Gabin - La décision
Mes doigts caressent les fins bras tatoués de Léon tandis que je savoure cette trêve entre nous. Que je pose congé pour la journée l'a apaisé. Il a mis en pause sa recherche d'emploi et nous avons passé tout le début de journée sur le canapé, dans une tendresse qui m'avait manquée. Pourtant, je suis ailleurs. Je repense à hier, au sketch dans lequel Aymeric m'a embarqué. Je consulte son énième message : toujours pas d'excuses, mais une nouvelle tentative pour me convaincre.
Cette Stéphanie lui a retourné le cerveau, ce n'est pas possible autrement !
— C'est elle, pas vrai ?
Léon me scrute de ses yeux pâles. Entre la Une et le fait que je l'aie dépannée pour sa crevaison, il a Victoire au travers de la gorge. Et je ne lui ai pas parlé de ma présence chez elle la veille. Sentant poindre la crise de jalousie, je m'humecte les lèvres et soupire :
— Non...
— Dis-moi la vérité, Gabin... Tu m'as trompé ?
— Non, bordel, non !
Je retire mon bras de ses épaules, gratte l'un de mes sourcils, me concentre sur les images qui défilent, c'est plus simple que d'affronter la déception sur le visage de celui qui partage ma vie depuis un an.
On allait s'installer ensemble, bordel.
— Et le problème est là, Léon. Tu ne me fais pas confiance. Depuis le début, je dois pactiser avec tes insécurités. Mais quand moi j'en ai, tu fais comme si c'était insurmontable. Dans un couple, on doit se soutenir mutuellement. Là, je commence à comprendre que ça n'a été qu'à sens unique.
— À sens unique ? répète-t-il. Tu me maintiens dans l'ombre comme on cache des hémorroïdes !
— Pour te protéger ! rugis-je.
Je me lève, me retiens de cogner le mur.
— Ou pour protéger ton image ?! attaque Léon. Tu n'assumes pas notre relation !
Dos à lui, je dresse mon index, l'interromps avant qu'il n'aille trop loin.
Même si les limites sont déjà dépassées...
— Je ne suis pas du genre à m'afficher et tu sais à quel point le contexte ne s'y prête pas.
Il saute sur ses pieds, furibond.
— Oh, oui, merci, je le sais. Que trop bien, d'ailleurs !
Je me redresse à mon tour. La rage gonfle mes veines et mon cœur tambourine dans ma poitrine à m'en faire mal. Ma voix devient lourde et grave, autant que les propos qu'il se permet de sous-entendre :
—On a déjà évoqué ces points, t'attends quoi de moi ? Que je renie ma famille, pour toi ? L'amour n'élude pas tout. Ce n'est pas parce que tu as tiré une croix sur ton entourage que tu dois me pousser à faire la même chose ! Chacun son parcours, tu t'entêtes à ne pas comprendre. J'ai l'impression que tu veux que je perde tout, moi aussi. Ce n'est pas sain ! Tout comme ton envie évidente d'être le centre de mon monde. Existe pour toi aussi ! Et respecte mes choix.
— Que je respecte tes choix alors que ça me tue de l'intérieur ?!
— Alors quitte-moi ! hurlé-je.
Je ne suis désormais qu'à quelques centimètres de lui et le toise. Ma fureur se lit dans mon propre reflet. Mon copain ne flanche pas et me défie ouvertement :
— C'est ce que tu veux ? Que ce soit moi qui y mette un terme, pour que tu ne passes pas pour le grand méchant ? Ou c'est juste parce que tu n'es qu'un lâche, qui ne porte pas ses couilles ?
Ma respiration s'accélère. Je bouillonne.
Qui est ce mec hautain qui campe en face de moi ?
Alors que je m'apprête à tout stopper, un flash info me coupe l'herbe sous le pied. J'attrape la télécommande, augmente le volume, pendu aux lèvres rouges de la brune à l'écran.
— « ... les actifs en chute libre du géant des finances MGA. Nous observons un schisme autour de la polémique quant au fils des dirigeants, Gabin de Montarby... »
La nausée me gagne. C'est mon visage, affiché en gros.
C'est indescriptible, ce que l'on ressent quand notre portrait est diffusé à une heure de grande écoute, tel qu'on le ferait pour un assassin recherché. Vertigineuses, terrifiantes, alarmantes... sont les proportions prises et ce cercle vicieux s'autoalimente.
Avec la voix off de la présentatrice, des captures d'écran de réseaux sociaux défilent.
— « D'une part, l'importante communauté religieuse qui s'insurge d'une telle vie de débauche et s'inquiète du message laissé à la jeune génération et d'autre part, la communauté LGBTQI+ qui dénonce le caractère homophobe des propos avancés par... ».
L'image disparaît.
— Tu te fais du mal..., décrète Léon, qui vient d'éteindre le poste.
— Rallume, Léon !
Agile comme un chat, il se téléporte derrière le canapé, prenant en otage la manette. Il n'a pas ma hauteur, mais il m'a plusieurs fois battu à la course...
— Pourquoi ? interroge-t-il. Que vont-ils dire de nouveau selon toi, hein ?
Je tente de le rejoindre. Commence une partie de « loup » ; lui me fuit et nous tournons dans un sens puis l'autre tels des enfants. Sauf que les enjeux sont plus grands...
— Je veux savoir ! Il s'agit de moi, j'ai bien le droit d'écouter.
— Ils racontent n'importe quoi...
— Et alors ?
— Gabin, ça ne doit pas t'atteindre.
Mon portable sonne, mais je refuse de me laisser distraire.
— C'est facile à dire pour toi ! asséné-je. Ton nom n'est pas en gros titre, personne ne t'envoie des menaces de mort sur tes réseaux sociaux privés. Ces fous d'extrémistes écrivent des lettres haineuses à mes parents, les accablent d'être de mauvais tuteurs, d'avoir le diable pour fils. Ils se sont fait bannir de leur église ! Un prêtre a même proposé un exorcisme ! Donc si, ça m'atteint ! Et je ne pourrai pas défendre ma famille si je ne sais pas sur quoi je suis encore attaqué.
— Et qu'espères-tu faire ? À toi tout seul tu ne révolutionneras pas les mentalités. Twitter® s'enflamme déjà pour ça. Le mieux que tu aies à faire est de te tenir éloigné de ce merdier.
Je cède aux vibrations multiples. Mon frère me spam et ce n'est guère bon signe.
J'espère que c'est au moins pour s'excuser, si déjà.
— Gabin, s'agace Léon. On parle, là.
Mon monde s'écroule quand je lis mes messages. D'une faible voix, les mains tremblantes, sans quitter les textos des yeux, je balbutie :
— Je dois y aller.
Je bondis, arrive à l'entrée en trois enjambées.
— Comment tu veux que je me projette avec un mec pour lequel je ne suis jamais une priorité ?! s'écrie Léon.
Hors de moi, je le foudroie d'une œillade sur le pas de la porte. Il est lui-même rouge écarlate, furibond.
— T'as pas le droit de dire ça, sifflé-je.
— Ah oui, et pourquoi ? J'ai pas le droit de me sentir floué non plus ? Pour elle tu prends le temps qu'il faut, tu voles à son secours ! C'est elle qui t'appelle ? Un évier à déboucher puis tu la baiseras ?
— Mon père est à l'hôpital, Léon. Il a fait un AVC. Le monde ne tourne pas qu'autour de ta petite personne, ni même de nous, et ça, tu ne l'as jamais accepté. Tu n'entends que ce que tu veux écouter et on tournera en rond éternellement. Tu ne me rends pas heureux et cette putain de situation est en train de tuer mon père ! Donc tu sais quoi ? Crois ce que tu veux. Mais oublie-moi. T'entends ?!
Mon prénom résonne dansle couloir dans des éclats encolérés puis plaintifs. Je ne reviendrai ni enarrière ni sur mes propos.
Ma préoccupation première, c'est mon père. Il a dû avoir un choc en regardant l'émission sur la 2, à cause de ce qui y était déblatéré.
Tout est de ma faute.
Le paysage défile à ma gauche, les voitures filent à ma droite. J'ai chaud, à courir à perdre haleine en sweat sous les vingt-neuf degrés, mais je reste focus sur mon objectif : arriver au plus vite à l'hôpital. Mon souffle est court, mon mental en vrac. Le goût acide de la bile chatouille ma glotte et mes yeux me piquent. Si cela n'engageait à rien, je m'adosserais au premier muret sur mon passage pour vider mon corps de mes larmes... et j'y passerais le reste de ma misérable existence.
Comment j'ai pu être si égoïste ?!
Au milieu de mon brouillard mental, une seule évidence m'apparaît concernant mon père. Une solution à son stress actuel, une réponse à ses problèmes.
Si je lui enlève le poids que je représente, il s'en remettra.
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