Lui parler enfin
Mahira
Je rentre en trombe et jette toutes mes affaires sur le canapé à la va-vite. Je prends une grande inspiration en réfléchissant profondément. Il est vraiment romantique et adorable, est-il aussi beau à l'extérieur qu'à l'intérieur ? Je repense à ce type qui avait débarqué au cabaret, il y a quatre mois, et si Marie avait raison, si c'était lui ? Il était indécemment beau, son odeur renversante et sa voix... La sienne sera-t-elle aussi belle ? Je ne pourrai jamais oublier sa voix. Non, impossible, ça ne peut pas être lui. Beaucoup trop sûr de lui : cet homme n'était là que pour le boulot et il n'était absolument pas intéressé par moi. Même si, l'espace d'un instant pendant le show, j'ai senti une sorte de connexion, de lien invisible. Puis je suis partie.
Bref.
Je reviens sur terre et à mon inconnu mystère. Bon sang, ce que je suis excitée ! Bon alors, comment fait-on ? Je lui envoie un SMS pour lui dire que je suis rentrée et j'attends qu'il m'appelle ou je tente de le joindre ? Je me lève et frotte mes mains l'une contre l'autre en pensant à la première chose que je lui dirai à voix haute : « Bonjour, moi c'est Mahira ! » Euh... non. « Eh, salut : Mahira, je suis ravie... » Ou... « Mahira Camps ? » Non, trop raide...
Mon téléphone vibre. Je jure en me jetant dessus :
— Oh ! Oui, c'est lui, putain !
Je décroche maladroitement, le portable m'échappe pour la deuxième fois de la soirée et j'essaie de le rattraper.
— Non ! Merde, merde ! Oups...
Super, May, c'est la grande, grande classe... Je le porte timidement à mon oreille, il rit et j'ai honte.
— Hum, désolée... euh... bonsoir !
Blanc.
— Bonsoir, Mahira.
Mon estomac se creuse et tout chavire à l'intérieur. Il a une voix profonde, rauque et douce. Son ton posé reflète un parfait contrôle de lui-même. En deux mots, on sent tout son charisme : cet homme n'est pas n'importe qui, c'est sûr.
— C'est... gentil d'appeler.
— Ce n'est pas comme si on m'avait posé un ultimatum, plaisante-t-il. J'ai eu le taxi, il m'a dit que tu étais rentrée.
— Eh bien, en effet, oui..., confirmé-je en riant niaisement.
Mince, Mahira ! Un effort, trouve quelque chose de mieux, vite !
— Je... voulais te remercier pour les fleurs, c'était... super.
Et moi je suis « super » affligeante.
— Heureux qu'elles t'aient plu. Les dessous, c'était un peu osé, mais comme tu aimes le burlesque, je me suis dit que, peut-être, ça te ferait plaisir. Tu as trouvé l'enveloppe ?
— La quoi ?
Zut, j'ai dû rater quelque chose. Ce bouquet est si énorme !
— Attends, je vais regarder un peu mieux. Dans les loges, il y avait tant de monde que je...
Je saisis la petite enveloppe de couleur crème nichée entre deux becs-de-perroquet (1) et l'ouvre. Punaise ! Il y a un carton d'accès pour un spa haut de gamme sur les Champs-Élysées. Je lâche un hoquet de surprise :
— Wow ! C'est... Écoute, c'est beaucoup trop, tu ne te rends pas compte ! Entre les fleurs, les dessous, mon Dieu, c'est trop, je ne peux pas !
— Je ne veux pas m'embarrasser de justifications triviales, Mahira. Je peux t'offrir ça. Accepte ces cadeaux sans te poser de questions. D'accord ?
Quelque chose se produit en moi. Un déclic. Cette voix... un peu différente à cause du téléphone, mais on dirait...
— Excuse-moi, tu m'as dit qu'on s'était déjà parlé ? Je ne vois plus très bien à quelle occasion.
Il souffle dans le micro :
— Oui, enfin, on ne peut pas dire que j'ai brillé par mon élégance.
C'est lui, j'en suis sûre maintenant ! Il faut que j'obtienne confirmation.
— Au cabaret, le client qui demandait une représentation privée, c'était toi !
Il hésite un instant avant d'acquiescer :
— Ben ouais. En effet...
— Quel est ton nom ?
— David, David Fioretti. Enchanté...
Je n'arrive pas à réaliser que cet homme est en train de me parler.
— Pourquoi tu ne l'as pas avoué quand je te l'ai demandé la première fois ?
Il éclaircit sa sublime voix qui dès lors, se déploie comme un drap de velours où j'irais bien me vautrer.
— Mahira, tu n'avais pas l'air ravie quand j'ai débarqué ce soir-là, explique-t-il, on avait passé un marché : un show et je disparaissais.
— Non ! me récrié-je.
Je le coupe un peu vivement, mais je suis hyper mal à l'aise, d'autant plus qu'il ricane de façon moqueuse.
— Quoi ? J'ai tenu parole !
Ma peau est si rouge qu'elle me brûle. Heureusement qu'il n'est pas là pour assister à cette affreuse trahison corporelle. Il y a de quoi avoir honte, vraiment : un type débarque pour avoir un aperçu du spectacle et éventuellement embaucher des danseuses pour un établissement du sud de la France. Un patron potentiel, quoi. Et moi, après avoir fait un scandale, je me ravise et lui chatouille le menton avant de lui laisser ma carte enroulée sur une pique à chignon. C'est vraiment super sérieux !
— Non, je veux dire que je n'étais pas si hostile que ça, David. En fait, je ne m'attendais pas à ça, alors j'ai un peu regretté ma réaction.
— Oh ! C'est flatteur, s'amuse-t-il.
Mais moi, je ne rigole pas du tout. J'ai envie de raccrocher et de m'enfuir. Loin. Dans un endroit où personne ne pourrait me retrouver, sans réseau, sans service postal. La pampa quoi, la zone blanche absolue, le désert, la jungle amazonienne.
— D'accord, capitulé-je. J'avais bien foiré les présentations, mais j'avais envie de te transmettre mes coordonnées et je ne savais pas ce que tu penserais, alors...
— Alors, tu es partie en courant ? demande-t-il, avec un sourire que je perçois au bout du fil.
— Ouais. On peut oublier cette anecdote ? Pitié !
— Ah... je sais pas, je sais pas...
Beau moment de solitude, vraiment.
— Tu aurais dû me dire que c'était toi, David.
— En fait, je me disais que si la première impression n'avait pas été la bonne, je pourrais peut-être te donner un aperçu de ma personnalité et qu'avec un peu de chance, tu accepterais de me connaître un peu mieux...
Je me marre doucement.
— En fait, je me suis surtout sentie intimidée.
Et très humidifiée de l'entrecuisse aussi, soit dit en passant. Danser, être l'incarnation d'un fantasme, d'un désir, même fugace, sentir le regard des hommes lécher votre épiderme, procure un sentiment de pouvoir inouï. La domination est nette, franche, parfaite, à tel point qu'on se sentirait capable de toutes les audaces. Alors, quand celui qui vous dévore des yeux vous renverse, vous bouleverse, c'est l'expérience sensuelle la plus folle, la plus incroyable qui puisse vous arriver. Il faut le vivre pour le comprendre. Je garde encore la sensation de son regard pénétrant rivé sur mon corps et le vertige que ses lèvres ont déclenché quand elles se sont juste posées sur mes doigts.
Il s'excuse avec douceur et je suis suspendue à ses mots :
— Il n'y a pas de quoi être intimidée. C'est vrai que je suis assez sûr de moi en général, tu as raison. J'y suis obligé dans la vie de tous les jours, ça fait partie de mes... obligations.
— En étant baron ? soufflé-je.
— Ah ! Non, ça, c'est un surnom. Je suis entrepreneur dans le BTP. Ce n'est pas glamour, hein ? Je sais. J'ai aussi un cabaret. Enfin, pas depuis longtemps, c'est pour ça que je suis venu sur Paris.
Je peine à contenir mes soupirs tant sa voix est belle. Son timbre est profond comme un puits sans fond et je tombe, tombe, tombe, interminablement. Je repense à son avertissement :
— Tu dis que tu es dangereux ? Personnellement, tu ne me fais pas peur.
Il s'étrangle, mal à l'aise :
— Mahira, je le suis. Pour tout un tas de raisons. Je ne suis pas ce qu'on appelle un... gentil garçon. C'est aussi pour ça que j'hésitais à te connaître davantage.
— Est-ce que tu me donneras une chance d'en juger par moi-même ?
Il réfléchit un instant.
— Peut-être, oui. Si tu ne t'enfuis pas en m'abandonnant avec tes piques à chignon !
J'éclate de rire.
— Promis, je serais ravie de te revoir.
— Pas tout de suite, petit colibri. Je vis à l'autre bout du pays.
Ah, la vache ! Ce petit surnom, qu'il me l'écrive est une chose... Qu'il me le dise en est une autre. Je suis complètement sous le charme, surtout lorsqu'il prononce ces mots avec sa belle... très belle voix sexy !
— Tu es toujours là, Mahira ? s'inquiète-t-il face à mon silence.
— Euh... oui. Je me disais que moi, je n'avais pas trouvé de petit nom qui te convienne.
À part « Babar », mais ceci est une autre histoire...
Il ricane doucement et ça me détend.
— Dans la mesure où tu viens tout juste de découvrir comment je m'appelle, je ne peux pas t'en vouloir.
— Est-ce que tu voulais vraiment m'embaucher ?
Il ne répond pas tout de suite :
— Sérieux ? Je n'en suis plus si sûr. Au départ, je pensais même t'offrir des conditions impossibles à refuser. Et puis, on a fini par faire connaissance. Je ne voudrais pas avoir l'air de t'acheter.
Je perçois un léger sarcasme dans sa voix, alors comme je prends peu à peu de l'assurance moi aussi, je rétorque :
— Tu sous-entends qu'avoir fait tout ce chemin uniquement pour me voir n'était pas une hypothèse si délirante ?
Il se marre franchement :
— Sauf que je ne suis pas un vieux monsieur libidineux comme tu le craignais ! Enfin, me semble-t-il. Pour répondre à ta première question, j'ai toujours des projets immobiliers en cours : je construis, j'achète et je revends. Un casino-spectacle ça me tente, il faudra que je recrute sans doute, mais le fait est que je ne sais pas exactement par où commencer. Il faudra déléguer cet aspect.
— Je pourrais te conseiller si tu veux ?
Est-ce que ma bouche a dit ça ?
— Tu me serais d'une aide précieuse ! concède-t-il.
Je suis agréablement surprise qu'il soit aussi enthousiaste à cette idée. Alors, enhardie, je me hasarde à poser une question plus personnelle :
— Tu as une petite amie ?
Il s'étouffe dans un fou rire exubérant :
— Mahira, c'est une blague, j'espère ? Tu veux relire les messages que je t'envoie ?
Je suis morte de honte. Effectivement, ses attitudes sont plutôt séductrices, mais bon, on ne sait jamais après tout, l'un n'empêche pas toujours l'autre. L'espace d'un instant, comme il ne dit plus rien, j'ai peur que ma batterie ait lâché. Puis je perçois son souffle au téléphone et il reprend la parole :
— Mahira...
J'ai envie de hurler à la mort quand il m'appelle comme ça. Dans sa bouche, mon prénom se transforme en effluves de désir. Je me demande subitement, et avec un presque désespoir, ce que j'ai bien pu foutre du canard vibrant que les filles m'ont offert à mon dernier anniversaire... Je vais en avoir besoin !
— Oui, David ?
Ma voix est bien moins ferme que la sienne. J'expire bruyamment, qu'y a-t-il de plus ferme en lui ?
— Ça va ?
— Non ! Euh... si, enfin je veux dire oui. Parle, je t'écoute, bredouillé-je.
— Mahira... Pour entretenir une liaison avec moi, il y a des règles. Des principes à ne pas enfreindre. Ce n'est pas romantique, je sais, mais nécessaire pour ta sécurité et pour la mienne. Et mes conditions ne seront pas négociables.
Oh ! Une relation contractuelle ? En effet, ce n'est pas romantique.
— Je ne m'attendais pas à ce niveau d'exigences, c'est très... formel.
Mon ton a changé. Je me sens soudain plus angoissée, ce genre de mode opératoire est en général mauvais signe. Mon instinct freine des quatre fers et c'est violent parce que la machine est lancée à toute allure. Mon cœur s'écrase brutalement contre ma cage thoracique, comme une Formule 1 lancée à plus de trois cents kilomètres-heure qui percuterait un mur de béton.
— Mahira, je ne veux pas te brimer. Tu ne sais pas à qui tu as affaire, crois-moi, ne m'en veux pas s'il te plaît. Tu voulais plus ? Je suis d'accord.
Je ne sais pas quoi penser de son attitude, il se prend pour un personnage de roman ? Un pseudo-maître dom qui se la joue ?
— Tu aimes... les relations de soumission et domination ? C'est ça ?
Il ne dit rien, son sérieux me pèse et sa voix se fait plus sèche encore :
— Non. Là, tu parles de plaisir. Moi je te parle de danger, de sécurité.
C'est officiel, je flippe. Mais sa voix... il y a quelque chose dans ses mots, sa façon de me donner un petit surnom, de me courtiser, qui m'attire irrésistiblement vers lui. Je devrais me méfier, mais un mois de relation par écrit c'est déjà trop et j'ai envie d'en savoir plus. Attrait du danger, inconscience, curiosité malsaine ? C'est terrifiant, mais tellement excitant ! Je laisse échapper un gémissement étranglé et je porte la main à ma bouche.
— Mahira ?
— C'est rien, je bâille.
Mensonge éhonté. Je ne bâille pas, je mouille. Il poursuit :
— Tu es fatiguée, il est tard et tu reviens du travail. Je vais te laisser te reposer. Tu réfléchiras à ce que je t'ai dit. Profite des soins que je t'ai offerts pour t'accorder toute la détente et le bien-être dont tu as besoin.
Décrochera-t-il si je le rappelle ? Rien n'est moins sûr et je ne veux pas rompre ce contact.
— David ! Ne...
—... Raccroche pas ?
Bon sang, ce que j'ai chaud, ma peau est en feu, mon sang est en fusion, mon cœur bat trop vite ! Le silence se fait autour de nous, même mon téléphone est bouillant, la batterie doit être incandescente.
— David, tu me répondras maintenant, si je rappelle ?
— Bien sûr, petit colibri.
Je savoure ces mots, c'est délicieux, je me noie dans un océan de volupté et je sursaute un instant quand une idée me vient à l'esprit :
— Je n'ai pas de photo de toi, moi.
Il rit doucement au bout du fil :
— Tu en veux combien ?
— Une bonne centaine serait un début satisfaisant.
Il se marre. J'aime quand il est gai. Il cède :
— Marché conclu. Je vais saturer ta boîte. Mais peut-être pas ce soir, pas les cent en tout cas. Bonne nuit, petit colibri.
— Bonne nuit, David, je...
Il souffle au bout du fil et ajoute ce que je n'ai pas osé formuler :
— Moi aussi, je t'embrasse.
Il raccroche. Je suis frappée par le sentiment intense de solitude et de vide qui s'abat sur l'appartement. Mon oreille gauche siffle et mon pouls frappe à mes tempes. Je me lève : il faut absolument que je prenne une douche, je frotte mon front pour recouvrer mes esprits. J'ai faim, il faut que je grignote. Avant de filer sous l'eau, je sors une assiette de hors-d'œuvre du frigo et des galettes de riz, puis je me sers un verre de vin. Mon portable vibre et je me jette sur lui.
— Oh !
Mon cri résonne dans la pièce, il est sorti tout seul. Je découvre l'image : allongé sur ses coudes, le visage est en très gros plan et son regard... hypnotique ! Ses iris sont dorés comme du vieil or. Mon regard dévie avec gourmandise sur ses lèvres sensuelles et délicates relevées dans un sourire charmeur. Sa lèvre inférieure est bien plus pulpeuse et charnue, j'ai aussitôt envie de la lécher et de la mordre. Il est renversant et, lorsqu'une nouvelle vibration arrive, je manque de m'effondrer sur le sol.
Elle te plaît ?
C'est son torse nu. Je palpite de tout mon être et plus particulièrement d'en bas. Cet homme est vraiment en train de me séduire ?
Si je ne t'avais pas déjà rencontré, je penserais que tu as volé la photo d'un mannequin dans GQ.
Réponse immédiate :
Lol. Je ne lis pas GQ.
Dans un geste irrationnel et stupide, je serre mon smartphone contre mon cœur. En souriant.
(1)Fleur exotique.
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