Chapitre 35 (corrigé)

Ces mots se répercutent indéfiniment dans mon esprit. Mon frère. Mes oreilles bourdonnent. Mon crâne menace de s'ouvrir en deux. Cette vibration est intolérable. J'ai envie de vomir. Le démon m'ébranle encore, comme s'il voulait me mettre à terre. Mais je lutte. Pas aujourd'hui, pas maintenant que je me rappelle. Les souvenirs me reviennent en pleine face. Une petite tête brune avec de grands yeux bleus. Samuel. Pourquoi est-ce que je ne me souvenais pas de toi ?

Les alphas ont recommencé à parler tous en même temps. Ce brouhaha est insupportable. Il me vrille les tympans, comme des milliers d'abeilles bourdonnant dans ma tête.

- Assez ! hurlé-je. Tout le monde dehors ! Maintenant !

Ils sursautent tous en entendant ma voix. Même moi, je ne la reconnais pas. Une voix grave et hargneuse. Le démon a parlé sans que je le veuille. Ils me fixent tous et leur visage se décompose. Puis, comme un seul homme, ils se précipitent hors de la maison. Seul restent Liam, Ach et mon père. Liam est pâle comme la mort. Je dois faire peur à voir. A coup sûr, mes yeux ont viré au rouge, comme à chaque fois que le démon prend le dessus. Je tente de contrôler ma rage et fixe mon attention sur mon père, qui ne rit plus. Je perçois même une certaine appréhension au fond de son regard. C'est ça, Père, il est temps que ce soit toi qui tremble.

- Où est-il ?

Cette ordure qui m'a servi de géniteur ne bouge plus. Il tente de se redresser pour se donner de la contenance. Que croit-il, qu'il suffit de me dominer physiquement pour me faire peur ? Je me mets à ricaner. Un ricanement rauque, caverneux.

- Epargne-moi ta suffisance. Tu ne fais pas le poids contre moi, Père. Il suffirait que je laisse le démon sortir pour que tu ne sois plus qu'une bouillie immonde tapissant le plancher et les murs.

Je le vois déglutir. Mes paroles commencent à cheminer jusqu'à son esprit tordu. Il prend enfin conscience que ma haine alliée à celle du démon pourrait bien avoir raison de sa misérable vie.

- Il est à Vancouver, finit-il par articuler.

- Où ?

- Chez ton oncle Peter. Il vit là-bas depuis ses trois ans. Maintenant c'est lui l'alpha de la meute, dit-il fièrement.

Je me mets à grogner pour lui signifier qu'il n'a aucune raison d'être fier, et qu'à tout instant, je peux décider de lui arracher sa langue trop pendue. Sa mâchoire se contracte et il baisse les yeux.

- Voilà qui est mieux. Pourquoi l'avoir envoyé à Vancouver ? Pourquoi nous avoir séparé ?

- Samuel a fait très tôt preuve d'un talent inestimable. Il était évident qu'il allait faire un alpha de grande envergure. Nous avons donc décidé de l'envoyer vivre chez ton oncle, qui ne pouvait pas avoir d'enfant et qui devait trouver un moyen de conserver son statut. Il fallait que ça reste dans la famille. Samuel était la meilleure solution.

Comme si donner son enfant pouvait être une solution acceptable. J'ai envie de lui arracher cet air suffisant en lui explosant le nez et en déchiquetant sa face de rat insupportable. Je sers les poings pour me contenir mais c'est de plus en plus difficile. Il faut que j'aille me défouler, évacuer cette tension intolérable. Le démon me pousse au meurtre. Qu'importe qui. Mon père le tenterait bien et je suis de son avis, mais je n'ai pas encore fini avec lui. J'ai d'autres questions à lui poser, mais pas maintenant. Maintenant, je dois sortir, trouver une pauvre victime que je vais éventrer juste pour le plaisir. La force démoniaque ne me laisse plus le choix.

Je me précipite dehors. Ma respiration est saccadée. J'hume l'air pour trouver ma proie. L'atmosphère est imprégnée d'odeurs acres, de phéromones. Je remonte la rue. Le besoin devient de plus en plus pesant. Je sens alors une main se poser sur moi. Je me retourne vivement, prête à en découdre. Ach me lance un regard inquiet.

- Où vas-tu, Ivy ?

- Chasser.

- En plein New York ? dit-il sur un ton ironique.

Je le dévisage. Que croit-il, que je choisis où et quand la bête me domine ?

- Il faut que je tue. Le démon me pousse à le faire. Soit je vais chercher quelqu'un dehors, soit c'est l'un d'entre vous.

Le regard de Ach prend sa teinte violacée. Son démon aussi se réveille.

- Très bien, je t'accompagne. Laisse-moi te guider. Je connais cette ville, je sais où trouver de la vermine à exterminer.

Il passe devant moi et je le suis, trop contente qu'il comprenne l'urgence de la situation. Nous remontons la rue et longeons l'avenue. A chaque humain que je croise, j'ai une furieuse envie de leur sauter à la gorge. Je serre les dents en me disant que bientôt je serais libérée. Oter la vie à un homme me fait toujours autant horreur, mais ses pulsions sont tous simplement incontrôlables. Je n'ai pas d'autres choix : tuer ou devenir cinglée.

Soudain, nous tournons dans une ruelle. Elle est sombre, avec une odeur infecte d'ordures en décomposition et d'urine. Je grimace, une nausée me soulevant le cœur. Nous avançons l'un à côté de l'autre, à l'affut du moindre bruit. J'entends un peu plus loin plusieurs cœurs battre. Mes sens sont en alerte. Mon corps se met à frémir. La chasse est ouverte. Lentement, je me rapproche. Cachée derrière une benne, je fixe un petit groupe d'hommes. Ils sont trois. Un grand mec, une capuche dissimulant son visage, tient un petit maigrichon par le col. Il lui a collé un couteau sous la gorge. Le troisième lui fait les poches. Très bien, quitte à tuer autant choisir sa victime. Je quitte mon abri de fortune et me dirige vers eux. Ach est resté en arrière. Il sait très bien que je n'aurais pas besoin de son aide.

Ma démarche est souple et assurée. J'entends le grand baraqué tenter d'intimider le gringalet. Je souris en entendant son ton menaçant. Il ne se rend même pas compte que la vraie menace se rapproche de lui. Soudain, le pickpocket m'aperçoit. Il fait un signe de tête à son complice, qui lâche sa victime en me voyant. Un sourire pervers s'étire sur son visage que je distingue maintenant.

- Que fait une jolie fille comme toi dans une ruelle sombre ? Ce n'est pas très prudent.

Je lui renvoie son sourire. J'ai envie de rire à gorge déployée devant son air arrogant. Arrivé à sa hauteur, je constate qu'il doit avoir une bonne tête sur moi. Son corps est capable de me dissimuler entièrement. Pourtant, je ne crains rien. Je jubile à l'idée de ce que je vais lui faire subir.

- Ach, je te laisse le voleur. Je garde le petit marrant pour moi.

Le vampire sort de l'ombre.

- C'est généreux de ta part, mais j'aurais préféré le grand. Mais bon, c'est ta chasse. A toi l'honneur.

Les deux malfrats nous regardent, incrédules.

- Non, mais c'est quoi ce délire ? lâche le voleur.

- Tu as invité ton petit ami à la fête ? Très bien, plus on est de fous, plus on rit, rétorque le balaise en montrant sa lame.

- Tu ne crois pas si bien dire, ironisé-je.

En une fraction de seconde, Ach apparaît à côté du pickpocket. Celui-ci a mouvement de recul, surpris par la rapidité du vampire. Mais il n'a pas le temps de réagir. Ach lui tire la tête en arrière et plante ses crocs dans la gorge. L'humain pousse un cri étouffé et se fige sous l'effet de la morsure. Voir Ach mordre un homme me fait un drôle d'effet.

- Putain, mais c'est quoi ce bordel ? s'égosille alors le grand balèze.

Son cri réussit à me reconcentrer sur mon objectif : tuer, assouvir ma soif de sang et de violence. Je lui saisis l'entrejambe et il pousse un petit couinement strident.

- Surprise du con ! répliqué-je, un sourire pervers sur les lèvres.

Sous l'effet de ma poigne, Monsieur Muscles se recroqueville et se retrouve à genoux devant moi. Voir la stupeur se peindre sur son visage est aussi jouissif que la souffrance que je lui inflige. Pauvre petite chose ! Tu ne pensais pas qu'une faible femme puisse te réduire à cet état, n'est-ce pas. Mon sourire s'élargit encore, tandis que je lève l'autre main pour qu'il puisse voir de ses propres yeux mes griffes grandir. Ses yeux s'écarquillent de terreur. Il semble enfin comprendre ce qu'il va lui arriver.

- Pitié, non ! bredouille-t-il.

- Oh que si ! rétorqué-je, en lui assénant une baffe qui l'envoie s'écraser sur le mur d'à côté.

Sous l'impact, ses os émettent un craquement sinistre. Le colosse tente de se relever. Son visage est en sang, la partie gauche n'est plus que lambeaux. Sa respiration rapide attise mon appétit. Dans ma tête défilent toutes les manières que je pourrais utiliser pour prolonger son supplice. Malheureusement, je n'ai pas vraiment le temps de jouer. À tout moment, un humain, ou pire un chasseur, peut débarquer et gâcher la petite fête.

J'avance lentement vers ma proie, histoire de me délecter un peu plus longtemps de la situation. Je le vois haleter. Dans son regard, une lueur de panique m'indique qu'il s'apprête à hurler pour appeler à l'aide. Mais je ne lui permettrai pas. D'un bond, je me retrouve sur lui et le plaque au sol. Sur le coup, il expire bruyamment tout l'air de ses poumons. Ma main le saisit à la gorge et écrase son larynx.

- Maintenant, tu ne pourras plus crier, lui soufflé-je à l'oreille.

Son corps se met à trembler. L'épouvante a envahi son regard. Mon démon jubile. Il se nourrit de cette peur, de la violence de ce que je lui inflige. Assise à califourchon sur lui, je laisse glisser mes griffes sur son torse, réfléchissant à la manière dont je vais l'achever. Lui arracher la gorge, lui défoncer le crâne, tant d'options et si peu de temps !

A côté de moi, Ach déguste bruyamment son repas. Il aura bientôt fini car j'entends à peine le cœur du voleur. Il bat si faiblement qu'on dirait le battement léger des ailes d'un papillon en plein vol. Mes griffes s'enfoncent profondément dans la poitrine du balèze. Il essaie de hurler mais aucun son ne sort. Il se met alors à se tortiller pour tenter de m'échapper, mais je l'en empêche avec une facilité déconcertante. Ma main continue son chemin ensanglanté vers son abdomen, tandis qu'un rire rauque franchit la barrière de mes lèvres.

- Ivy, nous n'avons plus le temps de jouer, dit Ach d'une voix sourde. Achève-le avant que quelqu'un ne rapplique.

J'émets un grognement en guise de réponse. A regret, j'enfonce d'un geste vif ma main dans son thorax, lui saisit le cœur et le broie avec délectation. Son corps tressaute encore un moment avant de s'apaiser définitivement. A travers ses yeux grands ouverts, je vois la vie le quitter. J'en soupire d'extase et de soulagement. Le démon a eu ce qu'il voulait. Je peux enfin reprendre le contrôle.

Encore anesthésiée par le shoot d'adrénaline, je me relève et contemple mon œuvre. Plutôt celle du démon. Maintenant qu'il s'en est allé, je ne peux que constater le massacre. A mes pieds, gisent deux corps inanimés. Le dépouille du pickpocket est étonnamment propre. Pas une goutte de sang. On pourrait presque dire qu'il est mort de cause naturelle, si ce n'est les deux petits trous à la base de son cou. Comparé à lui, ma victime ressemble plus à un des cadavres éviscérés que Ach s'amusait à étudier quand il travaillait encore à la morgue. Je passe mes mains poisseuses dans mes cheveux. Putain ! Dans quel merdier je me suis encore mise ? Dans le parc de Yellowstone, il m'était facile de les faire disparaître, mais là ! Comment vais-je pouvoir me débarrasser des corps ?

Ach vient poser sa main sur mon épaule.

- Appelle Liam. Il saura quoi faire.

Je lui jette un regard incrédule. Mes pensées sont encore confuses, entre le dégoût et la jouissance. Liam ? Evidemment, Liam ! C'était le chef de meute. Il doit savoir comment pallier aux débordements de ses sujets. D'une main tremblante, je fouille dans mes poches à la recherche du portable. J'essaie tant bien que mal de composer le numéro, mais le sang fait glisser mes doigts sur l'écran sans que je parvienne à faire quoi que ce soit. Bordel ! J'ai envie de gerber.

Ach se saisit du téléphone et me lance un regard d'avertissement.

- Surtout tu ne vomis pas. On ne doit laisser aucune trace.

Facile à dire ! Lui, il a l'habitude de ces meurtres. Depuis le temps qu'il est vampire, tout ça n'a plus d'importance. La vie, la mort, humain, lycaon. Tout se résume à se nourrir et à survivre. Pour moi, c'est toujours aussi frais. Je réprime avec difficulté une remontée gastrique, tandis que Ach raccroche.

- Il arrive dans cinq minutes, dit-il froidement.

Je m'appuie contre le mur pour éviter de vaciller. Bordel de merde ! C'est toujours aussi compliqué et pénible à gérer. Ce démon me pourrit la vie et ça devient de pire en pire.

- C'est parce que tu luttes contre lui, Ivy. Je t'ai déjà expliqué comment rendre les choses plus... gérables, rétorque Ach, sur un ton glacial.

- Gérable ? En quoi massacrer un pauvre mec devrait devenir gérable ? Regarde, bon sang ! Regarde ce que je lui ai fait ! m'énervé-je.

Ach vient se coller à moi, posant ses mains de chaque côté de mon visage. Ses iris violettes scrutent les miennes avec intensité.

- Ose dire que tu n'y as pas retiré un certain plaisir ! continue-t-il.

Je fronce les sourcils et soutiens son regard. Evidemment qu'il sait ce que je vais lui répondre.

- Tu fais chier, Ach. Je ne peux pas me réjouir de prendre mon pied en tuant. C'est juste malsain. Est-ce que tu peux comprendre ça ou tu as définitivement cédé au chantage de ton putain de démon ?

- Ce que tu ne comprends pas, Ivy, c'est que lui et moi ne faisons qu'un, dit-il, un sourire aux lèvres. Que ce soit au moment où j'ai vidé cet abruti de tout son sang, ou quand je te prends sauvagement.

Je déglutis, profondément dérangée par l'aveu qu'il vient de me faire. Savoir qu'à aucun moment Ach est seul à bord me rend nerveuse.

Pourtant,tu as l'air de vraiment apprécier sa compagnie.    

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