Chapitre 26 (corrigé)
La porte d'entrée claque. Je peux enfin reprendre mon souffle. Hella a relâché sa prise. Bordel, que c'était désagréable ! Je prends sur moi de ne pas l'insulter. Le plus dur reste à faire. Avoir cette fichue discussion avec Vampirella et Dieu sait que je n'en ai pas envie. Toujours installée dans son fauteuil de velours, elle tapote l'accoudoir du bout de ses ongles manucurés, tout en me toisant du regard. Je croise mes bras sur la poitrine, comme pour me protéger et me contenir, à la fois. Cette femme m'est antipathique comme rarement une personne me l'a été. J'ai l'impression d'être une vulgaire poupée entre ses mains, sans pour autant savoir à quel jeu perfide elle s'amuse. Son sourire s'étire, dévoilant ses dents blanches un peu trop longues à mon goût.
- Vous savez semer le désordre autour de vous, dit-elle, une pointe d'admiration dans la voix.
Mes sourcils se froncent exagérément. Qu'y a-t-il de merveilleux à répandre le chaos ? Attirer les problèmes n'a jamais été quelque chose de jouissif. Au contraire, je fais toujours tout pour m'en tenir éloigné. Mais, pour mon plus grand malheur, ils ne cessent de me courir après, ces derniers temps. Hella émet un petit rire de gorge qui a le don de me hérisser les poils.
- Vous êtes une source d'amusement inépuisable. Cette conversation s'annonce des plus intéressantes.
Elle m'indique un siège, près d'elle, mais je n'ai nullement envie de lui obéir. Ce serait lui faire trop plaisir. Elle ne démord pas de son sourire sarcastique.
- Vous savez que je peux vous obliger si je le veux.
- Alors faites-le donc si ça vous chante.
Je la défis du regard. Nous restons ainsi de longues secondes, à s'observer, comme deux bêtes sauvages. Ses yeux bleus ne trahissent aucune émotion. Elle ne cille même pas. Ce que je déteste ces foutus vampires. On a toujours l'impression d'être confronté à une statue de cire. Impossible de savoir ce qu'ils pensent, ce qu'ils veulent faire. J'ai beau être têtue mais elle réussit à me mettre mal à l'aise. Ce sourire de poupée en porcelaine me fiche la trouille. Je comprends à présent pourquoi Ach et Luc la redoutaient. Je soupire bruyamment, lève les yeux au ciel, mais finis par m'asseoir sur un fauteuil, mais à bonne distance.
- Bonne fille, me lâche-t-elle, sur un ton mielleux.
J'ai envie de répliquer, mais encore une fois je me retiens. Elle saisit son verre de sang et en boit une petite gorgée. Son calme apparent ne me plait pas du tout. Qu'attend-elle exactement ? Je suis assise et toute ouïe. Elle veut quoi de plus ? Hella continue à m'observer, en silence. Un silence qui commence à me rendre nerveuse.
- Très bien, Ivy. Il est temps d'aborder les choses sérieuses.
Hella pose son verre et se redresse. Ses yeux bleus se plantent dans les miens. Je vois bien qu'elle essaie de lire en moi, et ça me dérange. Bien plus que si c'était Ach. Avec lui, je commence à avoir l'habitude. Mais elle... je me sens comme violée. Son sourire machiavélique réapparait.
- Vous avez des idées très intéressantes, s'amuse-t-elle. Mais ce n'est pas encore le moment pour ce genre de réjouissance.
Mes doigts s'enfoncent dans la garniture du fauteuil et je manque de m'étouffer avec ma salive.
- Dites-moi, Ivy, savez-vous ce que sont les vampires et les lycaons exactement ?
Je fronce les sourcils. Non mais c'est quoi cette question ? Elle a le don de passer du coq à l'âne en un battement de cils.
- Je ne vous parle pas de ce que le commun des mortels entend par là, mais ce que nous sommes en réalité.
Je ne pige toujours pas où elle veut en venir. Lycaons et vampires sont des créatures surnaturelles, des espèces aux caractéristiques propres qui nous différencient des humains. Que peut-il y avoir de plus ? Le sourire de Hella s'élargit.
- Vous savez si peu de choses, ma pauvre amie ! soupire-t-elle, en levant les yeux au ciel.
Son ton condescendant me fait grincer des dents. C'est fatiguant cette attitude hautaine à la longue. Je ne sais pas combien de temps je vais pouvoir me contenir.
- Il vaudrait mieux que vous teniez votre langue, ma chère. Je ne suis pas Achille. Votre attitude irrespectueuse me porte plutôt sur les nerfs.
Je me mords les lèvres. Très bien, Ivy, prends sur toi si tu veux obtenir les informations que tu es venue chercher. Je lui affiche un sourire de façade et réplique.
- Ok, instruisez-moi donc !
Hella semble ravie de mon changement d'attitude. Elle s'installe confortablement, comme si elle s'apprête à donner un cours à une élève indisciplinée.
- Lycaons, vampires et humains font partie de la même espèce, contrairement à ce que vous pensez.
Mes sourcils se haussent instantanément. Fière de son effet, elle poursuit sur un ton plus jovial.
- La particularité des lycaons et des vampires est que, contrairement aux humains, nous avons deux âmes.
- Deux âmes ? répété-je, complètement perdue.
- Oui, deux âmes. L'une humaine, l'autre démoniaque.
Je secoue la tête, ahurie. Deux âmes ? C'est quoi encore cette histoire ?
- Je ne comprends plus rien, marmonné-je pour moi-même.
- Laissez-moi vous expliquer les choses plus simplement, afin que vous compreniez bien. Vous savez qu'en ce bas monde, il y a le bien et le mal...
Ben tiens ! Je n'avais pas remarqué ! Ce serait bien qu'elle arrête de me prendre pour une abrutie.
- ... Dieu et Lucifer se disputent la Terre depuis des millénaires. Dans cette bataille, chacun essaie de placer ses pions. Mais il y a des règles, des stratégies qu'on ne peut pas aussi facilement déjouer. Dieu protège la Terre et nous, nous essayons de l'accaparer.
Nous ? Comment ça nous ?
- Pourrais-je finir mes explications, sans que vous ne me coupiez la parole toutes les deux minutes, s'énerve-t-elle.
Je lève les mains en signe de reddition et Hella reprend son monologue.
- Lucifer envoie régulièrement ses troupes sur Terre. Les loups-garous et les vampires de bas étage ne sont que de la chair à canon et personne ne fait réellement attention à eux. Ces derniers eux-mêmes ne savent pas ce qu'ils sont en réalité.
- Comment cela se fait-il que vous, vous sachiez tout cela ?
- Parce que je ne suis pas un simple vampire. Vous avez pu le constater.
Hella se penche un peu vers moi, un sourire mauvais accroché aux lèvres.
- Certains d'entre nous sont habités par des démons d'un autre type, plus puissants. Des démons capables de faire des choses que les autres membres de notre espèce ne peuvent tout bonnement même pas d'imaginer. Saisissez-vous ce que je suis en train de vous dire ?
Mes cheveux se hérissent sur mon crâne. Malheureusement, le sous-entendu ne m'échappe absolument pas. Mais je refuse d'entrer dans son jeu. Elle me mène en bateau, de toute évidence. Elle essaie de m'effrayer, pour je ne sais quelle raison.
- Vous ne m'avez toujours pas expliqué cette histoire d'âmes ? tenté-je pour changer de sujet.
- Oh ! Mais c'est très simple. Pour que les démons puissent agir, il leur faut un réceptacle, un corps fait de chair. Ce que nous procure les humains.
Une vague de dégoût me prend à l'estomac et remonte dans ma gorge. Un réceptacle ! Je ne suis pas un foutu réceptacle à démon ! De quel droit s'est-il installé en moi ?
- C'est ainsi qu'ils procèdent.
Ma main se pose instinctivement sur mon cœur. Bordel de merde ! Ce loup avec lequel je cohabite depuis si longtemps n'est rien d'autres qu'une saloperie de démon. Un démon qui n'a qu'une envie, c'est de prendre totalement possession de mon corps. C'est pour ça qu'il me demande sans arrêt de le libérer.
- Votre démon est particulièrement puissant, Ivy, continue Hella. Il a su résister à Ach qui est pourtant un démon supérieur. Il l'a même expulsé de force.
Je la regarde, médusée.
- Mais ce qui m'étonne le plus, c'est que vous réussissiez à lui résister autant. Vous devriez être fière d'accueillir un démon aussi fort et accepter sa présence. Il vous permettra d'accomplir de fabuleuses choses dont vous ne pourrez en retirer que des avantages.
Fière ? Elle rigole là ! Je me sens plutôt souillée, pervertie.
- De toute évidence, vous ne mesurez pas encore votre rôle dans toute cette histoire.
Je n'en ai rien à foutre de ce qu'elle peut bien en penser. Ou de ce que les démons ont projeté de faire. Pas question que le loup m'oblige à faire des choses avec lesquelles je ne suis pas d'accord et je vais tout faire pour m'en débarrasser. Mais je crois que pour ça, je ne pourrais pas compter sur Hella.
- Et vous avez raison.
Je soupire, agacée de ce petit jeu. Qu'elle le veuille ou non, je ne suis pas quelqu'un qui se laisse dicter sa conduite. Je suis venue ici pour demander de l'aide. Si elle me la refuse, j'irais voir ailleurs.
- Mais qui vous a dit que vous étiez là pour que je vous aide ?
Je me fige et mon cerveau se met à travailler à cent à l'heure. Pourtant, ils m'avaient dit que...
- Parce que vous pensiez que Achille et le chasseur vous avez emmené ici pour ça ? Que vous êtes naïves ! Ils ne sont venus ici que pour confirmer une chose qu'ils savaient déjà.
- Quoi ?
- Depuis le début, votre cher petit Montgomery avait des doutes. D'ailleurs, il vous a conduit au Conseil pour cette raison. Mais il faut croire que vous avez su l'attendrir. Maintenant, il est beaucoup moins sûr de ce qu'il doit faire. Quant à Achille... Hé bien, il n'a fait que son boulot. C'est-à-dire rassembler les troupes de Lucifer. Et je crois bien qu'il a tapé dans le mille avec vous.
C'est comme si tout le monde autour de moi s'effondrait. Ce n'est pas possible. Les deux seules personnes, en qui j'avais ne serait-ce qu'un peu confiance, m'auraient menti depuis le début ? Je ne peux pas croire ça. Cette femme ment comme elle respire. Elle me dit des choses atroces, juste pour me faire sentir mal, pour embrouiller l'esprit et permettre au démon de prendre l'avantage.
- Vous mentez, m'énerve-je. Tout ce que vous m'avez raconté n'est qu'un tissu de mensonges. Vous n'êtes qu'une cinglée perfide...
J'ai à peine prononcé le dernier mot que ses mains se referment sur ma gorge.
- Si seulement je ne vous pensais pas aussi indispensable... J'attends avec impatience l'heure où le démon qui vous habite prendra réellement sa place. Et croyez-moi, elle viendra plus tôt que tard. Alors, je pourrais admirer votre âme se consumer à petit feu.
Ses doigts serrent encore et encore. Je veux la repousser, mais elle m'empêche d'agir. Mon souffle devient court, l'air me manque. Mon cœur s'affole, ce qui accélère ma perte. Bientôt, je n'aurais plus assez d'oxygène. Déjà, des papillons dansent devant mes yeux. Lentement, inexorablement, le noir se fait devant moi. Ma vie s'échappe. Puis, soudain, une libération. L'air s'engouffre avec violence. Mes poumons et ma gorge me brûlent. Mes sens recommencent lentement à fonctionner. Bordel ! J'étais à deux doigts de clapser. Au-dessus de moi, le visage de Hella affiche un air ravi. Elle se réjouit de ma souffrance.
- On pourrait jouer à ce petit jeu longtemps, mais j'ai beaucoup trop envie de voir ce que l'avenir nous réserve. Il ne faudrait pas abîmer ce joli petit corps, finit-elle, en me tapotant la joue.
Le vampire disparait de mon champ de vision. J'entends ses talons claquer sur le parquet. Elle quitte le salon, trainant derrière elle un rire sadique. Quand elle arrive dans le couloir, son emprise se relâche d'un coup, me laissant agonisante sur le fauteuil.
Il me fallut quelques minutes pour reprendre mon souffle. Cette saloperie n'y est pas allée de mains mortes. Sa main a écrasé une partie de ma trachée, rendant ma respiration sifflante. Je me relève avec difficulté, tout en frottant ma gorge endolorie. Ma tête tourne encore. Je m'appuie sur le fauteuil pour garder l'équilibre. Bon sang ! Je commence à en avoir marre d'avoir le corps aussi maltraité. Je veux me barrer d'ici au plus vite. Luc n'est pas là. On va devoir l'attendre. Mais d'abord, il faut que je parle avec Ach. J'ai besoin de savoir que tout ça n'est pas vrai, qu'elle essaie de me manipuler.
Je parcours la maison, en faisant en sorte de ne tomber ni sur Hella ni sur la domestique. Chose assez simple en fin de compte. Il semblerait qu'elles aient déserté. Qu'importe. Bon débarras ! Alors que j'arpente le couloir de l'étage, je tombe nez à nez avec un miroir. Mes yeux s'écarquillent à la vue de mon reflet. En travers de ma gorge, une marque violacée, tirant vers le vert et le jaune, met en évidence le traitement que m'a infligé l'autre cinglée. Bordel ! Ce sera difficile de le camoufler aux yeux de Luc. Et je sais qu'il va démarrer au quart de tour. Encore des ennuis en perspective. Je continue ma recherche, tout en réfléchissant à la manière de lui faire passer la pilule. Je finis par arriver au petit salon dans lequel les événements de la semaine dernière se sont déroulés. Je pose la main sur la poignée et soupire pour tenter de faire baisser la pression. J'angoisse un peu de revenir ici.
J'ouvre lentement la porte. Les lieux sont identiques à ceux de mes souvenirs. Des flashs de ce qui s'est passé traversent mon esprit. Ach penché sur moi, ses crocs plantés dans mon cou, le plaisir que ça m'a procuré, la confrontation avec mon loup et Ach volant à travers la pièce. Des frissons dévalent mon dos à toute vitesse. Mon regard balaye la pièce et tombe sur une silhouette tout à fait reconnaissable.
Il est là, de dos, le regard perdu dans le paysage. Je me rends compte soudain que je ne me suis pas préoccupée de savoir comment il se sent, s'il est toujours en colère. Une boule se forme dans mon estomac. Dois-je l'interroger sur ce qu'il s'est passé ici, ou dois-je d'abord lui parler des affabulations de l'autre folle. Il faudrait aussi régler le problème Luc.
- Vous feriez mieux de partir, lâche-t-il soudain, d'une voix froide. Je ne suis pas d'humeur.
Pas d'humeur ? Moi non plus, mais il faut bien qu'on parle. Et j'ai beaucoup d'informations qui se bousculent dans ma tête. J'ai besoin d'éclaircissements. Et il n'y a que lui qui puisse le faire. Je ne peux pas le demander à Luc. Pas encore. Pour l'instant, je me sens trop confuse le concernant. Ach a toujours été honnête avec moi. Manipulateur peut-être, mais il m'a toujours dit ce qu'il pensait.
- Ach, il faut qu'on discute, dis-je d'un ton que j'aimerais assuré.
- Je n'ai rien à vous dire, s'énerve-t-il. Sortez.
S'il croit qu'il suffit de hausser le ton pour que je me barre... je fais quelques pas dans sa direction, bien décidée à lui tenir tête. En une fraction de seconde, je me retrouve plaquée au mur, les mains maintenues au-dessus de la tête. Ach me regarde droit dans les yeux. Son regard est rempli de haine.
- A quoi jouez-vous, Ivy ?
- Ach... Je...
Je ne comprends pas sa réaction. Je ne reconnais pas le Ach manipulateur, sûr de lui, maître de la situation. Il a perdu cette assurance qui fait de lui ce qu'il est en général.
- Vous ne comprenez décidément rien ! vocifère-t-il.
Non mais il se calme le vampire !
- Comprendre quoi ? Que vous soyez fâché parce que j'ai couché avec Luc ? parce que je ne suis pas une de ces petites godiches qui vous tombent direct dans les bras ?
Le visage de Ach se durcit. Des milliers d'émotions passent à travers ses yeux d'un violet surnaturel. Bien trop vite pour que je les saisisse toutes. Mais, de toute évidence, j'ai poussé le bouchon trop loin, une fois de plus. Il me saisit la mâchoire et la serre. Il va me foutre une raclée, c'est certain. Je prends une grande inspiration, me préparant à ce qui va suivre. Mais ce qu'il fait ensuite, je ne m'y attendais pas. Ach écrase ses lèvres sur les miennes. Durement. Un baiser cru, violent. Je gémis de douleur sous sa poigne. Je devrais le repousser, me détourner. Pourtant mes lèvres s'entrouvrent et sa langue s'engouffre, sans ménagement. Elle malmène la mienne. Son baiser a un goût de vengeance. Il m'attrape la lèvre et la tire, la mord.
Une tornade brûlante s'empare de mon corps et de mon esprit. Ma raison fond, consumée par un désir incontrôlable. Mon corps réclame plus, se colle à lui. Sa main lâche ma mâchoire et glisse sur ma gorge encore douloureuse. Elle la caresse, en parcourt chaque courbe. Ma poitrine se soulève de plus en plus rapidement. Je ne maîtrise plus rien. Quand sa bouche quitte la mienne, j'ai l'impression qu'il emporte avec lui tout mon oxygène. Je suffoque, me liquéfie sous ses caresses. Ses dents raclent ma peau sur leur passage. J'en tremble. Bon sang, qu'est-ce qui me prend ? Je ne devrais pas le laisser faire ça.
Elles s'arrêtent à l'endroit même où quelques jours auparavant, elles étaient venues se planter. Son souffle glacé brûle chaque centimètre de peau qu'il frôle. Bon dieu ! Je sens ses crocs grandir contre moi. Mon excitation monte en flèche. Mais qu'est-ce qui ne va pas chez moi ?
Lentement, ses dents me pénètrent. Je laisse échapper un soupir. La douleur est délicieuse. Un vertige, un tourbillon de volupté balayant toute résistance sur son passage. Plus rien ne compte, plus rien n'existe. J'ai seulement envie qu'il continue. Encore, et encore. Le sang afflue, coule dans sa bouche. Il me boit avidement, sans retenue. Et j'aime ça. Sa main, toujours posée sur la naissance de mes seins, saisit mon tee-shirt. D'un coup sec, elle le déchire, libérant ma poitrine. Ce geste violent me tire un peu de cette démence qui m'envahit. Je dois arrêter ça avant qu'il ne soit trop tard. Je dois penser à Luc. Je ne peux pas lui faire ça. Il a des sentiments pour toi.
- Ach... réussis-je enfin à articuler.
Sa bouche lâche aussitôt mon cou. Ses lèvres rouges et humides me donnent un baiser passionné, clouant sur place ma détermination. Son goût, l'arôme de mon propre sang, tout cela a le goût du vice, de la débauche. Et bordel que c'est bon. Sa main saisit un de mes seins et l'agace avec vigueur. Son corps, collé au mien, se tend de plus en plus. Son excitation ne fait plus aucun doute. Ach n'a pas l'intention de s'arrêter et je n'ai pas envie qu'il s'arrête non plus.
Entendant ma supplique, il m'attrape dans ses bras et une fraction de seconde plus tard, je suis assise à califourchon sur lui. Sa bouche n'a toujours pas quitté la mienne. Je sens à présent à quel point il a envie de moi, et j'en perds la tête. Mes mains plongent dans ses cheveux. Je désire autant que lui ce corps-à-corps bestial. J'ai besoin d'étancher une soif qui m'était alors inconnue. Un besoin sauvage, violent, incontrôlable. Je veux le boire, le goûter, le mordre. Mes doigts descendent vers son dos. De mes ongles, je lui laboure la peau. Il ne dit rien, même pas un grognement. Il quitte juste ma bouche pour mon cou et me mord à nouveau.
Ils s'enfoncent encore plus profondément dans sa peau immaculée. Je le griffe, il me mord. Il me torture, je le lacère. Il m'excite, j'accentue son embrasement. Sa chemise n'est plus que lambeaux ensanglantés. Ma poitrine est parsemée de lignes écarlates. Mais ce n'est pas suffisant, j'en réclame davantage. Sa peau contre la mienne, chaque parcelle, son désir fusionné au mien, c'est cela que je veux. Ach me bascule sur le pouf. D'une main, il arrache les vêtements qui sont encore sur son passage. Je me retrouve complètement nue face à lui, à sa merci. Ses yeux me dévorent littéralement. C'est la chose la plus excitante que je n'ai jamais vu. Lui me dominant, la bouche maculée, les épaules striées par ma faute. Je me sens comme une offrande ainsi allongée devant lui. Une offrande plus que consentante.
Sa bouche reprend ses droits sur mon corps, tandis que sa main se glisse entre nous. Ses doigts s'enfoncent en moi, sans douceur. Je me cambre et bouge pour venir à sa rencontre. Mes gémissements n'ont plus rien de discret. Le temps n'est plus à la retenue. J'entends le cliquetis d'une boucle de ceinture qu'on défait, à peine audible à travers nos soupirs.
De nouveau, je le chevauche. Pendant quelques secondes, nous restons pantelants, l'un contre l'autre. Le regard de Ach me brûle la peau, partant de ma bouche pour se perdre entre mes jambes. Je me mords les lèvres sachant ce qui va suivre. Brusquement, il me soulève et s'enfonce en moi d'un coup. Il laisse échapper un grondement de satisfaction. Ses mains agrippent mes hanches. Mes doigts s'accrochent au dossier du canapé. Ma tête se reverse. Mon corps est hors de contrôle, ondulant, cherchant à satisfaire cette soif inexplicable.
Des grognements de plaisir s'échappent de ma bouche. Je ne me reconnais pas. Je suis en train de coucher avec un homme, alors qu'une heure plus tôt, j'étais au lit avec un autre. J'ai beau lutté, je suis incapable d'arrêter. C'est viscéral, j'en ai envie, j'en ai besoin. Ach me resserre contre lui, accélérant la cadence. Je me noie dans un torrent de sensations, de sentiments contraires. Mon corps tressaille sous l'effet de la jouissance. Mes griffes arrachent presque le bois. Mon cri de délivrance n'a rien d'humain. Je n'ai rien d'humain, à cet instant précis.
Ach finit dans un gémissement rauque, et plante une nouvelle ses dents dans mon cou. Je tremble à peine sous l'impact, encore submergée par ma volupté. Il continue encore à boire, alors que nos deux corps sont apaisés. Il finit tout de même par me lâcher.
Je suis à bout de force. Des larmes se mettent à rouler sur mes joues. Je me sens mal, tellement mal. Je me dégoûte. Qu'ai-je fait ? Ach me soulève pour me déposer délicatement sur le sofa. Quand je croise son regard, j'y vois du désespoir et de la pitié. Je détourne la tête. Il ne peut pas me regarder comme ça. C'est de sa faute. Non, c'est de la mienne aussi. J'ai envie de vomir, de hurler mais rien ne vient. Je me recroqueville sur moi-même. Je l'entends à peine quitter la pièce, à cause de mes sanglots qui secouent mon corps dénudé. Je me déteste. J'envie de griffer cette chair ingrate, désobéissante, qui a trahi mes sentiments. Une nausée me prend. Je vomis dans le premier récipient que je trouve. Cela ne calme en rien ce vide qui se creuse dans ma poitrine. Au contraire, le trou se fait de plus en plus béant, à chaque nouvelle respiration.
Alors que j'ai un nouveau haut-le-cœur, je sens quelqu'un poser une couverture sur mes épaules. Je tourne péniblement la tête et croise le regard doux de Ach. Je le repousse violemment. Il recule de quelques pas sous l'impact, mais ne dit rien. Il se contente de partir en me laissant seule, avec ma souffrance. Je ne veux pas de sa douceur. Je ne veux pas de sa pitié. Je ne veux pas de sa culpabilité. J'en ai assez pour m'y noyer. Je hais cet endroit. Je hais ce qu'il m'a fait, ce que je suis devenue à cause de lui, à cause d'elle. Je veux seulement que tout ça s'arrête. Je veux juste oublier.
Quand je me réveille, il fait nuit. Je suis allongée sur le tapis du petit salon, nue, enroulée dans une couverture. Je me redresse, un peu hagarde. Dans un état second, je cherche mes vêtements. C'est quand je croise mon reflet dans le miroir que je réalise ce qu'il s'est passé. Mon corps est strié de marques de morsures en cours de cicatrisations. Des trainées de sang séché parcourent ma poitrine, jusqu'à mes jambes. Mon visage est dévasté par le trop plein de larmes versées. Mes cheveux sont emmêlés comme jamais. Je me fais peur. Puis, je me souviens et mon envie de vomir reprend. J'ai trahi. J'ai trahi Luc, j'ai trahi mon cœur, mes convictions. Comment ai-je pu en arriver là ?
Mon corps se met à trembler. J'ai froid, j'ai mal. Je ne sais pas ce que je dois faire. Les sanglots reviennent. Je tente de les contenir. Il faut que je trouve une solution. Je m'assois sur ce maudit canapé. Je remarque un petit tas de vêtements consciencieusement pliés. Des vêtements pour moi. Machinalement, je me rhabille. Quand j'ai terminé, je reste debout, hébétée. Et maintenant ? Dehors je vois la lune. Elle décroît. Je n'aurais donc pas à lutter contre mon démon cette fois-ci. Une colère soudaine envahit mon esprit. Cette saloperie de démon ! Je ne veux plus qu'il soit en moi. Coûte que coûte, je dois trouver un moyen de m'en débarrasser. Mais vers qui me tourner ? Hella m'a bien fait comprendre qu'elle ne m'aiderait pas. Je ne peux pas non plus demander de l'aide à Luc ou Ach. Mon sang se glace. Je ne peux pas les revoir tous les deux non plus. Il faut que je parte. Loin. Je ne suis pas capable de les affronter, ni l'un ni l'autre. Ma décision prise, je sors du petit salon et me dirige vers ma chambre. Je renifle les alentours pour détecter la présence de Luc. Il n'est pas encore revenu. Tant mieux. Je récupère mes affaires et m'élance dans l'escalier principal. Je tends l'oreille pour percevoir le moindre bruit. Mais rien, tout est calme. Je cours vers la porte principale. Encore quelques pas et je laisserai tout ça derrière moi. Le bon, comme le mauvais. Alors que je pose la main sur la poignée, une voix m'interrompt.
- Vous nous quittez déjà, Ivy ?
Mes poils se hérissent. Mon cœur accélère. La bile vient brûler au fond de ma gorge. Je ne me retourne pas. Inutile de m'expliquer, Hella doit déjà tout savoir. Il lui a suffi de lire dans mes pensées embrouillées pour comprendre les raisons de mon geste.
- Vous êtes tellement habituée à fuir. C'en est presque décevant, se moque-t-elle. J'aurais cru que de forniquer avec les deux aurait débloqué quelque chose en vous. Peine perdue. J'aurais pourtant essayé.
La fin de sa phrase me fait tiquer. Je pivote sur moi-même et cherche la réponse dans son regard. Elle sourit. Toujours ce même sourire diabolique.
- Evidemment que j'y suis pour quelque chose. Sans mon aide, jamais vous n'auriez couché avec Ach. Vous êtes trop honnête sur ce point.
Une fureur soudaine envahit tout mon être. Comment... Comment a-t-elle pu ? Je lâche mon sac et bondit sur elle. Malgré sa rapidité, je parviens à lui filer un coup de griffe qui entaille son joli bustier. Elle laisse échapper un cri de surprise. Elle passe la main sur la plaie et relève la tête pour me regarder. Et là, je vois de la satisfaction et de la joie.
- Peut-être que ce petit manège n'a pas été totalement inutile en fin de compte, s'en amuse-t-elle.
Son attitude me met encore plus en rage. Je lui saute à la gorge. Cette fois, c'est moi qui suis plus rapide. Je la plaque au sol et la bourre de coups au visage, dans les côtes. Et elle rit. Elle rit à gorge déployée, satisfaite de l'état dans lequel elle m'a mise. Et moi je continue à la frapper encore et encore. J'ai tant de haine qui me brûle les veines qu'elle anesthésie un instant la douleur de mon esprit et de mon corps. Je veux la voir défigurée, que sa sale petite tronche de mort-vivant ne soit que de la bouillie. Je veux juste qu'elle souffre. Je veux qu'elle meure.
Soudain, je sens deux bras puissants me tirer en arrière et me projeter contre le mur. Sonnée, je cherche qui a osé m'interrompre. Je tombe sur le regard courroucé de Ach. Il est penché sur Hella, qui est à peine reconnaissable.
- Mais qu'est-ce qui te prend ? s'écrie-t-il.
- Ce qu'il me prend ? répété-je.
Cette salope a tout foutu en l'air. Elle a tout sali. A cause d'elle, j'ai fait quelque chose que je n'aurais pas dû, quelque chose de pas correct. Mais je ne peux pas lui dire ça. Car, même si elle m'a dit qu'elle m'y a poussé, ce n'est pas toute la vérité. Une partie de moi voulait que ça arrive. J'avais envie de Ach. Je voulais me laisser tenter et dès que l'occasion s'est présentée, j'ai plongé sans hésiter. Ça m'écorche la bouche et le cœur de le dire, mais je le voulais, même sachant ce qui s'était passé avec Luc. Et je déteste l'idée que c'est Hella qui m'a fait exploser cette immonde vérité en pleine figure.
Je ferme un instant les yeux, perturbée par ce tourbillon de sentiments. Quand je les ouvre à nouveau, ils se posent sur lui. Il est toujours là, à la protéger. Il se préoccupe d'elle, pas de moi. Et ça me fait un mal de chien. Je voudrais lui dire mais je ne peux pas. Je voudrais lui avouer que mon cœur est foutument partagé, entre lui et Luc. Je ne peux rien dire. Je me lève, saisis mon sac et part. La porte d'entrée claque derrière moi. Ach n'essaie pas de me retenir. Les larmes recommencent à couler. Je veux tout foutre en l'air, tout oublier, ne plus jamais les revoir. Aucun d'entre eux. Je vais disparaitre et ils n'entendront plus jamais parler de moi.
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