui vendre la symbolique plus que mes visuels. Je change aussitôt de tactique, désigne mon objet :
— Je me suis permise de créer une bague de promesse en m'appuyant sur les besoins que je voyais en beaucoup de clients, comme vous : notamment celui de rassurer votre compagne. Plutôt qu'un anneau fermé, je me concentre depuis plusieurs mois sur les bagues ouvertes. Il me tient à cœur de casser l'idée d'une union qui enferme... pour une vision d'un amour qui comble, qui enlace, qui épouse, sans jamais étouffer.
Ça y est, j'ai son attention. Je poursuis :
— Celle-ci est, comme dit précédemment, mon prototype. Sur la version finale, que j'ai spécialement pensée pour vous, les deux pierres qui se rejoignent seront : un diamant de classe F, pur à la loupe, de deux carats, face à un saphir bleu de ton moyen-foncé, d'une saturation idéale et sans inclusion visible, contrairement à ici.
Je pointe les défauts apparents, indétectables pour les non initiés, lui prouve ainsi mon sens du détail, mon perfectionnisme. Je continue :
— Le tout sur, évidemment : or blanc, poli et aux finitions mieux travaillées. Alors, me direz-vous, pourquoi un saphir plutôt qu'un deuxième diamant, pour un rendu plus conventionnel ? Et je vous répondrais : le mariage n'est-il pas le combiné de deux âmes qui, souvent, ne se ressemblent pas tant ?
Son regard chute sur la bague. Moins réticent, il l'observe d'un autre angle.
— Je me dois de préciser leur signification... et le message global d'une telle disposition, d'une telle association. Car je vous prie de croire que tout a été réfléchi au millimètre !
Il me jette un coup d'œil, se déride :
— Je n'en doute pas ! Dévoilez-moi ses secrets.
L'orchestre s'emballe. Un sourire m'échappe tant la musique nous prend au corps. Portée par les accords, ma présentation gagne en puissance, en assurance :
— Le diamant, au-delà du symbole d'une flamme éternelle, est surtout la « pierre de la réconciliation », celle qui permet ce pont entre deux cœurs parfois durcis par la fierté. Quant au saphir, il incarne la vérité, la fidélité, la paix. Ensemble, ils promettent une relation basée sur la communication, le soutien... un couple serein.
C'est qu'il boit désormais mes paroles !
Que j'aime expliquer aux clients le cheminement qui m'anime à chaque collection, divulguer les doubles sens des pierres, conter leurs histoires...
— Et l'or blanc ? s'enquiert-il.
— Il a été une évidence ! Un choix autant pratique qu'esthétique. L'or blanc résiste merveilleusement au quotidien. Durable, il incarne l'amour que je vous souhaite, celui qui traverse les siècles. Il n'est pas le métal de référence sans raison : sa préciosité remplace tous les joyaux dont on pourrait le sertir. Sa teinte spécifique s'harmonise avec chaque carnation, chaque pierre, chaque tenue, et a pour particularité d'évoquer la plénitude amoureuse.
Et le redoux suit. Va-t-on conclure cette vente ? Poet and Peasant me portera-t-il chance ?
Pour finir de convaincre Monsieur Gautier, je reprends l'écrin avec délicatesse, me saisit de la bague et la passe à mon annulaire.
Je soulève ma main, la dispose sous ses yeux en commentant :
— Un bijou d'élégance, qui pourra aisément être transmis d'une génération à une autre sans qu'il perde de sa superbe.
Le quarantenaire inspire, me fixe. Il se maîtrise, mais ses lèvres s'étirent.
Victoire !
— Je vous la prends, décrète-t-il. Je vous la prends !
L'entendre crier me remplit de joie. J'ai réussi ! J'ai vendu un bijou sorti de mon imagination, de surcroît complètement novateur par rapport à ce que Paul Cottin® propose habituellement.
J'ôte la bague de mon doigt, la remets à l'abri dans son étui.
— Et vous, quand votre homme vous demandera-t-il en mariage ?
Et voilà... quand on est une femme et qu'on approche de la trentaine, c'est à cette sauce qu'on est mangée... pas un jour sans que les mots « horloge biologique », « enfant », « mariage » ne s'invitent subtilement -ou non- dans les conversations.
Même en sachant qu'elle ne tiendra pas, je replace une de mes courtes mèches derrière mon oreille puis réponds avec humour :
— Encore faudrait-il qu'il y en ait un.
Monsieur Gautier hausse un sourcil, s'éclaircit la gorge. Forcément, il n'avait pas moyen de savoir que j'étais célibataire. D'une part parce que je crois bien qu'il n'en a jamais posé la question... et d'autre part parce que j'ai tendance à garder ma vie privée secrète.
Miracle, monsieur Gautier, qui est tout de même l'un de mes meilleurs clients, ne m'assaille pas des habituels « il serait temps »... « comment une femme comme vous peut encore être seule, les hommes sont aveugles! »... « qu'attendez-vous? »... « c'est votre travail qui vous prend trop de temps »... ou encore « j'ai un ami à vous présenter dans ce cas ». Au contraire, sans sourire de pitié ou jugement, il se montre du doigt et blague :
— Trois divorces... Vous zéro. L'un de nous a vraisemblablement tout compris.
Nous éclatons ensemble d'un rire franc. Je lui souhaite réellement que ce mariage soit son dernier.
— Monsieur Gautier, je ne vais pas vous retenir davantage. Profitez de votre soirée et merci pour votre confiance.
— C'est moi qui vous remercie, mademoiselle Cottin, pour le temps pris et pour la qualité de tous les produits que vous me proposez. Vous reviendrez vers moi lorsque la bague sera prête ?
— Évidemment. Je pense que d'ici un bon mois, vous pourrez venir la chercher en boutique. Arriverez-vous à attendre jusque là pour votre demande ?
Il tape des mains, réjoui :
— Oui. Il me faut me préparer, voir les choses en grand. Merveilleux ! À plus tard peut-être autour d'un verre de champagne.
— À plus tard, peut-être.
J'en doute.
Enfant, il était coutume que j'assiste aux réceptions luxueuses données par mon grand-père, avant les heures tardives où l'alcool, coulant à flots, les transforme en moins raisonnable spectacle pour une petite fille. Adulte, j'ai appliqué les conseils de ma mère et je n'ai fait que de brèves apparitions. Cette habitude pourrait changer si mon poste évoluait, mais pour le moment ce n'est pas le cas. Alors, je n'ai clairement pas prévu de m'éterniser, ce soir !
Mon client prend poliment congé, apercevant au loin une connaissance.
Je ne suis venue ici qu'en majeure partie pour lui. Le cadre est somptueux, mais voilà tout. Je fais acte de présence... disons... une demi-heure encore, puis je file me coucher ! Dormir... Cette perspective m'égaye tandis que je réunis mes supports visuels. Les fiches glacées, qui renvoient les éclats d'un lustre parmi les milles de cet intérieur, rejoignent la pochette en plastique souple qui leur est réservée.
Je m'en vais ensuite flâner près des musiciens. La passion qui se lit dans chaque mouvement est... renversante. Tandis que je contemple la scène, je m'attarde sur le chef d'orchestre. Assurément un virtuose connu, si même moi, qui suis si peu physionomiste, le remets ! Madame Gesnay a déboursé une véritable fortune...
Mon téléphone vibre dans mon sac à main. Comme cela est peu convenable, je me dissimule à moitié derrière un rideau, cale l'écrin et ma pochette sous un bras et me tortille pour extirper mon appareil. Je découvre un message de Stéphanie, ma cousine et meilleure amie, ainsi que celle avec qui je vis, qui me partage d'encourageantes nouvelles quant à sa mère. Il faut dire que ma chère tante a bien bousculé notre quotidien ces derniers jours, mais malgré tous ses travers, je souhaite ardemment son rétablissement.
Je revois la scène. Stéphanie et moi, en chemise de nuit et chaussons, sur ce même escalier en pierre, à deux heures du matin... devant assurer aux policiers présents que la femme ivre qui titube entre eux est bel et bien ma tante.
Alors certes, son nom de famille, Cottin, récupéré après son divorce, lui a évité de multiples gardes à vue, mais je peine à lui expliquer que ce n'est pas parce qu'elle achetait les marques d'alcool et de cigarette les plus chères que ça ne détruirait pas sa santé...
Et là voilà convalescente, rattrapée par ses démons...
Cela me fait penser qu'il serait bon que je contacte ma mère et que je l'en informe... Mon anniversaire approche et je ne souhaiterais pas qu'elle soit mise face au fait accompli en débarquant à la villa !
Je réponds rapidement à ma cousine :
À : Steph <3
Heureuse de lire ça !
De : Steph <3
Ta soirée se passe bien ? Deal conclu ?
À : Steph <3
Oui, vente en bonne voie ! Rien de signé pour le moment.
De : Steph <3
Tu parles, c'est dans la poche ! Je sors le champagne pour quand tu rentres !
Je décide d'aller profiter du buffet pour rentabiliser les émotions fortes de la journée avant de partir. Il n'est qu'à une trentaine de mètres de moi, mais je mets bien quinze minutes à y accéder, stoppée par les quelques invités qui me reconnaissent et demandent des nouvelles de ma mère ou échangent sur la pluie et le beau temps. Je ne leur laisse aucune occasion de creuser davantage –et d'aborder le thème, tabou par excellence, d'éventuelles fiançailles.
Face aux amuse-gueules, j'inspire profondément, lisse ma robe au niveau de mon ventre, et attaque les festivités, à coup retenu d'une assiette en porcelaine et de petites pinces en argent prévues pour le service. Je me sers raisonnablement de cinq compositions différentes. Ce n'est qu'un premier round, je vois plus loin des blinis au saumon, mon péché mignon !
Je pivote, accepte gracieusement le verre qu'un serveur me propose. La présentation m'a assoiffée, mais j'ai déjà avalé une flûte en début de soirée... il va me falloir réfléchir à m'hydrater avec de l'eau, la prochaine fois.
J'avale un mini hamburger au foie gras puis une bonne gorgée de bulles juste quand une main s'abat sur mon épaule.
— Mademoiselle Cottin !
Je me bloque la bouche d'une serviette et me tamponne le coin des lèvres en m'excusant.
— Je ne voulais pas vous surprendre, veuillez me pardonner ! s'alarme-t-il.
— Ce n'est rien, le rassuré-je en toussotant encore.
C'est que nous n'aurons pas fait route séparée très longtemps...
Mais il revient accompagné. La femme à ses côtés, d'une petite soixantaine je dirais, drapée d'un vert sublime mettant en avant ses courbes et un teint à peine touchés par les années, me salue d'un signe de tête cordial. Aussitôt, monsieur Gautier se place à ma droite, une paume sur mon omoplate et l'autre ouverte vers le ciel :
— Très chère Victoire ! Vous ne connaissez pas Colombe de Montarby ?
Presque aussitôt, dans le dos de ladite Colombe, surgit un homme qui vient compléter le couple iconique au centre des ragots du moment. Il dépose un chaste baiser sur les cheveux blonds pâlis de sa femme et se positionne près d'elle sans la quitter des yeux avant bien dix secondes. Puis, je lui découvre sur son visage les mêmes traits empreints de bienveillance que sa moitié.
J'ai dû les apercevoir de loin à l'une ou l'autre reprise : comme moi, il me semble qu'ils ne s'y rendent qu'avec parcimonie et toujours grande discrétion. À vrai dire, peu s'attardaient sur eux, car, contrairement à la plupart des grandes familles représentées aux galas, il n'y avait nul drame sur lequel jaser. Jusqu'à aujourd'hui, où leur retour est plus que commenté. Mais je ne sais qu'à moitié ce qui fait polémique. Un fils hors des codes, je crois.
J'incline ma tête en avant en guise de bonsoir à son égard tout en poursuivant :
— Nous n'avions jusqu'alors jamais été personnellement présentés.
Le couple, charmant, me sourit en retour.
— C'est chose faite ! s'en félicite mon client. Mademoiselle Cottin travaille avec son grand-père, elle a conçu pour moi une bague sublime ! Puis-je ?
— Avec joie, fais-je en lui confiant l'écrin.
Fier comme un paon, il la présente aux Montarby. Une lueur malicieuse s'allume dans les yeux clairs de Colombe. Ce fugace éclat me donne envie de vieillir comme elle... avec des rides élégantes, sans perdre en charme, en prestance et en espièglerie.
— J'ai une grande affection pour vos créations, déclare Colombe.
— Ah ça ! s'exclame son mari. Les quelques fois où il m'arrive de fâcher ma douce, seules vos parures parviennent à tempérer sa colère !
Ils gloussent doucement ensemble. Tout l'amour que leur mariage renvoie m'émouvrait presque aux larmes. Qu'il est bon de voir un brin d'authenticité ! À l'inverse des autres, eux ne font pas semblant... Et forcément, ça n'en fait pas les plus aimés... Les plus jalousés, en revanche... Derrière les sourires, tout le gratin de Paris n'attendait qu'un esclandre à leur nom, pour enfin ne plus se sentir moins heureux ou moins épanoui qu'eux...
Ah, les Montarby... Comment ne pas connaître, a minima de réputation, ces époux dont la gentillesse sans faille empêchait quiconque de les attaquer ? Ils font partie des plus généreux donateurs après ma propre famille... Les langues de vipère sont ravies d'enfin pouvoir cracher sur leur dos. Il fallait bien qu'ils échouent quelque part pour soulager l'ego et l'orgueil du commun des aisés... la presse a jeté son dévolu sur leur progéniture.
— En tout cas, c'est un plaisir de faire votre connaissance, me confie Colombe.
— Ressenti partagé, dis-je avec sincérité.
— Mais quelle impolie je fais, en oubliant de vous présenter le reste de la famille !
La voilà qui agite ses doigts, à peine au-dessus de sa tête pour attirer l'attention d'un interlocuteur lointain. Je pivote, suis son regard et le mien tombe sur celui que je devine être Gabin De Montarby, ce trentenaire qui attire à lui tous les tumultes, qui incarne tous les débats de notre siècle...
Je l'imaginais plus petit. Il est immense, ce qui ne l'empêche pas d'être élancé et de prime abord sympathique. Le blond, dont la chevelure -et la barbe surtout- tire sur le roux, semble soulagé de pouvoir s'extirper du groupe par lequel il est entouré. Il leur adresse deux mots et les plante sans remords apparents.
Son look semi-décontracté m'interpelle alors : un chignon négligé maintient tant bien que mal ses longs cheveux et son costume, froissé, n'a pas été expressément mis pour la soirée.
Quand il avance vers nous, je lui reconnais malgré cela l'élégance de sa mère... et son nez. En fait... ils ont tous les trois le même, c'est dingue !
Je ne fais guère attention aux magazines people et n'avais par conséquent jamais prêté intérêt au physique des victimes de ces derniers... Maintenant que le fameux Gabin de Montarby est à un maigre mètre de moi, je me dis qu'aucune photographie ne saurait lui faire honneur. Il a un charme certain, qui dépasse de loin ce qui est capturable par un appareil.
Et c'est un homme qui va droit au but ; il sourit à pleines dents à Monsieur Gautier, qui me cache en partie.
— Tristan ! Comment vas-tu ?
Ses salutations sont agrémentées d'un serrage de mains, dont l'assurance n'entache en rien la cordialité évidente de leurs rapports.
— À merveille ! s'écrie mon client. Et toi, jeune branche ? Tu fais parler de toi !
Le principal intéressé lui répond par une grimace, qui n'est rien comparée à celle qu'il affiche en posant les yeux sur moi. Sa mère prend immédiatement le relais :
— Gabin ! Je te présente Victoire Cottin, la petite fille de...
Il l'interrompt, d'un ton, ironique qui plus est, qui me pique au vif :
— Encore l'une de ces « merveilleuses » femmes que tu comptais me faire rencontrer ce soir ?
Je plisse les yeux, l'étudie.
Est-il sérieusement en train de parler de moi comme si je n'étais pas pile en face de lui ?
Je tends mon bras en sa direction, dans l'attente d'une once de considération de sa part.
— Bonsoir, lancé-je d'une voix presque chantante.
Ses pupilles s'ancrent aux miennes. J'y lis une brasille de surprise tandis qu'il donne suite à mon initiative. Ses phalanges emprisonnent les miennes et les serrent comme pour me punir de mon audace. Je n'ai pas pour habitude de prêter des intentions aux gens... mais ce qui est clair, c'est qu'il n'est pas dans sa volonté de se montrer agréable !
— Bonsoir, lance-t-il enfin.
Il a alourdi son timbre, à quoi joue-t-il ?
Après une œillade aux autres présents, je réalise que je ne suis pas la seule à être mal à l'aise. J'enfonce donc le clou :
— J'imagine, oui, que vous ne savez plus où donner de la tête avec les invitées d'exception de madame de Gesnay. Avez-vous pu converser avec Émilie de Héricourt ? Elle revient d'un voyage humanitaire au Mali. Ou Anaëlle du Guiny ? Sa thèse en médecine est remarquable. J'ai également un faible pour la violoniste, Salomé Jacobé de Haut... Elle est éblouissante.
Le père blêmit, mais la mère ainsi que monsieur Gautier esquissent un rictus amusé. Gabin, sans que son visage légèrement creusé ne laisse transparaître quoi que ce soit, s'éclaircit la voix et s'adresse à moi :
— Veuillez me pardonner mon indélicatesse. Il ne s'agissait là aucunement de dénigrement. La foule regorge de femmes intéressantes. Chaque personne l'est, quand on prend le temps de la découvrir. Le contexte de ma remarque portait sur ma propre incapacité à apprécier la compagnie d'autrui, ce soir. Et la tendance, fâcheuse, de ma chère mère à ignorer cela.
Pas une cause perdue, alors. Sans rien gâcher, c'est qu'il sait manier les mots !
Puis... comment le juger ? Moi aussi, j'ai du mal, ce soir, et je n'attends que de rentrer.
Le temps a dû s'arrêter car lorsque je le quitte des yeux, c'est pour assister au départ pleine d'obligeance de mon client et du couple Montarby, qui tentent d'intercepter une autre de leurs connaissances.
Gabin a la mâchoire contractée. Sa colère, gagnant en ampleur au départ de ses parents, se lit dans sa posture. Il se replace pour me faire face convenablement et me sonder.
— Victoire, c'est cela ?
J'acquiesce, captivée par la teinte châtaigne extrêmement douce de ses yeux, en contraste avec la noirceur qu'il véhicule. L'enchantement est vite rompu par sa conclusion cinglante :
— Vous êtes une inconnue pour moi et malgré l'estime que semble vous porter mon ami Tristan, je vous prie de ne pas oublier que vous ne faites pas partie de notre cercle proche. À ce titre, oubliez votre envie de détails croustillants me concernant et ne m'approchez pas, à moins que vous souhaitiez que ces chers journalistes vous prennent également en cible.
Ce savant mélange de menaces me fait faire un pas en arrière. Puisque sans me connaître il a déjà de moi l'image d'une fouineuse malintentionnée et qu'il exprime le besoin de distance, je ne vais pas insister, ni me justifier. Nous ne serons sûrement plus amenés à discuter, alors pourquoi mettre de l'effort dans un échange perdu d'avance ?
— Bon courage pour votre élocution, monsieur.
Désormais, je suis convaincue de rentrer. Et ainsi, j'éviterai aussi mon grand-père qui, maintenant que la fête bat son plein, devrait débarquer.
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