Plumes et glamour


Mahira

Je termine ma performance sous les applaudissements et les cris enthousiastes – surtout masculins, il faut bien le dire –, puis je me jette en coulisse, comme une furie, pour changer de costume. Après un strip-tease, il n'y a rien à enlever, mais il faut enfiler la tenue du final, d'autant qu'elle est adaptée spécialement pour cacher mes tatouages qui font partie intégrante de la personnalité qui imprègne le show précédent. Dans les couloirs, la même excitation règne, comme toujours, et j'esquive les danseuses qui attendent de monter sur scène. Je halète, rouge comme une pivoine, et j'enfile ma tenue sans perdre de temps. Laura, qui travaille comme costumière principale, m'aide à ajuster tous mes froufrous et les plumes de ma coiffure. J'attrape mon grand éventail, je tape dans la main de ma partenaire de loge, avant de repartir en courant. Toute la troupe est réunie sur scène et me fait une splendide haie d'honneur pour les derniers pas de danse de la soirée. Je souris à l'aveugle, comme toujours. J'ai toujours adoré la sensation que procure l'obscurité qui s'abat sur la salle tandis que les spots vous inondent de lumière et que la musique vous galvanise.

À la transition entre les deux derniers morceaux enchaînés, nous nous mélangeons et je m'esquive avec une partie de la troupe. C'est le pire moment, parce que nous n'avons qu'un timing très serré pour adapter la tenue. On m'enlève mes plumes et un élément de mon corsage pour cet acte qui se danse à seins nus. Puis nous retournons sur la scène pour virevolter dans la lumière. Cédric et Steven, les deux danseurs les plus habiles en technique, se retrouvent sur le devant de la scène pour le porté final où je suis en duo avec une autre danseuse, Suzana, une splendide Ukrainienne dont le physique nordique contraste avec le mien. Sous les projecteurs, les coiffes entièrement ornées de pierreries lancent des feux incroyables. Puis nous touchons les planches de nouveau, les filles se relaient devant les spectateurs, tandis que les hommes font leur révérence et, enfin, je m'avance seule pour remercier la salle. Il y a deux rappels ce soir, la salle est comble.

Je retourne dans les loges dans un état que seuls ceux qui sont déjà montés sur scène peuvent comprendre. Dopée à l'adrénaline, heureuse et hilare. Mais quand j'arrive à la porte, un attroupement s'est formé devant ma coiffeuse. Je m'immobilise et Laura se retourne vers moi, médusée.

— Il est immense, May, c'est le plus gros que tu aies jamais reçu !

Je fais mine de ne pas comprendre et avance en fronçant les sourcils. Mon Dieu ! Mon cœur fait un bond et je vacille sur mes talons. Les filles s'écartent et je découvre un bouquet remarquable, dans des tons d'orange et de violet, des fleurs superbes formant une grande gerbe colorée. Au milieu de l'extraordinaire composition se trouvent des dentelles pliées sur des tiges factices de soie. J'en saisis une que je déplie : c'est un tanga de dentelle mauve parcouru de rubans de chez Chantal Thomass qui soulève une vague rumeur autour de moi. J'écarquille les yeux, c'est plutôt osé, mais aussi très romantique ! Je prends la carte entre mes doigts et un cri m'échappe tandis que je porte mes doigts à ma bouche.

"Tu es mon paradis. Butine, joli colibri..."

Je tremble et le bristol à l'écriture dorée m'échappe. Laura se baisse pour la ramasser et me le tend :

— Tu sais qui c'est ?

Je la dévisage, interdite.

— C'est lui.

— Qui c'est, lui ?

J'esquisse un sourire et j'ignore si ma respiration est rapide parce que je reviens du spectacle, ou parce que je perds pied.

— Lui, c'est l'homme avec qui j'entretiens une relation...

Je marque un temps. Quel genre de relation ? Amoureuse, intime ? Pas encore. Qui est-il ? Mon ami ? Non, beaucoup plus. Mon petit ami ? En fait, je n'en sais rien. Je reprends :

— On s'écrit depuis un mois, je pense que nous allons bientôt nous rencontrer.

Un des danseurs s'approche et regarde un petit bout de dentelle avec une lueur moqueuse dans le regard.

— Et je parierais qu'il a une idée de ce que tu devrais porter !

Je me vexe devant l'éclat de rire général et je vire tout le monde de mon espace vital :

— Hé ! Ça ne vous regarde pas de toute façon, ce ne sont pas vos oignons, allez, tirez-vous ! Ou je vous fais bouffer des échardes à la prochaine représentation. Allez, allez, zou !

Le groupe se disperse et je reste seule face à ma petite merveille. Mon regard ne veut pas quitter la carte et mon index caresse les caractères dorés. Laura pose deux mains fraîches sur mes épaules, en murmurant, soucieuse :

— May, méfie-toi des admirateurs, tu le sais. On en a toujours un bon paquet, mais tu n'en trouveras pas un sur mille qui vaille le coup.

Je me tourne vers elle, perdue.

— Celui-ci est vraiment différent, Laura, il est...

Elle se marre.

— Ouais ! Il t'envoie des culottes, May, des culottes ! Même si c'est de la lingerie de luxe, ça reste des dessous. Quel homme t'envoie des fleurs et des dessous ? Oh, bordel ! L'anecdote restera dans les annales, tu peux me croire !

Avant qu'elle ne tourne les talons, je saisis son poignet, sourire aux lèvres.

— Je lui ai dit qu'il me fallait plus. Ce n'est pas un bouquet, c'est une promesse !

Elle se fige et soupire en secouant la tête :

— Ouais, des promesses, Landru en a fait sept. Sois prudente, Mahira.

Je frissonne. Je repense à l'un de ses derniers messages : Je suis dangereux Mahira.

Puis je chasse une pensée imaginaire de devant mes yeux. Non, pas lui, je le sens, c'est impossible. Il faut que je lui envoie un message. Je saisis mon téléphone, tremblante, et je me crispe pour essayer de taper un texte lisible :

[C'est splendide ! Comment te remercier ?]

Un texto arrive. Quand il s'affiche, je glapis et mon smartphone m'échappe sur le sol où le cache de la batterie s'éjecte. Je me répète mentalement ce que j'ai lu sans trop y croire :

[De vive voix.]

Je rassemble les morceaux de mon téléphone en râlant et le pose sur la coiffeuse. Il veut me parler, il est d'accord, enfin ! Je me démaquille à la hâte, puis défais en partie ma coiffure avant d'enlever mon costume. Je m'habille en informant les filles que je ne les suivrai pas en virée ce soir et m'apprête nerveusement, renversant au passage les multiples flacons et accessoires qui se trouvent devant le miroir. L'une d'elles glousse à mon intention :

— Elle va retrouver son chéri !

Je ricane :

— Ouais, en quelque sorte !

J'embarque mon joli trésor et je file vers la sortie de service. Quand j'ouvre la porte, un taxi est garé devant et le chauffeur m'attend, les bras croisés.

— Mademoiselle Camps ?

— Oui ?

J'avance, un peu surprise. Il se présente :

— On m'a demandé de vous raccompagner chez vous. Le monsieur dit que vous avez un rendez-vous téléphonique important.

Je n'y crois pas, il a fait appeler un taxi pour me raccompagner. Mon cœur se serre et le flot de l'excitation se répand dans ma poitrine. Ma respiration s'accélère, j'ai des papillons dans l'estomac. J'acquiesce.

— Bien, dans ce cas, allons-y.

Je monte à l'arrière de la grande berline de luxe. En regardant vers l'extérieur je souffle, fébrile. Entendre enfin sa voix, c'est une première rencontre, un premier contact. Les questions que je voudrais lui poser se bousculent dans ma tête. Il y en a des millions, à commencer par la plus simple : « Quel est ton véritable nom ? »

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