Chapitre 16 (corrigé)
Les trois jours suivants s'enchaînent sur le même rythme : on dort le jour, on va à la morgue la nuit. Ach m'a réquisitionné comme assistante. Je lui emmène son matériel, tape ses rapports et fait un peu de ménage. C'est un vrai despote qui ne tolère aucun retard dans l'exécution de ses ordres. Il est tendu comme un arc. Je ne sais pas si c'est dû à la visite impromptue des chasseurs ou à ce qui s'est passé après. Nous n'avons pas reparlé du baiser. C'était comme si rien ne s'était passé.
Pourtant, son attitude a changé depuis cet événement. Un rien l'agace et quand il ne pète pas un câble, il se mure dans le silence. Fini le gentil vampire compréhensif. Il fait tout pour être désagréable et ça marche. Ma bouche démange en permanence, mais vu ses réactions à fleur de peau, je préfère m'abstenir. De temps à autre, je sens son regard se poser sur moi, mais dès que je tourne la tête vers lui, il détourne les yeux. Cette tension permanente commence à être difficile à vivre.
Mais ce soir, quand je descends au salon, je trouve Ach en train de retrousser ses manches. Avec cette chemise mettant en valeur sa musculature sèche, il a la prestance d'un aristocrate. Il me faut toute la volonté du monde pour ne pas le détailler de la tête aux pieds. Et malgré tous mes efforts pour chasser des pensées qui n'ont rien à faire là, ma gorge est sacrément sèche. Il est vraiment séduisant. Je dirais même déloyalement séduisant.
- Ce soir, nous sortons. Habillez-vous sexy, rétorque-t-il, me coupant dans ma réflexion.
Un sourire narquois étire ses lèvres. Moi m'habiller sexy ? Pour attirer le regard sur moi, non merci. Ach fronce les sourcils.
- Ce n'était pas une suggestion. C'est un ordre.
- Vous avez encore lu dans mes pensées ? demandé-je, vexée.
- Je ne vous emmène pas si vous venez habillée comme ça. Et vous resterez seule ici. Dans cette situation, je ne garantis en rien votre protection.
Je fais la moue, il ne répond pas à ma question. Ce qu'il peut m'agacer ce buveur de sang ! Mais il n'a pas tort et franchement, je préfère l'avoir en protecteur qu'en ennemi. Je lâche un soupir de protestation avant de faire volte-face et de remonter quatre à quatre l'escalier. Arrivée dans ma chambre, j'ouvre le placard et parcours des yeux le nombre incroyable de vêtements que Ach m'a offert. Quand il est arrivé les bras chargés de paquets, j'ai bien tenté de refuser. Je lui dois déjà la vie sauve, je ne voulais pas, en plus, lui être redevable d'une nouvelle garde-robe. Mais il a réussi à me convaincre en rétorquant qu'il serait ravi de me voir déambuler nue toute la journée. Je grommelle un juron pour moi-même et laisse mes doigts glisser sur les étoffes, ne sachant pas trop quoi choisir.
- Puis-je vous suggérer la robe gris perle, tonne Ach depuis le rez-de-chaussée.
Cette fois, j'en suis sûre, il a lu dans les pensées. Je repasse dans ma tête tous les jurons que je connais à son attention, puis entreprend de partir à la recherche de la fameuse robe. C'est une robe dos nu, fluide, m'arrivant juste au-dessus des genoux. Bon, elle n'a pas l'air si sexy que ça. Je l'enfile aussitôt. Je me tourne alors vers le miroir et ma bouche s'ouvre en grand. Je retire ce que je pensais il n'y a pas trois secondes. Le tissu épouse chaque courbe de mon corps, laissant deviner mes seins et mes fesses. On dirait une seconde peau. Le dos nu laisse apparaître mes tatouages. Un collier au bout duquel pend une perle descend jusqu'à la naissance de mon postérieur. Je ne peux décemment pas sortir comme ça. Tous les pervers du coin vont me tourner autour.
- Vous vous décidez à descendre ou je dois venir moi-même vous chercher ? s'impatiente le vampire.
J'enfile à la hâte une paire d'escarpins argentés et commence à descendre l'escalier, passablement énervée. Quand Ach lève la tête vers moi, son visage se décompose peu à peu. Je hausse les sourcils.
- Vous êtes... sublime, finit-il par articuler d'une voix rauque.
Tiens, tiens monsieur le vampire est déstabilisé ! En fin de compte, je crois que j'aime bien cette robe. Fière de l'effet que je produis, je me rapproche de lui, un sourire narquois sur les lèvres.
- Elle vous plait ? demandé-je, d'une voix suave.
Mes mains se posent sur son torse. Les siennes se caressent négligemment mes hanches. Mon corps est presque collé contre le sien. Je passe négligemment les doigts sur les boutons de sa chemise. Un grondement sourd fait vibrer sa cage thoracique.
- Faites attention à ce que vous faites, Ivy. Ne jouez pas avec le feu.
- Je n'ai pas peur de me brûler, répliqué-je, provocatrice.
Il m'attrape alors le poignet et exerce une légère pression. Je lève la tête vers lui. Ses yeux ont repris leur éclat violacé qui m'électrise. Ses lèvres sont entrouvertes. Mon cœur accélère. Mais à force de fixer sa bouche sensuelle, je ne peux rater ses dents qui s'allongent lentement. Ce spectacle me glace instantanément le sang. J'ai un mouvement de recul. Ach ferme des yeux quelques secondes, puis il me repousse, attrape sa veste et claque la porte d'entrée, avant de marmonner.
- Je vous attends dans la voiture.
Encore une fois, il me laisse en plan comme une idiote. Ce mec est une girouette, mais une chose est sûre, je ne lui suis pas indifférente. La seule question est de savoir s'il en veut à mon corps ou à mon sang. A cette pensée, je ne peux réprimer un frisson. Je devrais peut-être suivre son conseil et me méfier de lui. A force de le narguer, il va finir par me sauter à la gorge. Instinctivement, ma main vient cacher mon cou. Je souffle un peu pour évacuer cette pensée flippante avant de sortir à mon tour.
Quelques minutes plus tard, me voilà assise dans la voiture aux côtés de lui. Ach ne m'a plus adressé un seul regard. Il est retourné dans son attitude froide et autoritaire. J'aurai aimé trouver la réponse à ma question dans son regard. Mais il s'acharne à m'ignorer. Avec tout ça, je n'ai pas pris le temps de parachever ma tenue. Pas un brin de maquillage, ou de bijou. Ça ne changera pas de ma ligne de conduite jusqu'à aujourd'hui qui consiste à rester discrète, à passer inaperçue. Mais jusque-là, ça n'a pas été une très grande réussite.
Normal, vu que je suis par essence un être à part entière. Il serait peut-être temps que j'accepte de n'être pas comme les autres. Ni vraiment lycaon, ni vraiment humaine. Il faudrait que je me penche réellement sur ma situation. Peut-être y a-t-il dans le monde d'autres personnes comme moi ?
Un coup de frein m'oblige à sortir de mes pensées. Encore une fois, je n'ai pas vu le trajet en voiture passer. On est garé sur le parking d'un night-club dont les néons illuminent toute la rue. Ach ne bouge pas d'un pouce, fixant la devanture du bâtiment. Il semble réfléchir ou attendre quelque chose.
- Avant de rentrer, je dois vous prévenir. Cet endroit est un repère de vampires. On y vient pour se nourrir de personnes consentantes.
Cette remarque me donne un haut-le-cœur. Il existe réellement des humains qui acceptent de se laisser mordre au risque de mourir ? Ach poursuit son discours.
- Quand vous allez entrer, tous les regards vont être braqués sur vous, explique-t-il, en me détaillant sans vergogne. Si vous voulez qu'on vous laisse tranquilles, vous allez devoir vous plier à mes règles. Je sais que vous êtes plutôt rebelle, mais là il en va de votre vie, explique-t-il sur un ton extrêmement sérieux. Vous êtes une lycaon, enfin ce qui s'en approche le plus. Comme vous le savez, vampires et lycaons ne sont pas en très bons termes. Si un vampire se doute, ne serait-ce qu'un instant, que vous n'êtes pas humaine, il va y avoir du grabuge.
Je hoche la tête, comprenant la portée de ses paroles. Rassuré, Ach poursuit.
- Je vous demande de vous comporter comme si vous étiez ma régulière.
Je lève les sourcils d'incompréhension. Désolé, je ne parle pas le langage vampire !
- Une régulière est une humaine qui accepte de donner son sang à un vampire, continue-t-il.
- En échange de quoi ? demande-je, innocemment.
Un sourire sarcastique se plaque aussitôt sur son visage. Je me contente de faire un joli ô avec ma bouche, mes joues prenant feu immédiatement au vu des pensées érotiques qui traversent à vitesse grand V mon cerveau. Je peste intérieurement, sachant que Ach les a sûrement captées. Il ne laisse pourtant rien transparaître.
- Et je dois faire quoi exactement ?
- Faire comme si j'étais la huitième merveille du monde.
Sérieusement ? Il n'a pas les chevilles qui enflent là !
- Sérieusement, réplique-t-il.
- Vous aviez promis, m'insurgé-je.
- Désolé, quand il s'agit de sexe, vous pensez beaucoup trop fort ! se justifie-t-il, le sourire aux lèvres.
Sur ces mots, il sort de la voiture. Je suis le mouvement. J'ai du mal à le suivre à cause des talons. Celui qui a inventé ces machins devait vraiment détester les femmes ! Ach s'arrête sur le bord du trottoir pour m'attendre.
- Que les choses soient clairs, Ivy, je viens ici pour me nourrir et pour vous montrer la part d'ombre qu'il peut exister en chacun de nous. Prenez sur vous, ne faites pas de vagues. Ça risque d'être assez éprouvant.
Sur ce, Ach me tend la main, que je saisis comme une bouée de sauvetage. Son discours n'a rien de rassurant. Je redoute ce que je vais devoir affronter.
L'intérieur du night-club est semblable à n'importe quel autre night-club. Pas que j'en ai fréquenté beaucoup – vu que je ne roulais pas sur l'or – je trouve juste qu'il n'a rien d'extraordinaire. J'avoue que je m'attendais à pire. Bon, j'ai bien failli m'étouffer en lisant son nom : le Dark Night. Eh bien, on ne voit pas du tout à quoi ça peut faire référence. Franchement, les humains sont vraiment aveugles.
On est rentré sans passer par la file d'attente. Il faut croire que j'ai tiré le gros lot. Ach n'a même pas eu à ouvrir la bouche que déjà le cordon de sécurité était enlevé. J'ai même cru voir les videurs s'incliner légèrement à son passage. Trop bizarre, même pour moi. A l'accueil, il a tendu sa veste à l'hôtesse, sans même un regard. La jeune femme m'a laissé des coups d'oeil inquiets. J'ai froncé les sourcils, surprise. Je n'ai pas eu le temps de l'interroger, Ach me tirant par le bras. Maintenant qu'on est à l'intérieur, je me sens quand même moins stressée. Il en a fait vraiment des tonnes, tout à l'heure. Personne ne fait attention à... Soudain, un silence de plomb tombe.
Toutes les personnes autour de nous s'arrêtent de discuter et nous scrutent de la tête aux pieds. Certaines sont admiratives, d'autres effrayées. Je me sens tout d'un coup gênée par tous ces regards braqués vers moi. Inconsciemment, je me rapproche de Ach et lui agrippe le bras. Il tourne la tête vers moi et murmure à mon oreille :
- J'aime bien quand vous jouez les effarouchées. Je trouve ça particulièrement excitant. Continuez comme ça, les autres n'y verront que du feu.
Mais, c'est que je ne fais pas semblant. Je me sens réellement comme une biche au milieu d'une meute de loups – Bon d'accord, très mauvais choix pour la comparaison. Ach continue à avancer, moi cramponnée à son bras. Il salue certaines personnes, qui inclinent la tête à son passage. Il faut vraiment que je lui demande pourquoi ils font tous ce simulacre de révérence.
- Ach, pourquoi réagissent-ils comme ça ? Ils ont peur de vous ?
- Ils me doivent tous le respect. Je suis leur géniteur. Enfin, pour la plupart d'entre eux.
Je le regarde, mi intriguée mi dégoûtée.
- Je les ai créés en leur donnant une nouvelle vie, alors que la leur était sur le point de finir. Nous sommes à présent liés. C'est un peu comme ma famille.
- C'est... particulier, bredouillé-je.
Ach affiche un sourire sordide. Il a l'air heureux de me voir apeurée. Des souvenirs de ce que j'avais lu quand j'étais encore dans ma meute remontent à la surface. Sur le coup, cela ne m'avait pas choqué outre mesure. Mais le fait de le constater me donne une toute autre impression. Je jette un coup d'œil circulaire. L'endroit est blindé de monde. Si une grande partie des vampires présents est insu de Ach, il n'a vraiment pas chômé dans sa vie.
- Ach, vous êtes un vampire originel ?
Il me lance un regard en coin.
- Vous écoutez aux portes maintenant !
- Techniquement, j'étais enfermée dans un tiroir mortuaire, alors il n'y avait pas vraiment de porte.
Ses sourcils se froncent. Bon, il faut que je passe la pommade.
- Pourriez-vous répondre à la question... s'il vous plait, ajouté-je, en minaudant.
Il tente de retenir un rire.
- Très bien, je vous réponds, mais cessez cette attitude, sinon je serais contraint de me montrer un peu plus brutal avec vous pour donner le change.
Je me raidis aussitôt, refroidie par son insinuation.
- En effet, je suis un vampire assez... ancien.
- Donc quand vous disiez être leur géniteur à tous, vous n'exagériez pas.
- Pourquoi le ferai-je ?
J'hésite à répondre. Bon d'accord, je m'imaginais bien qu'il avait un certain âge mais de là à penser qu'il fasse partie de la lignée des vampires les plus anciens. Maintenant que je fais le lien, je comprends pourquoi il arrive à lire dans mes pensées.
Je me rends compte de l'ampleur de cette révélation. Ach est un vampire ancien, et donc puissant. L'avoir comme allié est pour moi quelque chose d'inespéré. Il semblerait que la roue du destin tourne enfin à mon avantage. Je ressers mon étreinte sur son bras. Il me lance un regard amusé. En guise de réponse, je bats des cils, à la manière de certaines dindes qui croisent notre chemin. Faire comme s'il était la huitième merveille du monde, fastoche ! Il faut dire qu'il n'est pas désagréable à regarder.
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