Chapitre 7 (corrigé)
Cela fait déjà quelques kilomètres qu'on a laissé New York derrière nous. On roule toujours en direction de l'ouest. Ma cheville me lance, mais je n'ose pas lui demander de faire une pause. Il a été plus que clair sur ce qu'il me ferait si je l'ouvre un peu trop. Mes mains s'agrippent avec force à sa veste pour éviter d'appuyer sur mon pied douloureux. Mon corps épouse le sien et mon visage est enfoui dans son cou. J'abuse un peu de ma position, mais son odeur est tellement délicieuse que je resterais bien ainsi à le sniffer jusqu'à la nuit tombée. Le chasseur, quant à lui, s'est raidi dès que je me suis collée contre son dos. Mais il ne m'a rien dit. Je crois que malgré son agacement, me sentir aussi près le met mal à l'aise.
Après plusieurs heures de route, on finit par s'arrêter dans une station. Son visage est fermé, ses gestes nerveux. Il n'a toujours pas décoléré.
- Descends, lance-t-il d'un ton sec. A partir de maintenant, tu iras où j'irais, et inversement. Nous serons pires que des siamois.
Ma bouche se tord dans une moue de protestation, mais j'obéis. Mon pied touchant terre transforme cette moue en une grimace de douleur. Le chasseur me lance un regard de travers avant de m'indiquer de passer devant. Je relève le menton par fierté et avance aussi gracieusement que ma situation le permette.
- Pourquoi tu marches comme ça ?
- Mauvaise réception quand l'autre abruti m'a balancée par terre. Ma cheville n'a pas apprécié.
Il me rattrape en deux enjambées, s'accroupit devant moi et saisit mon pied. Quand il appuie un peu trop dessus, un gémissement franchit mes lèvres. Il relève vers moi ses yeux verts, sincèrement inquiets.
- Il semblerait qu'elle soit bien amochée. Tu ne devrais pas marcher dessus, le temps que tout cela se répare.
- J'aimerais bien mais je fais comment ? Je sautille sur un pied jusqu'à la porte ?
Tout à coup, mes pieds décollent du sol et je me retrouve accrochée à son cou. La surprise me transforme aussitôt en carpe. Deux yeux globuleux stupéfiés et une bouche en cœur.
- Je te préviens, pas d'entourloupe ou je te fiche à terre, sans ménagement. On va aller chercher de quoi t'aider à accélérer la guérison et ensuite, on va trouver un hôtel pour se poser.
Il franchit la porte de la boutique en me portant comme le ferait un prince charmant. Là, j'avoue qu'il a réussi à me couper le sifflet. Jamais je ne l'aurais cru capable de faire une chose pareille. Je l'aurais plutôt imaginé me balançant sur son épaule, comme l'avait fait Musclor.
La caissière, nous suivant du regard, a la bouche grande ouverte. Je crois que je dois faire à peu près la même tête. Le chasseur fait ses courses comme si de rien n'était, m'indiquant quoi prendre. J'obéis sans broncher. Il n'a pas l'air d'être perturbé de me trimballer partout dans ses bras. Arrivés en caisse, je dépose tout sur le comptoir avant qu'il ne me pose délicatement par terre.
Tandis qu'il règle les courses, je l'observe plus attentivement. Cet homme a piqué ma curiosité. Jusque-là, il s'était comporté comme tous les hommes que j'avais croisé durant ma courte vie, c'est-à-dire en connard arrogant, persuadé d'avoir tous les droits parce ce que je suis une femme et une lycaon. Mais cette façon de prendre soin de moi, c'est une première. Du coup, je ne sais pas comment réagir.
- On y va. Prends le sac de courses. Je vais te porter jusqu'à la moto.
Je m'exécute, un peu perdue. Il me soulève à nouveau et je me colle contre lui. En fait, c'est assez agréable. Je crois que j'y prendrais facilement goût.
- Pourquoi souris-tu comme ça ?
Je ne m'étais même pas rendue compte que je le faisais.
- J'aime bien quand tu joues les chevaliers servants.
- Ne te méprends pas. Si je te porte, c'est parce que je ne veux pas qu'on me taxe de maltraitance.
Et voilà comment prendre une douche froide en quelques mots.
- Mais je ne t'oblige à rien ! ce n'est pas comme si on ne me traitait pas tout le temps comme une merde.
- Arrête de te plaindre, bougonne-t-il, alors qu'on arrive à la moto. Je tiens à ce que tu sois en bonne santé quand on arrivera au Conseil. Je m'occuperais de toi jusqu'à que tu sois guérie. Après, promis, je te traiterai comme tu le mérites.
- Et comment, je te prie ? Je meurs d'envie de savoir !
- Comme l'emmerdeuse que tu es, enchaîne-t-il en me posant par terre. J'ai très envie de te donner une bonne correction, histoire d'apprendre à cette bouche à tenir sa langue.
- Tu as tort, répliqué-je, audacieuse. Ma bouche et ma langue savent faire des choses que tu apprécierais, crois-moi.
Il se fige aussitôt et ses yeux s'ouvrent en grand. Les mains arrimées à mes hanches, je le défie du regard. Moi, une emmerdeuse ! Il n'a pas idée à quel point. S'il veut, je peux lui montrer comment je peux le rendre chèvre. Le rouge lui monte au visage, mais je ne sais pas si c'est la colère ou la timidité qui le colore de cette manière.
Il se contente d'arracher le sac de mes mains et de le ranger avec humeur dans son sac. Puis, sans prévenir, il prend à nouveau dans ses bras, enfourche sa moto et met le contact. Il repart, sans rien ajouter. Assise ainsi sur ses genoux, je suis encore plus près de lui et je ne peux rater la bosse qui se presse contre ma hanche. J'ai très envie d'éclater de rire mais j'ai trop peur qu'il me balance en route. Il est peut-être sympa avec moi parce que je suis blessée, mais il peut aussi décider d'en finir en me jetant sous les roues d'un camion.
Au bout d'une heure, la moto bifurque vers le parking d'un motel miteux. Voilà donc mon centre de convalescence. J'ai connu pire. Appuyée sur l'épaule du chasseur, je trottine jusqu'à la réception. Un vieux monsieur à la barbe fournie et la corpulence plus que respectable nous accueille d'un regard morne.
- Bonjour, une chambre s'il vous plait. Avec des lits séparés, précise ma béquille vivante.
- Désolé nous n'avons que des chambres avec un lit double.
Le chasseur tire une de ces tronches. Devant son air mi-furax mi-gêné, je suis obligée de me mordre les lèvres pour éviter de rire. Après avoir pesté tout seul, il finit par prendre la clé dans la main du gérant.
- Vous restez combien de temps ?
- Juste une nuit.
- Vous devez payer d'avance, enchaîne le vieil homme en braquant son regard sur nous.
- Toute cette histoire commence à me coûter cher, bougonne-t-il en tendant les billets au barbu.
- Chambre 28, deuxième étage. Je ne vous accompagne pas. Ce n'est pas difficile à trouver.
Le gérant retourne à la lecture de son journal qu'il avait quitté pour s'occuper de nous. Le chasseur n'a pas d'autre option de me prendre de nouveau dans ses bras pour monter à l'étage. Dans la chambre, ce n'est pas le grand luxe mais au moins, elle est clean. Il m'installe sur le lit et s'assoit à côté de moi.
- Retire ta chaussure, que je puisse regarder ça de plus près.
J'enlève ma botte en grimaçant. Mince, c'est vraiment gonflé. Ma cheville a l'allure d'une grosse brioche pas assez cuite. Il fouille dans son sac et sors le tube de pommade. Avec douceur, il pose mon pied sur ses cuisses et applique la mixture. C'est étrange d'avoir quelqu'un qui se soucie assez de vous pour vous soigner. Je sais qu'il le fait uniquement par devoir, mais tout de même. Il est tellement éloigné de l'image que je me fais des chasseurs. Je me rappelle encore ce que ma mère m'avait raconté à propos des chasseurs.
« Ce sont des êtres fourbes, cherchant la moindre occasion de nous rabaisser, nous les lycaons. Ils sont censés maintenir l'ordre, mais dès qu'ils le peuvent, ils viennent pour nous massacrer. »
Elle m'avait dressé un tel portrait d'eux que j'en avais fait des cauchemars les premiers temps. Je me voyais, habillé en petit Chaperon Rouge – je sais, çà parait ridicule, mais que voulez-vous, on ne commande pas ses rêves – et soudain, un homme armé d'un gigantesque couteau me jetait par terre et m'éventrait. Je me réveillais en sueur, plus terrorisée que jamais.
Mais lui, il n'est pas comme ça.
- Pourquoi tiens-tu tellement à m'amener voir le Conseil ?
Il continue à caresser ma peau du bout des doigts. Je sais qu'il m'a entendu, mais il ne semble pas vouloir me répondre.
- Franchement, je ne suis personne, même pas une menace pour les humains. Je fais toujours attention à me tenir loin d'eux les soirs de pleine lune. La seule chose qui me distingue des autres lycaons, ce sont mes yeux bleus. Juste ça. Alors pourquoi moi ?
- Notre rôle ne consiste pas seulement à contrôler les activités des créatures.
- Comment ça ? demandé-je, ma curiosité piquée au vif.
- Il y a des choses qui nous surpassent. Des choses bien plus dangereuses que de simples lycaons, faisant du grabuge les soirs de pleine lune.
- De quoi parles-tu ?
Il relève vers moi ses yeux. Je vois bien qu'il y flotte un voile d'appréhension et de doute, mais je ne sais pas où il veut en venir. C'est moi qui le préoccupe comme ça ? Et qu'est-ce qui peut bien être plus inquiétants que les lycaons ? Je sais que je ne m'y connais pas en créatures, vu que je garde les distances avec tout être susceptible de m'apporter des ennuis. Mais je ne vois pas ce qui peut y avoir de pire. Il se lève alors et va mettre la poche de glace au frigo.
- On va laisser la pommade faire effet. Ensuite, j'appliquerai la poche. Vu que tu guéris vite, demain tu pourras marcher, je pense.
En d'autres termes, le sujet est clos. Le chasseur sort son portable et se met à tapoter un numéro. Il ne veut pas me dire ce qui le préoccupe autant et ça m'intrigue encore plus.
- Ben, c'est moi. Je viens voir le Conseil. J'ai un colis qui pourrait les intéresser.
Un colis ? Sympa !
- Je serais là demain, en fin d'après-midi.
Il raccroche et range son téléphone dans la poche de sa veste. Son regard revient sur moi.
- Quoi ?
- Un colis. J'ai la tête d'un colis ?
- Tu aurais préféré que je dise que je joue au docteur avec une lycaon aux yeux bleus, réplique-t-il sur un ton mauvais, au lieu de la maintenir menottée, alors qu'elle m'a faussé compagnie déjà deux fois.
Ça y est ! Mr Connard est de retour.
- Mais c'est quoi ton problème avec les lycaons ? m'énervé-je.
- Vous êtes des êtres démoniaques dont le passe-temps est de tuer des humains, lâche-t-il avec amertume.
- N'importe quoi ! On respecte les accords. Je n'ai jamais entendu parler de lycaon qui aurait tué un être humain, proteste-je.
- C'est parce que nous faisons bien notre travail, rétorque-t-il.
- Je te trouve bien présomptueux. Je n'ai jamais l'envie de tuer un humain, même dans mes premières années, me vexe-je. Pourtant, Dieu sait que j'en ai eu l'occasion et j'aurais eu de bonnes raisons, crois-moi.
- Tu aurais pu le faire. C'est dans la nature des lycaons. Vous êtes des tueurs nés, gronde-t-il.
Sa phrase me fiche un pique au cœur. Ce mec est un ramassis de préjugés à lui tout seul ! Moi aussi, je pourrais lui retourner le compliment !
- Ma mère me racontait exactement la même chose à propos des chasseurs. Elle me disait que vous êtes des êtres assoiffés de sang ; que la seule chose qui vous motive le matin, c'est la possibilité de trucider l'un d'entre nous ; que vous massacrez les loups garous qui ont le malheur de croiser votre chemin. Alors qui est plus dangereux de nous deux ?
Je le vois ouvrir la bouche, puis la refermer, sans rien dire. Il est à court d'arguments, je crois.
- Peu importe, dit-il enfin. Nous avons été choisis pour protéger l'espèce humaine et contenir vos agissements. Et c'est ce que nous faisons.
- C'est ça ! Sois un bon petit soldat. Ne te pose pas trop de questions, ironise-je.
Je le vois soupirer d'agacement. Et oui, la vérité n'est pas toujours bonne à entendre !
- Et toi, pourquoi as-tu quitté ta meute si les lycaons sont si biens que ça ?
Cette fois, c'est moi qui suis soufflée. Je vois bien qu'il est content de la réplique qu'il a balancée. Je me rembrunis.
- On n'avait pas la même philosophie de la vie. Je veux être libre. Mon père voulait que je sois une bonne fille obéissante et que j'épouse celui qu'il aurait choisi.
Son sourire sarcastique s'efface aussitôt.
- Donc tu as préféré fuir ?
- C'était ça ou être battue jusqu'à ce que j'accepte ou que je meure !
- Charmant !... Les lycaons sont vraiment des êtres abominables ! affirme-t-il, dégoûté.
- Merci du compliment, répond-je au tac au tac. Etre lycaon n'a jamais été un choix. Juste une malédiction dont je me serais bien passé.
Il n'ajoute rien et se réfugie de l'autre côté de la pièce, me tournant le dos. Mais je m'en fiche. J'en ai marre de me justifier. Même si je sais pertinemment qu'il a raison en disant que les lycaons sont des tueurs nés, je suis fatiguée d'être cataloguée comme tel. C'est juste que je n'ai pas l'impression d'en faire réellement partie. Je n'ai ma place nulle part. Je ne me sens plus humaine, mais pas pour autant lycaon. Qu'il me crache sa haine au visage fait mal mais je m'en remettrai.
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