Chapitre 36 (corrigé)
Je regarde Ach droit dans les yeux. C'est comme si je le découvrais pour la première fois. Cette constatation remet en cause ma perception des choses. Est-ce moi ou le démon qui lui fait confiance ? Est-ce moi ou le démon qui le désire si fortement ? La frontière entre nous devient au fil des jours de plus en plus ténue. Un sourire machiavélique se dessine sur le visage du vampire. Je le repousse violemment.
- Maintenant, tu arrêtes ce petit jeu avec moi, Ach ! Mon cerveau est à moi, j'en ai ma claque que tu t'y insinues en permanence.
- Moi, je trouve ça particulièrement intéressant que tu sois folle de mon corps, ironise-t-il.
J'ai envie de lui foutre mon poing en plein visage.
- Essaie toujours pour voir, réplique-t-il sur un ton de défi.
Aussitôt, ma main part mais Ach l'intercepte facilement. Ses doigts enserrent avec force mon poignet. Je tente de me dégager, mais le vampire est plus puissant. En une fraction de seconde, il me retourne et me plaque contre le mur, tout en tenant fermement mon poing contre mon dos. Son corps collé au mien est tendu et je sens que la situation l'excite fortement.
- Sans ton démon, tu ne fais pas le poids, Ivy. Alors ne t'avise plus de me parler sur cette manière. Si ça me chante, je pourrais m'amuser à te briser les os les uns après les autres et te laisser cicatriser avant de recommencer. Je serais vraiment navré d'arriver à cette extrémité.
Ach avait susurré ça à mon oreille avec délectation. Une sueur froide parcourt mon échine. Il ne fait en effet aucun doute que son démon peut intervenir comme bon lui semble.
Soudain, un van vient se garer à quelques mètres de nous. Ach, surpris, me lâche mais reste sur ses gardes.
- Calme-toi, c'est Liam, dis-je en me massant le poignet.
La portière latérale s'ouvre, laissant apparaitre un lycaon bougon.
- Sérieusement, vous n'auriez pas pu aller faire ça ailleurs ! Je déteste m'occuper de ce genre de merde !
Je hoche les épaules. Comme si j'aurais pu dire à l'autre cinglé, « Hé Démon ! Tu veux bien patienter un instant qu'on prenne la voiture et que nous fassions quelques kilomètres, histoire de trouver un coin tranquille pour trucider de l'humain. » Liam croit encore au Père Noël.
Voyant ma tête de déterrée, il me fait signe de monter à l'arrière, tandis qu'il charge dans le van les deux cadavres. Un autre lycaon vient lui donner un coup de main pour effacer toute trace de notre barbarie. Je m'assois à même le sol en tôle. Ach me rejoint et s'installe à mes côtés, comme si de rien n'était. S'il croit que je vais taper la discut avec lui le temps du trajet, il se fourre tellement le doigt dans l'œil qu'il doit sûrement ressortir de l'autre côté ! Je l'entends ricaner. Putain ! Il se balade encore dans ma tête. Ras le bol !
Le voyage se passe dans un silence de mort, parce qu'en effet il y a deux cadavres à bord, mais aussi parce que je n'ai aucunement envie de lui parler. Après une bonne demi-heure de route, le van s'arrête. On doit être dans un entrepôt vide, parce que j'entends le bruit du moteur se répercuter dans un écho incessant. Liam nous ouvre et nous sommes dans un gigantesque bâtiment défraichi, complètement désert, à part un bassin contenant un liquide particulièrement nauséabond.
Les lycaons saisissent les deux corps et les balancent dedans. Les deux pauvres mecs coulent à pic. Je regarde le spectacle, incrédule. Parce qu'ils croient qu'en balançant les corps dans cette vase, ils vont disparaitre ? Soudain, un bouillonnement crève la surface du liquide jaunâtre. De grosses bulles explosent répandant une odeur horrible.
- De l'acide, explique Liam.
- Astucieux, réplique Ach, admiratif. Rien de tel pour faire disparaitre un corps. Simple et efficace.
- Non, mais arrête ! Il n'y a rien à admirer là ! Ils vont être rayés de la surface de la terre définitivement !
- Et alors ?
Ach est déconcertant de je-m'en-foutisme.
- Tu n'as donc aucun remords à les tuer et à balancer leurs corps dans cette soupe immonde ?
Il me regarde droit dans les yeux. La petite lueur violette est de retour.
- Ma petite Ivy, nous sommes des démons. Le sort des humains nous importe peu.
Je le foudroie du regard. Cette journée est vraiment merdique et je commence à douter d'avoir pris la bonne décision en impliquant Ach.
- Il est temps de rentrer et de vous décrasser un peu, lance Liam.
Je me rends compte alors à quel point je suis sale. Il y a des morceaux de chair et du sang partout sur moi. Sur mes vêtements, sous mes ongles et même dans mes cheveux. Ach, quant à lui, est particulièrement impeccable, excepté les tâches de sang sur sa chemise. Les vampires sont quand même plus propres que les lycaons. A moins que ce soit l'expérience. Après tout, c'est un vieux, il a appris à manger proprement.
Ach fronce les sourcils, en me lançant un regard réprobateur. Ce qu'il a lu dans mon esprit n'a pas dû lui faire plaisir. Bien fait pour sa gueule. Il comprendra que tout n'est pas bon à savoir. Je remonte à l'intérieur du van, avec un petit sourire de satisfaction. Je ne suis peut-être pas assez forte physiquement pour lui tenir tête, mais je peux lui envoyer des piques qui font aussi mal que des coups de poing.
Il s'assoit face à moi, les bras croisés sur la poitrine et les sourcils toujours froncés. Oh ! Monsieur le vampire a pris la mouche parce que je l'ai traité de vieille peau ! Qu'est-ce qu'il est soupe au lait !
- Je t'ai dit de mesurer tes paroles.
- Mais je n'ai rien dit, réponds-je, d'un air espiègle.
Je le vois ouvrir la bouche, prêt à protester, mais il la referme aussitôt. J'aimerais me foutre ouvertement de lui, mais ce serait lui donner l'occasion de me sauter à la gorge. Alors je me contente d'afficher un sourire narquois.
Lorsque nous arrivons chez Liam, tout est désert. Plus aucun alpha à la ronde. J'ai beau humé l'air, pas de trace d'eux nulle part. Merde, mon père ! Je fouille la maison. Pas de trace. Le connard ! Il a profité de mon escapade pour se barrer.
- Liam, où est-il passé ? demandé-je, énervée.
- Qui ?
Je lève les yeux au ciel devant le peu de coopération dont il fait preuve.
- Ivy est à la recherche de son père chéri, se moque le vampire.
- Il est parti, quelques minutes après ton départ.
J'ai envie de boxer le mur pour évacuer ma frustration, mais ça ne servirait à rien. Je soupire et salue Liam avant de me diriger vers la salle de bains. Je balance mes vêtements par terre et file sous la douche. L'eau glacée me donne un coup de fouet. Putain ! Fais chier ! Il faut que j'arrive à lui remettre la main dessus. Il faut qu'il s'explique. Pourquoi Samuel est-il parti ? Pourquoi pas moi ? Après tout, il aurait suffi qu'il me force à m'unir à un lycaon pour que le clan reste dans la famille Black. Mon père aurait eu un fils pour lui succéder et non une fille à marier. Je sais qu'il aurait préféré.
Soudain, je sens un courant d'air derrière moi. Avant que je n'aie le temps d'esquisser un mouvement, Ach se retrouve contre mon dos, nu et particulièrement excité. Sa main se plaque sur mon ventre, m'obligeant à coller mes fesses sur son érection.
- Te voir couverte de sang est un véritable aphrodisiaque, dit-il d'une voix suave.
Ses doigts glissent sur ma peau, remontent jusqu'à ma nuque et enserrent ma gorge, m'obligeant à me cambrer plus. Encore une fois, mon corps me trahit. Mon cœur s'emballe, ma respiration se coupe.
- Ach, lâche-moi.
- Cesse donc de jouer les sainte Nitouche, tu en crèves d'envie.
Sa langue vient me titiller le lobe de l'oreille. J'en gémis de plaisir. Bordel, saloperie de démon ! Il s'immisce vraiment dans chaque recoin de ma vie. Mon corps brûle, le désir assaille mes entrailles. Je veux lutter. Ce n'est pas Ach qui me caresse, mais un démon. Et ça, ça a le don de me bloquer complètement. Pourtant, mon corps dit tout le contraire.
Sa main glisse entre mes cuisses et je ne proteste pas. Je suis bien trop occupée à lutter intérieurement contre ce désir impérieux. Mon corps veut Ach contre moi, autour de moi, en moi, mais mon esprit veut le repousser. Dans un soubresaut de conscience, je réussis à me défaire de son emprise et plaque mon dos contre la paroi glacée.
- Je t'ai dit non.
Ma voix résonne dans la pièce. Ach se fige, hésite.
- Mais qu'est-ce qui te prend ?
- Je ne veux pas de ça, dis-je en agitant le doigt en direction de ses iris violettes. J'en ai marre de ces démons qui s'incrustent dans ma vie. J'en ai marre d'être leur jouet.
Il m'observe, méfiant, comme si j'étais l'animal le plus curieux qu'il n'ait jamais vu. Je croise mes bras sur ma poitrine, me protégeant. Sa réaction risque d'être virulente. Sa mâchoire se contracte, ses poings se serrent. Instinctivement, j'essaie de reculer encore, mais le mur derrière moi m'en empêche. Mon rythme cardiaque accélère. Je dois batailler ferme contre moi-même pour ne pas me précipiter sur lui et l'embrasser fiévreusement. Ach ferme les paupières avec force. Quand il les rouvre, ses yeux ont repris leur couleur sombre.
- Ivy, tu... me rends faible.
Le rendre faible ? Ce n'est pas l'impression qu'il donne. Il ferme les yeux à nouveau. Son corps est tendu, son cœur bat très vite. Tout comme moi, il a l'air d'hésiter, de lutter intérieurement. Soudain, il fait demi-tour et sort de la salle de bains, en claquant la porte. Je m'effondre sur le sol, complètement vidée par cette confrontation. Il n'a rien fait. Pourtant, le Ach que je connais m'aurait scotchée à la paroi, tout en glissant une menace à l'oreille, tellement sensuelle que j'aurais fondu comme neige au soleil. Mais il n'a rien fait. Il est juste parti. Ses paroles retentissent encore dans mes oreilles. Le rendre faible ? C'est moi qui suis faible. Dès qu'il me touche, je perds les pédales. C'est lui qui me déstabilise, qui déconnecte mon cerveau à chaque caresse. Je ne sais pas comment j'ai fait cette fois pour le repousser.
L'eau continue à couler, réchauffant mon corps. Je devrais me lever, finir de me doucher et aller le voir. Mais j'ai bien trop peur de sa réaction, et surtout de la mienne. Je sais que je suis capable de céder. Il faut que je lui résiste. Coûte que coûte. Je finis par couper le flot. Ma douche a duré bien plus longtemps que nécessaire. Il me fallait bien ce temps-là pour trouver le courage de l'affronter à nouveau. Je sors de la douche, me sèche et enfile des vêtements propres. Prudemment, j'entreprends de descendre au salon. Je m'arrête au milieu de l'escalier, tendant l'oreille pour capter le moindre bruissement qui pourrait m'indiquer sa présence. J'ai repéré l'odeur de Liam et de deux autres lycaons, mais rien ne m'indique que Ach soit dans les parages. Je finis par me rendre dans le salon.
Liam et deux autres hommes sont attablés, en train de manger. Quand ils m'aperçoivent, ils se lèvent et baissent les yeux en signe de respect. Décidément, je ne m'y ferais jamais à ce statut d'alpha.
- C'est bon, relevez la tête, dis-je, gênée. Où est Ach ?
- Il est sorti en trombe tout à l'heure. Il était d'une humeur massacrante. J'espère juste qu'on n'aura pas un autre cadavre à aller nettoyer, se plaint Liam.
J'acquiesce d'un hochement de tête. Un silence s'installe. Je me dandine, les deux mains dans les poches, ne sachant quoi faire. C'est la première fois que je me retrouve avec des lycaons, sans la présence de Ach ou de Luc. A l'évocation de son prénom, un sourire léger s'installe sur mon visage. Luc me manque. J'aimerais savoir s'il va bien.
- Liam, est-ce que tu aurais des nouvelles de Luc ?
- Non, pas récemment, répond-il en fronçant les sourcils. Je t'ai déjà dit tout ce que je savais.
- Oh.
Les lycaons me lancent des regards suspicieux. Je sais qu'ils n'approuvent pas que je fréquente un vampire, mais que je réclame les nouvelles du chasseur doit mettre leurs nerfs en pelote. Mais je m'en fous royalement. C'est bien l'avantage d'être alpha, je n'ai pas de compte à leur rendre. S'il y en a un qui n'est pas d'accord, il devra me défier. Et vu comment j'ai rétamé leur précédent alpha, je ne pense pas qu'il y ait de volontaire.
- Je peux te trouver son adresse, mais il faudra que tu ailles sur place pour te renseigner, explique Liam.
Le retrouver ? Je ne sais pas si je suis prête pour le revoir. A cette idée, mon cœur bat plus fort. Ce sentiment est tellement différent de ce que je ressens quand je suis avec Ach. Avec le vampire, c'est physique, presque bestial, tandis qu'avec Luc, je me sens comme une ado face à son premier flirt. J'ai le ventre qui se crispe, le feu me monte aux joues. Mon cœur est juste heureux à l'idée de l'apercevoir. Alors, me trouver à nouveau face à lui, ça me rend nerveuse. Après, je ne suis pas obligée d'aller lui parler, je peux simplement vérifier qu'il va bien et lui laisser une lettre pour lui expliquer ce qui se trame.
Ma décision est prise. Je vais me rendre sur place pour m'assurer qu'il se porte bien et lui laisser la lettre. Je hoche la tête en direction de Liam qui file aussitôt. J'abandonne les autres lycaons pour m'isoler un peu. J'ai toujours du mal à tisser des liens avec mes semblables. Je décide d'aller me faire un petit encas. Tous ces évènements m'ont donné faim.
Alors que je m'apprête à quitter la cuisine, Liam débarque un morceau de papier à la main.
- Voilà ce que tu m'as demandé.
J'attrape la feuille et la regarde, sans savoir quoi en faire exactement.
- Tu comptes aller le retrouver, n'est-ce pas ?
Je lève la tête vers Liam. Contrairement à ce que je pensais, il n'a pas l'air fâché. Il a plutôt l'air de compatir.
- Je ne sais pas. Sûrement. Mais je ne suis pas sûre qu'il ait envie de me voir. Et je ne suis pas sûre non plus que je sois prête à le revoir. Enfin, c'est compliqué !
Mes propos sont confus. Aussi confus que mes sentiments.
- Tu as des sentiments pour lui ? me demande soudain Liam.
Je fronce les sourcils. Liam se met à blanchir.
- Enfin, je ne veux pas me mêler de ce qui ne me regarde pas, réplique-t-il précipitamment.
- Non, ce n'est pas ça. C'est juste que...
Je laisse ma phrase en suspens car je ne sais pas comment la finir. Suis-je encore amoureuse de Luc ? Et Ach dans tout ça ? Depuis que nous nous sommes retrouvés, j'ai l'impression que nous avons établi une sorte de connexion, charnelle certes, mais il a le don de m'apaiser. Du coup, mes sentiments ne sont plus aussi évidents. Je me laisse tomber sur une chaise en soupirant. Liam me regarde, peiné.
- Est-ce que je peux te parler en toute honnêteté ?
- Oui, bien sûr.
- C'est un peu le bazar côté sentiments. Je me trompe ?
Le bazar ? C'est un euphémisme.
- On va dire ça.
Liam semble hésiter à poursuivre. Ses yeux sont fuyants, comme s'il n'osait pas dire le fond de ses pensées.
- Allez, crache le morceau. Tu vas peut-être m'aider à y voir plus clair.
- Je ne suis pas un spécialiste pour ce genre de choses. C'est plus un truc de gonzesse. Parler sentiment et tout et tout.
Je lève un sourire. Il ne va pas me la faire macho bourrin handicapé du cœur.
- Bref, c'est juste que j'ai l'impression que le vampire en pince pour toi. Je veux dire, c'est lui qui nous a prévenu de ta disparition et qui a pris des nouvelles régulièrement. S'il n'éprouvait rien, il aurait laissé courir. Tu ne crois pas ?
Je reste bouche bée devant les révélations de Liam. Ach s'inquiétait pour moi ? Lui qui ne voulait plus me voir et qui m'avait bien fait comprendre qu'il pouvait très bien m'envoyer bouler si je le gavais trop.
- Alors si tu n'es pas au clair avec tout ça, fais gaffe. Ce serait con de faire souffrir plusieurs personnes en même temps. Je ne sais pas ce qu'il en est des sentiments du chasseur, mais ceux du vampire me paraissent assez évidents.
Des sentiments... Une énorme boule se forme dans ma gorge. Est-ce possible qu'il se soit attaché à moi ? Mais est-ce lui ou le démon qui s'inquiète de mon sort ? J'ai très envie de croire que c'est Ach, mais j'ai du mal à envisager qu'il puisse m'aimer. J'ai encore en tête ce qu'il m'a dit. Le démon et lui ne font qu'un. Mais peut-être que... Et si en fin de compte, une petite parcelle de Ach était encore libre de penser seule. Et si cette petite part de lui m'aimait.
- Alors, Ivy, que comptes-tu faire ?
La question de Liam me tire de mes réflexions. Ach est parti je ne sais où et j'ai besoin de voir Luc, ne serait-ce que pour savoir s'il va bien.
- Je vais retrouver Luc pour voir ce que font les chasseurs face à l'agitation des vampires. J'en profiterai pour rencontrer mon frère et m'entretenir avec lui à propos des projets de Hella. Toute cette histoire, ce n'est pas clair. Je ne voudrais pas que cette cinglée déclenche une guerre entre les êtres surnaturels, ce qui risquerait de nous exposer aux yeux des humains.
Liam acquiesce d'un hochement de tête, peu convaincu par mon changement de sujet.
- Demain matin, je prendrais la route. Je te confie la meute.
Sansattendre sa réponse, je quitte la cuisine et remonte quatre à quatre lesmarches jusqu'à trouver une chambre. Je m'effondre sur le lit et m'endorspresque immédiatement.
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