Chapitre 14 (corrigé)

Le soleil vient réchauffer mon corps. J'ai merveilleusement bien dormi. Et cette fois-ci, pas de réveil brutal en pleine nuit. Lentement, je m'étire et m'enfonce délicieusement dans l'oreiller. Je soupire d'aise. Je sais que je ne devrais pas dormir sur mes deux oreilles, surtout avec un vampire que je connais à peine dans les parages mais ça me fait fichtrement du bien. Pour l'instant, rien ne me prouve que je devrais me méfier, mais on ne sait jamais. Je vais rester sur mes gardes et dès que je sens que ça dérape, je me tire.

Il temps de sortir de ce havre de paix. Je me redresse et ouvre enfin les yeux. Je ne peux m'empêcher de pousser un cri quand je vois que le vampire est assis – encore une fois – au bord du lit, en train de m'observer, les bras croisés sur la poitrine. Je porte la main à mon cœur. Je crois qu'il essaie de me tuer. En tous cas, s'il continue à apparaitre comme ça, sans prévenir, il va finir par réussir.

- Qu'est-ce que vous fichez ici ? m'énervé-je.

Ses yeux sont traversés par une lueur de malice, mais son expression reste stoïque. Stoïque et foutument agaçante.

- Qu'est-ce que vous avez à m'observer comme ça ?

- J'apprécie le spectacle, répond-il, un sourire pervers sur les lèvres.

Je remonte aussitôt les draps sur ma poitrine. Il se fout de moi ! C'est quoi ces manières ? épier une femme en train de dormir, c'est carrément pervers comme attitude. Surtout si elle porte une nuisette qui couvre à peine ce qui doit être couvert. Je fronce les sourcils et pince les lèvres.

- J'ai fait quelques petites recherches sur vous. Vous avez massacré quatre chasseurs, à vous toute seule. Impressionnant.

Son ton est sincère. Il est admiratif des crimes que j'ai commis. Moi, j'en ai juste honte, parce que s'il fallait le refaire, je n'hésiterais pas. C'était eux ou moi.

- Il n'y a pas de quoi être impressionné.

- Ne soyez pas si modeste. Même si ce sont en général des êtres stupides et égocentriques, les chasseurs ont quand même certaines aptitudes grâce auxquelles ils ont su nous arracher des accords de force. Alors en tuer plusieurs, sans l'aide de personne...

Je hausse les épaules. Quand il faut sauver ma peau, je sais me débrouiller.

- Je suis surtout extatique devant votre capacité à vous transformer en dehors des pleines lunes.

Je grimace à l'évocation de ce petit détail que j'aurais voulu garder secret.

- Croyez-moi, j'aurais préféré que ça arrive à quelqu'un d'autre.

Soudain, le vampire se retrouve à quelques centimètres de moi. Ma tête heurte le dossier du lit. J'ai dû reculer pour éviter que nos lèvres se touchent. Il plante ses yeux dans les miens. Son regard est froid. Mon cœur bat à tout rompre.

- Vous n'êtes pas une lycaon comme les autres, Ivy. Il y a quelque chose de différent en vous, dit-il d'une voix grave. Il ne faut pas en avoir honte.

Son regard perçant et insistant me fait frissonner. Ma respiration s'est accélérée. Je ne sais pas si c'est de la peur ou du désir. Peut-être un peu des deux. Ses doigts et ses yeux se mettent à suivre la ligne de ma mâchoire. Puis ils descendent lentement vers ma gorge, pour s'attarder sur ma clavicule. Je déglutis avec peine.

- Je me demande sur votre sang a le même goût que celui des autres lycaons. J'avoue que depuis hier soir, cette question me taraude.

Mon cœur fait une embardée. Il n'est tout de même pas en train de dire qu'il a envie de planter ses crocs dans mon cou.

- Je vous le déconseille, réplique-je, en essayant de paraitre menaçante.

Je repousse sa main d'un geste brusque mais il saisit la mienne au vol. Un sourire énigmatique s'étire sur son visage.

- Toujours aussi impertinente. Mais si un jour je décide de vous goûter, toutes ces belles paroles ne vous protègeront pas.

En une fraction de seconde, il se retrouve devant la porte d'entrée.

- Je vous ai laissé des vêtements neufs dans la salle de bains. Quand vous serez prête, rejoignez-moi dans la cuisine. Je vais vous cuisiner quelque chose.

Aussitôt dit, il disparait. Il me faut quelques secondes pour m'en remettre. Ce vampire est vraiment déstabilisant. Il n'arrête pas de parler en énigmes et ça me fout en boule. Mais surtout il n'arrête pas de passer du mode « gentil et compatissant » au mode « je vais te bouffer dans la seconde ». Un vrai schizophrène ! il faut que j'arrête d'essayer de comprendre. On n'est pas de la même espèce et sûrement pas de la même époque, alors j'aurais beau faire, je n'arriverais jamais à piger ce qui se passe derrière ces yeux étranges.

Après une douche express, j'enfile le jean et le tee-shirt laissés à mon intention par mon hôte. Je suis assez mal à l'aise à l'idée qu'un homme – un vampire – que je connais à peine puisse aussi bien connaitre mes mensurations. Je dévale quatre à quatre les marches de l'immense escalier. Une odeur alléchante m'attire vers la cuisine. Une odeur de café fraichement coulé et de viande grillée. Je m'en lèche les babines rien qu'à l'idée. Quand je franchis le pas de porte, je vois le vampire en train de disposer plusieurs assiettes sur l'îlot central.

- J'espère que vous avez faim car tout est pour vous.

Tel un morfal, je saute sur le tabouret de bar le plus proche et entame une assiette d'œufs brouillés, non sans avoir remercié le cuistot. Le vampire s'assoit face à moi et m'observe dévorer une à une les assiettes présentes, tout en sirotant un café.

- Vous avez de l'appétit.

Il porte à nouveau la tasse à ses lèvres, masquant un sourire naissant. Je dois vraiment ressembler à une sauvage. Il faut que j'arrête d'agir comme si j'étais seule au monde. Ces années d'errance m'ont fait perdre mon savoir-vivre. Je m'oblige à me tenir bien droite et à ralentir la cadence.

- Vous buvez du café ? demandé-je, pour détourner l'attention.

- Ça ne me fait aucun effet, mais j'en aime le goût.

Un silence s'installe. Seul le bruit de ma fourchette piquant dans mes pancakes se fait entendre. Le vampire continue à me fixer bizarrement. Il me dévisage, sans jamais ciller. A force, ça devient pesant.

Il pose alors sa tasse et attrape la bouteille à sa portée. J'observe à mon tour chacun de ses gestes. Le liquide rouge envahit rapidement le verre à sa portée. Quand il le porte à sa bouche et en boit une bonne gorgée, je comprends de quoi il s'agit. Ma bouchée me reste en travers de la gorge. Dire que je pensais que c'était du jus de canneberge et que j'allais me servir. J'avoue que le voir avaler ce truc me donne envie de vomir. Je sais. Etre dégoûtée par le sang, alors que je suis une lycaon, tueuse d'humains de surcroît, c'est vraiment un comble.

- Ce soir, je travaille. Vous allez m'accompagner, dit le vampire tout en débarrassant.

- Vous travaillez dans quoi ? le demandé-je, tout en prenant sa place devant l'évier.

Le vampire me lance un regard amusé.

- Vous êtes une drôle de personne, Ivy. Vous jouez la dure, mais au fond vous êtes quelqu'un de bien.

Je lui jette un coup d'œil. Qu'est-ce qui peut le faire dire une chose pareille ? Parce que je fais la vaisselle ?

- Vous esquivez la question.

- Vous le verrez en temps et en heure.

Sa réponse ne laisse place à aucune contestation possible. Il a l'habitude qu'on lui obéisse au doigt et à l'œil mais je ne suis pas de ce genre-là. La réplique me brûle les lèvres, mais je ne dois pas. Je le suis redevable. Etre polie est la moindre des choses. Faire un peu le ménage est aussi une manière d'honorer ma dette. Mon débiteur est retourné s'asseoir au bar. Je sens encore son regard sur moi. J'essaie de rester impassible mais c'est difficile.

- Je ne sais pas en fin de compte si c'est une bonne idée de vous garder auprès de moi, reprend-il.

Je me retourne vers lui. Qu'est-ce qu'il veut dire par là ? que je le gêne ? qu'il regrette d'avoir proposé son aide ?

- Alors pourquoi m'avoir emmené chez vous ? J'aurais pu me barrer avec le routier et qui sait, j'aurais peut-être été sur une plage au Mexique à l'heure qu'il est ?

- Ou morte parce que les chasseurs vous auraient mis la main dessus.

Je grimace à cette évocation.

- Vous vous méprenez sur mes intentions. J'émettais juste un constat. Vous et moi sommes des personnes très différentes, pas seulement en ce qui concerne notre nature profonde. Mais je ne suis pas ce qu'on appelle une personne recommandable.

- Nous sommes des créatures de l'ombre, donc nous ne sommes pas des gens fréquentables par définition, réponds-je en haussant les épaules.

- Notre nature ne définit pas notre personnalité, Ivy.

Sa phrase me laisse pensive. Je replonge la tête dans la vaisselle. Je ne sais pas pourquoi mais elle me fait douter au sujet de Luc. Quand on était au motel et qu'il m'avait promis d'être mon ami, sur le coup, je l'avais trouvé sincère. Rien ne me portait à croire qu'il me mentait. Et par la suite, il avait montré à mon égard une réelle empathie. Alors pourquoi aurait-il soudainement décidé de réagir autrement ? Peut-être ne m'avait-il jamais menti ? Peut-être avait-il été berné ou même drogué, comme moi ?

- Arrêtez de ressasser tout ça.

Je lui jette un coup d'œil. Je n'ai rien dit, à peine soupiré. Que croit-il qu'il se passe dans ma tête ? La seule chose que je peux observer est son visage fermé.

- Tous les chasseurs sont les mêmes, Ivy.

Mes yeux se mettent à clignoter sous l'effet de surprise.

- Comment est-ce que...

- Comment est-ce que je peux savoir que vous pensiez à lui ? Parce que ça se lit sur votre visage. Ce chasseur a réussi à réveiller en vous l'espoir et vous lui avez accordé votre confiance. Et vu comment les choses ont tourné, de toute évidence, c'était un mauvais choix.

J'en reste bouche bée. J'aimerais lui dire qu'il a tort, que Luc n'est pas comme les autres chasseurs que j'ai croisé ce soir-là, qu'il m'avait paru tellement franc et loyal. Mais rien ne vient parce qu'au fond de moi, je sais qu'il a raison. Sa loyauté va avant tout à ses amis chasseurs. Alors je laisse échapper un soupir de résignation.

- Vous avez sans doute raison. Mais je me disais que peut-être...

- Ne vous faites pas trop d'illusions. Pour eux, nous ne sommes que des monstres, et rien d'autres.

Sa réflexion me refroidit. Des monstres. Ach et moi, nous ne sommes que des monstres. Il aspire la vie des hommes. Et moi, je les massacre. Je dois admette la cruelle vérité. Luc ne peut pas me considérer autrement. Particulièrement depuis ce qui s'est passé dans les bois. Je sens alors ses mains se poser sur mes épaules.

- Ne soyez pas aussi déçue. C'est dans l'ordre des choses.

- Ça va. J'ai compris, dis-je, en dégageant mes épaules.

Ach retire ses mains et recommence à nettoyer sans dire un mot.

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