Bang bang
https://youtu.be/QQPJYnr48yU
David, Paris, deux mois plus tard
Nous y voilà... Deux mois après, le grand jour est arrivé. La préparation aura demandé un peu de temps, mais Oscar X a tenu ses promesses. Mon équipe est au complet et mon associé pour l'occasion est fébrile. C'est que doubler un gros narco(1) n'est pas une mince affaire. En fait, nous ne serons que l'instrument de ses projets et lui, la source de nos informations : ce qu'il est de tradition d'appeler un « apporteur d'affaires ». Le type est couillu, ma réputation n'est plus à faire, s'il sort de son rôle et revient vers moi ou se fait trop « voyant », il se fera descendre sans préavis. Le partage est convenu dès le départ : on embarque les objets d'art et Oscar garde le pognon. Après ça, on disparaît. Rares sont ceux qui m'approchent, nul ne me voit à visage découvert, mon staff est réduit à un cercle intime de potes inconditionnels qui ont commencé avec moi.
Y compris ce fils de pute de Caccia, alias Gucci dans le milieu. Mais c'est une autre histoire.
Je bats le rappel de mes troupes :
— Bon alors, tout le monde est prêt ? Rob ?
— C'est bon pour moi, Smith, déclare mon complice.
Dans l'équipe, tout le monde a un surnom : ça s'est fait naturellement, comme ça. Le mien, c'est Smith. Il s'ajoute à celui qu'on me donne dans le milieu : le Baron, en référence au « Baron du crime ». Sauf que moi, je ne vole pas n'importe qui, je ne bouffe pas à tous les râteliers : ma cible privilégiée, ce sont les « barons » justement : de la drogue, de la prostitution, de l'armement. Je pille essentiellement l'argent sale, c'est mon créneau. Et quelques banques de temps à autre, pour ne pas perdre la main.
Clyde ajuste une ceinture bien garnie en munitions sous son T-shirt et je râle :
— Clyde, je t'ai déjà dit que ta méthode n'était pas pratique. T'as rien à portée de main.
— Y a deux écoles, répond-il, flegmatique et philosophe. Tu as celle-ci, et la mienne : celle de ceux qui pensent justement qu'on ne doit pas laisser du consommable à portée de main.
— C'est une fausse excuse, si un type s'approche de trop près, s'il bouge, je le descends. Avant même qu'il ait une opportunité à saisir.
Clyde est un dragueur invétéré : son truc à lui, ce sont les femmes, et sa technique pour les emballer, c'est la danse. Une méthode qui marche du feu de Dieu. Du coup, l'obsession de mon pote dans les opérations, c'est de ne surtout pas se faire esquinter une guibole : il a bricolé du pare-balles pour ses cuisses. Ce qui, en soi, n'est pas totalement une connerie quand on pense au risque létal d'une blessure à la fémorale(2) .
Finissant de remplir un sac avec des explosifs, au cas où, Rob s'impatiente :
— Ça suffit, vous deux, on a d'autres sujets à traiter. Alors, on y va ?
— Je suis prêt, soupiré-je.
Je suis tendu, c'est le premier plan que je monte depuis qu'on m'a tiré dessus. Je n'en fais rien paraître, mais j'ai une peur bleue d'avoir oublié les bases et de faire une connerie. Ce qui n'échappe pas à Lowell, le doyen de mes équipiers.
— Ça ira ! dit-il en passant un bras sur mes épaules.
— J'espère.
— C'était pas une question, Smith, t'as pas de mouron à te faire.
— Depuis que je suis de retour aux affaires, j'ai perdu une partie de mes souvenirs et deux membres élémentaires : Judy et Fabrice. T'en as peut-être pas conscience, mais ça fait une putain de différence.
— Et nous, on compte pour rien ? demande-t-il en me secouant légèrement.
— Non, mais justement. Comment je ferais si l'un de vous se faisait buter par ma faute, parce que j'ai sous-estimé les risques ?
— On est tous expérimentés ici, aucun de nous n'est un débutant et on sait reconnaître un plan foireux.
Je me tourne pour le défier du regard. On n'a pas intérêt à se planter, putain.
— Tous les voyants sont au vert, alors, on se lance ?
— OK, soufflé-je.
Masque noir sur la cagoule obligatoire, costard de rigueur, classe oblige même dans les cas les plus extrêmes, nous voilà partis au volant de nos véhicules : une M3 volée, maquillée, bien préparée et cylindrée qui nous sauvera en toutes circonstances. Elle sera garée cent mètres plus loin et nous précédera pour ouvrir la route. Un complice se chargera de la faire disparaître en toute discrétion dans une casse de banlieue après l'opération. Pour le magot, un utilitaire fait l'affaire, il a été trafiqué lui aussi pour être plus pêchu et légèrement renforcé en cas de tirs. Oscar connaissait des petits voyous de banlieue qui ont honoré la commande dans des délais imbattables, ce qui a laissé assez de temps au cousin de Lowell pour faire les ajustements nécessaires.
Notre cible du jour est un connard qui fait la traite des blanches, et aussi celle des mineures en Thaïlande. Si je n'avais pas un contrat, je me ferais un plaisir de dessouder cette enflure dans la foulée pour dépolluer un peu le monde. Il crèche dans une immense propriété en banlieue parisienne. C'est typiquement le genre d'endroit où on pourrait tourner une parodie de James Bond.
Bien sûr, il y a des mecs armés à son service, mais pas assez : jamais assez. Et en fin de compte, c'est la principale différence avec le braquage ordinaire d'une banque ou d'une bijouterie par exemple. La cavalerie est là dès le départ alors que dans une situation plus « officielle », on ne sait pas si elle arrivera et de combien d'hommes elle sera formée. Un imprévu qu'on ne peut pas prévoir en somme, personne ne peut dire si on a été mordus(3) .
La rue est tranquille, nous garons l'utilitaire près de la grille du portail. Nous la faisons sauter en explosant le loquet de fermeture : elle n'est même pas motorisée, c'est presque suspect tant ça me facilite les choses. Lowell et moi sommes à l'exécutif, tandis que Clyde surveille et Rob se charge de neutraliser ce qui est relatif à la sécurité. Une fois l'électronique HS, ils ne seront pas trop de deux pour gérer d'éventuelles menaces.
Tout se passe comme prévu : la porte d'entrée est facile à forcer, la maison est calme. J'entends des tirs étouffés, quelques chocs, j'espère que tout roule et que ce ne sont que mes collègues qui font place nette. De toute manière, nous sommes équipés d'oreillettes, si quoi que ce soit ne se passe pas comme prévu, nous disposons de codes permettant d'alerter les autres.
https://youtu.be/W3q8Od5qJio
La villa est de plain-pied avec juste quelques demi-niveaux selon les ailes, soit trois corps de bâtiment. J'ai mémorisé chaque détail du plan : j'oblique vers la gauche avec Lowell pour atteindre le bureau où est censé se trouver le coffre. Si les renseignements qui nous ont été transmis sont exacts, il est aménagé dans une salle d'eau attenante, derrière un miroir qu'un système permet de déplacer. On descelle le meuble sous vasque qui nous gêne pour travailler, puis on se débarrasse du miroir. Nous atteignons le but. Il ne me faudra que quelques minutes pour en venir à bout et l'ouvrir. Je suis chronométré : pour être optimale, l'opération ne doit pas prendre plus d'une demi-heure dans sa globalité. Au-delà, les risques de se faire choper seraient trop grands. Quand les déclics révélateurs de la mécanique interne me parviennent aux oreilles, je sais que j'ai gagné : le coffre est ouvert. Lowell ouvre les sacs dans lesquels nous enfournons tout ce que nous pouvons et partons à l'assaut des autres pièces.
Selon notre informateur, l'immense living qui fait aussi office de salle de réception regorge d'œuvres d'art. Mais avant, je tiens à faire un petit tour dans ce secteur de la villa. Je pose un doigt sur mes lèvres à l'intention de celui qui m'accompagne, parce que mon intuition me dit que l'étage n'est pas complètement désert. Nous avançons donc prudemment dans le couloir. Chaque porte que l'on ouvre donne sur des pièces vides, mais il en reste encore deux et de l'une d'elles émane un remue-ménage de mauvais augure.
Dans l'oreillette me parvient un signal m'avertissant que le bâtiment est intégralement neutralisé et que Rob et Clyde commencent à embarquer ce qu'ils peuvent du living. Je ne leur fais pas part de mes inquiétudes, je sais que Lowell et moi pourrons toujours nous en sortir en cas de problème. Mon comparse fait près d'un mètre quatre-vingt-dix ; il est très sportif, rugbyman, et a des mains larges comme des pagaies de kayak. Et si ma taille est plus modeste de quelques centimètres, j'ai un niveau quasi professionnel en boxe thaï.
Dans la dernière pièce où nous entrons, un spectacle macabre s'offre à nous : le maître des lieux n'est pas absent comme cela était prévu. Il dormait paisiblement avec sa femme. Comme son flingue à lui n'est pas équipé de silencieux, Oscar tient encore dans sa main l'oreiller qui doit permettre d'étouffer le tir qu'il destine à l'épouse, une erreur de débutant. Je voudrais m'interposer, mais il est trop tard, le coup de feu part : le couple est mort, on ne peut plus rien faire pour eux.
J'explose de rage :
— Qu'est-ce que tu fous ici ? T'étais pas censé être là !
— Je fais place nette, déclare-t-il. C'est mon job, pas le tien.
— J'étais très clair : chacun son rôle. J'aime pas les surprises, ni les bonnes ni les mauvaises.
Il devine que je ne vais pas être tendre, mais au moment où il s'apprête à me mettre en joue, Lowell dégaine et le touche au bras. Il s'effondre en négociant :
— Qu'est-ce qui te prend ? J'avais pas l'intention de te buter !
— Moi, si, annoncé-je, froidement. Tu voulais nous faire porter le chapeau, avoue-le !
— Pas de violence, pas entre nous, on est associés !
J'éclate de rire :
— Oh, le con, dis ! Il m'a pris pour Spaggiari (4) !
Je vise sa tête et lui mets une balle entre les yeux. Je maugrée, même s'il ne peut plus m'entendre.
— Juste un apporteur d'affaires(5) et ça fait le malin. 'Culé, va.
J'avise Lowell qui hoche la tête en signe d'accord.
— Il n'est certainement pas seul, faut qu'on s'arrache, répond-il à ma question silencieuse.
Nous partons en courant rejoindre les autres. Lowell bifurque vers le salon et moi vers l'extérieur. Rob attend le signal dans l'utilitaire, pendant que Clyde fait des allers-retours avec nos prises. Je jette le sac rempli de billets avec le reste et informe mon complice :
— On a essayé de nous la faire à l'envers, tiens-toi prêt : on fait le tour de ronde avec les autres pour s'assurer de pas laisser un connard sur place qui puisse donner sa version des faits et nous rapporter des emmerdes.
— Ça marche.
Tandis qu'il met le contact, je retourne à l'intérieur. Un type en embuscade tente de me mettre un coup de crosse et je le dégage du coude avant de l'abattre. Alerté par des cliquetis suspects, j'incline la tête et je distingue deux ombres, je dégaine mon second flingue et tire, bras vers l'arrière. Les ombres s'affalent : gagné. Je marche vers la grande salle d'un pas décidé, un type gît au sol, encore vivant, mais condamné : il convulse, et quand un mec fait la truite, c'est que t'es peinard.
J'aide mes complices à récupérer le reste du butin et nous sortons. Pendant que Lowell ferme les portes de l'utilitaire, Rob s'inquiète :
— Vous êtes sûrs que la place est nette ?
— Ouais, répond Clyde. Le dernier a craché le morceau avant qu'on lui fasse sa fête : il avait trois acolytes que Smith a descendus. Faut se tirer d'ici vite fait.
— Putain, j'aime pas quand ça part en vrille, râlé-je. Avec Lowell, on va reprendre la BM et ouvrir la voie au cas où on se ferait emmerder. On peut pas utiliser la planque qu'on avait prévue au départ, faut qu'on se replie sur un plan B.
— Oscar est refroidi, on roule plus que pour nous, autant revenir au squat : personne sait qu'on sera là, propose Lowell.
Je m'allume une clope et souffle lentement la fumée, comme pour évacuer une tension, avant de lui donner raison.
— Je pense aussi. Voyons le bon côté des choses : notre part vient de passer à cent pour cent ! Allez, on se casse.
Nous nous dirigeons vers la M3 avec mon comparse et reprenons la route, suivis par les autres, pied au plancher. Une opération ne s'arrête pas à l'acte en lui-même, il faudra encore se débarrasser des véhicules au plus vite, puis quitter les parages et reprendre nos habitudes dans les plus brefs délais pour ne pas éveiller de soupçons...
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(1) Narcotrafiquant.
(2) Artère fémorale.
(3) Repérés et balancés.
(4) Albert Spaggiari, né le 14 décembre 1932 à Laragne-Montéglin dans les Hautes-Alpes et mort le 8 juin 1989 à Belluno en Italie, est un malfaiteur français d'origine italienne. Il est connu pour avoir été le cerveau du « casse du siècle » survenu à la Société Générale de Nice, en juillet 1976. Il est aussi très connu pour sa devise « Sans arme, ni haine ni violence ».
(5) Terme qui, dans le milieu, désigne celui qui fournit à une « équipe » le plan d'un braquage ou d'un cambriolage.
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